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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120612

Dossier : IMM-5544-11

Référence : 2012 CF 702

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2012

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

SARVJIT SINGH KHANGURA

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le 17 août 2011, Sarvjit Singh Khangura (le demandeur) a déposé la présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’encontre de la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAI avait rejeté la requête du demandeur en vue d’obtenir une prorogation du délai prévu pour interjeter appel.

 

[2]               Le demandeur, citoyen de l’Inde, a acquis le statut de résident permanent du Canada le 16 octobre 2003. Le 17 février 2009, il est retourné dans son pays pour assister aux funérailles de son père. Comme sa carte de résident permanent allait expirer sous peu, il a présenté, en mars 2009, une demande de documents de voyages afin de pouvoir revenir au Canada. Le 2 mars 2009, il a reçu de Citoyenneté et Immigration Canada une lettre refusant de lui accorder ses documents de voyage, parce qu’il avait été conclu qu’il n’avait pas respecté les obligations de résidence que lui imposait l’article 28 de la Loi.

 

[3]               Le demandeur reconnaît avoir reçu une lettre datée du 2 mars 2009, par laquelle sa demande de documents de voyage avait été rejetée, mais il prétend qu’on ne lui a jamais fait part de la décision faisant état du rejet de cette demande ni informé de son droit d’interjeter appel avant qu’il sollicite l’aide d’un conseiller juridique en 2010.

 

[4]               La lettre du 2 mars 2009 rejetait sa demande de documents de voyage, disant qu’il ne s’était pas conformé aux obligations de résidence que lui imposait l’article 28 de la Loi. De plus, selon cette lettre, le paragraphe 63(4) de la Loi l’autorisait à interjeter appel de la décision devant la SAI dans les 60 jours suivant la date de réception de la décision écrite. Par ailleurs, si le demandeur avait été présent au Canada au moins une fois au cours des 365 jours précédents, il aurait eu droit à un document de voyage lui permettant de revenir.

 

[5]               En consultant, en mai 2010, les notes le concernant dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (les notes du STIDI), le demandeur a constaté qu’une lettre datée du 2 mars 2009, décrivant le processus d’appel, lui avait été envoyée. Il nie avoir jamais reçu cette lettre, et dit n’avoir appris son existence qu’en 2010, au moment de consulter les notes du STIDI le concernant.

 

[6]               Le 5 juillet 2010, le demandeur a déposé un avis d’appel auprès de la SAI, mais sans une copie de la décision faisant l’objet de l’appel.

 

[7]               Le 29 mars 2011, le défendeur a déposé une demande de rejet de l’appel pour cause de dépôt tardif. En réponse, le demandeur a fourni à la SAI une déclaration solennelle dans laquelle il expliquait les motifs du dépôt tardif, et plus précisément le fait qu’on ne l’avait jamais informé de son droit d’interjeter appel ou du besoin de le faire.

 

[8]               Le 4 août 2011, le demandeur a reçu un [traduction] « Avis de décision (et motifs) » par lequel la SAI rejetait sa demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel.

 

[9]               Dans sa décision datée du 15 avril 2011, la SAI a rejeté la requête du demandeur, qui avait été déposée le 7 avril 2011, en vue d’obtenir une prorogation du délai prévu pour interjeter appel. Selon la SAI, il s’était écoulé deux ans depuis que le demandeur s’était vu refuser un document de voyage. Le demandeur soutient qu’il n’était pas au courant du délai de 60 jours dont il disposait pour interjeter appel, mais la SAI a déclaré que [traduction] « le [demandeur] n’a pas montré pourquoi il avait vécu si longtemps à l’étranger » et qu’il n’avait rien fait pour faire un suivi auprès des autorités de l’Immigration. Un tel comportement n’était pas le signe d’une intention véritable de résider physiquement au Canada. Par ailleurs, on a conclu que le demandeur n’avait pas communiqué [traduction] « des renseignements clairs et pertinents (après n’avoir accordé aucun poids à la déclaration solennelle) expliquant pourquoi il lui avait fallu 13 mois et demi pour déposer une demande ».

 

* * * * * * * *

 

[10]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.                                        La SAI a-t-elle commis une erreur de fait en tirant des conclusions de fait de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

 

2.                                        La SAI a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision défavorable?

 

 

 

[11]           La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de fait d’un tribunal administratif est la raisonnabilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Les conclusions de cette nature commandent un degré de retenue élevé (Khosa, précité, au paragraphe 46). La Cour ne peut donc intervenir que si les conclusions de la Commission sont déraisonnables, c’est-à-dire qu’elles n’appartiennent pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des fait et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[12]           À l’inverse, les questions d’équité procédurale sont contrôlées en fonction de la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, au paragraphe 60; Khosa, précité, au paragraphe 44; Weekes (Tuteur à l’instance) c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 293, au paragraphe 17). Cependant, le défendeur soutient avec raison que l’insuffisance des motifs ne permet plus, à elle seule, de fonder un manquement à l’équité procédurale, selon l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]. Il convient donc d’interpréter les motifs de la SAI dans le contexte de l’issue de la décision en fonction de la norme de la raisonnabilité.

 

* * * * * * * *

 

1.      La SAI a-t-elle commis une erreur de fait en tirant des conclusions de fait de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

 

[13]           Selon le demandeur, la SAI a commis une erreur de fait en concluant qu’il était injustifié d’accorder une prorogation de délai pour l’appel. La SAI a indiqué à tort qu’il [traduction] « avait vécu si longtemps à l’étranger », ce qui dénotait que son intention véritable n’était pas de résider physiquement au Canada.

 

[14]           Le demandeur soutient également que la SAI a commis une erreur en n’accordant aucun poids à sa déclaration solennelle, car ce document expliquait pourquoi il avait déposé son avis d’appel en dehors du délai prévu.

 

[15]           Après avoir examiné les éléments de preuve pertinents, je conclus qu’il était raisonnable que la SAI rejette la demande de prorogation de délai du demandeur. Les décisions de cette nature sont discrétionnaires, et il convient de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SAI. À l’audience qui s’est déroulée devant moi, le demandeur a été incapable de faire état d’un élément de preuve important, soumis à la SAI, qui prouvait qu’il avait bel et bien résidé de façon continue au Canada depuis le 16 mars 2009, date à laquelle, allègue-t-il, il était revenu de l’Inde. Sa déclaration solennelle n’indique nullement qu’il était présent au Canada depuis 2009. La SAI n’avait donc en main aucune preuve indiquant qu’il se trouvait et vivait au Canada depuis mars 2009. Il n’est donc pas parvenu à établir que la SAI avait fait abstraction des éléments de preuve dont elle disposait, croyant à tort que le demandeur se trouvait toujours en Inde à l’époque. Le demandeur n’avait fourni aucune preuve qu’il était resté au Canada depuis 2009, et il n’était donc pas déraisonnable que la SAI déclare qu’il avait été [traduction] « si longtemps à l’étranger ». Par ailleurs, la SAI était habilitée à décider d’accorder peu de poids à la déclaration solennelle du demandeur, puisque l’ignorance n’est pas un motif justifiant une prorogation de délai (Arteaga c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 868). Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait la SAI. Le demandeur n’est donc pas parvenu à prouver que la décision de cette dernière est déraisonnable.

 

2.    La SAI a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision défavorable?

 

[16]           À mon avis, la SAI n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale. Sa décision, bien que succincte, explique pourquoi le demandeur ne s’est pas vu accorder une prorogation de délai en vue d’interjeter appel. Par ailleurs, une insuffisance des motifs, comme le soutient le défendeur, ne suffit pas pour fonder un manquement à l’équité procédurale (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 14). Au lieu de cela, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 14). Par ailleurs, contrairement à ce que le demandeur allègue, la SAI n’était pas tenue de faire « référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails », ni de tirer une conclusion sur chacun des éléments constitutifs de sa demande (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 16). La SAI n’a donc pas commis d’erreur en omettant d’énoncer explicitement le critère applicable à l’octroi d’une prorogation de délai qui est formulé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Hennelly, [1999] ACF no 846 (QL) (CAF).

 

[17]           L’exercice que doit faire la Cour lorsqu’on soulève la question du caractère suffisant des motifs du décideur consiste à se demander si « les motifs […] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 16). En l’espèce, les motifs de la SAI me permettent de décider que la conclusion qu’elle a tirée est raisonnable. Par ailleurs, même s’il y avait des lacunes dans ces motifs, ces lacunes ne constituent pas, à elles seules, un manquement à l’équité procédurale : s’il existe des motifs, il n’y a pas de manquement (Newfoundland Nurses, précité, aux paragraphes 21 et 22).

 

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[18]           Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[19]           Je conviens avec les avocats des parties qu’il n’y a pas ici matière à certification.
JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui a rejeté la demande du demandeur en vue d’obtenir une prorogation du délai prévu pour interjeter appel, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5544-11

 

INTITULÉ :                                      SARVJIT SINGH KHANGURA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 3 MAI 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 12 JUIN 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Puneet Khaira                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Timothy E. Fairgrieve                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lindsay Kenney LLP                                     POUR LE DEMANDEUR

Langley (Colombie-Britannique)

 

Myles J. Kirvan                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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