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Date : 20120619


Dossier : IMM-6737-11

Référence : 2012 CF 780

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 juin 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

MIGUEL ANGEL SANDOVAL SALAMANCA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de M. Sandoval Salamanca parce que, « [a]u sens de l’article 96 ou 97 de la LIPR, la crainte alléguée du demandeur d’asile n’a pas de fondement objectif, car la protection de l’État s’offre à lui ». Le demandeur n’a rien fait pour obtenir cette protection avant de s’enfuir du Guatemala pour venir au Canada.

 

[2]               La Commission n’a tiré aucune conclusion au regard de la crédibilité. En conséquence, la Cour doit considérer comme véridiques tous les faits allégués par le demandeur.

 

Le contexte

[3]               Le demandeur est né au Guatemala le 15 novembre 1988. Pendant ses études universitaires, il a travaillé comme agent de piste pour une compagnie aérienne; dans le cadre de cet emploi, il s’occupait du chargement des bagages à bord des avions et de leur déchargement. Le 20 février 2010, deux hommes l’ont abordé pour lui dire qu’ils avaient un travail à lui proposer. Ils lui donneraient 50 000 $ s’il plaçait un paquet à bord d’un appareil. Ils lui ont donné deux semaines pour y penser et l’ont averti de ne pas communiquer avec l’aéroport, la compagnie aérienne ou la police. Ils lui ont aussi dit que l’organisation à laquelle ils appartenaient avait des gens dans toutes ces autorités et que, s’il les dénonçait, ces gens le sauraient et sa famille et lui seraient tués.

 

[4]               Cinq jours plus tard, incapable de venir à bout du stress, le demandeur a pris un congé. Le lendemain, deux hommes l’ont entraîné dans une camionnette et ont pointé une arme sur sa tête. On lui a bandé les yeux et conduit à un endroit inconnu. On lui a dit qu’il allait mourir. Il a prié les hommes de lui laisser la vie sauve et leur a dit qu’il ferait n’importe quoi. Les hommes lui ont répondu qu’ils lui laissaient une autre chance de placer un paquet à bord d’un avion. Ils ont répété que, si le demandeur parlait à quiconque de ce qui se passait, sa famille et lui seraient tués.

 

[5]               Le 26 février 2010, le demandeur est retourné au travail et a réservé une place sur un vol pour le Mexique. Il a passé la nuit chez un ami et est parti le lendemain. Il est entré illégalement aux États‑Unis à partir du Mexique. Il a téléphoné à sa sœur, qui lui a dit que les hommes avaient menacé de le tuer. Comme elle avait peur, elle s’est enfuie au Salvador. Le 24 avril 2010, le demandeur est arrivé au Canada et a demandé l’asile.

 

La question en litige

[6]               La seule question en litige en l’espèce consiste à déterminer si la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État était raisonnable.

 

Analyse

[7]               La Commission a demandé au demandeur pourquoi il n’avait pas signalé les rencontres à son employeur ou à la police. Il a répondu qu’il ne l’avait pas fait parce que les hommes qui lui avaient parlé lui avaient dit qu’ils avaient des gens dans les deux organisations et que lui et sa famille seraient tués s’il faisait état de leur relation. Il a dit également que tous les policiers sont corrompus au Guatemala.

 

[8]               Les extraits de la décision qui sont reproduits ci‑dessous montrent l’appréciation de la preuve faite par la Commission et le point de vue de celle‑ci sur la preuve objective de la protection de l’État au Guatemala. Je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il prétend que la Commission n’a pas tenu compte ou fait ressortir des aspects de la preuve documentaire objective qui allaient directement à l’encontre de ses conclusions et qui étayaient les affirmations du demandeur selon lesquelles il croyait que la police ne ferait rien et que la corruption était omniprésente dans la force policière. Il n’est pas contesté que la Commission est présumée avoir pris en considération tous les éléments de preuve dont elle disposait. Cette présomption est toutefois réfutée si une preuve objective qui contredit de manière frappante les conclusions de la Commission et que celle‑ci n’a pas mentionnée, encore moins soupesée et fait ressortir, est produite.

 

[9]               La Commission a résumé la preuve du demandeur de la façon suivante :

Quant à son opinion sur la corruption au sein de la police, le demandeur d’asile a fait valoir que, selon lui, tous les policiers du Guatemala sont corrompus […] À la question de savoir s’il croit que les policiers auraient enquêté sur ses allégations s’il s’était adressé à eux, le demandeur d’asile a répondu par la négative, ajoutant que les policiers ne donnent pas suite à bien des plaintes […] Le demandeur d’asile a également indiqué qu’il sait par expérience que les policiers ne font pas leur travail, que des personnes se font voler et tuer tout le temps et que c’est pour ces raisons que les policiers ne l’auraient pas protégé.

 

[10]           La Commission a tiré les conclusions suivantes :

Trop peu d’éléments de preuve crédibles ont été présentés pour démontrer que les autorités n’auraient pas protégé le demandeur d’asile […] [P]eu d’éléments de preuve crédibles montrent […] que les policiers ne feraient pas enquête sur leurs allégations.

 

S’il est vrai que des actes de corruption et d’inconduite sont commis au sein du corps de police du Guatemala, j’estime toutefois qu’il n’y a aucun élément de preuve convaincant qui montre que la corruption est très répandue, généralisée et systémique au sein du corps de police […]

 

[…] je suis d’avis qu’il n’y a aucun élément de preuve convaincant qui prouve que ces problèmes empêchent les forces policières de fournir une protection adéquate aux personnes qui en ont besoin au Guatemala. [Non souligné dans l’original.]

 

[11]           Ces conclusions selon lesquelles il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve « crédibles » ou « convaincant[s] » contrastent de manière frappante avec des rapports que la Commission avait à sa disposition : les World Reports de Human Rights Watch de 2011, le Country Report on Human Rights Practices de 2010 sur le Guatemala du département d’État américain (rapport du département d’État) et le International Narcotics Control Strategy Report, vol. 1, mars 2011, du Department of State Bureau for International Narcotics and Law Enforcement Affairs des États‑Unis (rapport sur les stupéfiants).

 

[12]           Le rapport de Human Rights Watch décrit l’incapacité presque totale des forces policières de lutter contre les crimes violents au Guatemala :

[traduction] Le système de justice du Guatemala s’est souvent révélé incapable d’endiguer la violence et de maîtriser les mafias et les gangs criminels. Selon les données officielles, le taux d’impunité concernant les crimes violents atteignait 99,75 pour 100 en 2009. Des services de police, un système de poursuites et un système judiciaire déficients et corrompus et l’absence d’un programme adéquat de protection des témoins contribuent au faible taux de poursuites alarmant du Guatemala. De plus, des membres du système de justice font régulièrement l’objet d’agressions et d’intimidation. [Non souligné dans l’original.]

 

[13]           Ces données sont confirmées dans le rapport sur les stupéfiants :

[traduction] Le Guatemala est également confronté à un nombre élevé de crimes transnationaux, notamment la traite des personnes et le trafic des armes, et à une vague de vols à main armée, de meurtres à forfait et d’extorsion commis par des gangs de jeunes puissants au niveau régional.

 

Le gouvernement du Guatemala n’a pas consacré les ressources nécessaires à ces défis; il a l’un des plus faibles taux de perception des taxes et impôts de l’Amérique latine et, en 2010, il a réduit les budgets consacrés à la justice et à l’exécution des lois. Ces mesures ont limité l’efficacité de l’aide financée par le gouvernement des États‑Unis. La combinaison de ces facteurs a fait en sorte que le taux d’impunité a atteint 96,5 pour 100 dans les cas de meurtre, les taux étant semblables pour les autres crimes, dont les infractions de criminalité organisée. [Non souligné dans l’original.]

 

[14]           De plus, bien que la Commission ait rejeté le témoignage du demandeur selon lequel toutes les forces policières sont corrompues au Guatemala et qu’il s’agisse peut‑être d’une exagération, l’évaluation que le demandeur a faite de cette corruption est largement confirmée dans le rapport sur les stupéfiants : [traduction] « Les autorités responsables de l’exécution de la loi et les institutions du système de justice pénale sont faibles et agissent dans un environnement où la corruption est omniprésente » et [traduction] « la corruption reste endémique dans les institutions publiques et la société en général » [non souligné dans l’original]. 

 

[15]           Enfin, on souligne que le rapport du département d’État indique qu’[traduction] « il y a eu des signalements crédibles de meurtres de témoins ».

 

[16]           Aucun de ces extraits ou renseignements tirés de ces rapports objectifs n’a été analysé par la Commission. Comme ils semblent appuyer fortement le témoignage du demandeur selon lequel il serait en danger s’il demandait l’aide des autorités et celles‑ci ne le protégeraient pas, la Commission avait l’obligation de faire expressément référence à cette preuve et, si elle estimait toujours que le demandeur pourrait être protégé adéquatement par la police au Guatemala, d’expliquer ce qui l’incitait à tirer cette conclusion compte tenu de cette preuve.

 

[17]           À cet égard, je dois signaler la conclusion de la Commission selon laquelle « une protection adéquate et efficace aurait pu raisonnablement être offerte au demandeur d’asile » [non souligné dans l’original] et faire quelques commentaires à ce sujet. La question de savoir si une personne « pourrait » obtenir la protection de l’État n’est pas le critère qu’il faut utiliser. Cette personne pourrait aussi gagner à la loterie. Si une seule parmi un grand nombre de personnes obtient la protection, peut‑on dire que celle‑ci est adéquate? Aucun État n’offre une protection parfaite et il y aura toujours des cas de personnes incapables d’obtenir une protection adéquate, voire même une quelconque protection, mais j’estime qu’une protection de l’État est « adéquate » lorsqu’il est beaucoup plus probable que le contraire que la personne sera protégée.

 

[18]           Le ministre n’a pas le fardeau de prouver qu’une protection est offerte dans un État démocratique. Toutefois, lorsqu’un demandeur dont la crédibilité n’a pas du tout été mise en doute par la Commission témoigne que la police n’assure pas une protection et est corrompue et que sa vie sera menacée s’il signale l’activité criminelle et que cela est confirmé par une preuve objective, la Commission doit expliquer pourquoi cette preuve est rejetée ou n’étaye pas la thèse du demandeur. C’est ce que la Commission n’a pas fait en l’espèce. La décision doit être annulée au motif qu’elle est déraisonnable parce que la Commission n’a pas pris en considération la preuve documentaire qui était contraire à son opinion et qui étayait la preuve du demandeur concernant le caractère adéquat de la protection de l’État au Guatemala.

 

[19]           Aucune partie n’a proposé une question à des fins de certification.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la demande d’asile est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission et qu’aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6737-11

 

INTITULÉ :                                      MIGUEL ANGEL SANDOVAL SALAMANCA c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel L. Winbaum

 

                                 POUR LE DEMANDEUR

Jelena Urosevic

 

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Klein, Winbaum & Frank

Avocats

Windsor (Ontario)

 

                                 POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

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