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Date : 20120613

Dossier : IMM-8248-11

Référence : 2012 CF 742

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2012

En présence de madame la juge Snider

 

 

Entre :

 

PETER SZABO

MONIKA KORBELY

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

Le ministre de la citoyenneté

ET DE l’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         Motifs du jugement et jugement

 

I.          Introduction

 

[1]               Au début de 2010, Sandorne Korbely (la demandeure d’asile), Peter Szabo (le conjoint de fait de la demandeure d’asile, ci-après désigné le demandeur) et Monika Korbely (la fille de la demandeure d’asile) sont arrivés au Canada en provenance de la Hongrie et ont présenté une demande d'asile. La demandeure d’asile alléguait craindre son ex‑époux et craindre d'être persécutée parce qu'elle est une Rom. La fille de la demandeure d’asile alléguait craindre son père et alléguait une crainte en raison de son origine ethnique. La crainte du demandeur était principalement fondée sur sa crainte d'être persécuté en raison de son origine ethnique rom, bien qu'il ait également déclaré qu'il craignait l’ex‑époux.

 

[2]               Dans sa décision du 14 octobre 2011, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demandeure d’asile avait qualité de réfugiée au sens de la Convention conformément à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR]. Dans la même décision, la Commission a conclu que le demandeur et la fille de la demandeure d’asile (ci-après collectivement désignés les demandeurs) n'avaient ni qualité de réfugiés au sens de l'article 96 de la LIPR, ni celle de personnes à protéger au sens de l'article 97. Les demandeurs sollicitent l'annulation de la décision, dans la mesure où ils sont visés par celle-ci.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

 

II.        Questions en litige

 

[4]               Les questions que soulève la présente demande sont les suivantes :

 

1.                  La conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs ne seraient pas exposés à la persécution en Hongrie était-elle déraisonnable?

 

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse relative à la protection de l'État?

 

III.       Norme de contrôle

 

[5]               Les parties conviennent que la décision de la Commission est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Ainsi que l'enseigne la Cour suprême dans l'arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 : « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

 

IV.       Analyse

 

[6]               Il est important de souligner que la Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable en matière de crédibilité en ce qui concerne les trois demandeurs d’asile. Dans sa décision, dont les motifs sont très détaillés et exhaustifs, la Commission a examiné la situation de la demandeure d’asile et a accueilli sa demande. En bref, la Commission a tiré les conclusions suivantes : a) la crainte de la demandeure d’asile à l'égard de son ex‑époux était bien fondée; b) compte tenu des faits présentés, la demandeure d’asile avait pu réfuter la présomption de la protection de l'État en tant que victime de violence conjugale et de personne qui avait sollicité en vain la protection de la police à plusieurs reprises.

 

[7]               S’agissant des demandeurs, la décision était excessivement brève.

 

[8]               Je traiterai de chacun des demandeurs séparément.

 

A.        La fille de la demandeure d’asile

 

[9]               En ce qui a trait à la fille de la demandeure d’asile, voici la décision complète :

Bien que la fille de la demandeure d’asile principale, Monika, ait été témoin d’un certain nombre de mauvais traitements infligés par son père à sa mère, elle-même n’a pas été victime d’abus. Nous admettons qu’elle a sans doute été émotionnellement marquée par ces incidents, mais la preuve n’a pas convaincu la Commission qu’elle craindrait avec raison son père en cas de retour en Hongrie. Au contraire, il appert malheureusement que ce dernier, dans la mesure où la preuve montre qu’il n’a pas communiqué avec la demandeure d’asile depuis le divorce de ses parents, ne souhaite pas entretenir de relation avec elle.

 

Bien que la demandeure d’asile principale ait décrit quelques incidents racistes impliquant des membres de la garde hongroise, la preuve n’a pas permis de convaincre la Commission que ces incidents correspondaient à de la persécution. L’exposé circonstancié du FRP de la demandeure d’asile principale décrit des incidents qui se sont produits pendant les années scolaires de Monika; toutefois, la grande partie des incidents racistes relatés dans ce FRP concernent la demandeure d’asile principale et non la fille de cette dernière.

 

[10]           Le témoignage et la preuve présentés à la Commission relativement à la fille de la demandeure d’asile comportaient des éléments selon lesquels elle avait non seulement été témoin de mauvais traitements infligés à sa mère, mais qu'elle avait été attaquée en tentant de la défendre. Dans son témoignage, la demandeure d’asile a déclaré que celle-ci avait également été battue. La fille de la demandeure d’asile a aussi déclaré dans son témoignage qu'elle était présente lorsque sa mère s'est rendue à la police. En outre, elle a décrit avoir été atteinte de dépression nerveuse apparemment causée par la relation avec son père. Compte tenu de cette preuve, l’observation selon laquelle la fille de la demandeure d’asile « n'a pas été victime d'abus » est tout simplement injustifiable. Compte tenu de l'importance de cette preuve, il est possible d'inférer du fait qu’elle n’a pas été mentionnée expressément ni analysée par la Commission que celle-ci n’en a pas tenu compte (Cepeda‑Gutierrez et al c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (1re inst), [1998] ACF no 1425 (QL), au paragraphe 17).

 

[11]           La conclusion de la Commission selon laquelle la fille de la demandeure d’asile aurait pu se prévaloir de la protection de l'État en Hongrie aurait néanmoins pu jouer un rôle déterminant dans sa décision, mais la Commission n'a tiré aucune conclusion de la sorte en l'espèce. Je conclus donc que la décision de la Commission concernant la fille de la demandeure d’asile ne tient pas à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel.

 

B.        Le demandeur

 

[12]           Les motifs de la Commission justifiant le rejet de la demande d'asile du demandeur sont les suivants :

Le demandeur d’asile soutient craindre lui aussi l’ex-époux de la demandeure d’asile principale. Il a décrit un incident au cours duquel ce dernier l’a frappé avec une brique. Il a aussi fait état d’un incident qui s’est produit en septembre 2008 et au cours duquel il a été menacé par un membre de la garde hongroise. Aucun élément de preuve convaincant ne permet de déduire que le demandeur d’asile a subi un préjudice, de la part de l’ex‑époux de la demandeure d’asile principale ou de la garde hongroise, qui correspondrait à de la persécution.

 

En outre, aucun élément de preuve convaincant ne montre que le demandeur d’asile a réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[13]           Les conclusions de la Commission visant le demandeur en ce qui a trait à l'ex‑époux ne sont pas déraisonnables. Le dossier indique que l'interaction entre le demandeur et l'ex‑époux n'était pas importante ni marquée par une violence ciblée (sauf pour ce qui est de l'incident avec la brique). Cela contraste avec ce qu’ont vécu la demandeure d’asile et sa fille dont les expériences avec l’ex-époux se sont déroulées sur une longue période. L'incident où le demandeur a été frappé avec une brique était non seulement isolé, mais il a été signalé à la police qui a agi à cet égard.

 

[14]           À mon avis, la difficulté que pose la décision de la Commission concerne le fait qu’elle n’a pas tenu compte de l'ensemble des gestes racistes dont le demandeur avait été victime, sans doute en raison de son origine ethnique rom. Le récit du FRP déposé en l'espèce contient les allégations suivantes concernant le demandeur :

 

·                     en 1999, deux hommes l'ont poussé et craché sur lui et ont refusé de lui vendre un arbre de Noël déclarant que les [traduction] « Tisganes ne célèbrent pas Noël »;

 

·                     en juillet 2003, il a été attaqué par trois skinheads qui l'ont suivi dans les toilettes d'une gare de train; bien qu'il ait signalé l'incident à la police, le dossier a été clos une semaine plus tard et les agresseurs n'ont jamais été trouvés;

 

·                     en mai 2004, alors qu'il se trouvait dans un autobus local, des hommes ont craché sur lui, l'ont injurié, lui ont lancé des insultes et lui ont dit de descendre parce que [traduction] « l’air était pollué »;

 

·                     en 2006, il a été attaqué par des racistes alors qu'il pêchait; un rapport de police a été dressé mais la police a laissé tomber l'affaire;

 

·                     en septembre 2008, des membres de la garde hongroise l’ont menacé lorsqu'il a tenté de traverser la rue pour se rendre à une entrevue pour un emploi; le policier lui a dit de rentrer chez lui;

 

·                     en août 2009, la demandeure d’asile et lui ont été attaqués par des skinheads; la police a fermé le dossier de façon prématurée;

 

·                     le 10 novembre 2009, des membres de la garde hongroise ont cassé leurs fenêtres et ont menacé de tous les tuer; il a déménagé dans la maison d'un ami;

 

·                     dans leur village, il y a un groupe de membres armés de la garde hongroise et la police ne les a pas arrêtés.

 

[15]           Le défendeur a raison de soutenir qu'il existe une distinction entre la discrimination et la persécution. En l'espèce cependant, la Commission n’a aucunement examiné la question de savoir si l'effet cumulatif des gestes discriminatoires dont faisait l'objet le demandeur équivalait à de la persécution. Il s'agit d'une erreur susceptible de contrôle (voir par exemple, Mete c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 840, 46 Imm LR (3d) 232).

 

[16]           Là encore, la conclusion de la Commission portant que le demandeur principal pouvait se prévaloir de la protection de l'État aurait pu jouer un rôle déterminant dans sa décision. Bien que la Commission ait examiné la question de la protection de l'État à l’égard du demandeur, son analyse s'est limitée à dire qu’« aucun élément de preuve convaincant ne montre que le demandeur d’asile a réfuté la présomption de la protection de l’État ». En tirant cette conclusion, la Commission n’a aucunement tenu compte des éléments de preuve présentés par le demandeur établissant qu’il avait à de nombreuses reprises demandé aux autorités d’obtenir une protection. Prise dans ce contexte, la conclusion de la Commission portant que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption de la protection de l'État est tout simplement déraisonnable.

 


V.        Conclusion

 

[17]           En conclusion, la Cour modifiera la décision à l’égard des deux demandeurs. La décision n'est pas raisonnable.

 

[18]           Aucune des parties n'a proposé de question aux fins de certification et aucune ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        IMM-8248-11

 

Intitulé :                                      PETER SZABO et autres c le ministre de la citoyenneté et de l'immigration

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

Date de l'audience :             Le 5 juin 2012

 

Motifs du jugement

et jugement :                            la juge SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 13 juin 2012

 

 

Comparutions :

 

Mieszko J. Wlodarczyk

pour Peter G. Ivanyi

 

Pour les demandeurs

 

Balqees Mihirig

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rochon Genova LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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