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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20120614


Dossier : IMM-5066-11

Référence : 2012 CF 747

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

ABDUL HAFEEZ

MOMANA HAFEEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Les demandeurs, un mari et son épouse, viennent d’Afghanistan. Ils prétendaient craindre d’être persécutés parce qu’ils se sont mariés à l’encontre de la volonté de leur famille respective. C’est le cas en particulier de la demanderesse, qui a refusé d’épouser l’homme choisi par sa famille. La décision défavorable rendue à leur égard par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

II.        LE CONTEXTE

[2]               La norme culturelle selon laquelle les Afghanes sont souvent forcées de se marier par leur famille et le fait que cette norme ne s’applique pas seulement aux adolescentes et aux jeunes femmes dans la vingtaine sont principalement en cause de l’espèce.

 

[3]               La demanderesse prétendait que, après le décès de son père survenu en mars 2007, son oncle maternel, un homme brutal et puissant, s’est désigné lui‑même pour agir comme son tuteur. Cet oncle avait été commandant d’une milice locale et son fils lui avait succédé.

 

[4]               L’oncle a suggéré que la demanderesse épouse son fils. Lorsqu’elle a résisté, il a commencé à la menacer. Craignant d’être forcée de se marier, la demanderesse et le demandeur se sont cachés, se sont mariés en mars 2009 et se sont enfuis au Pakistan, puis au Canada.

 

[5]               Les demandeurs soutiennent que leurs familles, en particulier l’oncle maternel de la demanderesse, étaient furieuses. Ils ont reçu des menaces de la part de l’oncle et de membres de la famille du demandeur. Ils ont dit que les autorités afghanes ne pouvaient pas les protéger contre ces menaces.

 

[6]               Les demandeurs ont déposé leurs FRP, dans lequel ils exposent les faits ci‑dessus au soutien de leur demande d’asile, en août 2009. Environ un mois avant leur audience devant la CISR, ils ont ajouté de nouveaux motifs importants au soutien de leur demande, notamment la discrimination dont ils auraient été victimes parce qu’ils sont des Tadjiks et des libéraux instruits perçus comme étant pro‑occidentaux. La demanderesse a invoqué également la discrimination fondée sur le sexe.

 

[7]               Les demandeurs, principalement la demanderesse, ont témoigné devant la CISR et des observations écrites, incluant notamment trois lettres portant sur les Afghans instruits, le traitement des femmes et les mariages forcés en Afghanistan, ont été déposées après l’audience. Les lettres avaient été rédigées par l’auteur du livre populaire Les cerfs‑volants de Kaboul et par les organisations « Women for Afghan Women » et la « Lawyers Union of Afghanistan ».

 

[8]               La décision défavorable rendue par la CISR reposait sur : a) le manque de crédibilité fondé principalement sur le manque de corroboration; b) l’absence d’une crainte fondée attribuable en grande partie au manque de crédibilité; c) l’invraisemblance de la preuve documentaire ou la contradiction possible avec celle‑ci.

 

[9]               En ce qui concerne les derniers motifs de la décision, la CISR a reconnu que les mariages arrangés et forcés et les crimes d’honneur existent en Afghanistan de nos jours. Elle a toutefois fait remarquer que les demandeurs avaient 32 et 40 ans et que cela semblait être un âge relativement avancé pour que la famille de la demanderesse tente de la contrôler.

 

[10]           Au sujet des mariages forcés, la CISR s’est appuyée sur le rapport du département d’État américain sur les droits de la personne et a noté que les mariages forcés surviennent habituellement entre 17 et 21 ans. Elle a aussi mentionné que le rapport fait référence à des femmes plus âgées qui ont été forcées de se remarier après le décès de leur mari. Le seul commentaire fait par la CISR au sujet des observations présentées après l’audience était que la preuve faisait référence à des femmes beaucoup plus jeunes que la demanderesse.

 

[11]           La CISR a examiné les nouvelles prétentions, mais elle les a rejetées également. Cet aspect de la décision n’est pas pertinent en l’espèce.

 

[12]           La question fondamentale qu’il faut trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire consiste à déterminer si la décision de la CISR était raisonnable, en particulier en ce qui a trait à la crainte du mariage forcé.

 

III.       ANALYSE

[13]           Il est bien établi que les conclusions de la CISR sur la crédibilité et l’invraisemblance sont des conclusions de fait à l’égard desquelles il faut faire preuve d’une grande retenue. La norme de contrôle qui s’applique à ces conclusions est celle de la décision raisonnable, ce qui témoigne de la retenue dont elles doivent faire l’objet (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886 (CAF)).

 

[14]           Il est bien établi également que la Cour n’est pas tenue de faire référence à chaque élément de preuve, mais plus la preuve est importante, plus l’obligation d’expliquer pourquoi elle est rejetée est grande (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL), au paragraphe 17; Tursunbayev c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 504, au paragraphe 73 (disponible sur CanLII); Sivapathasuntharam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 486, au paragraphe 24 (disponible sur CanLII)). Le défaut d’expliquer pourquoi une preuve importante est rejetée compromet le caractère raisonnable de la décision.

 

[15]           L’application de la norme culturelle des mariages arrangés ou forcés à des femmes plus âgées (ayant plus de 21 ans) était un aspect fondamental en l’espèce. La CISR a conclu qu’elle ne disposait pas d’une preuve corroborant le fait qu’une personne de l’âge de la demanderesse serait l’objet de pressions pour qu’elle se marie ou serait forcée de le faire.

 

[16]           Cependant, les trois éléments de preuve produits après l’audience traitaient de différents aspects de cette question. La Lawyers Union of Afghanistan soulignait que se marier sans la permission de sa famille pouvait entraîner la mort, même pour les femmes plus âgées. En ce qui concerne la demanderesse, sa situation a changé dès le décès de son père, ce qui n’a pas été contesté par la CISR, mais qui est contraire à sa conclusion selon laquelle les femmes plus âgées n’étaient pas en danger si elles se mariaient sans permission.

 

[17]           La preuve produite après l’audience traite de la pratique selon laquelle les femmes se conforment aux désirs de leur famille, à défaut de quoi elles courent le risque d’être persécutées, et révèle que le risque peut même être plus grand dans le cas des femmes âgées de plus de 30 ans. Cette preuve étaye la demande d’asile de la demanderesse et met à mal la conclusion de la CISR concernant l’absence de preuve corroborante, et pourtant, le rejet de cette preuve n’a pas été expliqué.

 

[18]           La CISR avait peut‑être une bonne raison de rejeter cette preuve, mais, dans les circonstances, elle avait l’obligation d’expliquer clairement pourquoi elle agissait ainsi. Faute d’explication valable, la décision n’est pas raisonnable.

 

[19]           En concluant que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, la Cour ne laisse pas entendre que le cas des demandeurs ne présente aucune difficulté.

 

IV.       CONCLUSION

[20]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire serait renvoyée à la CISR pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différent.

 

[21]           Il n’y a aucune question à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différent.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5066-11

 

INTITULÉ :                                      ABDUL HAFEEZ et MOMANA HAFEEZ c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

                       POUR LES DEMANDEURS

 

Teresa Ramnarine

 

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

                        POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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