Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20120620

Dossier : T‑1094‑11

Référence : 2012 CF 788

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

CHI YUEN LAU

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

CANADA (MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE)

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La demanderesse, Mme Lau, a été soit malchanceuse, soit malavisée ou les deux. Elle a envoyé une grande somme d’argent (133 000 $) à M. Lee pour l’achat d’une voiture de luxe aux États‑Unis. Celui‑ci a dilapidé l’argent et a menti à Mme Lau. Par la suite, elle lui a donné la même somme en argent comptant afin qu’il se rende aux États‑Unis avec l’argent et y achète la voiture. L’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a saisi l’argent parce que M. Lee n’en avait pas déclaré l’exportation conformément à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 [la Loi]. Le ministre refuse de restituer l’argent parce qu’il n’est pas certain de la provenance des fonds. Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision discrétionnaire du ministre de confirmer la confiscation de l’argent au profit de Sa Majesté du chef du Canada en application de l’article 29 de la Loi.

 

II.        LE CONTEXTE

[2]               L’histoire commence en avril 2010 quand Mme Lau, agente immobilière prospère de Vancouver, transfère 133 000 $ à M. Lee pour qu’il achète un type particulier de Porsche chez un concessionnaire de la Floride. Curieusement, l’argent s’est retrouvé dans une chambre forte de casino à Las Vegas. M. Lee avait été présenté à Mme Lau par un collègue/ami comme quelqu’un pouvant l’aider à trouver et importer ce type de voiture.

 

[3]               Peu après le transfert des fonds, M. Lee a fait savoir à Mme Lau que l’argent transféré avait été retourné dans son compte et que, puisqu’il avait déjà payé la voiture, il voulait être payé par elle en argent comptant.

 

[4]               Le 30 avril 2010, M. Lee a rendu visite à Mme Lau chez elle et lui a remis un document bancaire censé démontrer que l’argent transféré avait été retourné.

 

[5]               Bien qu’elle ait obtenu de sa banque la confirmation que l’argent transféré n’avait pas été retourné, Mme Lau a immédiatement acquiescé à la demande d’argent de M. Lee. Elle s’est arrangée pour lui remettre 133 000 $ en argent comptant le même jour.

 

[6]               Le lendemain, M. Lee a tenté de prendre un vol de Vancouver à destination de Las Vegas; il emportait 131 000 $CA et 1 195 $US. Sur les 131 000 $CA, 30 000 $ se trouvaient dans un emballage conforme aux normes bancaires avec un sceau de la Banque de Montréal daté du 28 avril 2010 (deux jours avant la visite de M. Lee à Mme Lau). Le reste de l’argent était soit enveloppé dans du plastique ou dans du papier gris d’emballage, soit placé directement dans les poches et le portefeuille de M. Lee.

 

[7]               Au moment du départ, M. Lee n’a pas déclaré à l’ASFC qu’il transportait plus de 10 000 $, comme il était tenu de le faire aux termes de l’article 12 de la Loi, et des agents de l’ASFC l’ont par la suite interrogé.

 

[8]               M. Lee a d’abord prétendu que l’argent lui appartenait et qu’il était un joueur professionnel. Par la suite, lorsque les documents relatifs à la voiture en Floride ont été découverts, il a admis qu’il vendait la voiture à Mme Lau. M. Lee a également reconnu qu’il avait participé en 2001 à la vente frauduleuse de véhicules haut de gamme. Ayant reconnu avoir perdu aux jeux les 133 000 $ de Mme Lau, M. Lee a affirmé avoir toujours l’intention d’acheter la voiture pour elle; cependant, il n’avait pas un billet d’avion à destination de la Floride. L’agent de l’ASFC a supposé que l’argent avait été escroqué à Mme Lau.

 

[9]               Comme M. Lee a également admis que les 30 000 $ contenus dans un emballage conforme aux normes bancaires provenaient d’un usurier, l’ASFC a conclu que ce montant était illégal et qu’il s’agissait par conséquent de produits de la criminalité.

 

[10]           Étant donné que la somme en la possession de M. Lee n’avait pas été déclarée, elle a été confisquée par application du paragraphe 18(1) de la Loi et aucune condition n’a été imposée pour sa restitution, car il existait des motifs raisonnables de croire qu’il s’agissait de produits de la criminalité.

 

[11]           Par la suite, Mme Lau a emmené M. Lee dans un cabinet d’avocats (non pas, malheureusement pour elle, le cabinet qui la représente devant la Cour) pour tenter d’obtenir la restitution des fonds.

 

[12]           Le cabinet a d’abord soumis par écrit au ministre une demande de révision, en indiquant que le cabinet représentait M. Lee et que les fonds devaient lui être restitués.

 

[13]           Environ six semaines plus tard, le 22 juin 2010, le cabinet a, dans une lettre, informé l’ASFC qu’il représentait tant M. Lee que Mme Lau et que les fonds dont la restitution était demandée devaient être restitués à Mme Lau. Le cabinet a confirmé que les services de M. Lee avaient été retenus pour acheter une Porsche et que Mme Lau avait donné les fonds à M. Lee.

 

[14]           Le 20 juillet 2010, l’ASFC a envoyé à M. Lee un avis des motifs, mais on a ensuite appris que M. Lee était mort le mois précédent, avant l’envoi de la lettre du 20 juillet 2010.

 

[15]           Le 28 septembre 2010, le cabinet d’avocats a avisé par écrit l’ASFC qu’il ne représentait plus Mme Lau. Environ six mois plus tard, un parent de M. Lee a informé l’ASFC que la famille (probablement ses bénéficiaires) n’était pas intéressée dans l’affaire. L’ASFC a clos le dossier en ce qui avait trait à M. Lee.

 

[16]           Mme Lau a retenu les services de l’avocat actuel qui a continué de tenter d’obtenir la restitution de l’argent. Le cabinet a déposé des observations et des affidavits pour expliquer que les 133 000 $ provenaient pour l’essentiel de Mme Lau : il s’agissait du cumul de plus de trois ans de dons de son petit ami, M. Lu (un artiste qui a déclaré gagner environ 200 000 $ par année et avoir donné 100 000 $ à Mme Lau). Le reste de l’argent provenait d’un emprunt de 30 000 $ contracté auprès d’un certain M. Chen le 28 avril 2010, pour lequel il n’existait pas d’affidavit; Mme Lau a toutefois fourni une lettre de la banque de M. Chen, qui confirmait le retrait à cette date.

 

[17]           Par la suite, à diverses reprises, l’ASFC a exprimé ses préoccupations quant à la provenance des fonds de M. Lu et de M. Chen et, à diverses reprises, de nouvelles observations ont été présentées pour le compte de Mme Lau, qui toutes répétaient les faits qui ont été énoncés au paragraphe 16.

 

[18]           Dans une lettre datée du 7 juin 2011, le ministre a rendu sa décision rendue en vertu de l’article 27 confirmant qu’il avait été contrevenu au paragraphe 12(1) de la Loi. À la lumière du défaut de la demanderesse de démontrer la provenance légitime des fonds saisis, il a en outre indiqué qu’il n’exercerait pas, en vertu de l’article 29, son pouvoir discrétionnaire pour accorder la restitution de la confiscation.

 

[19]           La décision discrétionnaire du ministre a été prise en vertu du paragraphe 29 de la Loi :

29. (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre peut, aux conditions qu’il fixe :

 

 

a) soit restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux‑ci à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

 

 

 

b) soit restituer tout ou partie de la pénalité versée en application du paragraphe 18(2);

 

c) soit confirmer la confiscation des espèces ou effets au profit de Sa Majesté du chef du Canada, sous réserve de toute ordonnance rendue en application des articles 33 ou 34.

 

Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en est informé, prend les mesures nécessaires à l’application des alinéas a) ou b).

 

(2) En cas de vente ou autre forme d’aliénation des espèces ou effets en vertu de la Loi sur l’administration des biens saisis, le montant de la somme versée en vertu de l’alinéa (1)a) ne peut être supérieur au produit éventuel de la vente ou de l’aliénation, duquel sont soustraits les frais afférents exposés par Sa Majesté; à défaut de produit de l’aliénation, aucun paiement n’est effectué.

29. (1) If the Minister decides that subsection 12(1) was contravened, the Minister may, subject to the terms and conditions that the Minister may determine,

 

(a) decide that the currency or monetary instruments or, subject to subsection (2), an amount of money equal to their value on the day the Minister of Public Works and Government Services is informed of the decision, be returned, on payment of a penalty in the prescribed amount or without penalty;

 

(b) decide that any penalty or portion of any penalty that was paid under subsection 18(2) be remitted; or

 

(c) subject to any order made under section 33 or 34, confirm that the currency or monetary instruments are forfeited to Her Majesty in right of Canada.

 

 

The Minister of Public Works and Government Services shall give effect to a decision of the Minister under paragraph (a) or (b) on being informed of it.

 

 

(2) The total amount paid under paragraph (1)(a) shall, if the currency or monetary instruments were sold or otherwise disposed of under the Seized Property Management Act, not exceed the proceeds of the sale or disposition, if any, less any costs incurred by Her Majesty in respect of the currency or monetary instruments.

 

(Une description plus détaillée du régime de la Loi est donnée dans des décisions comme Kang c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 798, 393 FTR 90; Sidhu c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 911, 374 FTR 128.)

 

[20]           La décision prise en vertu de l’article 29 reposait sur le défaut de la demanderesse d’établir la provenance légitime des fonds, en particulier, et donnait lieu à un doute raisonnable parce que :

·                     Aucune documentation n’établissait la provenance des 100 000 $ confisqués. Le ministre était incapable d’identifier quels retraits du compte de banque du petit ami correspondaient aux montants d’argent donnés par celui‑ci.

·                     L’ASFC ne pouvait pas déterminer la provenance des nombreux dépôts importants faits dans le compte de banque du petit ami, qui auraient pu expliquer la provenance des fonds ensuite donnés à la demanderesse. Ces préoccupations sont demeurées sans réponse pendant tout le processus.

·                     Le fait que la demanderesse conservait les 100 000 $ dans son coffre‑fort créait un vide non documenté entre une provenance légitime et les fonds confisqués.

·                     La prétention selon laquelle la demanderesse conservait des montants importants en espèces à l’extérieur des institutions financières était contredite par sa pratique d’utiliser des banques, par exemple lorsqu’elle a envoyé l’argent à M. Lee.

·                     Le fait que la demanderesse avait suffisamment de fonds dans son compte de banque faisait naître des doutes quant à aux raisons pour lesquelles elle avait eu besoin d’un prêt personnel et avait utilisé des fonds de son coffre‑fort personnel.

·                     Aucun document n’avait trait aux 1 191 $US qui avaient été obtenus.

·                     Aucun document n’a été présenté pour établir la provenance légitime des 30 000 $, bien que l’ASFC ait demandé une telle preuve.

·                     D’autres questions se posaient quant aux 30 000 $, car M. Lee avait prétendu que cet argent lui avait été fourni par un usurier; des détails à cet égard ont été donnés par M. Lee.

·                     Ces doutes sur les 30 000 $ mettaient également en question la prétention de la demanderesse selon laquelle elle était propriétaire de ce montant.

 

III.       ANALYSE

[21]           Les questions que la demanderesse a formulées relativement à la demande de contrôle judiciaire sont :

1)         Le délégué du ministre a‑t‑il commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique lorsqu’il a examiné la demande de restitution des fonds saisis présentée par la demanderesse?

2)         La décision était‑elle déraisonnable?

 

[22]           En ce qui concerne la première question, la demanderesse fait valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, car il s’agit d’une question de droit. Le défendeur soutient que le « bon critère » est une question d’interprétation législative de la loi constitutive du tribunal (du ministre) et que la norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable.

 

[23]           À mon avis, les arguments ne sont ni l’un ni l’autre applicables à la décision en cause.

 

[24]           Le ministre, lorsqu’il interprète la loi (si c’est ce qu’il fait), ne bénéficie pas de la retenue judiciaire dont bénéficie un véritable tribunal interprétant sa loi habilitante. Pour les motifs formulés par la Cour d’appel dans Canada (Pêches et Océans) c David Suzuki Foundation, 2012 CAF 40, (sub nomine Georgia Strait Alliance c Canada (Ministre de Pêches et Océans)), [2012] ACF no 157 (QL)), l’interprétation par le ministre de la loi et de ses pouvoirs doit être correcte du point de vue de tous les motifs légaux et de politique énoncés par la Cour d’appel.

 

[25]           Cependant, le ministre n’a pas interprété la loi ou appliqué un critère juridique en l’espèce. Le ministre a exercé un pouvoir discrétionnaire large relativement à une dispense du résultat habituel d’une saisie – la confiscation au profit de la Couronne.

 

[26]           Il est incontestable qu’on a manqué à l’obligation de déclarer les fonds et qu’il y a donc eu contravention au paragraphe 12(1) de la Loi. Même si Mme Lau est la propriétaire des fonds, M. Lee était son mandataire dûment constitué pour transporter les fonds par la frontière canado‑américaine.

 

[27]           Si le demandeur conteste la décision prise en vertu de l’article 27 relativement à la déclaration ou à la propriété, la question doit être tranchée à la lumière des articles 25 et 32 et peut faire l’objet d’une action ou d’une demande (selon le cas) devant la Cour fédérale lorsqu’il doit être statué sur les « droits », particulièrement au regard des articles 32 et 33 en ce qui a trait au droits du « propriétaire ».

25. La personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets en vertu de l’article 18 ou leur propriétaire légitime peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la saisie, demander au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) en donnant un avis écrit à l’agent qui les a saisis ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie.

25. A person from whom currency or monetary instruments were seized under section 18, or the lawful owner of the currency or monetary instruments, may within 90 days after the date of the seizure request a decision of the Minister as to whether subsection 12(1) was contravened, by giving notice in writing to the officer who seized the currency or monetary instruments or to an officer at the customs office closest to the place where the seizure took place.

 

32. (1) En cas de saisie‑confiscation effectuée en vertu de la présente partie, toute personne ou entité, autre que le saisi, qui revendique sur les espèces ou effets un intérêt en qualité de propriétaire ou, au Québec, un droit en qualité de propriétaire ou de fiduciaire peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la saisie, requérir par avis écrit le tribunal de rendre l’ordonnance visée à l’article 33.

 

 

 

(2) Le juge du tribunal saisi conformément au présent article fixe à une date postérieure d’au moins trente jours à celle de la requête l’audition de celle‑ci.

32. (1) If currency or monetary instruments have been seized as forfeit under this Part, any person or entity, other than the person or entity in whose possession the currency or monetary instruments were when seized, who claims in respect of the currency or monetary instruments an interest as owner or, in Quebec, a right as owner or trustee may, within 90 days after the seizure, apply by notice in writing to the court for an order under section 33.

 

(2) A judge of the court to which an application is made under this section shall fix a day, not less than 30 days after the date of the filing of the application, for the hearing.

 

 

[28]           À mon avis, l’article 29 constitue un processus différent qui fait appel au pouvoir discrétionnaire du ministre. En exerçant ce pouvoir discrétionnaire, le ministre a insisté sur la démonstration de la provenance des fonds. Cette insistance est conforme aux objectifs de la Loi :

3. La présente loi a pour objet :

 

a) de mettre en oeuvre des mesures visant à détecter et décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à faciliter les enquêtes et les poursuites relatives aux infractions de recyclage des produits de la criminalité et aux infractions de financement des activités terroristes, notamment :

 

(i) imposer des obligations de tenue de documents et d’identification des clients aux fournisseurs de services financiers et autres personnes ou entités qui se livrent à l’exploitation d’une entreprise ou à l’exercice d’une profession ou d’activités susceptibles d’être utilisées pour le recyclage des produits de la criminalité ou pour le financement des activités terroristes,

 

(ii) établir un régime de déclaration obligatoire des opérations financières douteuses et des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets,

 

 

c) d’aider le Canada à remplir ses engagements internationaux dans la lutte contre le crime transnational, particulièrement le recyclage des produits de la criminalité, et la lutte contre les activités terroristes.

3. The object of this Act is

 

(a) to implement specific measures to detect and deter money laundering and the financing of terrorist activities and to facilitate the investigation and prosecution of money laundering offences and terrorist activity financing offences, including

 

 

 

 

(i) establishing record keeping and client identification requirements for financial services providers and other persons or entities that engage in businesses, professions or activities that are susceptible to being used for money laundering or the financing of terrorist activities,

 

 

 

 

(ii) requiring the reporting of suspicious financial transactions and of cross‑border movements of currency and monetary instruments, and

 

 

 

(c) to assist in fulfilling Canada’s international commitments to participate in the fight against transnational crime, particularly money laundering, and the fight against terrorist activity.

 

 

[29]           En ce qui concerne la décision ministérielle elle‑même (la deuxième question), la Cour d’appel, dans Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, [2009] 2 RCF 576, a statué que la norme de contrôle de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire était celle de la décision raisonnable.

53     […] En respectant ce cadre, les modalités d’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre sont variées. Il convient toutefois de rappeler que, dans la mesure où le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable, les tribunaux refuseront d’intervenir. Dans le cas qui nous occupe, le ministre a choisi de demander à M. Sellathurai de démontrer la légitimité de la provenance des fonds saisis. Le ministre a conclu que les éléments de preuve fournis par M. Sellathurai ne le convainquaient pas de la légitimité de la provenance des fonds.

 

 

[30]           Étant donné l’ensemble du contexte de la présente affaire, il n’est guère étonnant que le ministre (ou ses fonctionnaires) ait eu des doutes quant à la provenance et les mouvements des fonds.

 

[31]           Il est possible de soutenir que les soupçons du ministre qui découlent du fait que la demanderesse a emprunté l’argent, plutôt que d’utiliser une ligne de crédit, sont sujets à caution. Cependant, cette conclusion doit être appréciée dans le contexte de l’ensemble des faits, dans lequel la traçabilité de la provenance des fonds était à tout le moins opaque.

 

[32]           Le commentaire ayant trait au fait que la demanderesse ne connaissait pas la nationalité de la devise est une erreur; il s’agissait tout au plus d’un commentaire incident.

 

[33]           Étant donné l’historique douteux de la provenance des 30 000 $ contenus dans un emballage conforme aux normes bancaires, il n’était pas déraisonnable d’accorder un certain poids aux explications de M. Lee selon lesquelles il avait obtenu cette somme d’un usurier, notamment parce que ces explications avaient été données à un moment où elles constituaient une « admission contraire à ses intérêts ».

 

[34]           L’argument invoqué par la demanderesse relativement aux 30 000 $, selon lequel elle avait conclu une entente de prêt, soulève légitimement autant de questions qu’il donne de réponses. L’emprunt a été contracté, selon ce que dit la demanderesse, deux jours avant qu’elle sache que M. Lee voulait être payé 133 000 $. Le prêt est au mieux un simple billet à ordre : [traduction] « Moi, Julia Chi Yuen Lau, ai emprunté 30 000 $CA de Mai Lin Chen. Je lui rembourserai la somme entière dans un an ». Cette entente, qui ne comportait pas les éléments fondamentaux comme le taux d’intérêt (ou même la confirmation de l’intérêt), le lieu du paiement et les autres conditions accordées, et qui a été conclue par une agente immobilière prospère détenant une maîtrise en administration des affaires, constitue un motif raisonnable justifiant la recherche d’autres éléments de preuve, notamment ceux fournis par M. Lee.

 

[35]           En ce qui concerne la provenance des 30 000 $, l’absence de tout affidavit souscrit par M. Chen et de toute autre preuve objective permettant d’établir la façon dont cette somme a été gagnée ou le moment où elle l’a été constitue un motif raisonnable de préoccupation.

 

[36]           La thèse centrale de la décision du ministre est qu’il n’était pas certain de la provenance des fonds. La préoccupation du ministre repose sur un fondement clair et rationnel et, en ce qui a trait à la norme de contrôle, il convient de faire preuve d’une certaine déférence à l’égard du ministre quant à la question de savoir s’il aurait dû être convaincu par les explications données.

 

[37]           Je conclus que la décision du ministre appartient aux issues acceptables et est raisonnable dans les circonstances.

 

IV.       CONCLUSION

[38]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1094‑11

 

INTITULÉ :                                                  CHI YUEN LAU

 

                                                                        et

 

                                                                        CANADA (MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE)

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 2 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 20 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey T. Campbell

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jan Brongers

Philippe Alma

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peck and Company

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.