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Date : 20120614

Dossiers : IMM‑9634‑11

IMM‑137‑12

 

Référence : 2012 CF 758

Dossier : IMM‑9634‑11

 

[traduction FRANÇAISE certifiÉe, rÉvisÉe]

ENTRE :

 

DONG LIANG

 

 

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

Dossier : IMM‑137‑12

 

ET ENTRE :

 

 

 

 

 

 

PHOOL MAYA GURUNG

 

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Rennie



[1]               Les demandeurs sollicitent des ordonnances de mandamus obligeant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) à traiter leurs demandes de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF).

 

[2]               Les demandes en litige ont été choisies dans le cadre d’un processus de gestion de l’instance, comme étant des cas types pour deux groupes de demandeurs dont les demandes TQF n’ont pas encore été finalisées. Le demandeur Dong Liang représente 671 demandeurs qui ont présenté leurs demandes avant le 27 février 2008, date à laquelle sont entrées en vigueur les modifications apportées à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), par la Loi d’exécution du budget de 2008, LC 2008, c 28 ou «  projet de loi C‑50 »  (demandes antérieures au C-50). La demanderesse Phool Maya Gurung représente 154 demandeurs qui ont présenté leurs demandes entre le 27 février 2008 et le 26 juin 2010, un intervalle de temps pendant lequel l’admissibilité à une demande de visa TQF était régie par un ensemble d’instructions ministérielles (les demandes IM1). Les deux demandeurs soutiennent que le ministre a, de façon déraisonnable, tardé à traiter leurs demandes, lorsqu’il a choisi d’accorder une priorité élevée aux demandes présentées à des dates ultérieures, et sur la base de critères différents.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci‑après, la demande relative à M. Liang est accueillie, et la demande relative à Mme Gurung est rejetée. Aucune ordonnance n’est rendue relativement aux autres demandes en suspens dans l’attente de l’issue de la présente affaire. La Cour a obtenu le renseignement selon lequel les parties avaient convenu d’un protocole pour le règlement de ces affaires, sur le fondement de l’issue des deux demandes en l’espèce.

 

Contexte : changement au programme des travailleurs qualifiés

 

[4]               En 2008, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) était en proie à un grand arriéré de demandes TQF. Plus de 600 000 demandes étaient en cours, un nombre qui ne pouvait que continuer d’augmenter, puisque le dépôt des demandes dépassait continuellement la capacité de traitement du ministère. Cet arriéré ou plus précisément, l’intervalle de temps entre la demande, son traitement, et son évaluation définitive a rendu de plus en plus difficile le fait de faire correspondre l’expérience, et les compétences des candidats avec les besoins prédominants du marché du travail au Canada. Tout changement dans les critères d’admissibilité ne pourrait véritablement pas prendre effet avant plusieurs années, lorsque les demandes en question étaient enfin traitées.

 

[5]               En février 2008, en réponse au problème, la LIPR a été modifiée par l’ajout de l’article 87.3. La modification permettait au ministre de prendre des instructions quant aux demandes admissibles au traitement (les instructions ministérielles), et la modification supprimait l’obligation de traiter chaque demande reçue. La modification donnait au ministre un large pouvoir de trier les demandes selon des critères d’admissibilité modifiés, y compris la mise en place de catégories de demandeurs, de niveaux nationaux ou de quotas pour toutes les demandes TQF, et de sous‑niveaux ou de quotas pour des emplois précis.

 

Application

 

87.3 (1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées au paragraphe 11(1), sauf celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2), aux demandes de parrainage faites par une personne visée au paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada.

 

 

Atteinte des objectifs d’immigration

 

(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.

 

 

Instructions

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment en précisant l’un ou l’autre des points suivants :

 

a) les catégories de demandes à l’égard desquelles s’appliquent les instructions;

 

 

b) l’ordre de traitement des demandes, notamment par catégorie;

 

 

c) le nombre de demandes à traiter par an, notamment par catégorie;

 

 

d) la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.

 

 

 

Respect des instructions

 

(4) L’agent — ou la personne habilitée à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 — est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande; s’il ne procède pas au traitement de la demande, il peut, conformément aux instructions du ministre, la retenir, la retourner ou en disposer.

 

 

Précision

 

(5) Le fait de retenir ou de retourner une demande ou d’en disposer ne constitue pas un refus de délivrer les visa ou autres documents, d’octroyer le statut ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables.

 

 

 

Publication

 

(6) Les instructions sont publiées dans la Gazette du Canada.

 

Précision

 

(7) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du ministre de déterminer de toute autre façon la manière la plus efficace d’assurer l’application de la loi.

Application

 

87.3 (1) This section applies to applications for visas or other documents made under subsection 11(1), other than those made by persons referred to in subsection 99(2), sponsorship applications made by persons referred to in subsection 13(1), applications for permanent resident status under subsection 21(1) or temporary resident status under subsection 22(1) made by foreign nationals in Canada and to requests under subsection 25(1) made by foreign nationals outside Canada.

 

 

 

Attainment of immigration goals

 

(2) The processing of applications and requests is to be conducted in a manner that, in the opinion of the Minister, will best support the attainment of the immigration goals established by the Government of Canada.

 

Instructions

 

(3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions

 

(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;

 

(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;

 

(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and

 

(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request.

 

Compliance with instructions

 

(4) Officers and persons authorized to exercise the powers of the Minister under section 25 shall comply with any instructions before processing an application or request or when processing one. If an application or request is not processed, it may be retained, returned or otherwise disposed of in accordance with the instructions of the Minister.

 

Clarification

 

(5) The fact that an application or request is retained, returned or otherwise disposed of does not constitute a decision not to issue the visa or other document, or grant the status or exemption, in relation to which the application or request is made.

 

Publication

 

(6) Instructions shall be published in the Canada Gazette.

 

Clarification

 

(7) Nothing in this section in any way limits the power of the Minister to otherwise determine the most efficient manner in which to administer this Act.

 

[6]               Surtout, l’article 120 de la Loi d’exécution du budget de 2008 disposait que, la modification ne s’appliquait que pour l’avenir, et qu’elle ne s’appliquait qu’à l’égard des demandes TQF présentées à partir du 27 février 2008 :

Demandes

 

120.  L’article 87.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne s’applique qu’à l’égard des demandes faites à compter du 27 février 2008.

 

Application

 

120.  Section 87.3 of the Immigration and Refugee Protection Act applies only to applications and requests made on or after February 27, 2008.

 

Les instructions ministérielles

 

[7]               Depuis la modification ci‑dessus, le ministre a publié quatre ensembles d’instructions ministérielles différentes. Le premier ensemble d’instructions ministérielles a été publié le 29 novembre 2008 (les IM1). Elles s’appliquaient aux demandes reçues à partir du 27 février 2008. Conformément aux IM1, les demandes ne seraient admissibles au traitement que si le demandeur : disposait d’une expérience dans l’une des 38 professions énumérées; possédait une offre d’emploi réservé (OER); résidait légalement au Canada à titre de travailleur étranger temporaire ou d’étudiant international.

 

[8]               En définitive, les IM1 n’ont pas eu le succès escompté dans la réduction de l’accroissement des demandes. Au début, l’arriéré a diminué, mais en bout de ligne, le niveau des demandes a augmenté au‑delà du niveau antérieur au projet de loi C‑50. Ainsi, le 26 juin 2010, un deuxième ensemble d’instructions ministérielles a été publié (les IM2). Elles s’appliquaient aux demandes reçues à partir de cette date. Les IM2 énonçaient que les demandes ne seraient admissibles au traitement que si le demandeur avait une OER ou si le demandeur avait de l’expérience dans l’une des 29, contrairement aux 38 précédentes, professions énumérées. Les IM2 ont crée un plafond national pour les demandes TQF : un nombre maximal de 20 000 demandes (à l’exclusion des demandes assorties d’une OER) seraient traitées par année. Dans ce plafond, chaque profession était assujettie à un nombre maximal de 1 000 demandes pouvant être traitées par année. Les demandes dépassant ce plafond seraient retournées sans être traitées.

 

[9]               Le 25 juin 2011, un troisième ensemble d’instructions ministérielles a été publié (les IM3). Elles s’appliquaient aux demandes reçues à partir du 1er juillet 2011. Les IM3 ont réduit à 10 000 demandes, le plafond total annuel pour les demandes TQF, et à 500 demandes, le plafond par profession. Le critère d’admissibilité dans les ensembles IM2 (les demandeurs ayant une OER ou de l’expérience dans l’une des 29 professions énumérées) demeurait le même.

 

[10]           En novembre 2011, un quatrième ensemble d’instructions ministérielles (les IM4) a été publié. Elles ne touchaient ni à la liste des professions ni aux niveaux nationaux ni aux plafonds par profession, mais elles créeraient un nouveau volet de demandes admissibles, plus précisément, les demandes des étudiants étrangers faisant des études de troisième cycle dans un établissement d’enseignement supérieur au Canada. Ce nouveau volet avait un plafond de 1 000 demandes par année. Outre l’imposition d’un fardeau supplémentaire pour le traitement des demandes à CIC, les IM4 ne s’appliquent pas aux demandes en l’espèce.

 

[11]           La modification de 2008, et par la suite, l’adoption des instructions ministérielles ont eu deux effets principaux. Premièrement, pour toutes les demandes présentées après l’entrée en vigueur de chaque ensemble d’instructions, les demandeurs devaient répondre aux nouveaux critères d’admissibilité; si non, leur demande n’était pas traitée. Selon le défendeur, un tel changement a au moins empêché l’accroissement de l’arriéré. Le plafond total de 20 000, puis de 10 000 demandes, et les plafonds connexes par profession ont permis à CIC de retourner les demandes, une fois que le plafond annuel était atteint. Deuxièmement, et c’est le point le plus important pour les demandeurs en l’espèce, les instructions ont créé une hiérarchisation du traitement prioritaire des demandes TQF : les demandes reçues en application des IM2, et des IM3 se sont vues assignées une priorité importante, suivies des demandes en application des IM1, et enfin, les demandes antérieures au projet de loi C‑50.

 

[12]           Cela n’a pas entraîné la fin totale du traitement des demandes antérieures au projet de loi C‑50. Selon l’affidavit de J. McNamee présenté par le ministre, 34 % de tous les visas TQF émis en 2011 ont été accordés aux demandeurs relativement aux demandes antérieures au projet de loi C‑50.

[traduction]

Travailleurs qualifiés antérieurs au projet de loi C‑50-Causes finalisées à l’étranger en 2011 par décision (approuvées, refusées et retirées)

 

 

 

Approuvées

Refusées

Retirées

Total

2011

Causes

6 242

3 466

1 943

11 651

 

[13]           Toutefois, les instructions du ministre ont indubitablement retardé le traitement des demandes antérieures au projet de loi C‑50. En outre, les IM2, et les IM3 ont retardé le traitement des demandes présentées en application des IM1, puisque les demandes présentées en application des IM2, et des IM3 se sont vues accorder une priorité de traitement très élevée.

 

Cause (Liang) représentant les demandes antérieures au projet de loi C‑50

 

[14]           M. Liang, le demandeur représentant les demandes antérieures au projet de loi C‑50, est un citoyen de la Chine. Il a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie TQF, en tant que gestionnaire de projet en technologie de l’information (TI). CIC a reçu sa demande le 11 octobre 2007. Selon les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) versées au dossier de M. Liang, le 10 mars 2010, il a reçu une décision favorable quant à sa sélection, car il avait obtenu 81 points (bien au‑delà du minimum requis de 67 points).

 

[15]           En dépit de la décision favorable de sélection, la demande de M. Liang n’a pas été approuvée et elle demeure en cours. Lorsque M. Liang a posé à CIC la question sur le délai pour la finalisation de sa demande, il a reçu du bureau des visas de Beijing, une réponse dans un courriel daté du 7 juin 2011, dans lequel il était notamment écrit ce qui suit :

[traduction]

En ce moment, nous ne traitons pas, de façon active, les demandes présentées avant le 27 février 2008, dans la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés, car nous avons suffisamment de demandes en cours, pour l’atteinte des cibles qui nous ont été fixées. Nous vous donnerons des mises à jour sur le traitement des demandes présentées avant le 27 février 2008, au moment opportun.

 

[16]           D’après le défendeur, il s’agissait d’une simple suspension du traitement de la demande de M. Liang; le défendeur donne à penser que ce que l’agent du bureau des visas de Beijing voulait dire, c’est que tant le plafond national, que le plafond par profession avaient été atteints. Selon le ministre, une telle suspension n’équivaut pas à un délai déraisonnable, comme c’est le cas maintenant, à la suite de la modification de 2008, autorisée par la loi.

 

Cause (Gurung) représentant les demandes assujetties aux IM1

[17]           Mme Gurung, la demanderesse représentant les demandes IM1, est une citoyenne de l’Inde. Le 8 avril 2010, elle a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie TQF, en tant qu’infirmière en chef, pendant que les IM1 étaient en vigueur. En octobre 2010, CIC a envoyé, par erreur, une lettre d’inadmissibilité à Mme Gurung. La lettre était basée sur la croyance erronée qu’elle n’avait pas présenté sa demande complète durant la période prescrite. Lorsqu’on a découvert qu’elle avait, en fait, présenté une demande complète, son dossier a été rouvert et on l’a avisée que le traitement de sa demande serait poursuivi.

 

[18]            En avril 2011, IDP Canada (IDP), l’organisation qui administre et surveille les tests de langue, a informé CIC qu’elle menait une enquête sur le formulaire de rapport du test du [traduction] Système international de tests de langue anglaise (IELTS) de Mme Gurung, en raison d’une suspicion de fraude. Dans son affidavit, l’agent d’immigration B. Rappaport déclare que CIC a alors suspendu le traitement de la demande de Mme Gurung dans l’attente de l’issue de l’enquête menée par IDP.

 

[19]           Il appert qu’aucune autre mesure n’a été prise dans le dossier, jusqu’à ce que Mme Gurung dépose la présente demande de contrôle judiciaire. Comme nous le verrons ci‑dessous, des éléments récents ont influé sur la valeur, en pratique, d’une ordonnance de mandamus relativement à la demande de Mme Gurung.

 

La Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable [1]

 

[20]           Le projet de Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, qui vise l’exécution du budget 2012‑2013, et qui est actuellement à l’étude au Parlement modifie les dispositions de la LIPR relatives au traitement des demandes TQF. S’il est adopté, le projet de loi modifiera la LIPR, par l’adjonction du paragraphe 87.4 (1), selon lequel il est mis fin à toute demande en cours présentée avant le 27 février 2008, et qui n’a pas reçu de décision favorable quant à la sélection avant le 29 mars 2012. Bien que la modification ne toucherait pas la demande de M. Liang, puisqu’il a une décision favorable quant à la sélection, une telle proposition mettrait fin à environ 95 % des demandes antérieures au projet de loi C‑50.

 

[21]           Le paragraphe 87.4(2) prévoit aussi que toute ordonnance définitive d’une cour de justice, rendue après le 29 mars 2012, n’a aucun effet quant aux demandes auxquelles il est ainsi mis fin.

 

[22]           Bien que les deux demandeurs, et le défendeur ont voulu se fonder sur l’existence de la modification en cours à la Chambre des communes, cette modification ne peut pas jouer de rôle dans la décision rendue quant aux présentes demandes. Le projet de loi prévoit simplement une modification qui est proposée par le gouvernement et soumise au débat devant le Parlement, et au vote de ce dernier. La modification pourrait être retirée, elle pourrait être modifiée ou elle pourrait être adoptée dans sa forme actuelle. Pour ces motifs, comme la Cour suprême du Canada (CSC) l’a énoncé dans l’arrêt Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 RCS 753, à la page 785, « [l]es tribunaux interviennent quand une loi est adoptée et non avant [] ». D’un point de vue pratique, il serait prématuré, et conjectural pour les tribunaux de prendre en compte ce projet de loi. D’un point de vue constitutionnel, le principe énoncé établit une séparation claire entre les rôles du pouvoir législatif, et du pouvoir judiciaire. Le dialogue qui survient entre les organes du gouvernement a lieu relativement à la loi actuelle : Vriend c Alberta, [1998] 1 RCS 493.

 

Questions en litige

 

[23]           Les questions en litige peuvent être énoncées de la façon suivante :

1.      Les demandeurs ont‑ils rempli les exigences relatives à l’octroi d’une ordonnance selon laquelle le ministre serait obligé de traiter leurs demandes?

2.      Les demandeurs ont‑ils une attente légitime selon laquelle leurs demandes seraient traitées selon leur ordre d’arrivée?

 

 

Les demandeurs ont‑ils rempli les exigences relatives à l’octroi d’une ordonnance selon laquelle le ministre serait obligé de traiter leurs demandes?

 

[24]           L’ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de réparation en equity. Les parties sont d’accord sur le critère juridique pour l’octroi d’une ordonnance de mandamus, tel qu’il est énoncé au paragraphe 45 de la décision Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742, confirmé par [1994] 3 RCS 1100, et qui été appliqué au contexte de l’immigration (voir par exemple les décisions, Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33; Vaziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159) :

 

1.         Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public.

 

2.                  L’obligation doit exister envers le requérant.

 

3.                  Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

 

 

 a)   le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

 

 b) il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation; (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle‑ci n’ait été rejetée sur‑le‑champ; et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

 

4.                  Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

 

a)          le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste », d’« oppressive »  ou qui dénote une « irrégularité flagrante »  ou la « mauvaise foi » ;

 

b)         un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu »  ou « facultatif »;

 

c)          le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité »  doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes »  par opposition à des considérations « non pertinentes » ;

 

d)         un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

 

e)          un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé » , c’est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.

 

 

5.         Le requérant n’a aucun autre recours.

 

6.         L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.

 

7.         Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé.

 

8.                  Compte tenu de la « balance des inconvénients » , une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

[Références omises]

 

 

[25]           Les parties s’accordent pour reconnaître que le ministre a, envers les demandeurs, l’obligation de traiter leurs demandes, et qu’un délai déraisonnable équivaut à un refus implicite de remplir cette obligation. Selon le ministre, même s’il y a un retard, il est justifié. La question de la justification satisfaisante du retard est le principal point litigieux dans les demandes en l’espèce. Le ministre soulève aussi des questions relatives aux règlements alternatifs, et aux obstacles en equity sur lesquels la Cour se penche brièvement ci‑dessous.

 

Y‑avait-il un délai déraisonnable?

 

[26]           Les parties sont d’accord sur le fait que le critère pour savoir s’il y a eu un délai indu est tel qu’il est énoncé au paragraphe 23 de la décision Conille précitée :

 

[…] trois conditions s’imposent à ce qu’un délai soit jugé déraisonnable :

1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2) le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables; et

3) l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

 

[27]           Vu la loi modifiée, et les changements aux instructions ministérielles, la question qui se pose est donc d’abord de savoir si le délai en question est plus long que le délai normal du processus, et ensuite, il s’agit de savoir s’il y a une explication satisfaisante pour ce délai. La Cour examinera d’abord les questions de durée, et de justification du délai de façon large, puisqu’elles s’appliquent à toutes les demandes en litige en l’espèce, avant d’appliquer ces principes aux deux causes représentatives qui sont devant la Cour.

 

La durée du délai

[28]           Les demandes antérieures au C‑50 ont toutes été présentées avant le 27 février 2008. Les demandes les plus récentes dans ce groupe sont en cours depuis au moins quatre ans et demi (4 ans et ½), et certaines d’entre elles sont en attente de traitement depuis neuf (9) ans. Le ministre n’a pas vigoureusement soutenu qu’un tel délai n’équivaut pas, prima facie, à un délai plus long que ce que la nature du processus exige.

 

[29]           Pour ce qui est des demandeurs assujettis aux IM1, le ministre a déclaré, tant dans son rapport au Parlement, que dans un communiqué de presse, qu’une décision sera prise sur les demandes TQF dans environ six à douze mois.

Que signifient les Instructions ministérielles dans le cadre du plan d’action pour accélérer l’immigration, pour les demandeurs?

 

Les demandes au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) reçues à compter du 27 février 2008 seront désormais évaluées en fonction des critères d’admissibilité énoncés dans les instructions. […] Les nouveaux demandeurs au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), y compris ceux ayant un emploi réservé, devraient recevoir une décision dans les six à douze mois suivant la présentation de leur demande.

 

http://www.cic.gc.ca/français/ministere/media/documents-info/2008/2008-11-28.asp

 

[30]           Les demandes IM1 sont toutes en cours depuis environ 24 à 52 mois.

 

[31]           Vu le nombre d’années qui se sont écoulées, et vu la propre déclaration du gouvernement relativement à ce qui constitue un délai raisonnable, la Cour conclut qu’un cas prima facie de délai est établi tant pour les demandes antérieures au C‑50, que pour les demandes IM1, et la Cour se penche maintenant sur la question de savoir s’il existe une explication raisonnable.

 

Explication du délai – Pouvoir discrétionnaire d’adopter des politiques et des instructions ministérielles

[32]           Le ministre soutient que tout retard dans le traitement des demandes en cause est justifié par le choix politique du ministre de donner la priorité à certaines demandes au détriment d’autres demandes. Le ministre soutient que ce genre d’élaboration de politique est permis par l’article 87.3, par les instructions ministérielles, ainsi que par la compétence générale du ministre d’administrer la LIPR.

 

[33]           La Cour ne peut pas faire droit à l’argument du ministre. Premièrement, parce que l’article 87.3, et les instructions ministérielles ne sont pas, de façon explicite, applicables aux demandes antérieures au C‑50; deuxièmement, parce que, conformément à la propre politique du ministre, les demandes IM1 devaient être traitées dans une période de six à douze mois et ne devaient pas être touchées par des instructions subséquentes; troisièmement, parce que le ministre a établi son allégation de façon si large qu’en réalité, il rend nul son obligation de traiter toute demande dans le temps convenu.

 

[34]           La Cour se penche sur la première raison : le ministre ne peut ni se fonder sur l’article 87.3 de la Loi ni sur les instructions ministérielles qui en découlent comme justification du retard dans le traitement des demandes antérieures au C‑50, parce que le législateur a clairement exprimé son intention selon laquelle, le traitement des demandes antérieures au C‑50 ne serait pas touché par les instructions ministérielles. L’article 120 de la Loi d’exécution du budget de 2008, précitée, est libellé de la façon suivante :

 

Demandes

 

120.  L’article 87.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne s’applique qu’à l’égard des demandes faites à compter du 27 février 2008.

Application

 

120.  Section 87.3 of the Immigration and Refugee Protection Act applies only to applications and requests made on or after February 27, 2008.

 

[35]           Dans ses observations écrites, le ministre a admis que les IM1 devaient seulement s’appliquer de façon prospective. En fait, les instructions ministérielles confirment ce qui ressortait clairement de l’article 120, à savoir que le traitement des demandes antérieures au C‑50 ne serait pas touché. Les IM1 sont rédigées ainsi :

 

      Les instructions ne s’appliquent qu’aux demandes présentées à compter du 27 février 2008.

         Toutes les demandes présentées avant le 27 février 2008 doivent être traitées selon le système en vigueur au moment où la demande a été présentée.

 

 

[36]           Ainsi, en ce a trait aux demandes antérieures au C‑50, les instructions ministérielles ne peuvent pas être une explication satisfaisante du retard.

 

[37]           L’argument du ministre échoue aussi sur les faits, relativement aux demandes IM1. Conformément aux choix politiques tels qu’ils sont intégrés dans les IM1, les demandes présentées en application des IM1 devaient être traitées dans un délai de six à douze (6 à 12) mois. Ainsi, en application de l’article 87.3 de la loi, le ministre a exercé son pouvoir d’adoption d’une politique relative aux demandes TQF, et les demandes IM1 ont subi un retard bien au‑delà du temps de traitement établi dans cette politique.

 

[38]           Le ministre ne peut pas non plus raisonnablement se fonder sur les instructions ministérielles ultérieures pour une explication du retard relativement aux demandes IM1, parce que ces instructions énoncent expressément qu’elles s’appliquent seulement de façon prospective, et les demandes présentées en application d’instructions antérieures n’en sont pas touchées. Par exemple, les IM2 énoncent que toutes les demandes TQF reçues avant leur publication « […] doivent toujours être considérées aux fins de traitement selon la première série d’instructions ministérielles. »  Ainsi, comme les demandes antérieures au C‑50, les demandes IM1 ne devaient pas être touchées par les instructions subséquentes, et ainsi, tous les choix politiques intégrés dans ces instructions subséquentes ne peuvent pas justifier le retard relativement aux demandes IM1.

 

[39]           Enfin, si on permettait au ministre de se fonder sur un changement de politique ultérieur pour justifier le retard, cela éliminerait le fondement même de son obligation de traiter les demandes dans un délai raisonnable. Le point central de l’argument du ministre devant la Cour était que, même si on ne tenait pas compte de l’article 87.3, et des instructions ministérielles, il a le pouvoir primordial d’établir des priorités de traitement pour certaines demandes par rapport à d’autres, et ce, en conformité à sa compétence générale d’administrer la loi, et l’exercice de cette compétence suffit à justifier tout retard. Dans la décision Vaziri, précitée, la juge Judith Snider a confirmé que le ministre avait une telle compétence générale d’administration.

 

[40]            La jurisprudence canadienne a reconnu, depuis longtemps, que les ministres ont le devoir d’exercer leurs obligations juridiques dans un délai raisonnable. Cette obligation juridique a longtemps coexisté avec l’idée que les ministres sont responsables de la gestion, et de la direction de leurs ministères, et qu’ils ont le pouvoir de faire des choix politiques et d’établir des priorités. Ces deux propositions, en apparence contradictoires, ont été conciliées par l’octroi au ministre d’une grande latitude lorsqu’il décide combien de temps il faut pour le traitement de tout type de demande, en fonction de ses choix politiques. Ainsi, si le ministre a décidé que les objectifs du Canada en matière d’immigration seraient mieux atteints par le traitement des demandes de parrainage de conjoints dans un délai moyen de quatre (4) ans, il n’appartient pas à la Cour de dire qu’elle croit que le ministre pourrait ou devrait traiter de telles demandes en deux (2) ans. Il revient au ministre, et non pas à la Cour, de gérer le ministère.

 

[41]           C’est la raison pour laquelle le temps de traitement prévu par le ministre, et le ministère se voit accorder tant de poids. Non seulement le ministre est le mieux placé pour savoir combien de temps le traitement d’une demande pourrait prendre, mais il s’est aussi vu accordé, par le législateur, le pouvoir d’établir ce temps de traitement d’une façon qui fait l’équilibre entre les divers objectifs de la LIPR. Toutefois, lorsqu’une demande a été retardée au‑delà de ce temps de traitement, sans explication satisfaisante, la Cour a le droit d’intervenir, et d’obliger le ministre à remplir son obligation. Cette approche est compatible avec le principe selon lequel le ministre est responsable, devant le Parlement, de ses choix politiques et les tribunaux ne sauraient nier de tels choix : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 110. Ainsi, la retenue est accordée à la décision du ministre, lorsqu’il adopte des politiques, mais cette retenue a une limite : l’obligation juridique du ministre, en vertu de la LIPR.

 

[42]           L’article 87.3 n’a pas changé la donne. Plutôt, il confirme que le ministre a le pouvoir d’établir des politiques relatives au traitement des demandes qui permettront de mieux atteindre les objectifs du gouvernement, et cet article a offert au ministre un outil lui permettant d’exercer un tel pouvoir : les instructions ministérielles. Si le ministre établit un ordre de traitement pour certaines demandes par l’entremise des instructions ministérielles, ces instructions, au même titre que tout autre politique du ministre, permettront de décider de la durée normale du processus.

 

[43]           Toutefois, l’article 87.3 ne supprime pas l’obligation du ministre de traiter les demandes dans un délai raisonnable, du moins les demandes dont le traitement est accepté. Rien dans l’article 87.3 ni dans toute autre modification à la loi ne met fin à l’obligation bien établie, de longue date, de traiter les demandes dans un délai raisonnable. Le ministre peut mettre en place des instructions qui lui permettent de rentourner certaines demandes sans les traiter du tout, et évidemment ainsi, il n’y a aucune autre obligation quant à ces demandes. Toutefois, lorsque des demandes sont déclarées admissibles au traitement, l’obligation de traiter de telles demandes dans un délai raisonnable demeure, en l’absence d’une disposition législative expresse qui supprime cette obligation. Les instructions ministérielles fournissent des renseignements à la question de savoir si on s’est acquitté de cette obligation dans un délai raisonnable.

 

[44]           Ainsi, la façon la plus structurée d’aborder l’analyse du délai déraisonnable, vu l’article 87.3 et les instructions ministérielles, est de situer la question de la durée quant à la nature du processus, dans le contexte général du schéma de l’immigration. Les instructions ministérielles qui s’appliquent à la demande en litige sont particulièrement pertinentes lorsqu’on décide combien de temps le processus durera pour cette demande. Toute déclaration du ministre ou de ses représentants relativement au délai de traitement prévu de la demande est aussi pertinente. Si, vu les présents éléments de preuve, la demande est encore raisonnablement dans le délai établi par le ministre, il n’y aura donc pas d’ordonnance de mandamus. Toutefois, si la demande a été retardée au‑delà du délai de traitement prévu, alors le ministre doit fournir des explications pour ce retard.

 

[45]           La présente conclusion n’empêche pas que le ministre fasse des choix politiques qui touchent le délai de traitement des demandes. Il est loisible au ministre d’adopter des politiques qui peuvent retarder certaines demandes, tant que ce retard provenant ou découlant de ce choix politique demeure raisonnable. Si la Cour en décidait autrement, cela reviendrait fondamentalement à absoudre le ministre de son obligation de traiter toute demande dans un délai raisonnable, une obligation à laquelle il est assujetti par la loi.

 

Application des principes ci‑dessus à la demande Liang (antérieure au C‑50)

[46]           Comme la Cour l’a mentionné plus haut, la demande de M. Liang est en cours depuis 2007, et il est en attente de décision définitive depuis sa décision favorable de sélection en 2010. Il s’agit, prima facie, d’un délai plus long que ce que la nature du processus exige. Les instructions ministérielles ne peuvent pas justifier le délai, puisqu’elles ne sont applicables ni à la demande de M. Liang ni aux autres demandes antérieures au C‑50. Il n’y a aucune indication que M. Liang soit de quelque façon que ce soit responsable du retard.

 

[47]           En outre, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du ministre selon lequel M. Liang avait un recours subsidiaire adéquat. Le ministre allègue que M. Liang aurait pu présenter sa demande dans le cadre des IM1, et que sa demande aurait donc été traitée plus vite. Le ministre souligne qu’un demandeur pourrait présenter deux demandes concurrentes, une demande antérieure au C‑50 et une demande IM1 subséquente.

 

[48]           L’allégation du ministre n’est pas étayée par la preuve. La directive de politique opérationnelle, en vigueur à l’époque, indique que le ministère ne savait pas quelle voie serait la plus rapide. Le fait de présenter une demande TQF dans le cadre des IM1 aurait pu être une option offerte à M. Liang, mais elle n’aurait pas été adéquate.

 

[49]           Par conséquent, la Cour conclut que M. Liang a droit à une ordonnance de mandamus. En ce qui a trait aux autres 670 demandeurs antérieurs au C‑50, la Cour ne dispose pas d’éléments de preuve relatifs aux facteurs particuliers à chaque demande qui pourraient entrer en ligne de compte pour le retard. Une partie ou la totalité du retard pourrait être attribuable au comportement du demandeur ou à une tierce partie sur laquelle le gouvernement n’a aucun contrôle. Ainsi, chaque cause doit être tranchée au cas par cas, et à l’exception de M. Liang, la Cour ne tire aucune conclusion, sauf quant au fait que pour le reste des demandeurs antérieurs au C‑50, un cas prima facie de délai a été établi, et les instructions ministérielles, vu l’article 120 de la Loi d’exécution du budget de 2008, précitée, ne constituent pas une justification satisfaisante pour ce retard.

 

La demande de Mme Gurung (IM1)

 

[50]           La Cour conclut qu’il n’est pas nécessaire d’appliquer le cadre défini ci‑dessus à la demande de Mme Gurung, parce qu’elle est dans une situation particulière, selon laquelle, l’octroi d’une ordonnance de mandamus n’aurait aucun effet ni aucune valeur pratique. Mme Gurung a reçu une lettre selon laquelle, elle pourrait être interdite de territoire pour fausses déclarations, en raison de questions que posaient les résultats à son test de langue. On lui a donné l’occasion de répondre aux questions, et sur la base de sa réponse, sa demande pouvait être refusée ou le traitement de sa demande pouvait continuer. Quel qu’en soit le cas, selon les éléments de preuve dont la Cour dispose en ce moment, la demande de Mme Gurung est traitée de façon active, il n’y a donc pas lieu de rendre une ordonnance de mandamus.

 

[51]           Il va de soi qu’on ne peut pas dire la même chose de tous les demandeurs assujettis aux IM1. Comme pour les demandeurs antérieurs au C‑50, chaque cause sera tranchée au cas par cas. Vu le fait que la présente affaire est une cause type, et que les parties, de toute évidence, s’attendent à être guidées sur la façon dont le reste des demandes IM1 seront réglées, la Cour conclut ce qui suit : conformément aux IM1, le ministre a adopté une politique selon laquelle les demandes présentées dans le cadre des IM1 se verraient accorder une priorité de traitement, et seraient traitées dans un délai de six à douze (6 à 12) mois, par conséquent, le délai (qui va de vingt‑quatre à cinquante‑deux (24 à 52) mois) est, prima facie, plus long que le délai auquel on se serait raisonnablement attendu.

 

[52]           En outre, vu la situation, le pouvoir du ministre d’adopter des politiques n’est pas en lui‑même, une explication satisfaisante pour le délai; comme la Cour l’a déjà mentionné, si elle faisait droit à une telle allégation, cela reviendrait à dire que le ministre n’a plus aucune obligation de traiter les demandes IM1 dans un délai raisonnable. En définitive, les IM2 prévoient expressément que les demandes IM1 « […] doivent toujours être considérées aux fins de traitement selon la première série d’instructions ministérielles. »  Ainsi, le champ d’application du pouvoir du ministre d’établir des priorités n’est pas soulevé dans la présente affaire. Le ministre établit des priorités, tant en ce qui a trait aux demandes antérieures au C‑50, qu’en ce qui a trait aux demandes IM1, et la question du délai a été examinée eu égard aux priorités établies par le ministre.

 

Les demandeurs avaient-ils une attente raisonnable selon laquelle leurs demandes seraient traitées sur la base du premier arrivé premier servi?

 

[53]           Les demandeurs allèguent qu’ils s’attendaient légitimement à ce que leurs demandes soient traitées sur la base de la règle du premier arrivé premier servi (PAPS). Le ministre soutient que rien dans la LIPR ni dans la jurisprudence ne permet d’appuyer l’exigence d’un traitement sur la base du PAPS, comme étant une question d’équité procédurale. La Cour est d’accord. La doctrine de l’attente légitime a pour but de s’assurer que, si un décideur présente des observations selon lesquelles une procédure précise sera suivie, dans les faits, elle est suivie. Selon la Cour, cela ne comprend pas l’ordre suivant lequel les demandes sont traitées, et les demandeurs n’ont présenté aucune preuve ni aucun argument pour convaincre la Cour du contraire.

 

[54]           Dans la pratique, une obligation de traiter les demandes TQF, sur la base du PAPS, ne fonctionnerait pas. Comme la preuve présentée par J. McNamee l’indique, les demandes sont traitées à une vitesse différente, en partie en fonction du volume de travail à chaque point d’entrée, mais aussi pour des raisons pour lesquelles le demandeur a une emprise, et non pas le gouvernement. Si un traitement sur la base du PAPS était exigé, cela soulèverait plusieurs questions. La priorité serait‑elle déterminée selon le pays d’origine, selon le type d’emploi ou bien, selon l’accusé de réception au Bureau de réception centralisée? Les demandes remplies de façon diligente par le demandeur devraient‑elles attendre leur traitement pendant que les difficultés relatives aux demandes incomplètes sont résolues, parce que ces dernières ont été présentées en premier? L’instauration d’un strict traitement sur la base du PAPS, dans un système complexe comme le système actuel entraînera indubitablement d’autres retards, et de la confusion dans un processus qui est déjà surchargé.

 

[55]           Les demandeurs allèguent aussi qu’ils avaient une attente légitime selon laquelle leurs demandes seraient traitées sur la base de critères de sélection en vigueur lorsqu’ils ont présenté leurs demandes. Il appert que les demandeurs veulent que la Cour empêche, de façon préventive, le ministre de décider à l’avenir de changer la base fondamentale sur laquelle les demandes seront examinées. Toutefois, il n’y a absolument aucune preuve que le ministre appliquerait rétroactivement les nouveaux critères. Au contraire, le ministre a clairement déclaré que toutes les demandes devaient être traitées conformément aux critères en vigueur au moment où les demandes étaient présentées. Ainsi, il n’y a aucun fondement probant sur lequel une telle allégation peut être basée.

 

Dépens

[56]           La règle 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, prévoit que, sauf pour des raisons spéciales, la demande de contrôle judiciaire ne donne pas lieu à des dépens en vertu de la LIPR. Bien qu’il existe des précédents pour l’adjudication de dépens, si la Cour conclut que le ministre a mis un délai déraisonnable pour le traitement de la demande d’un demandeur : Shapovalov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 753, la Cour conclut que l’adjudication de dépens n’est pas justifiée dans la présente affaire.

 

[57]           La Cour souligne que, la simple conclusion selon laquelle une ordonnance de mandamus est justifiée, est en soi, insuffisante pour l’adjudication de dépens : Subaharan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1228. De façon similaire, l’importance de la question en litige ne constitue pas, en soi, une raison spéciale : Ndungu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 208.

 

[58]           La Cour souligne aussi qu’il y avait des affidavits et des interrogatoires supplémentaires dans la présente affaire. Bien qu’il s’agisse là d’étapes prévues par les Règles, peu des renseignements recherchés par les demandeurs étaient pertinents dans le prononcé de la décision dans la présente demande; cet aspect est manifesté par le fait que la Cour n’a pas été orientée vers beaucoup d’éléments de preuve. En outre, les demandeurs ont avancé beaucoup d’allégations qui ont peu aidé la Cour dans les présentes demandes, et leurs allégations ont amené le défendeur à avoir recours à des ressources supplémentaires pour y répondre. Vu tous les facteurs présents en l’espèce, la Cour conclut qu’il n’existe pas de raisons spéciales pour l’adjudication de dépens dans la présente affaire.

 

Question certifiée 

 

[59]           Deux questions ont été proposées pour certification :

 

[traduction]

1.      Compte tenu de la LIPR, et en particulier des objectifs énoncés aux alinéas 3(1)a), c) et f), le ministre peut‑il établir des priorités quant aux demandes dans la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés?

2.      La Cour fédérale a‑t‑elle la compétence pour antidater ses jugements, et ses motifs dans le but de contrecarrer les effets de dispositions légales valablement adoptées?

 

[60]            La Cour refuse de certifier l’une ou l’autre de ces questions. La première question est trop large et elle manque de contexte. La question n’est pas de savoir si le ministre peut établir des priorités, que ce soit en application de sa responsabilité générale de gestion et d’administration du ministère ou en application d’une compétence spéciale selon l’article 87.3. Cela ressort clairement en droit. La question qui se posait était de savoir si, une fois que les priorités ont été établies, et que leur application était clairement indiquée, les délais étaient raisonnables.

 

[61]           Ainsi, la question proposée n’est pas juridiquement fondée, dans les questions juridiques des présentes demandes, et elle ne saurait être déterminante de la cause.

 

[62]           La seconde question était proposée en réponse à une demande présentée par les demandeurs selon laquelle, la Cour devait rendre sa décision de façon rétroactive. La compétence de la Cour en la matière est indéniable. Toutefois, dans la présente affaire, une telle ordonnance n’est pas justifiée, et elle ne peut pas être rendue. La question proposée est donc théorique. Elle est aussi vague, et par ailleurs, non acceptable pour certification, si on suppose comme elle le fait, une intention non prouvée de nier les effets d’une disposition législative non contestée.

 

 

 

 

«  Donald J. Rennie »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 14 juin 2012

 

 

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                              IMM‑9634‑11

 

INTITULÉ :                                            DONG LIANG

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Dossier :                                              IMM-137-12

 

INTITULÉ :                                            PHOOL MAYA GURUNG

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 5 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                 Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS :                           Le 14 juin 2012

 

Comparutions :

 

Timothy E. Leahy

 

Pour LE DEMANDEUR

 

Angela Marinos

Alison Engel-Yan

Jane Stewart

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Timothy E. Leahy, avocat
Forefront migration Ltd.

Toronto (Ontario)

Pour LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour LE DÉFENDEUR

b

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Projet de loi C‑38, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en oeuvre d’autres mesures, 41e législature, 1re session, 2012 (Titre abrégé : Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable).

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