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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20120612

Dossier : IMM-6563-11

Référence : 2012 CF 706

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2012

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

 

Suresh Chandrabose FERNANDO

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qu’a présentée le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur), en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), relativement à la décision de Negar Azmudeh, commissaire auprès de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que Suresh Chandrabose Fernando (le défendeur), un citoyen tamoul du Sri Lanka, avait la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               La Commission a reconnu l’identité du demandeur d’asile et a conclu aussi qu’il était un témoin digne de foi. Elle a jugé qu’il n’y avait, dans la preuve, aucune incohérence ou contradiction marquée qui n’avait pas été raisonnablement expliquée, et, de ce fait, elle a cru ce qui était allégué à l’appui de la demande d’asile.

 

[3]               Après avoir reconnu la crédibilité du demandeur d’asile, la Commission a conclu que celui‑ci avait été arrêté à Colombo et qu’il n’avait été relâché qu’après le paiement d’un pot-de-vin. Elle n’a pas souscrit à l’observation du demandeur selon laquelle les autorités ne considéraient pas que le demandeur d’asile était un activiste qui avait des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Elle a conclu que, selon toute vraisemblance, en tant que Tamoul rapatrié ayant un casier judiciaire et des liens perçus avec les TLET, le demandeur d’asile serait mis en détention à son retour au Sri Lanka, où il s’exposerait à une possibilité raisonnable de persécution et de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[4]               La Commission a rejeté la preuve présentée par le demandeur selon laquelle l’armée sri‑lankaise garantissait la sécurité d’un combattant rapatrié. Au vu des graves violations des droits de la personne que commettaient les autorités sri-lankaises, la Commission n’a pas jugé que cette garantie était digne de foi. Elle a conclu que le demandeur d’asile ne bénéficiait pas d’une protection de l’État, car c’était ce dernier qui était l’agent de persécution.

 

[5]               La Commission a par ailleurs conclu qu’étant donné que les autorités sri-lankaises exerçaient un contrôle réel sur le territoire, le demandeur d’asile ne pourrait raisonnablement pas les éviter s’il retournait dans le pays. Il serait vraisemblablement arrêté à son arrivée et persécuté, et il ne pourrait donc pas entrer dans le pays sans qu’on le repère, ou vivre ailleurs au Sri Lanka sans craindre avec raison d’être persécuté, ce qui éliminait toute possibilité de refuge intérieur (PRI) viable. La demande d’asile a donc été accueillie.

 

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[6]               La seule question que soulève le demandeur en l’espèce est de savoir si la Commission a commis une erreur dans son analyse concernant l’existence, au Sri Lanka, d’une PRI viable pour le défendeur.

 

[7]               La conclusion que tire la Commission à propos de l’existence d’une PRI viable pour le demandeur d’asile est une question mixte de fait et de droit, qui est donc susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Agudelo c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 465, au paragraphe 17). Il convient de faire preuve d’une grande retenue à l’égard de cette conclusion et celle-ci ne peut être modifiée que si le raisonnement de la Commission est vicié et si la décision qui en résulte n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Il peut y avoir plus d’une issue possible, mais tant que le processus décisionnel de la Commission est justifié, transparent et intelligible, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

 

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[8]               Le demandeur soutient que la Commission n’a pas effectué une analyse appropriée au sujet de la PRI; elle a plutôt conclu tout simplement que les autorités sri-lankaises arrêteraient le défendeur à son arrivée et le soumettraient à des actes de persécution ainsi qu’à des traitements ou des peines cruels et inusités. Cette conclusion, soutient-il, fait abstraction des nombreux éléments de preuve qui confirment que le défendeur a quitté le Sri Lanka en se servant de son propre passeport. Il a aussi voyagé sur le territoire sri-lankais jusqu’à Colombo, en compagnie de son père.

 

[9]               Le défendeur soutient que, au vu des faits de l’espèce, la question d’une PRI ne se pose pas, parce que la Commission a conclu qu’il serait arrêté dès son arrivée au Sri Lanka et qu’il ne pourrait donc pas fuir dans une autre partie du pays. Il signale qu’une PRI n’est pas viable si le demandeur d’asile n’y a pas accès (Rabbani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 125 FTR 141, aux paragraphes 16 et 17). Il ajoute qu’une PRI ne s’applique pas si c’est l’État même qui est l’agent de persécution (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 6 Imm LR (3d) 119 (CF 1re inst); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Sharbdeen (1994), 23 Imm LR (2d) 300 (CAF).

 

[10]           Je conviens avec le défendeur que la Commission n’a pas omis de procéder à une analyse appropriée d’une PRI : le premier volet du critère connexe consiste à savoir s’il y a une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile risque d’être persécuté à l’endroit suggéré comme PRI (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA). Selon la Commission, étant donné que les autorités sri-lankaises exercent un contrôle sur le territoire tout entier et qu’elles garderaient en détention et persécuteraient le demandeur d’asile dès son arrivée au Sri Lanka, ce dernier ne pourrait pas retourner et vivre n’importe où dans ce pays sans craindre d’être persécuté. Le premier volet du critère étant rempli, il n’était pas nécessaire que la Commission passe au second volet et décide s’il était raisonnable de demander au demandeur d’asile de déménager à un endroit proposé comme PRI.

 

[11]           La véritable erreur qui, d’après le demandeur, a été commise dans la décision n’est pas l’application du critère relatif à une PRI, mais la conclusion selon laquelle le défendeur risquerait d’être persécuté à son arrivée au Sri Lanka. Le demandeur soutient que cette conclusion fait abstraction de la preuve documentaire selon laquelle les autorités sri-lankaises contrôlent les arrivées dans le pays et les départs – comme les autorités ont laissé le défendeur partir en se servant de son propre passeport, elles ne s’intéressent sûrement pas à lui.

 

[12]           Comme le fait valoir le défendeur, il n’est pas obligatoire que la Commission mentionne expressément le moindre élément de preuve. Ainsi que l’a décrété mon collègue le juge Donald J. Rennie, dans la décision Mejia c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 1265 :

[12]     La Commission n’est pas tenue de se reporter au moindre élément de preuve documentaire ou au moindre passage des sources qu’invoque le demandeur d’asile et qui contredisent les renseignements auxquels se fie la Commission. La contrainte consiste à savoir si, quand on examine le dossier dans son ensemble – et cela inclut les éléments de preuve contradictoires –, la décision est raisonnable : Raclewiski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 244; Valez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923.

 

 

[13]           Quand on examine l’ensemble du dossier en l’espèce, la conclusion de la Commission est raisonnable. Le simple fait que le défendeur ait quitté le Sri Lanka en se servant de son propre passeport n’était pas déterminant à l’égard du fait de savoir s’il s’expose à un risque de persécution à son retour au pays. La Commission a accepté la preuve du défendeur selon laquelle un agent l’avait aidé à fuir le pays, et qu’il s’était servi d’une fausse pièce d’identité corroborante. Au vu de ces faits, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que le défendeur s’exposerait à des risques à son retour, même s’il était parvenu à quitter le Sri Lanka sans être détenu.

 

[14]           La Commission a également conclu que le défendeur intéressait toujours les autorités, parce que ses parents avaient été récemment interrogés sur ses déplacements et que les Tamouls qui retournent au Sri Lanka (notamment faisant l’objet d’un rapport d’arrestation) s’exposent à des risques. Il était raisonnablement loisible à la Commission de faire ces constats au vu du dossier, et, de ce fait, sa conclusion appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

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[15]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Je conviens avec les avocats des parties qu’il n’y a pas ici matière à certification.


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 6 septembre 2011 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6563-11

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c Suresh Chandrabose FERNANDO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 10 MAI 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 12 JUIN 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Edward Burnet                                   POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne Waldman                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan                                               POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

Lorne Waldman                                             POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

 

 

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