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Date : 20120522

Dossier : T‑927‑11

Référence : 2012 CF 619

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

Entre :

 

 

UCHENNA HYACINTH EZEMENARI

CHUKWUEBUKA HYACINTH EZEMENARI (MINEUR) CHIKA VERONICA EZEMENARI (MINEURE)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, à la suite d’une décision d’un conseiller en immigration qui a refusé d’accorder la citoyenneté canadienne à Chukwuebuka Hyacinth Ezemenari et à Chika Veronica Ezemenari (les enfants nigérians), tous deux âgés de six ans et vivant au Nigeria. M. Ezemenari et son épouse prétendent avoir légalement adopté les enfants au Nigeria. Le conseiller a conclu qu’il avait des motifs raisonnables de croire que l’ordonnance d’adoption qu’ils ont présentée était un document frauduleux.

 

[2]               Eu égard aux faits particuliers de la présente affaire, je conclus que l’appel doit être accueilli, la décision annulée et la demande renvoyée à un autre conseiller pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Contexte

[3]               M. et Mme Ezemenari sont tous deux nés au Nigeria et sont des citoyens canadiens. Après avoir élevé deux fils qui ont maintenant atteint la fin de la vingtaine et le début de la trentaine, ils ont décidé d’adopter les enfants nigérians.

 

[4]               Leur première demande de citoyenneté pour les enfants nigérians a été déposée le 9 octobre 2007. Cette demande ne respectait pas les lois de l’Ontario et n’était pas accompagnée de l’étude du milieu familial requise. L’agent a alors relevé ces lacunes et a indiqué qu’il n’était pas convaincu que l’adoption était dans l’intérêt supérieur des enfants. Il n’était pas non plus convaincu que l’adoption respectait les lois nigérianes, ne disposant d’aucun rapport des services sociaux du Nigéria. La demande a été refusée suivant une décision rendue le 23 janvier 2009.

 

[5]               Le 5 novembre 2009, M. et Mme Ezemenari ont déposé une deuxième demande, laquelle a donné lieu à la décision faisant l’objet du présent contrôle. Le 29 juillet 2010, une lettre d’équité leur a été envoyée afin de les informer que leur demande ne répondait pas aux exigences de la Loi sur la citoyenneté parce que, pour reprendre les termes de la lettre, [traduction] « il semble que l’adoption ne respecte pas les lois applicables dans le pays où elle a été prononcée ». Plus précisément, le conseiller a relevé les trois points suivants : (1) la loi pertinente en matière d’adoption d’enfants dans l’État d’Imo exige qu’au moins un des parents adoptifs soit résident de l’État depuis au moins trois mois; or, le domicile familial des parents adoptifs se situe dans l’État d’Enugu State; (2) les enfants adoptés doivent être sous la garde des parents adoptifs depuis au moins trois mois, alors que M. et Mme Ezemenari résidaient au Canada et avaient recouru aux services d’une gouvernante et d’autres membres de leur famille au Nigeria pour s’occuper des enfants; (3) l’ordonnance d’adoption renvoie à une loi qui n’est plus en vigueur depuis 2004, année où la loi actuelle a pris effet.

 

[6]               Afin de répondre à la lettre d’équité, M. et Mme Ezemenari ont obtenu une opinion juridique d’un avocat du Nigeria, laquelle, croyaient‑ils, répondait à ces préoccupations. Qu’elle y ait répondu ou non n’est pas la véritable question qui se pose pour la Cour. Cette opinion a été transmise avec une lettre d’accompagnement de leurs avocats canadiens, qui tentaient également de répondre à la préoccupation selon laquelle [traduction] « l’adoption ne respecte pas les lois applicables dans le pays où elle a été prononcée ». Fait crucial, pour les besoins de la présente demande, les avocats canadiens ont déclaré ce qui suit dans cette lettre :

[traduction] Il est bien établi en droit que les décisions de tribunaux étrangers doivent être respectées, plus particulièrement en ce qui concerne les questions d’adoption, à moins qu’il n’y ait des allégations de fraude. Votre lettre n’a soulevé aucune question de fraude concernant la présente affaire. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[7]               Le 28 mars 2011, après avoir examiné la réponse des demandeurs à la lettre d’équité, le conseiller a rejeté la demande de citoyenneté. Il a repris les points déjà soulevés dans la lettre d’équité et a conclu comme suit :

[traduction] Après un examen minutieux, j’estime qu’il existe des motifs raisonnables de croire que cette ordonnance d’adoption, qui aurait été délivrée par la Cour des magistrats de l’État d’Imo le 22 juin 2006 (dossier no MOR/MIAC/14/2006) est frauduleuse. Je suis convaincu que ces divergences sont sérieuses et fondamentales et que ce document n’a pas été délivré par le tribunal compétent. [Non souligné dans l’original.]

 

Question en litige

[8]               Dans le présent appel, la question sous‑jacente est celle de savoir si les demandeurs ont été privés du droit à l’équité procédurale parce que le conseiller n’a pas fait part des doutes qu’il avait quant à l’authenticité de l’ordonnance d’adoption nigériane dans la lettre d’équité.

 

[9]               Il est reconnu que l’obligation d’équité exige qu’un demandeur de visa ait la possibilité raisonnable de dissiper les doutes de l’agent des visas avant que sa demande ne soit rejetée (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, au paragraphe 18 [Khan]).

 

[10]           Au paragraphe 29 de cette décision, la Cour d’appel a déclaré ce qui suit, dans le contexte d’une non‑admissibilité pour raisons médicales :

[L]orsqu’un demandeur est clairement informé du diagnostic médical et du pronostic médical, ainsi que des services susceptibles d’être requis, il a nécessairement connaissance des motifs de l’éventuel refus et il a la connaissance requise pour mener l’affaire plus loin. Dans ces conditions, le ministre n’est pas tenu en principe de divulguer dans la lettre de seconde chance les détails au soutien de la conclusion selon laquelle un visa pourrait être refusé parce que l’admission de l’intéressé est susceptible d’entraîner un fardeau excessif pour les services médicaux ou sociaux. [Non souligné dans l’original.]

 

Au paragraphe 36, la Cour d’appel a conclu comme suit :

 

En bref, l’absence de détails complémentaires dans la lettre de seconde chance n’a pas empêché M. Khan de comprendre la raison du rejet de sa demande de visa, ni de s’enquérir davantage. Par conséquent, on ne saurait dire qu’il a été privé d’une occasion raisonnable de réagir aux préoccupations de l’agente des visas à propos de l’admissibilité d’Abdullah, occasion raisonnable qui lui était dévolue par l’effet du devoir d’équité. [Non souligné dans l’original.].

 

[11]           Ainsi, dans l’arrêt Khan, la Cour d’appel a indiqué qu’une lettre d’équité doit permettre de comprendre raisonnablement pourquoi l’agent est porté à rejeter une demande. Bien que la présente espèce porte sur une demande de citoyenneté et non de visa de résident, je ne vois aucune raison de principe qui permettrait de croire que des considérations différentes devraient s’appliquer. Dans la présente affaire, le conseiller n’a fait aucune allégation de fraude dans la lettre d’équité; il a simplement relevé trois contradictions et déclaré que l’ordonnance d’adoption ne semblait pas respecter les lois applicables dans le pays où l’adoption avait été prononcée.

 

[12]           Le défendeur soutient que les contradictions soulevées par le conseiller pourraient être considérées comme le fondement d’une allégation de fraude; toutefois, des contradictions semblables ont également servi d’assise à une allégation selon laquelle une ordonnance n’était ni valide ni exécutoire (voir par exemple Boachie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 672 et Sinniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 822).

 

[13]           En l’espèce, l’avocat des demandeurs a simplement compris qu’il y avait un problème de compétence et d’effet contraignant. C’est pourquoi les demandeurs ont communiqué avec un avocat nigérian, et celui‑ci s’est occupé de ce problème. Il ressort clairement de l’extrait de la lettre de réponse du 30 novembre 2010, reproduite au paragraphe 6 des présents motifs, que l’avocat des demandeurs n’a pas compris que le conseiller alléguait qu’il y avait eu fraude. À mon avis, on ne peut le lui reprocher. Au mieux, la lettre d’équité lue dans son ensemble était ambiguë quant à la nature véritable des préoccupations du conseiller. Ce qui n’était pas ambigu, c’est la compréhension que les demandeurs ont eue de ces préoccupations.

 

[14]           À mon avis, si une lettre d’équité est transmise en raison d’une allégation qu’un document joint à une demande n’est pas authentique, il faut alors l’indiquer assez clairement pour éviter toute ambiguïté et pour que le destinataire puisse y répondre directement. Cela n’a pas été fait en l’espèce. Bien que la Cour reconnaisse que les doutes soulevés par le conseiller permettent raisonnablement de conclure que le document n’était pas authentique, les demandeurs doivent avoir la possibilité de dissiper ces doutes avant qu’une décision suivant laquelle le document n’est pas authentique ne soit rendue.

 

[15]           Le présent appel doit être accueilli.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que le présent appel est accueilli et que la demande de citoyenneté présentée pour les enfants nigérians par M. et Mme Ezemenari doit être tranchée par un autre décideur conformément aux présents motifs.

 

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑927‑11

 

 

Intitulé :                                                  UCHENNA HYACINTH EZEMENARI ET AL c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 mai 2012

 

Motifs du jugement

et jugement :                                        le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 22 mai 2012

 

 

Comparutions :

 

Richard A. Odeleye

 

Pour les demandeurs

 

Jocelyn Espejo Clarke

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ministère de la justice

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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