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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20120615

Dossier : IMM-6597-11

Référence : 2012 CF 757

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

ZIED ELLAH BEN KOBROSLI

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Monsieur Zied Ellah Ben Kobrosli (M. Kobrosli), demande, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], la révision judiciaire de la décision rendue le 18 août 2011 par la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], qui accueillait l’appel du Ministre de la décision du 9 avril 2009 de la Section de l’immigration [SI], au motif que M. Kobrosli est interdit de territoire au Canada pour avoir directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important suivant l'alinéa 40(1)a) de la LIPR.

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, cette demande de révision judiciaire est rejetée.

 

II.        Faits

 

[3]               M. Kobrosli est citoyen de la Tunisie. Il n’est ni citoyen canadien ni résident permanent.

 

[4]               Il est admis au Canada le 4 février 2002 avec un permis d’études valide qui expire le 30 mai 2003. Ce permis est renouvelé à deux reprises, et ce, jusqu’en novembre 2005.

 

[5]               Le 18 novembre 2004, les autorités québécoises délivrent un certificat d’acceptation du Québec [CAQ] à M. Kobrosli dans la catégorie « Étudiant ». Ce certificat d’acceptation est renouvelé jusqu’en novembre 2006.

 

[6]               Le 14 décembre 2005, le Service de renseignement de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] analyse, à la demande du Ministère de l’immigration et des Communautés culturelles du Québec, les deux lettres d’attestation de Laurentide Aviation, datées du 8 mars 2005 et du 18 octobre 2005. Cette analyse conclut que la lettre du 18 octobre 2005 est un document contrefait.

 

[7]               Le 22 novembre 2005, M. Kobrosli complète une « Demande pour modifier les conditions de séjour, proroger le séjour ou demeurer au Canada » sur laquelle il coche la mention « Permis d’études initial ou renouvellement ». Cette demande est transmise le 23 janvier 2006, tel qu’il appert de la lettre de transmission de la demande et reçue le 1er février 2006 par Citoyenneté et Immigration Canada [CIC]. Cette demande recherche à rétablir le statut de M. Kobrosli puisque son permis d’études est expiré depuis le 18 novembre 2005.

 

[8]               Le 8 mai 2007, la Cour du Québec rend un jugement selon lequel M. Kobrosli est reconnu coupable par défaut d’avoir communiqué à la ministre de l’Immigration et des communautés culturelles, un renseignement qu’il savait ou aurait dû savoir être faux ou trompeur.

 

[9]               Le 24 juillet 2007, M. Kobrosli est convoqué à une entrevue par CIC pour que soit traitée sa demande de permis d’études.

 

[10]           Lors de l’entrevue du 24 juillet 2007, M. Kobrosli retire sa demande de permis d’études puisqu’il n’est plus aux études depuis la fin de l’année 2005 et demande plutôt le rétablissement de statut, cette fois pour un statut de visiteur.

 

[11]           Le 1er août 2007, M. Kobrosli prend connaissance du jugement de la Cour du Québec rendu par défaut.

 

[12]           Le 28 août 2007, la Cour du Québec accueille la requête en rétractation de jugement de M. Kobrosli.

 

[13]           Le 21 septembre 2007, un rapport est rédigé aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR et la demande de rétablissement de statut de visiteur de M. Kobrosli est rejetée.

 

[14]           Le 17 avril 2008, M. Kobrosli plaide coupable, en Cour du Québec, aux termes des articles 12.3a) et 12.5 de la Loi sur l’immigration du Québec, LRQ, chapitre I-0.2, d’avoir communiqué un renseignement qu’il aurait dû savoir être faux ou trompeur lors de sa demande de certificat d’acceptation du Québec.

 

[15]           Le 9 juin 2008, un rapport rédigé aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR précise que M. Kobrosli a fait une fausse déclaration puisqu’il aurait déposé un faux document à la CIC. La demande de rétablissement du statut de visiteur de M. Kobrosli est par le fait même rejetée.

 

[16]           Le 9 avril 2009, la SI détermine que M. Kobrosli n’est pas interdit de territoire puisque le faux document en question a été déposé au soutien de la demande de permis d’études, laquelle demande a par ailleurs été retirée avant qu’il ne soit statué sur sa demande de prorogation de séjour à titre de visiteur.

 

[17]           Le 27 avril 2009, le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile interjette appel de la décision de la SI devant la SAI en vertu du paragraphe 63(5) de la LIPR.

 

[18]           Le 2 octobre 2009, M. Kobrosli dépose un avis de question constitutionnelle et, le 28 septembre 2010, la SAI rejette sa contestation constitutionnelle aux termes des articles 7 et 15 de la Charte.

 

[19]           Le 18 août 2011, la SAI fait droit à l’appel du Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile de la décision de la SI du 27 avril 2009. Par conséquent, M. Kobrosli devient interdit de territoire en application des dispositions de l’alinéa 40(1) a) de la LIPR et une mesure de renvoi est prise contre lui.

 

[20]           Au paragraphe 51 de sa décision, la SAI écrit :

Le tribunal est d’avis que la conclusion de la SI selon laquelle le retrait de la demande dans la catégorie étudiant « fait en sorte que la fausse déclaration antérieure n’a pas d’importance en ce qu’elle n’a pas affecté le processus suivi ni la prise d’une décision puisque la demande n’a pas été tranchée » est erronée. Il n’est pas nécessaire qu’une décision soit prise pour que l’article 40 s’applique. D’autre part, pour les motifs exposés précédemment, le tribunal est d’avis que, selon la balance des probabilités, l’attestation de Laurentide Aviation datée du 18 octobre 2005 soumise à l’appui de la demande de rétablissement du statut de résident temporaire dans la catégorie « étudiant » est la même que celle qui a fait l’objet d’une expertise ayant conclu qu’elle était contrefaite. Cette demande a été examinée et la fausse déclaration prise en compte, par conséquent, l’intimé est une personne interdite de territoire en application des dispositions de l’alinéa 40(1)a) de la Loi et une mesure de renvoi est émise contre lui.

 

III.       Législation

 

[21]           Le paragraphe 16(1) et l’alinéa 40(1)a) de la LIPR précisent que :

 

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

 

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

 

[…]

 

. . .

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

a)        directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d'entraîner une erreur dans l'application de la présente loi;

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[…]

. . .

 

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

 

A.                 Questions en litige

 

[22]           Cette demande de révision judiciaire soulève deux questions:

 

1.                   La SAI a-t-elle erré en faisant droit à l’appel du Ministre de la Sécurité Publique et de la Protection civile et en concluant que M. Kobrosli est une personne interdite de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR?

 

2.         La SAI a-t-elle manqué à son devoir d’équité procédurale envers M. Kobrosli?

 

B.                 Norme de contrôle

 

[23]           Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 57, la Cour Suprême du Canada précise « [qu’] il n'est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle …L'analyse requise est réputée avoir déjà eu lieu et ne pas devoir être reprise ».

 

[24]           La jurisprudence de la Cour établit que « […] les conclusions de fausse déclaration visées par [une] décision [rendue en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR] commandent une certaine déférence au sein des procédures de contrôle judiciaire car elles sont de nature factuelle : Baseer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1005, [2004] ACF 1239 (QL) au para 3, et Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 452, [2005] ACF 572 (QL) au para 27 » (Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 450 au para 27 [Cao]).

 

[25]           Un manquement au devoir d’équité procédurale s’apprécie selon la norme de la décision correcte (voir Koo v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931 au para 20).

 

V.        Position des parties

 

A.                 Position de M. Kobrosli

 

[26]           M. Kobrosli souligne que la SI a jugé qu’il était impossible de déterminer quelle des deux lettres de Laurentide Aviation fut expertisée. Il soutient que le Ministre n’a soumis aucun élément de preuve additionnel à ce sujet devant la SAI.

 

[27]           La SAI ne pouvait donc pas conclure que l’attestation d’étude contrefaite a non seulement été déposée pour la demande de CAQ, mais également pour sa demande de rétablissement de statut devant la CIC selon M. Kobrosli

 

[28]           Il est également impossible d’affirmer que sa condamnation en Cour du Québec est reliée à son interdiction de territoire en vertu de l’article 40(1)a) de la LIPR, toujours selon M. Kobrosli, puisque le défendeur ne peut établir que des fausses déclarations ont été faites à l’agent de la CIC.

 

[29]           D’autre part, M. Kobrosli allègue avoir modifié sa demande de permis d’études à la toute première occasion soit au début de l’entrevue du 24 juillet 2007. Considérant ce retrait, il s’ensuit que la demande devait être analysée sous la catégorie « visiteur ». Dans un tel contexte, les lettres contrefaites n’ont aucune pertinence (Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 FC 166 aux paras 3-4).

 

[30]           Les documents exigibles au soutien d’une demande de rétablissement du statut de visiteur n’incluent pas une attestation d’étude. Puisque la SAI affirme qu’il n’y a eu qu’une seule demande, M. Kobrosli soutient que la décision de la SAI repose sur un document non pertinent.

 

[31]           M. Kobrosli allègue également que la SAI devait aussi analyser l’importance des fausses déclarations (Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 166). La décision de la SAI ne comporte pas une telle analyse.

 

[32]           Il souligne de plus que la SAI conclut qu’il avait l’obligation d’informer la CIC de son changement de statut, puisqu’il avait cessé ses études. Or, aucune des dispositions de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, n’oblige un demandeur de transmettre immédiatement les informations concernant un changement de statut selon M. Kobrosli.

 

[33]           Finalement, M. Kobrosli prétend que le retrait de sa demande de rétablissement de statut d’étudiant constitue une correction, laquelle pouvait se faire à la première occasion, soit le 24 juillet 2007, lors de l’entrevue devant la CIC.

 

[34]           M. Kobrosli souligne également que l’agent de la CIC ne lui a pas permis de corriger un élément de preuve défavorable à son dossier. Il allègue que cela va à l’encontre de l’équité procédurale (voir l’arrêt Jang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 312 [Jang]).

 

B.                 Position du défendeur

 

[35]           Le défendeur soutient qu’une simple réticence pouvant entraîner une erreur dans l’application de la LIPR est suffisante pour que l’alinéa 40(1)a) reçoive application. Il invoque la décision Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 781 aux paras 27-28 [Kumar] à l’appui de sa position.

 

[36]           Le défendeur prétend par ailleurs que la SAI a raisonnablement conclu qu’une seule lettre avait été rédigée à la demande de M. Kobrosli et que l’attestation contrefaite déposée en appui de sa demande de rétablissement de statut est la même que celle déposée pour sa demande de CAQ. Le fardeau de preuve étant celui de la prépondérance des probabilités, la conclusion de la SAI est raisonnable puisqu’elle découle des éléments de preuve au dossier.

 

[37]           Par ailleurs, le défendeur soutient que les déclarations erronées portent sur un fait important quant à un objet pertinent. Les fausses déclarations de M. Kobrosli pouvaient possiblement entrainer une erreur dans l’application de la LIPR.

 

[38]           Le défendeur allègue que M. Kobrosli a tenté d’obtenir le rétablissement de son statut au moyen d’une attestation d’études contrefaite. M. Kobrosli ne peut prétendre que ces fausses allégations ne portent pas sur un élément important de la demande. La lettre contrefaite a eu une incidence directe sur le processus de prise de décision et risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

 

[39]           Le défendeur ajoute qu’une personne qui présente de faux documents ne saurait échapper aux conséquences de ses actes en invoquant le moment où la fraude est découverte, car cela est contraire à la Loi et susceptible d’engendrer des injustices.

 

[40]           Par ailleurs, l’argument de M. Kobrosli voulant qu’il n’ait pas eu l’occasion de rectifier son statut entre sa demande de rétablissement du 1er février 2006 et l’entrevue du 24 juillet 2007 est déraisonnable selon le défendeur. M. Kobrosli n’a pas retiré sa demande de rétablissement de son statut d’étudiant à la première occasion puisque près de 18 mois se sont écoulés entre l’envoi de sa demande et l’entrevue. À tout moment, avant la transmission de la demande de rétablissement, M. Kobrosli aurait pu informer son représentant et empêcher l’envoi de cette demande car il n’était plus étudiant dès la fin de 2005.

 

[41]           De plus, le défendeur souligne que les agents ne convoquent pas tous les demandeurs en entrevue (Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1381 au para 36). M. Kobrosli a donc choisi, selon le défendeur, de se faire délivrer un permis d’études sur la foi d’un document frauduleux. Il a tenté d’obtenir le rétablissement de son statut au moyen d’une attestation contrefaite. M. Kobrosli ne peut être libéré de sa responsabilité personnelle de veiller à ce que les renseignements fournis soient exacts et complets aux termes de l’article 16 de la LIPR (Haque c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 315 au para 15 [Haque]; Cao précitée au para 31).

 

[42]           Le défendeur affirme que l’attestation d’étude frauduleuse représente un élément important de la demande de M. Kobrosli puisque l’agent d’immigration aurait pu l’accepter et commettre une erreur dans l’application de la LIPR.

 

[43]           M. Kobrosli fait valoir par ailleurs que l’alinéa 40(1)a) ne s’applique pas parce qu’il a retiré sa demande de permis d’études au début de l’entrevue avec l’agente Desalliers de la CIC. Le défendeur, de son côté, rappelle que, comme le constate la SAI, l’allégation de fausse déclaration a toutefois été examinée par la CIC en fonction de la catégorie « étudiante » avant que M. Kobrosli n’ait retiré sa demande.

 

[44]           Le défendeur s’appuie sur la décision Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512 [Khan], la Cour y rejette les prétentions du demandeur voulant que l’alinéa 40(1) a) de la LIPR ne s’applique pas lorsqu’une fausse déclaration est rectifiée avant qu’une décision soit prise.

 

[45]           Le défendeur affirme que la SAI disposait d’éléments de preuve suffisants pour conclure que M. Kobrosli est interdit de territoire puisqu’il a directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraînait ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

 

 

 

VI.       Analyse

 

1.         La SAI a-t-elle erré en faisant droit à l’appel du Ministre de la Sécurité Publique et de la Protection civile et en concluant que M. Kobrosli est une personne interdite de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR?

 

[46]           La Cour tient à rappeler le principe de base voulant qu « […]il ressort des articles 40 et 16 de la LIPR, considérés ensemble, que les étrangers qui veulent entrer au Canada assument une "obligation de franchise" exigeant qu'ils déclarent les faits importants : Bodine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 848, 331 FTR 200 aux paras 41-42; Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1299 au para 15. En fait, toute la législation qui régit le système d'immigration canadien repose sur la déclaration de renseignements véridiques et complets par ceux qui présentent des demandes sous l’empire de ce régime : Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 450, 367 FTR 153 au para 28 » (voir Haque précitée au para 13).

 

[47]           La Cour énonce, au paragraphe 28 de la décision Cao, le principe suivant :

[28] Aux termes de l'alinéa 40(1)a) de la Loi, [un demandeur] est interdit […] de territoire au Canada [s’il] a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d'entraîner une erreur dans l'application de la Loi […] cette disposition, lue de pair avec le paragraphe 16(1) de la Loi, impose [au demandeur] l'obligation générale de divulguer tous les faits qui peuvent être importants pour sa demande de résidence permanente. Le système d'immigration canadien est fondé sur la prémisse que tous ceux qui présentent une demande dans le cadre de la Loi fourniront des renseignements véridiques et complets sur la foi desquels une décision sera prise au sujet de leur admission éventuelle au Canada. L'intégrité et la crédibilité de ce système exigent que tous les intéressés prennent cette obligation au sérieux […] »

 

[48]           Ainsi, un risque d’erreur dans l’application de la LIPR suffit pour que l’article 40(1)a) reçoive application en l’espèce (Kumar, précitée, au para 27). 

 

[49]           Le paragraphe 40(1) de la LIPR est interprété de façon très large car il cherche à éviter tout genre de fausse déclaration ou de réticence qui entrainerait ou risquerait d’entrainer une mauvaise application de la LIPR (Khan, précitée, au para 25). La Cour doit donc se demander si M. Kobrosli a fait une fausse présentation ou une réticence sur un fait important relativement à la demande de rétablissement de son statut de visiteur.

 

[50]           La Cour rejette l’argument de M. Kobrosli voulant qu’ aucun élément de preuve n’ait été déposé devant la CIC afin de démontrer que la lettre de Laurentide Aviation du 18 octobre 2005, était une contrefaçon et que cette lettre a servi à appuyer la demande de rétablissement de son statut étudiant ainsi que sa demande de CAQ.

 

[51]           La SAI mentionne ce qui suit aux paragraphes 36 à 40 de sa décision :

[36] Les éléments ressortant des documents au dossier sont les suivants : l’intimé a fait une demande de prolongation de son autorisation de séjour au Canada signée le 22 décembre 2005. Il y a joint un Certificat d’acceptation du Québec émis le 16 novembre 2005 et valide jusqu’au 16 novembre 2006, ainsi qu’une lettre de Laurentide Aviation datée du 18 octobre 2005.

 

[37] En décembre 2005, soit avant de recevoir la demande de prolongation de l’autorisation de séjour de l’intimé, une analyse de deux lettres d’attestation datées du 8 mars 2005 et du 18 octobre 2005 de Laurentide Aviation a été effectuée par le Service du renseignement de l’Agence des services frontaliers du Canada. Cette analyse a conclu que la lettre du 18 octobre 2005 est une contrefaçon. Dans le cadre de l’enquête devant la SI, le Ministre a admis que cette analyse avait été faite à la demande du Ministère de l’immigration et des communautés culturelles du Québec dans le cadre de l’étude de la demande de CAQ et non pour analyser les documents présentés au soutien de la demande de prolongation de l’autorisation de séjour.

 

[38] La SI a conclu que la preuve, quant à l’expertise, était incomplète parce que la photocopie intégrale des deux lettres n’avait pas été déposée en preuve, ce qui ne permettait pas de connaître le contenu et le signataire de la lettre du 8 mars 2005, ni d’établir que l’intimé avait déposé cette lettre et dans quel contexte. Cette preuve incomplète ne permettait pas non plus de savoir quels étaient les documents auxquels l’analyste de la contrefaçon faisait référence. Par conséquent, les résultats tels que soumis en preuve n’étaient pas probants. Le Ministre n’a apporté aucun élément de preuve complémentaire à ce sujet au soutien de son appel.

 

[39] […] Le tribunal est d’avis qu’il est peu vraisemblable que le même jour, la même personne chez Laurentide Aviation ait écrit deux lettres différentes attestant des études de l’appelant. Selon la prépondérance des probabilités, une seule et même lettre a été rédigée à la demande de l’intimé et l’attestation du 18 octobre 2005 soumise par l’intimé au soutien de sa demande de prolongation d’autorisation de séjour est la même attestation que celle qui avait été soumise au soutien de la demande de CAQ et qu’une expertise a révélée contrefaite.

 

[40] Certes, il n’y a pas de preuve documentaire que le « faux renseignement » fourni à l’appui de la demande de CAQ soit l’attestation d’étude jugée contrefaite. Le jugement du 17 avril 2008 ne le mentionne pas et la date du constat d’infraction n’est pas claire. Cependant il est logique de croire qu’une demande de CAQ dans la catégorie « étudiante » soit accompagnée d’une attestation d’étude et il est établi que le Ministère de l’immigration et des communautés culturelles a demandé une expertise d’une attestation d’études qui s’est révélée contrefaite. Selon la balance des probabilités, l’attestation d’études est le renseignement fourni au soutien de la demande de CAQ que l’intimé aurait dû savoir être faux ou trompeur.

 

[52]           Tel qu’il appert du courriel du 14 décembre 2005, l’Agence des services frontaliers du Canada a conclu que « [s]uite à l’examen de ces documents par procédé de superposition à l’aide d’un comparateur vidéo-spectral, nous arrivons à la conclusion que certaines informations du document #1 ont été plagiées ayant par la suite été utilisées à titre de montage sur le document #2 comme suit : la signature et le sceau humide avec initiale se trouvant sur le document #2 sont totalement identiques, de plus, nous observons que les initiales sont apposées précisément au même endroit sur les sceaux humides » (dossier du demandeur à la page 215).

 

[53]           Par ailleurs, le rapport circonstancié en date du 21 septembre 2007 de Mme Desalliers est également révélateur du contexte de l’affaire. Elle y mentionne « [j]’ai demandé au sujet de me fournir une preuve des examens passés les 12 avril 2005, 27 mai 2005, 16 juin 2005 et 14 octobre 2005, tel qu’indiqué dans la lettre [du 18 octobre 2005] […] Selon les dires de son avocat, il n’est plus en possession de ces résultats et ne peut en obtenir une copie à l’endroit où il a passé ses examens. J’ai également demandé au sujet de me fournir une copie de son carnet de vol que j’ai reçu par télécopieur. Aucune date n’est mentionnée pour l’année 2005 qui viendrait corroborer l’information inscrite dans la lettre contrefaite » (dossier du demandeur aux pages 251 et 253).

 

[54]           La Cour tient également à souligner qu’une demande de révision judiciaire n’est pas un appel de novo. Ainsi, la Cour ne peut soupeser à nouveau la valeur probante des éléments de preuve au dossier ni se substituer de quelque autre manière au décideur.

 

[55]           En l’espèce, la conclusion de la SAI fait partie des issues possibles et acceptables. Il est raisonnable de penser que la lettre fabriquée a été déposée à la fois au soutien de la demande de rétablissement du statut d’étudiant de M. Kobrosli et à l’appui de sa demande de CAQ, vu les éléments de preuve devant la SAI.

 

[56]           De ce fait, la Cour doit traiter une seule question à savoir si, comme le prétend M. Kobrosli, le retrait de sa demande de rétablissement de son statut d’étudiant invalide l’analyse de la SAI puisque la fausse lettre d’attestation d’étude n’est pas reliée à sa demande de rétablissement de visiteur.

 

[57]           Dans Haque précitée, la Cour mentionne que le demandeur a une obligation de franchise aux termes de l’article 16 de la LIPR. Une fausse déclaration peut entraîner une interdiction de territoire, mais cette interdiction doit être liée à un fait important de la demande.

 

[58]           Le défendeur allègue que si M. Kobrosli n’avait pas été convoqué en entrevue, son permis d’études déjà échu aurait pu être prolongé sur la base de sa fausse déclaration. Aux termes de la Loi, il devait informer la CIC de son changement de statut et la fausse déclaration aurait pu entraîner une mauvaise application de la LIPR.

 

[59]           L’agente Paré mentionne dans ses notes « [qu’] en date du 24 jul 2007, sujet déclare qu’il n’étudie plus et il demande un statut de visiteur ». D’ailleurs, la SAI écrit à ce propos que «[…] dès le début de l’entrevue l’intimé avait demandé que sa demande soit examinée dans la catégorie « visiteur » parce qu’il n’étudiait plus. Cependant, cela ne signifiait pas que dès lors, toute fausse représentation faite dans le cadre de la demande dans la catégorie « étudiante » perdait toute pertinence. Comme l’a souligné la Cour fédérale du Canada dans [la décision] Khan il ne suffit pas qu’une fausse déclaration soit clarifiée avant qu’une décision ne soit rendue pour éviter l’application de l’article 40 de la Loi car une telle interprétation « ferait abstraction de l’obligation que prescrit  la Loi de fournir des renseignements véridiques ».

 

[60]           Il est clair que l’attestation de Laurentide Aviation revêtait une importance toute particulière dans la demande de rétablissement du statut étudiant de M. Kobrosli. Il est impossible de conclure avec certitude que M. Kobrosli n’aurait pas déclaré qu’il n’étudiait plus s’il n’avait pas été convoqué en entrevue par CIC. Il n’en demeure pas moins que M. Kobrosli a soumis un faux document au soutien de sa demande initiale.  

 

[61]           Dans Khan précitée, la Cour précise, en outre, que « [r]ien dans le libellé de [l’article 40(1)a)] ne dénote qu’elle ne devrait pas s’appliquer à une situation dans laquelle on adopte une fausse déclaration pour ensuite la clarifier avant qu’une décision soit rendue » (Khan précitée au para 25). Elle ajoute « […] le fait de retenir l'interprétation du demandeur donnerait lieu à une situation dans laquelle un individu pourrait faire sciemment une fausse déclaration, mais ne pas être interdit de territoire au sens de l'alinéa 40(1)a) du moment qu'il clarifie cette déclaration juste avant qu'une décision soit rendue. Je suis d'accord avec le défendeur qu'une telle interprétation pourrait mener à une situation dans laquelle seules les fausses déclarations […] devant l'agent des visas lors d'une entrevue seraient clarifiées; cela créerait donc un risque élevé d'abus dans l'application de la Loi » (Khan au para 27).

 

[62]           La Cour constate que si M. Kobrosli n’avait pas été convoqué en entrevue, l’agente aurait pu commettre une erreur dans l’application de la Loi. L’attestation frauduleuse était par le fait même un élément important à l’appui de la demande de rétablissement du statut d’étudiant de M. Kobrosli.

 

[63]           La Cour souscrit au raisonnement contenu au paragraphe 54 du mémoire du défendeur voulant que « le demandeur ne peut tabler sur le fait qu’il ait signé son formulaire le 22 novembre 2005. La demande de rétablissement a été transmise par son avocat le 23 janvier 2006, tel qu’il appert de la lettre de transmission de la demande. À tout moment avant la transmission de la demande, le demandeur, qui invoque vaguement qu’il n’étudiait plus depuis la fin 2005 sans donner la date exacte, pouvait en informer son représentant et empêcher que la demande de rétablissement dans la catégorie étudiante ne soit envoyée ».

 

[64]           Les termes de l’article 16 de la LIPR, sont clairs : M. Kobrosli devait apporter les corrections nécessaires avant d’envoyer sa demande de rétablissement. Le fait qu’il ait changé la nature de sa demande à un moment opportun n’annule pas ses fausses déclarations, car l’agent risquait de commettre une erreur dans l’application de la LIPR

 

2.         La SAI a-t-elle manqué à son devoir d’équité procédurale envers M. Kobrosli?

 

[65]           La SAI n’a pas manqué à son devoir d’équité procédurale envers M. Kobrosli.

 

[66]           M. Kobrosli soutient que la SAI ne lui a pas offert la possibilité de corriger la nature de sa demande. Il cite les arrêts Jang et Nadasara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1112, au soutien de sa position.

 

[67]           Les arrêts susmentionnés nous enseignent qu’un demandeur doit pouvoir répondre aux allégations inexactes susceptibles de nuire à sa cause. Le juge Rothstein a souligné, dans l’arrêt Dasent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 CF 720 au para 23, que « [c]e qu’il faut savoir, c’est si [la partie requérante] a eu la possibilité de répondre à la preuve ». En l’instance  la Cour ne peut souscrire à cet argument. Premièrement il ne s’agit pas de permettre à M. Kobrosli de répondre à une allégation inexacte puisqu’il est clair que des fausses déclarations ont été déposées à l’appui d’une demande. Deuxièmement, l’équité procédurale ne commande pas de permettre à un demandeur de retirer les éléments de preuve frauduleux qu’il a lui-même déposés à l’appui d’  une demande pour éviter les conséquences de ses actes.

 

[68]           Enfin la Cour ne peut accepter la position de M. Kobrosli, car elle contrevient aux objectifs contenus dans les articles 16 et 40(1)a)de la LIPR, qui créent une obligation de fournir des renseignements véridiques en toutes circonstances et qui sanctionnent les manquements à cette obligation puisque tout le système d’immigration canadien en est tributaire. Il ne peut y avoir de manquement au devoir d’équité procédurale en pareille circonstance.

 

VII.     Conclusion

 

[69]           La Cour conclut que la SAI a raisonnablement appliqué l’alinéa 40(1)a) en l’instance et qu’elle n’a pas manqué à son devoir d’équité procédurale. Cette demande de révision judiciaire doit être rejetée.

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de révision judiciaire et DÉCLARE qu’il n’y a aucune question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6597-11

 

INTITULÉ :                                       ZIED ELLAH BEN KOBROSLI

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      15 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hugues Langlais

Félix Ocana

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lisa Maziade

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Hugues Langlais, avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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