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Date : 20120501

Dossier: IMM-6898-11

Référence : 2012 CF 501

Ottawa (Ontario), le 1 mai 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

HAKIMI SOHRABI, BEHROUZ, BOUZARPOUR TABAN,

AND HAKIMI SOHRABI, PARISA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

THE MINISTER OF CITIZENSHIP

AND IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision, rendue le 26 juillet 2011, par un agent des visas de l’Ambassade du Canada à Damas en Syrie par laquelle la demande de résidence permanente des demandeurs fut rejetée au motif que ces derniers sont interdits de territoire au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

II. Faits

[2]               Le 26 juillet 2007, le demandeur principal, monsieur Behrouz Hakimi Sohrabi, a soumis une demande de résidence permanente dans la catégorie des investisseurs incluant sa femme, madame Taban Bouzarpour, et ses deux enfants.

 

[3]               Une lettre du 25 janvier 2011 enjoignait au demandeur de soumettre des documents prouvant que sa fille, Parisa, incluse dans la demande de résidence permanente, poursuit des études à temps plein.

 

[4]               Le 16 février 2011, le demandeur principal a transmis ces documents qui furent examinés par l’agent des visas le 21 février 2011.

 

[5]               Par lettre datée du 12 avril 2011, l’agent des visas fait part au demandeur principal de ses doutes concernant l’authenticité des documents soumis, plus particulièrement, le relevé, intitulé, « Art & Culture Applied Science Higher Education Centre », de sa fille, Parisa. Un délai de trente jours fut alloué au demandeur principal pour présenter de nouvelles informations à défaut de quoi il serait interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations.

 

[6]               Dans une lettre, datée du 25 avril 2011, le demandeur principal explique qu’il n’avait pas connaissance que les documents soumis par sa fille étaient frauduleux. Celle-ci lui aurait avoué, tardivement, qu’elle ne fréquentait plus d’établissement scolaire à temps plein. Cette situation aurait également été confirmée par l’établissement. Il n’aurait, ainsi, eu connaissance de la situation que suite à la lettre du 12 avril 2011.

[7]               Une lettre, datée du 26 juillet 2011, fut envoyée au demandeur principal par laquelle il fut avisé qu’il était interdit de territoire pour avoir fait de fausses déclarations.

 

III. Décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire

[8]               L’agent des visas conclut à l’interdiction de territoire du demandeur principal, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, en raison des documents d’éducation frauduleux soumis par sa fille, Parisa. L’agent des visas conclut que ces documents auraient permis que soit délivré à sa fille un visa de résident permanent à titre d’enfant à charge, âgée de plus de 22 ans.

 

IV. Point en litige

[9]               Est-ce que la décision de l’agent des visas est raisonnable?

 

V. Dispositions législatives pertinentes

[10]           Les dispositions législatives suivantes s’appliquent au présent cas :

Fausses déclarations

 

40.      (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

 

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile;

 

 

 

d) la perte de la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

 

Application

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1):

 

a) l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

 

 

 

 

 

 

 

b) l’alinéa (1)b) ne s’applique que si le ministre est convaincu que les faits en cause justifient l’interdiction.

 

Manquement à la loi

 

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

 

 

 

 

 

Inadmissibilité familiale

 

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

 

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

Misrepresentation

 

40.      (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

 

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

 

(c) on a final determination to vacate a decision to allow the claim for refugee protection by the permanent resident or the foreign national; or

 

(d) on ceasing to be a citizen under paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of that Act.

 

Application

 

(2) The following provisions govern subsection (1):

 

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of two years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

 

(b) paragraph (1)(b) does not apply unless the Minister is satisfied that the facts of the case justify the inadmissibility.

 

Non-compliance with Act

 

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

 

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

 

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

 

Inadmissible family member

 

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

 

 

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

 

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

 

VI. Position des parties

[11]           Le demandeur principal fait valoir qu’il n’a pas effectué de fausses déclarations étant donné qu’il ignorait que sa fille avait soumis des documents frauduleux. Il n’avait donc pas l’intention d’induire en erreur l’agent des visas. Il soumet que la question de savoir si l’intention est requise pour conclure à une déclaration fausse sera prochainement tranchée par la Cour d’appel fédérale suite à la certification de la question dans l’affaire Osisanwo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 1126. Le demandeur principal, référant à la jurisprudence, prétend que l’alinéa 40(1)a) de la LIPR exige la preuve d’une intention. De plus, le demandeur principal soutient que l’interdiction de territoire de sa fille ne le rend pas inadmissible puisque celle-ci, âgée de plus de 22 ans, n’est pas étudiante à temps plein, ce qui la rend, ainsi, indépendante de ses parents.

 

[12]           La partie défenderesse fait valoir, à l’aide de la jurisprudence et du Guide ENF 2, intitulé, Évaluation de l'interdiction de territoire [Guide], une interprétation de la loi conforme à son objet. Cet objet est de fournir des renseignements véridiques sur la base desquels une décision sera prise. Elle fait valoir que la norme de preuve applicable en la matière est celle de la prépondérance des probabilités, norme civile différente de celle qui prévaut en droit criminel. Il n’était pas dans l’intention du législateur d’importer la notion d’intention dans l’article de loi. Elle explique que deux conditions établies par la jurisprudence sont requises pour conclure à l’interdiction de territoire : l’individu doit avoir fait de fausses déclarations sur un fait important et celles-ci auraient entraîné une erreur.

 

[13]           Par le fait même, elle prétend que la décision de l’agent des visas est bien fondée et est raisonnable puisqu’une fausse déclaration peut être involontaire. Selon le Guide, l’erreur d’un membre de la famille inclus dans la demande emporte interdiction de territoire pour l’ensemble de la famille. 

 

VII. Analyse

[14]           Les décisions des agents de visas relatives aux fausses déclarations relèvent de l’appréciation des faits et commandent donc un certain degré de déférence (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708).

 

[15]           Cette Cour se doit de distinguer le présent cas de l’affaire Osisanwo, ci-dessus, dont les circonstances particulières ont conduit à la certification d’une question. Le juge Roger Hughes, dans cette affaire, avait conclu que la demanderesse n’avait aucune intention délibérée d’induire en erreur puisqu’elle ignorait que son conjoint, le codemandeur, n’était pas le père de l’enfant inclus dans la demande. En effet, un acte de naissance établissait la filiation et l’enfant avait été élevé par les demandeurs. Les demandeurs ne pouvaient se douter que l’enfant était, en fait, issu d’une relation extraconjugale.

 

[16]           Chaque cas, en étant un d’espèce, cette Cour ne peut se ranger à l’avis du demandeur principal selon lequel cette affaire démontre que la preuve d’une intention est, en tout temps, requise pour conclure à l’interdiction de territoire pour cause de fausses déclarations.  

 

[17]           Un certain courant de jurisprudence indique que l’intention n’est pas requise pour conclure à de fausses déclarations notamment lorsque cette déclaration est le fait d’une autre partie à la demande. Ainsi, dans l’affaire Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 433, la Cour a formulé la remarque suivante :

[22]      Cet alinéa vise les fausses déclarations susceptibles d’être frauduleuses ou faites par négligence ou innocemment (Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 378, 89 Imm LR (3d) 36, aux paragraphes 16 et 18). À ce titre, le fait que Mme Bashir affirme ne pas avoir été au courant que les documents étaient faux ne révèle aucune erreur susceptible de contrôle commise par l’agent.

 

(Également, Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 452; L.B.J. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 942).

 

[18]           De plus, le Guide, servant de référence aux agents des visas, énonce les principes suivants en matière de fausses déclarations :

9.3 Principes

Dans l’application des dispositions de la Loi relatives aux fausses déclarations, l’agent doit se guider sur les principes qui suivent :

 

•           Équité procédurale : il faut toujours donner à la personne concernée l’occasion de répondre aux allégations concernant une possible fausse déclaration. Dans un bureau des visas, une fois que le demandeur a eu la possibilité de répondre aux allégations, l’agent désigné prend la décision finale concernant la fausse déclaration et émet ou refuse un visa d’entrée au Canada. À un point d’entrée ou au Canada, le délégué du ministre détermine s’il y a lieu de renvoyer le dossier à la CISR pour enquête.

 

•           Il faut savoir que des malentendus et des erreurs de bonne foi peuvent survenir quand une personne complète un formulaire de demande et répond aux questions. Même s’il est bien souvent possible de prétendre, techniquement, qu’il y a eu fausse déclaration, il faut évaluer la situation de façon raisonnable et équitable.

 

•           Les faits importants ne se limitent pas aux faits qui mènent directement à des motifs d’interdiction de territoire. Il existe différents degrés d’importance. Il faut agir équitablement dans l’évaluation de chaque situation. [La Cour souligne].

 

[19]           Ainsi, l’application de la LIPR n’est pas aveugle. Le Guide semble laisser une certaine marge de manœuvre aux agents des visas pour décider de l’interdiction de territoire sur la base de fausses déclarations. Le Guide adresse également le concept de déclaration indirecte qui s’applique lorsque la déclaration fausse n’émane pas du demandeur principal :

Il y a fausse déclaration indirecte lorsqu’un tiers fait une fausse déclaration ou retient de l’information.

 

Cas de fausses déclarations indirectes :

 

Exemple : Le demandeur ne fait pas lui-même une fausse déclaration, mais une tierce personne le fait. Par exemple, un consultant ou un agent d’un entrepreneur présente un rapport de suivi au nom de l’entrepreneur et donne de faux renseignements sur l’établissement de l’entreprise.

 

Exemple : Une fausse déclaration n’est pas nécessairement volontaire ou intentionnelle; elle peut être involontaire. Il n’est pas nécessaire que le demandeur sache qu’il y a eu fausse déclaration pour être déclaré interdit de territoire pour un des motifs visés à l’article L40. Par exemple, un demandeur demande à un proche d’obtenir de l’information pour appuyer sa demande. L’information fournie par le représentant du demandeur est fausse et ce dernier affirme qu’il n’était pas au courant de la fausseté de l’information. Le demandeur a la responsabilité de s’assurer que la demande est exacte et que les documents à l’appui sont authentiques. Le demandeur pourrait donc être interdit de territoire pour avoir présenté de faux documents, même s’il n’est pas celui qui a fabriqué la preuve. [...]

 

[20]           En l’espèce, le demandeur principal a admis que sa fille avait falsifié les documents d’éducation, et cela, à son insu, afin de laisser croire qu’elle poursuivait toujours des études à temps plein (Dossier du Demandeur à la p 35). Les parties ne remettent pas en question qu’il s’agit là d’une déclaration portant sur un fait important puisque cette fausse déclaration aurait permis de considérer la fille du demandeur comme enfant à charge poursuivant des études à temps plein.

 

[21]           À la lumière des informations contenues au Guide, il faut conclure, ici, à une fausse déclaration indirecte puisque celle-ci n’émane pas du demandeur principal, mais de sa fille, partie à la demande de résidence permanente. Bien que cette dernière conclusion suffise à conclure à l’interdiction de territoire de toute la famille, il importe de noter que l’agent des visas a également questionné la crédibilité du demandeur comme le révèlent ses notes consignées au système informatique STDI :

He indicates that he was unaware that his daughter was not attending the program that she was enrolled in and unaware that the education documents were fraudulent. I don’t find this explanation to be very credible, and in any case, the PA is responsible for all information on the file.

 

(Dossier du Tribunal à la p 177).

 

[22]           Dans ces circonstances, constatant la fausse déclaration et au regard des principes du Guide, l’agent des visas a raisonnablement conclu à l’interdiction de territoire de la famille au Canada. La décision de l’agent des visas se justifie au regard des faits et du droit et cette Cour ne peut intervenir.

 

VIII. Conclusion

[23]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONE que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs soit rejetée. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6898-11

 

INTITULÉ :                                       HAKIMI SOHRABI, BEHROUZ, BOUZARPOUR TABAN, AND HAKIMI SOHRABI, PARISA c THE MINISTER OF CITIZENSHIP AND IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 24 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 1 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Lisa Maziade

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers, avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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