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Date : 20120619

Dossiers : T-1324-11

T-1325-11

 

Référence : 2012 CF 782

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

 

Dossier : T-1324-11

ENTRE :

 

MATILDA FLITCROFT

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

Dossier : T-1325-11

ET ENTRE :

 

BARRIE FLITCROFT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

          MOTIFS DES ORDONNANCES ET ORDONNANCES

 

[1]               La question qui se pose est de savoir si le tribunal de révision, constitué conformément à la Loi sur la sécurité de la vieillesse (la Loi), s’est trompé en accordant aux Flitcroft une pension partielle plutôt que pleine. L’admissibilité est fondée sur le nombre d’années de résidence au Canada et non sur la citoyenneté.

 

[2]               Les faits ne sont pas contestés. Barrie Flitcroft a quitté le Canada lorsqu’il était un tout jeune enfant. Il n’est revenu qu’en 1984 accompagné de son épouse anglaise, Matilda. À cette époque, il avait 41 ans et Matilda en avait 43. Par la suite, ils sont allés à l’étranger pendant un certain temps comme missionnaires chrétiens, aux Philippines et aux États‑Unis. Cependant, conformément aux règlements applicables, ces années sont calculées comme étant des années de résidence au Canada aux fins de la pension.

 

[3]               Selon sa compréhension de la Loi, plus particulièrement de l’article 3 de celle-ci, le tribunal a accordé à M. Flitcroft 23/40e et à Mme Flitcroft 21/40e d’une pleine pension. Les deux ont fait valoir qu’ils avaient droit à une pleine pension.

 

[4]               Le demandeur doit répondre à trois critères pour être admissible à une pleine pension conformément au paragraphe 3(1) de la Loi, soit :

a.       avoir soixante-cinq ans,

b.      avoir résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de sa demande;

c.       avoir résidé au Canada soit au 1er juillet 1977, soit à tout autre moment antérieur, pour autant qu’il était alors âgé de 18 à 25 ans.

 

[5]               Les Flitcroft étaient tous deux âgés de 65 ans et avaient résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande. Le problème réside dans le sous‑alinéa 3(1)b)(i) de la Loi. Bien que l’article 3 soit annexé aux présentes, aux fins de commodité, voici le en quoi il consiste :

 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :

 

[…]

 

b) celles qui, à la fois :

 

(i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt-cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix-huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,

 

 (1) Subject to this Act and the regulations, a full monthly pension may be paid to

 

 

 

[…]

 

(b) every person who

 

(i) on July 1, 1977 was not a pensioner but had attained twenty-five years of age and resided in Canada or, if that person did not reside in Canada, had resided in Canada for any period after attaining eighteen years of age or possessed a valid immigration visa,

 

 

[6]               Le 1er juillet 1977, ni l’un ni l’autre des Flitcroft n’était pensionné et tous deux étaient âgés de plus de 25 ans, mais ni l’un ni l’autre ne résidait alors au Canada ou n’avait résidé au Canada durant une quelconque période entre l’âge de 18 ans et de 25 ans, ou encore n’était titulaire d’un visa d’immigrant valide.

 

LES DÉCISIONS

 

[7]               L’argument présenté au tribunal, et repris devant la Cour, est que l’expression en anglais « for any period » au sous-alinéa 3(1)b)(i) renvoie à une période de temps qui précède la période de dix ans précédant la date d’agrément de la demande, et non à un moment donné avant le 1er juillet 1977. Le tribunal est d’avis que l’expression « for any period » signifie toute période se situant le ou avant le 1er juillet 1977. L’un ou l’autre des Flitcroft devait soit résider au Canada ce jour‑là, condition que ni l’un ni l’autre ne respecte, soit avoir résidé au Canada à un moment quelconque entre l’âge de 18 et 25 ans, là encore, une condition que le couple ne remplit pas.

 

[8]               La thèse des Flitcroft est que la décision était à la fois déraisonnable et mal fondée en droit. Ils prétendent que le sous-alinéa 3(1)b)(i) est ambigu et soutiennent en particulier que la date du 1er juillet 1977 n’a trait qu’à l’exigence d’âge à cette date précise, mais ne prévoit pas que le demandeur devait avoir résidé au Canada à un moment donné avant cette date. Le procureur général prétend pour sa part qu’il n’y a qu’une seule façon d’interpréter le sous-alinéa 3(1)b)(i). La décision est bien fondée en droit et raisonnable. Le procureur général demeure, bien évidemment, quelque peu ambivalent quant à la norme de contrôle applicable.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[9]               Le tribunal de révision interprétait l’une de ses lois constitutives. Comme il a été déclaré dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour doit faire preuve de déférence et réviser la décision selon la norme de la raisonnabilité lorsqu’un tribunal interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat (paragraphe 54). Lorsque des questions de droit sont en jeu, cependant, l’arrêt Dunsmuir précise également que la norme de la décision correcte s’applique si la question de droit revêt une importance capitale pour le système juridique et est étrangère au domaine d’expertise du décideur administratif. Néanmoins, aux paragraphes 57 et 62, la Cour fait également observer qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer de nouveau à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle, puisque la jurisprudence peut être utile.

 

[10]           La jurisprudence indique que la norme applicable aux pures questions de droit, comme c’est manifestement le cas en l’espèce, est celle de la décision correcte. Avant l’arrêt Dunsmuir, la Cour avait statué que les décisions du tribunal de révision qui mettaient en jeu l’interprétation de la Loi sur la sécurité de la vieillesse étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Stachowski c Canada (Procureur général), 2005 CF 1435, 282 FTR 99, et Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Stiel, 2006 CF 466, [2006] 4 FTR 489). Après l’arrêt Dunsmuir, la juge Gauthier (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a conclu que la norme de la décision correcte s’applique (Singer c Canada (Procureur général), 2010 CF 607, 370 FTR 121). Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel dans 2011 CAF 178, 423 NR 212, mais il ne lui était pas nécessaire d'examiner la norme de contrôle.

 

[11]           Cependant, la jurisprudence plus récente de la Cour suprême pourrait bien laisser entendre que les décisions antérieures ne sont pas aussi pertinentes qu’elles ne l’ont déjà été (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654). Le juge Rothstein, dont la juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella et Charron partagent l’avis, indique au paragraphe 34 :

[…] je me contente d’affirmer que, sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire.

 

Voir également Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 RCS 471, au paragraphe 16.

 

[12]           Or, je n’ai pas à traiter de cette question. À mon avis, l’interprétation de l’article 3 par le tribunal de révision est juste. Une décision correcte en droit ne saurait être déraisonnable aux fins d’un contrôle judiciaire.

 

[13]           Je ne crois pas que l’article soit vague et je n’ai donc pas besoin d’avoir recours à l’historique de la Loi ou au Hansard. Si j’avais jugé l’article vague, je me serais appuyé sur l’analyse détaillée faite par la juge Gauthier dans l’arrêt Singer, ci-dessus, qui portait sur une question quelque peu différente.

 

[14]           Même s’il y avait eu quelque ambiguïté que ce soit dans le texte anglais ‑ et je tiens à souligner que ce n’est pas le cas ‑, tout doute aurait été dissipé par la version française. Les Flitcroft font observer qu’il y a une virgule après « resided in Canada ». Ils soutiennent par conséquent que si la personne ne résidait pas au Canada le 1er juillet 1977, elle relevait du champ d’application de l’alinéa en question si elle avait résidé au Canada par la suite après l’âge de 18 ans, comme ce fut le cas pour les Flitcroft lorsqu’ils étaient âgés de 41 et de 43 ans respectivement. Cependant, cette virgule ne se trouve pas dans la version française de sorte qu’une personne qui ne résidait pas au Canada le 1er juillet 1977 devait avoir, avant cette date, résidé au Canada après avoir atteint l’âge de 18 ans. Ni monsieur ni madame Flitcroft n’appartiennent à cette catégorie.

 

[15]           Les Flitcroft prétendent que les décisions sont inéquitables sur le plan procédural en ce que le tribunal n’a pas suffisamment motivé ses décisions conformément au paragraphe 47 de Dunsmuir. Je ne suis pas d’accord. Même si j’avais été d’accord, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la juge Abella, s’exprimant au nom de la Cour, a statué que l’insuffisance des motifs ne permettait pas à elle seule de casser une décision dans le cadre d’un contrôle judiciaire. De plus, au paragraphe 15, elle indique que la Cour peut, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat. Le dossier comprend l’article 3, lequel a été interprété raisonnablement par le tribunal. En effet, ainsi que je l’ai dit ci-dessus, l’interprétation était, à mon avis, juste.

 

[16]           Même en mettant de côté l’exigence relative à la résidence d’une durée de 40 ans de l’alinéa 3(1)c), l’interprétation de la Loi qu’en font les Flitcroft est déraisonnable. Selon eux, les demandeurs âgés de 65 ans qui ne résidaient pas au Canada le 1er juillet 1977 ou à un moment quelconque avant cette date alors qu’ils étaient âgés entre 18 et 25 ans ne seraient pas admissibles à une pleine pension s’ils avaient résidé au Canada pendant exactement dix ans avant l’agrément de leur demande. Cependant, s’ils avaient résidé au Canada pendant dix ans plus un jour, ils auraient droit à une pleine pension. Cette interprétation est, selon moi, déraisonnable.

 

DÉPENS

 

[17]           Le procureur général n’a pas demandé que les dépens lui soient adjugés et aucuns ne seront adjugés.


ORDONNANCES

            POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS,

la cour ordonne :

1.                  Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

2.                  Aucun dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


ANNEXE

 

 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :

 

a) celles qui avaient la qualité de pensionné au 1er juillet 1977;

 

b) celles qui, à la fois :

 

(i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt-cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix-huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,

 

 

(ii) ont au moins soixante-cinq ans,

 

(iii) ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix-huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande;

 

 

 

 

c) celles qui, à la fois :

 

(i) n’avaient pas la qualité de pensionné au 1er juillet 1977,

 

(ii) ont au moins soixante-cinq ans,

 

(iii) ont, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins quarante ans avant la date d’agrément de leur demande.

 
 
(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, une pension partielle est payable aux personnes qui ne peuvent bénéficier de la pleine pension et qui, à la fois :
 

a) ont au moins soixante-cinq ans;

 

 

b) ont, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins dix ans mais moins de quarante ans avant la date d’agrément de leur demande et, si la période totale de résidence est inférieure à vingt ans, résidaient au Canada le jour précédant la date d’agrément de leur demande.

 

 

(3) Pour un mois donné, le montant de la pension partielle correspond aux n/40 de la pension complète, n étant le nombre total — arrondi conformément au paragraphe (4) — d’années de résidence au Canada depuis le dix-huitième anniversaire de naissance jusqu’à la date d’agrément de la demande.

 

 

(4) Le nombre total d’années de résidence au Canada est arrondi au chiffre inférieur.

 

 

 

 

 

(5) Les années de résidence postérieures à l’agrément d’une demande de pension partielle ne peuvent influer sur le montant de celle-ci.

 (1) Subject to this Act and the regulations, a full monthly pension may be paid to

 

 

(a) every person who was a pensioner on July 1, 1977;

 

(b) every person who

 

(i) on July 1, 1977 was not a pensioner but had attained twenty-five years of age and resided in Canada or, if that person did not reside in Canada, had resided in Canada for any period after attaining eighteen years of age or possessed a valid immigration visa,

 

(ii) has attained sixty-five years of age, and

 

(iii) has resided in Canada for the ten years immediately preceding the day on which that person’s application is approved or, if that person has not so resided, has, after attaining eighteen years of age, been present in Canada prior to those ten years for an aggregate period at least equal to three times the aggregate periods of absence from Canada during those ten years, and has resided in Canada for at least one year immediately preceding the day on which that person’s application is approved; and

 

(c) every person who

 

(i) was not a pensioner on July 1, 1977,

 

(ii) has attained sixty-five years of age, and

 

(iii) has resided in Canada after attaining eighteen years of age and prior to the day on which that person’s application is approved for an aggregate period of at least forty years.

 

(2) Subject to this Act and the regulations, a partial monthly pension may be paid for any month in a payment quarter to every person who is not eligible for a full monthly pension under subsection (1) and

 

(a) has attained sixty-five years of age; and

 

(b) has resided in Canada after attaining eighteen years of age and prior to the day on which that person’s application is approved for an aggregate period of at least ten years but less than forty years and, where that aggregate period is less than twenty years, was resident in Canada on the day preceding the day on which that person’s application is approved.

 

(3) The amount of a partial monthly pension, for any month, shall bear the same relation to the full monthly pension for that month as the aggregate period that the applicant has resided in Canada after attaining eighteen years of age and prior to the day on which the application is approved, determined in accordance with subsection (4), bears to forty years.

 

(4) For the purpose of calculating the amount of a partial monthly pension under subsection (3), the aggregate period described in that subsection shall be rounded to the lower multiple of a year when it is not a multiple of a year.

 

(5) Once a person’s application for a partial monthly pension has been approved, the amount of monthly pension payable to that person under this Part may not be increased on the basis of subsequent periods of residence in Canada.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      T-1324-11

                                                            T-1325-11

 

INTITULÉ :                                      MATILDA FLITCROFT c

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                            BARRIE FLITCROFT c

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 13 JUIN 2012

 

MOTIFS DES ORDONNANCES

ET ORDONNANCES :                   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 19 JUIN 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barry W. Bussey

 

POUR LES DEMANDEURS

Martin Kreuser

Aileen Smith

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barry W. Bussey

Vice-président, Affaires juridiques

Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes

Elmira (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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