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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120612


Dossier : IMM-6326-11

Référence : 2012 CF 730

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

FLORENDO CESAR TAN GATUE
VILMA TAN GATUE

CZARINA JOY TAN GATUE

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision datée du 25 août 2011 par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs étaient interdits de territoire au Canada au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

 

Le contexte factuel

[2]               Les demandeurs, M. Florendo Cesar Gatue (le père), Mme Vilma Tan Gatue (la mère) et Mme Czarina Joy Tan Gatue (la fille), sont tous citoyens des Philippines.

 

[3]               Les demandeurs ont été parrainés en vue d’obtenir le statut de résident permanent au Canada par leur fille et leur sœur (respectivement), Mme Christine De Lima. Les demandeurs ont signé leur demande de résidence permanente le 4 avril 2008 ou le 16 juin 2008.

 

[4]               La fille a donné naissance à son premier enfant le 16 octobre 2008.

 

[5]               Le 19 janvier 2010, la fille a signé, à l’appui de sa demande de résidence permanente, une déclaration exigeant qu’elle informe sur-le-champ le bureau des visas canadien de tout changement par rapport aux informations ou aux réponses indiquées dans sa demande.

 

[6]               Le 29 août 2010, le bureau des visas canadien situé à Manille (Philippines) a délivré des visas au père et à la mère.

 

[7]               La fille a par la suite donné naissance à son second enfant le 24 septembre 2010. Elle a obtenu son visa le 8 octobre 2010.

 

[8]               Les demandeurs sont arrivés à Vancouver le 14 janvier 2011, munis de leurs confirmations de résidence permanente et de leurs visas de résident permanent. Un rapport circonstancié a été établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi et daté du même jour que leur arrivée; selon ce document, les demandeurs avaient, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait en omettant de déclarer des personnes à charge qui n’étaient pas incluses dans la demande de résidence permanente. Le rapport concluait donc que la présentation erronée des demandeurs avait fermé une voie d’enquête.

 

[9]               Le 26 février 2011, une demande d’enquête a été déposée en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi pour que l’on détermine si les demandeurs étaient des personnes décrites à l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

 

[10]           La Commission a procédé à l’enquête relative aux demandeurs le 16 mai 2011.

 

La décision faisait l’objet du présent contrôle

[11]           La Commission a conclu que les demandeurs étaient des personnes décrites à l’alinéa 40(1)a) de la Loi parce que, en omettant de déclarer l’existence des deux enfants d’âge mineur de la fille dans leur demande de résidence permanente, ils avaient fait une présentation erronée sur des faits importants quant à un objet pertinent.

 

[12]           La Commission a conclu qu’il ressortait du témoignage du père que celui-ci n’avait jamais personnellement déclaré la naissance de ses petits-enfants. Le père prétendait qu’il ignorait qu’il avait à le faire. La Commission a également fait remarquer que la mère avait déclaré que la fille, au moment de subir l’examen médical aux Philippines en 2008, avait rempli un formulaire indiquant qu’elle avait donné naissance à un enfant. La Commission a aussi signalé que la fille avait reconnu ne pas avoir déclaré l’existence de ses enfants dans sa demande de résidence permanente car cette dernière avait été présentée avant son accouchement. La fille soutenait avoir avisé le bureau des visas qu’elle avait un enfant au moment de remplir les formulaires médicaux requis en 2008, mais la Commission a souligné que la fille avait reconnu n’avoir jamais rien fait pour déclarer l’existence de son second enfant aux autorités de l’Immigration avant son arrivée au Canada.

 

[13]           Tout en signalant qu’elle avait conclu que les demandeurs étaient généralement dignes de foi, la Commission a fait remarquer que ces derniers n’avaient produit aucune preuve documentaire en vue d’établir l’existence et le contenu du formulaire que la fille avait rempli en 2008. Elle a ajouté qu’ils avaient déclaré dans leur témoignage qu’il leur était impossible d’obtenir le formulaire manquant. Ils ont allégué qu’ils avaient informé le médecin chargé d’effectuer l’examen médical de la naissance du premier enfant de la fille, mais la Commission s’est dite non convaincue qu’il s’agissait là de la déclaration de cette information à des agents de l’immigration. Cependant, elle a fait remarquer que même si elle avait admis que la fille avait déclaré l’existence de son premier enfant, il était incontesté que cette dernière avait omis de déclarer l’existence de son second enfant avant de recevoir son visa de résidente permanente et d’arriver au Canada. La fille a expliqué qu’elle ignorait qu’elle devait déclarer cette information, mais la Commission a affirmé que cette exigence était clairement énoncée dans la demande.

 

[14]           La Commission a fait remarquer aussi que, selon le rapport médical de CIC qui figurait dans le dossier, la fille avait eu un [traduction] « accouchement par voie vaginale en 2008 » (dossier du Tribunal, page 69), mais elle a toutefois conclu que cela n’était pas suffisant pour établir que la fille avait un enfant à sa charge. Elle a déclaré que l’enfant en question aurait pu mourir ou être adopté et que ce document ne constituait donc pas, pour le premier enfant, une déclaration suffisante.

 

[15]           La Commission a déclaré : « En manquant de franchise avec les autorités de l’immigration à propos de la naissance de ses enfants, elle a fermé une voie d’enquête qui aurait pu ou non avoir une incidence sur sa demande [...] » « [...] [C]ette non-divulgation portait sur un fait important parce qu’elle est liée à l’analyse de la définition de  famille”  qui doit être faite au titre du regroupement familial. » (Motifs de la Commission, paragraphe 23.) Elle a fait remarquer qu’on n’avait pas demandé explicitement à la mère et au père de déclarer l’existence de petits‑enfants, mais elle a ajouté qu’ils tombaient sous le coup de l’interdiction de territoire parce qu’ils étaient soumis à la même obligation de franchise en ce qui concerne la divulgation des changements survenus relativement aux personnes incluses dans la demande. Elle a donc conclu qu’ils étaient « devenus complices de la fausse déclaration qui a eu lieu » (motifs de la Commission, paragraphe 24).

 

La question en litige

[16]           La question en litige dans la présente affaire est la suivante :

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs étaient frappés d’exclusion du Canada pour avoir fait une présentation erronée et violé ainsi l’article 40 de la Loi?

 

La disposition législative applicable

[17]           La disposition suivante de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’applique à la présente instance :

 

Fausses déclarations

 

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

 

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile;

 

 

 

d) la perte de la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

Misrepresentation

 

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

 

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

 

 

(c) on a final determination to vacate a decision to allow the claim for refugee protection by the permanent resident or the foreign national; or

 

(d) on ceasing to be a citizen under paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of that Act.

 

La norme de contrôle applicable

[18]           Selon la jurisprudence applicable, l’évaluation d’une décision relative à une présentation erronée au sens de l’article 40 de la Loi comporte des questions mixtes de fait et de droit, lesquelles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Berlin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1117, au paragraphe 10, [2011] ACF no 1372 [Berlin]; Ghasemzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 716, au paragraphe 18, 372 FTR 247). La Cour souscrit à la position du défendeur, à savoir que les conclusions que tire la Commission relativement à la crédibilité sont elles aussi susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 4 et 59, [2009] 1 RCS 339).

 

Analyse

[19]           En l’espèce, les demandeurs contestent les conclusions que la Commission a tirées à propos de leur crédibilité de même que la façon dont elle a traité les éléments de preuve, et plus précisément un rapport médical de CIC. De plus, allèguent-ils, rien n’établit qu’ils ont fait délibérément une présentation erronée. Ils soutiennent que la Commission n’a pas procédé à une analyse de la mens rea.

 

[20]           Ayant examiné la décision de la Commission, la preuve documentaire et le témoignage des demandeurs, la Cour ne peut souscrire à leurs arguments. Elle conclut plutôt à la raisonnabilité des conclusions que la Commission a tirées, eu égard aux faits de l’espèce ainsi qu’aux principes de la jurisprudence applicable. Il était raisonnable pour la Commission de conclure que les présentations erronées que les demandeurs ont faites en l’espèce ne pouvaient pas être considérées comme ayant été faites en toute innocence ou par inadvertance.

 

[21]           Pour ce qui est du premier enfant né en 2008, les demandeurs ont fait valoir que la Commission s’est trompée dans son analyse du rapport médical de CIC. Selon eux, ce rapport révèle bel et bien que la fille a donné naissance à un enfant en 2008. Ce rapport, soutiennent-ils, montre clairement que le bureau des visas l’a reçu le 11 février 2010 et que, de ce fait, l’agent devait sûrement savoir que la fille avait accouché avant que l’on délivre les visas de résident permanent aux demandeurs. Ces derniers font valoir, sur ce fondement, que [traduction] « il leur était loisible de faire enquête : il leur était loisible de demander si l’enfant était toujours vivant et s’il était toujours avec elle ». Cependant, et en dépit des arguments des demandeurs, la Cour rappelle qu’il incombait à la fille d’informer le ministre du fait qu’elle avait deux enfants, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce.

 

[22]           Les demandeurs soutiennent également que la fille a révélé l’existence de ses deux enfants en en informant l’agent en poste au point d’entrée à l’aéroport de Vancouver. Ils soutiennent donc que les deux déclarations ont été faites lors du traitement de la demande de résidence permanente, et non après.

 

[23]           Bien qu’elle évalue la situation sans se prononcer et qu’elle soit disposée à admettre que la question de savoir si la fille a déclaré la naissance de son premier enfant lors de son examen médical au vu du rapport médical (dossier du Tribunal, pages 68 et 69) peut susciter une certaine ambiguïté, la Cour conclut qu’il est incontesté que la fille n’a jamais déclaré la naissance de son second enfant (24 septembre 2010) avant son arrivée au Canada, à Vancouver plus précisément (14 janvier 2011). La Cour rejette également l’argument des demandeurs selon lequel la fille n’avait pas besoin de déclarer le second enfant et que la déclaration de ce dernier au point d’entrée (PDE) était suffisante en soi. La Cour ne peut souscrire au raisonnement et à la logique des demandeurs, à savoir qu’il est toujours possible de faire une déclaration au PDE. Au contraire, ils étaient tenus de faire part de cette information comme le prévoyait l’engagement auquel ils avaient souscrit dans leur formulaire de demande, et le système d’immigration se fondait sur leur « obligation de franchise ». On ne peut pas s’attendre à ce que l’agent devine et étudie la situation des demandeurs en fonction des renseignements qui figurent dans un rapport médical (dossier du Tribunal, page 69), comme le soutiennent les demandeurs. Il incombait à ces derniers de révéler les faits importants et pertinents, et l’existence de deux enfants se range sans aucun doute dans cette catégorie. Il n’y a rien dans le dossier qui permettrait à la Cour de conclure que l’omission de déclarer cette information a été faite en toute innocence ou par inadvertance.

 

[24]           Les commentaires que fait la Commission au paragraphe 21 de sa décision sont pertinents à cet égard :

Dans la même déclaration, il est mentionné ce qui suit : « La présente déclaration concerne les renseignements que j’ai fournis sur ce formulaire de même que tous les renseignements fournis dans ma demande de résidence permanente ainsi que dans les annexes et les pièces justificatives ci-jointes. » Il y est également indiqué ceci : « J’informerai aussitôt le bureau canadien des visas où j’ai présenté ma demande de tout changement éventuel aux renseignements ou aux réponses fournies dans les formulaires de demande que j’ai remplis. » Ainsi, en signant cette demande, Mlle Tan Gatue a déclaré qu’elle reconnaissait que tous les renseignements fournis aux autorités de l’immigration faisaient partie de la demande d’immigration, y compris le formulaire Renseignements additionnels sur la famille qu’elle avait rempli en juin 2008, dont la Section B porte expressément sur les enfants et qui faisait partie de son dossier d’immigration. En signant la déclaration, elle a également reconnu que la responsabilité lui incombait d’informer immédiatement les autorités de l’immigration de tout changement dans les réponses qu’elle avait fournies.

[Non souligné dans l’original.]

[Notes de bas de page omises.]

 

[25]           Cela étant, la Cour est d’avis que le fait que la fille ait déclaré l’existence de ses deux enfants à son arrivée à Vancouver n’équivaut pas à une divulgation appropriée (Haque c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 315, [2011] ACF no 394 [Haque]; Cabrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 709, [2010] ACF no 864 [Cabrera]; Uppal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 445, [2009] ACF no 557 [Uppal]; Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, [2008] ACF no 648 [Khan]). Dans les circonstances, la Cour est d’avis qu’il était raisonnable que la Commission conclue que la fille n’avait pas été franche avec les agents d’immigration.

 

[26]           La Cour signale qu’il s’est présenté une situation semblable dans l’affaire Mai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 101, [2011] ACF no 127, que la Commission a citée dans ses motifs et où le demandeur en question n’avait pas déclaré son mariage ou la naissance de son enfant aux autorités de l’Immigration lors du traitement de sa demande ou après son arrivée au Canada. Le demandeur avait fait valoir que ses présentations erronées n’étaient pas délibérées ou intentionnelles et qu’il croyait honnêtement qu’il n’était pas tenu de déclarer les changements en question. Cependant, la Commission avait rejeté les arguments du demandeur et conclu que ce dernier avait fait une présentation erronée au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Le juge Martineau a conclu au caractère raisonnable de la décision de la Commission.

 

[27]           Par ailleurs, dans l’affaire Haque, précitée, le demandeur principal a été jugé interdit de territoire au Canada au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi pour avoir omis et déclaré faussement dans sa demande de résidence permanente certains faits concernant ses études antérieures, sa résidence et ses antécédents professionnels. Même si les demandeurs soutenaient que les présentations erronées n’étaient pas délibérées, le juge Mosley a rejeté la demande de contrôle judiciaire et a fait les commentaires suivants, qui s’appliquent mutatis mutandis en l’espèce :

[13] Le défendeur affirme à bon droit qu’il ressort des articles 40 et 16 de la LIPR, considérés ensemble, que les étrangers qui veulent entrer au Canada assument une « obligation de franchise » exigeant qu’ils déclarent les faits importants : Bodine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, 331 F.T.R. 200, par. 41‑42; Baro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, par. 15. En fait, la prémisse du système d’immigration canadien est la fourniture de renseignements véridiques et complets par ceux qui présentent des demandes sous le régime de la Loi : Cao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 450, 367 F.T.R. 153, par. 28. L’omission de M. Haque de faire état de son année d’étude aux États‑Unis et les contradictions dans ses adresses résidentielles et ses antécédents professionnels se rapportent à des faits importants et pertinents nécessaires à une bonne évaluation de l’admissibilité.

[14] L’article 3 de la LIPR énumère des objectifs en matière d’immigration qu’il ne faut pas perdre de vue dans l’application de la Loi. Ces objectifs comprennent l’enrichissement et le développement du Canada socialement, économiquement et culturellement tout en assurant la protection et la sécurité des Canadiens. Les décisions en matière d’admissibilité, dont dépend la protection efficace des frontières canadiennes, reposent nécessairement, pour une bonne part, sur la capacité des agents d’immigration de vérifier les renseignements donnés par les demandeurs. Les omissions ou les fausses déclarations risquent d’engendrer des erreurs dans l’application de la Loi.

 

 

[28]           Par ailleurs, la Cour souscrit aux commentaires du défendeur au sujet de l’affaire Maruquin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1349, [2007] ACF no 1739, en ce sens que cette dernière  comportait des « circonstances particulières » dans lesquelles le changement (la naissance d’un fils) avait été déclaré avant la délivrance des visas de résident permanent. Cela étant, cette affaire ne s’applique pas en l’espèce.

 

[29]           Les demandeurs ont également fait valoir que le tribunal a commis une erreur de droit en omettant de présenter dans sa décision une analyse de la mens rea.

 

[30]           La question de la mens rea a été mentionnée dans la décision Osisanwo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1126, [2011] ACF no 1386, à laquelle les demandeurs ont fait référence. Il était question dans cette affaire d’une demande de contrôle judiciaire relative au rejet, par un agent d’immigration, d’une demande de résidence permanente au motif que la demanderesse avait fait une présentation erronée sur un fait important en ce qui concerne la paternité de son fils. Cependant, dans Osisanwo, la demanderesse n’était pas au courant que son époux n’était pas le père biologique de son fils, un fait qui n’avait été mis au jour qu’après des tests génétiques. Le juge Hugues a déclaré ce qui suit au sujet de l’élément de mens rea :

[8] La question essentielle est la suivante : faut-il adopter une approche « objective » ou « subjective » pour juger si la déclaration était ou non « trompeuse »? Autrement dit, la mens rea est-elle un élément constitutif essentiel?

[9] L’examen de quelques précédents est utile ici. Dans l’arrêt Hilario c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) (1977), 18 N.R. 529 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale examinait un cas où des renseignements n’avaient pas été divulgués. S’exprimant pour la Cour, le juge Heald écrivait ce qui suit, à la fin du premier paragraphe, à la page 530 :

Taire des renseignements véridiques, appropriés et pertinents peut « tromper » tout aussi bien que fournir positivement des renseignements incorrects.

[10] Ce passage de l’arrêt Hilario comporte l’idée de « taire » et de « fournir », ce qui signifie que la mens rea est requise. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[31]           En fin de compte, le juge Hughes a statué que les fausses déclarations en question avaient été faites tout à fait par inadvertance et qu’il n’y avait aucun motif raisonnable pour conclure à l’existence d’une intention délibérée d’induire en erreur. La Cour conclut toutefois que l’affaire Osisanwo, précitée, est complètement différente de la présente espèce, car la fille, la mère et le père étaient tous trois au courant du fait important qui constitue la présentation erronée (les naissances des enfants) et ils n’ont pas fait état de cette information.

 

[32]           Conformément à la jurisprudence susmentionnée, la Cour conclut que la décision de la Commission est raisonnable, car les présentations erronées que les demandeurs ont faites ne peuvent pas être considérées comme des erreurs ou des méprises honnêtes ou raisonnables (voir Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1990] 2 CF 345, [1990] ACF no 318; Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, [2007] ACF no 1667; Berlin, précitée).

 

[33]           La Cour conclut plutôt que, au vu des éléments de preuve présents dans le dossier, les demandeurs n’ont pas été francs dans leurs rapports avec les autorités de l’Immigration et ne se sont donc pas acquittés de leur « obligation de franchise ». Elle conclut de ce fait que la décision de la Commission est raisonnable, et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Les questions proposées en vue d’une certification

[34]           Les demandeurs ont proposé les questions suivantes à certifier :

[traduction] 

1.      Un étranger est-il interdit de territoire pour avoir fait preuve de réticence à l’égard d’un fait important au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR s’il a déclaré à un bureau des visas un fait important qui ouvre la voie à une enquête de la part de ce bureau?

 

2.      Un étranger est-il interdit de territoire pour avoir fait preuve de réticence à l’égard d’un fait important avant la délivrance d’un visa mais avoir déclaré ce fait avant la fin du traitement de sa demande de résidence permanente?

 

3.      Incombe-t-il à un décideur qui conclut à une présentation erronée au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR de procéder d’abord à une analyse de la mens rea?

 

4.      Une fois qu’un étranger déclare un fait important à un bureau des visas, incombe-t-il à ce bureau de faire enquête?

 

[35]           La Cour d’appel fédérale a précisé quels sont les critères applicables pour certifier une question de portée générale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage (CAF), [1994] ACF no 1637, 176 NR 4. Les questions proposées doivent transcender les intérêts des parties au litige, aborder des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale, et être déterminantes quant à l’issue de l’appel. De l’avis de la Cour, les questions que les demandeurs ont formulées ne répondent pas à ces critères.

 

[36]           Pour ce qui est de la première question, la Cour convient avec le défendeur qu’elle n’est pas de grande importance ou de portée générale car elle reformule essentiellement la question qui a été soumise à la Cour pour être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres. Plus précisément, lorsqu’une présentation erronée empêche un agent de prendre une décision convenable au sujet de la demande d’entrée au Canada d’une personne, cela équivaut à une présentation erronée sur un fait important (Bodine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, [2008] ACF no 1069).

 

[37]           Pour ce qui est de la deuxième question, la Cour a décidé qu’une présentation erronée sur des faits importants n’est pas effacée par le fait qu’elle est rectifiée avant que l’on rende la décision (Haque, précitée, au paragraphe 17; Cabrera, précitée, au paragraphe 40; Uppal, précitée, aux paragraphes 30 et 31; Khan, précitée, au paragraphe 25). De plus, en l’espèce, la Cour a conclu qu’aucune tentative n’a été faite pour aviser le bureau des visas de la naissance des enfants (et manifestement de la naissance du second) avant que l’on décide de délivrer le visa des demandeurs.

 

[38]           La troisième question n’est pas pertinente pour trancher l’affaire. En fait — et la Cour est d’accord avec le défendeur — la Commission a demandé aux demandeurs d’expliquer pourquoi l’existence des enfants n’avait pas été déclarée au bureau des visas canadien; elle a analysé l’explication et elle a conclu raisonnablement qu’il ne s’agissait pas d’une présentation erronée faite en toute innocence.

 

[39]           Enfin, il est bien établi en droit que les demandeurs ont une obligation de franchise relativement à la divulgation de tous les faits importants, aussi bien avant qu’après la délivrance d’un visa (Ghasemzadeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 716, [2010] ACF no 875, et, en l’espèce, la Cour a conclu que le second enfant n’a manifestement pas été déclaré.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6326-11

 

INTITULÉ :                                      FLORENDO CESAR TAN GATUE ET AL

                                                            c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 29 MARS 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 12 JUIN 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeremiah Eastman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet Jeremiah Eastman

Brampton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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