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Date : 20120619

Dossier : IMM‑7052‑11

Référence : 2012 CF 779

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 juin 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

BOGUZINSKAITE, IRMA

PASZTYERIK, JOZSEF

PASZTYERIK, SOFIJA (MINEURE)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs prient la Cour d’annuler la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande de réouverture de leurs demandes d’asile. Pour les motifs qui suivent, leur demande est rejetée.

 

[2]               M. Jozsef Pasztyerik est hongrois. Son épouse, Mme Irma Boguzinskaite, et leur fille de quatre ans, Sofija Pasztyerik, sont des citoyennes de la Lituanie.

 

[3]               La demande d’asile de M. Pasztyerik reposait sur ses opinions et activités politiques en Hongrie, et celle de Mme Boguzinskaite, sur ses opinions et activités politiques en Lituanie et sur sa persécution en Hongrie à titre de Russe. Mme Boguzinskaite était la représentante désignée de leur fille. Ils ont présenté leurs demandes d’asile peu après leur arrivée au Canada en mai 2009, mais vers la fin de 2010, juste avant leur audition, ils ont retiré leurs demandes.

 

[4]               Le 15 décembre 2010, le défendeur, qui n’était pas encore au courant du retrait de la demande, a déposé un avis d’intention d’intervenir lorsqu’il a appris que M. Pasztyerik avait été arrêté et accusé, le 16 avril 2006, en Irlande du Nord, du viol d’une jeune personne. Quoique cette accusation ait été par la suite rejetée, M. Pasztyerik ne l’a pas mentionnée, comme il devait le faire, dans son formulaire de renseignements personnels. Lorsque le défendeur a été informé du retrait de la demande des demandeurs, il n’a pris aucune autre mesure.

 

[5]               Le 1er septembre 2011, les demandeurs adultes ont sollicité la réouverture de leurs demandes; M. Pasztyerik a fait la déclaration suivante : [traduction] « J’ai été mal conseillé par mon conseil qui m’a présenté un formulaire à signer et j’en ignorais les conséquences ». Il soutient en outre dans la lettre avoir une preuve de la persécution à laquelle sa famille et lui sont exposés parce que ses opinions politiques et [traduction] « en particulier [ses] opinions […] vont à l’encontre de l’aile droite conservatrice qui domine la Lituanie ». Il soutient qu’il [traduction] « sera victime de persécution et de discrimination et pourrait être tué » en raison de ses opinions politiques.

 

[6]               Le 8 novembre 2011, la Commission a rejeté leur demande. La décision comprend cinq paragraphes, reproduits ci‑après :

[1] Aucun élément de preuve crédible ne démontre que les demandeurs d’asile ont été mal conseillés par le conseil. Le conseil inscrit au dossier est membre du Barreau de l’Ontario.

 

[2] Chacun des demandeurs d’asile a signé le formulaire de retrait de sa demande d’asile, et tous les demandeurs d’asile ont indiqué que le formulaire leur avait été interprété, qu’ils retiraient librement leur demande d’asile et qu’ils pouvaient se voir demander de quitter le Canada.

 

[3] En outre, le 10 décembre 2010, l’adjoint du conseil, Peter Ivanyi, a télécopié à la Commission le formulaire de retrait pour l’enfant à charge, signé par son représentant désigné, ce qui démontre également que le conseil des demandeurs d’asile a participé au processus de retrait. Par conséquent, je suis convaincu que l’acceptation du retrait des demandes d’asile par la Commission ne constitue pas un manquement à la justice naturelle.

 

[4] Le demandeur d’asile soutient qu’il a des preuves de la persécution subie en Lituanie, et qu’il risque de se faire tuer s’il y retourne. La demande d’asile qu’il a retirée est fondée sur ce motif. Je ne suis pas convaincu que cette crainte soit une indication du fait qu’il existe des éléments justifiant la réouverture des demandes d’asile dans l’intérêt de la justice.

 

[5] Par conséquent, la Section de la protection des réfugiés rejette la demande de réouverture. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[7]               À l’appui de sa demande, M. Pasztyerik a déposé un affidavit dans lequel il explique que son épouse et lui se sentaient nerveux à l’idée de devoir comparaître devant la Commission pour leur audition de décembre 2010, qu’il en fait part à leur conseil et que celui‑ci lui a dit qu’ils n’avaient pas à se présenter à l’audience, mais pouvaient utiliser la [traduction] « manière facile » qui consistait à solliciter une dispense afin qu’on leur permette de présenter de l’intérieur du Canada une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Il semble que les deux demandes aient été déposées. M. Pasztyerik déclare avoir reçu une réponse défavorable à sa demande d’ERAR le 30 août 2011 et qu’il a demandé, avec l’aide d’un ami, la réouverture des demandes d’asile dans les jours suivants.

 

[8]               La seule question en l’espèce est celle de savoir si la décision de la Commission de ne pas rouvrir les demandes d’asile était raisonnable. La norme de contrôle est celle de la raisonnabilité : Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1185, et Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 133.

 

[9]               Le rétablissement des demandes d’asiles qui ont été retirées fait l’objet du paragraphe 53(3) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, lequel prévoit que la demande de rétablissement peut être accueillie « soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire ».

 

[10]           Premièrement, les demandeurs font valoir que la décision n’est pas raisonnable, car elle été prise d’une manière arbitraire et abusive et sans égard aux éléments de preuve dont la Commission disposait. Ils attirent l’attention sur le paragraphe 4 de la décision dans lequel la Commission déclare que « [l]e demandeur d’asile soutient qu’il a des preuves de la persécution subie en Lituanie, et qu’il risque de se faire tuer s’il y retourne », alors que M. Pasztyerik est en fait un citoyen de la Hongrie.

 

[11]           J’accepte l’observation du défendeur. Il est vrai que M. Pasztyerik est un citoyen de la Hongrie et non de la Lituanie, mais il n’est guère possible d’adresser un reproche à la Commission, car, dans la lettre dans laquelle il sollicite la réouverture de sa demande, M. Pasztyerik écrit que ses opinions politiques sont contraires à celles de [traduction] « l’aile droite conservatrice qui domine la Lituanie ».

 

[12]           Deuxièmement, les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur en n’examinant pas convenablement les documents dont elle disposait. La Commission a noté au paragraphe 2 de sa décision que les demandeurs adultes avaient signé des formulaires de retrait et que « tous les demandeurs d’asile ont indiqué que le formulaire leur avait été interprété, qu’ils retiraient librement leur demande et qu’ils pouvaient se voir demander de quitter le Canada ». Les demandeurs attirent l’attention sur les formulaires figurant aux pages 177 et 178 du dossier certifié du tribunal. Le formulaire de M. Pasztyerik a été signé en [traduction] « novembre 2010 » et contient une déclaration de l’interprète, faite par Elizabeth Lazslo, selon laquelle le formulaire a été interprété en hongrois pour lui. Le formulaire de Mme Boguzinskaite a été signé le [traduction] « 29 novembre 2010 » et contient une déclaration de l’interprète, faite par M. Pasztyerik, selon laquelle le formulaire a été interprété en russe pour elle le 28 novembre 2010. On fait valoir que les dates indiquées font naître un doute sur leur exactitude ou leur validité; cependant, le formulaire a été par la suite présenté dans une forme modifiée de manière à y ajouter le nom de l’enfant et a été signé de nouveau par les deux demandeurs adultes le 29 novembre 2010.

 

[13]           Bien qu’il puisse être techniquement vrai que M. Pasztyerik ne pouvait pas « traduire » le formulaire de l’anglais vers le russe, puisqu’il ne lit et ne parle l’anglais que très peu, sinon nullement, je ne conclus pas qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de s’appuyer sur ces documents. Le formulaire lui a été traduit en hongrois et il l’a expliqué à son épouse en russe. Comme ils forment un couple depuis un certain temps – depuis assez longtemps pour avoir un enfant de quatre ans –, il ne peut guère être considéré comme déraisonnable de conclure qu’ils sont capables de communiquer l’un avec l’autre.

 

[14]           Troisièmement, les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas examiné de manière appropriée l’intérêt supérieur de l’enfant mineure dont la demande d’asile a également été retirée. Je rejette cette prétention. La Commission a bel et bien fait référence à la demande de l’enfant au paragraphe 3 et elle note la participation du conseil, laquelle l’a convaincue que l’acceptation du retrait de cette demande ne constituait pas un manquement à la justice naturelle. En l’absence d’une allégation précise sur les intérêts de l’enfant, et il n’en a été présenté aucune, on ne peut pas dire que la Commission était tenue à quoi que ce soit de plus.

 

[15]           Quatrièmement, les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas apprécié les faits sous leur angle puisqu’elle ne mentionne nullement leur incapacité de parler l’anglais, la situation de l’enfant ou les irrégularités des formulaires. Vu la référence qu’elle a faite à la traduction, la Commission était consciente des problèmes liés à la langue. La Commission, comme cela a déjà été indiqué, avait également à l’esprit l’enfant et ses intérêts. L’irrégularité des formulaires était à mon avis une question d’importance mineure et, comme cela a été expliqué précédemment, il était loisible à la Commission d’accepter les formulaires comme une preuve des intentions et de la compréhension des demandeurs.

 

[16]           Cinquièmement, les demandeurs soutiennent que la Commission a conclu qu’il n’existait pas de preuve qu’ils avaient été mal conseillés par le conseil, mais qu’elle a noté en même temps la participation de celui‑ci dans le processus de retrait. Le défendeur fait valoir que la participation du conseil ne peut pas servir à étayer la conclusion que les demandeurs n’ont pas été mal conseillés. Je ne décèle là aucune erreur. Quoiqu’il y ait une allégation relative à la conduite du conseil, les demandeurs n’ont rien fait à cet égard. Comme la Cour l’a noté à diverses occasions, il est peu probable qu’un poids quelconque soit accordé à des allégations selon lesquelles un membre d’un barreau serait incompétent lorsqu’aucune plainte n’a été faite auprès de l’organisme dirigeant : Sathasivam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 438. L’allégation faite par les demandeurs requiert davantage que leur simple déclaration selon laquelle ils ont été mal conseillés. Aucune preuve n’a été présentée par le conseil, lequel, pour des raisons de secret professionnel, ne peut répondre sans la permission de ses clients ou une plainte à son barreau. Quoi qu’il en soit, la participation du conseil n’a pas été utilisée par la Commission comme une preuve qu’ils n’avaient pas été mal conseillés, mais comme une preuve, en l’absence de toute preuve contraire digne de foi, et il n’y en avait aucune, que l’acceptation du retrait des demandes ne constituait pas un manquement à la justice naturelle.

 

[17]           Sixièmement, les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas évalué de manière appropriée la question de savoir si la réouverture des demandes était dans l’intérêt de la justice. Ils allèguent que la Commission a dit, au paragraphe 4 de sa décision, qu’elle avait examiné la demande d’asile qui avait été faite et qu’elle avait conclu qu’il était improbable qu’elle soit accueillie. Je ne suis pas d’accord. La Commission dit que les raisons invoquées dans la lettre pour expliquer pourquoi la réouverture serait dans l’intérêt de la justice sont exactement les mêmes que celles invoquées à l’appui de la demande d’asile initiale – mais que ces raisons sont insuffisantes. C’est la réouverture qui doit être dans l’intérêt de la justice, non la demande d’asile initiale.

 

[18]           Pour tous ces motifs, la demande est rejetée. Les parties n’ont ni l’une ni l’autre proposé de question aux fins de certification.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7052‑11

 

INTITULÉ :                                                  IRMA BOGUZINSKAITE ET AL c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maryam Manteghi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Julie Waldman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maryam Manteghi

Avocat

Oakville (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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