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Date : 20120607

Dossier : IMM‑7021‑11

Référence : 2012 CF 714

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

IRIT FURMAN‑YOUNIS

(ALIAS IRIT FURMAN YOUNIS)

EDEN YOUNIS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, Irit Furman‑Younis (la demanderesse principale) et son fils mineur, Eden Younis, sont des citoyens d’Israël. Ils demandent l’annulation de la décision défavorable rendue le 15 septembre 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Celle‑ci a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               Les demandeurs ont présenté une demande d’asile au Canada, invoquant qu’Eden avait fait l’objet d’intimidation raciale à l’école qu’il fréquentait en Israël. Bien que sa mère soit une Juive israélienne, son père est un musulman soudanais. Compte tenu de ses origines raciales métissées, il a été élevé comme un musulman et un juif.

 

[4]               Les demandeurs prétendent qu’Eden était sans cesse harcelé et persécuté à l’école. En février 2007, victime d’une agression à l’école, il a été conduit à l’hôpital. Sa mère a tenté de régler la situation avec les responsables de l’école, y compris au moyen d’une lettre de plainte adressée au ministre de l’Éducation. En outre, elle a sollicité l’aide d’un journal local.

 

II.        La décision faisant l’objet du contrôle

 

[5]               La Commission a conclu que les demandeurs n’ont pas « fourni d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi permettant d’établir qu’ils craignent avec raison d’être persécutés ou de subir des préjudices graves à leur retour en Israël ». Plus particulièrement, la lettre rédigée par un médecin après l’incident de février 2007 n’étayait pas les allégations des demandeurs selon lesquelles Eden a été persécuté ou soumis à des traitements cruels et inusités du fait de sa race, de sa religion ou de la couleur de sa peau, comme le prétendait sa mère. La Commission a considéré que cette dernière avait exagéré les faits afin d’enjoliver sa demande. De la même façon, faisant référence aux articles de journaux et aux conséquences défavorables qui en ont découlé, la Commission a conclu :

[…] je conclus que la demandeure d’asile adulte n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi indiquant que la race, la religion ou la couleur de la peau du demandeur d’asile mineur a joué un rôle dans les incidents – menaces par téléphone, dommages causés à sa voiture ou préavis de cessation d’emploi remis par son employeur – qui lui sont arrivés après la publication des deux articles, les 19 et 26 juin 2009.

 

[6]               Subsidiairement, la Commission a blâmé les demandeurs de ne pas avoir réfuté la présomption de la protection de l’État en Israël. En dépit des plaintes faites auprès des établissements d’enseignement quant au traitement réservé à son fils, la demanderesse principale ne s’est pas adressée à la police avant le 20 juin 2009. C’était 20 jours avant leur départ d’Israël. De plus, les éléments de preuve ayant trait à l’inaction de la police étaient insuffisants.

 

III.       Les questions en litige

 

[7]               Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes :

 

a)         Les conclusions défavorables tirées par la Commission quant à la crédibilité étaient‑elles raisonnables?

 

b)         La conclusion de la Commission que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État était‑elle raisonnable?

 

c)         La Commission a‑t‑elle appliqué la bonne norme juridique en ce qui concerne le fardeau de la preuve imposé par les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[8]               Les questions de crédibilité doivent faire l’objet de la déférence que commande la norme de la raisonnabilité (Aguirre c Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2008 CF 571, [2008] ACF no 732, aux paragraphes 13 et 14). Cette norme s’applique également à l’examen de la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État (Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, [2008] ACF no 771, aux paragraphes 11 à 13).

 

[9]               Selon cette norme, la Cour n’interviendra que s’il y a absence de justification, de transparence et d’intelligibilité ou que si la décision est inacceptable au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[10]           En revanche, la question du critère juridique applicable fait appel à la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434, au paragraphe 44).

 

V.        Analyse

 

A.        Conclusions relatives à la crédibilité

 

[11]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a traité de façon déraisonnable la preuve médicale relative à l’incident de février 2007. La conclusion générale défavorable de la Commission sur la crédibilité reposait essentiellement sur le fait que le rapport ne corroborait pas les allégations des demandeurs parce qu’il indiquait tout simplement qu’Eden « a été blessé à l’école ». Ils ont également soutenu que la Commission a mal interprété la preuve pour ce qui est du fait qu’Eden ne se rappelait plus ce qui s’était produit au moment où sa mère est arrivée à l’hôpital.

 

[12]           Avec égards, je ne peux souscrire au point de vue des demandeurs. Bien que les conclusions de la Commission concernant la preuve médicale ne soient pas les seules qui pouvaient être tirées, il ne s’ensuit pas qu’elles sont déraisonnables. La Commission est justifiée de s’intéresser à la question de savoir si la preuve se rapporte à la prétention en cause, à savoir qu’Eden a été maltraité à l’école du fait de sa race, de sa religion ou de la couleur de sa peau d’une manière qui pourrait équivaloir à de la persécution ou l’exposer à un risque de préjudice.

 

[13]           La décision Ukleina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 1292, [2009] ACF no 1651 invoquée par les demandeurs est de peu d’utilité. Dans cette affaire, le juge Sean Harrington a rejeté la conclusion de la Commission, à savoir que le rapport était un faux parce qu’il ne mentionnait pas la cause des blessures. Comme l’affirme le défendeur, en l’espèce, la Commission a accepté le rapport tel qu’il a été présenté. Rien ne laissait entendre qu’il s’agissait d’un faux. Au contraire, la Commission a critiqué le rapport et a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité parce qu’il n’abordait pas les principales allégations des demandeurs sur la motivation raciale à l’origine des agressions. Cette approche analytique est raisonnable.

 

[14]           De plus, les demandeurs reprochent à la Commission de ne pas avoir mentionné expressément les rapports psychologiques établis par des professionnels canadiens au sujet d’Eden et ils contestent son analyse sur les mauvais traitements de nature raciale ou religieuse.

 

[15]           Le défendeur affirme que la Commission n’était pas nécessairement tenue de faire état de ces rapports dans sa recherche d’éléments de preuve sur la motivation raciale à l’origine de l’agression. Les auteurs de ces rapports n’ont pas pu vérifier ce qui s’était produit en Israël et se sont fondés principalement sur les récits qu’en ont fait les demandeurs dans la mesure où il était question des raisons de l’agression. Dans Gosal c Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), [1998] ACF no 346, la juge Barbara Reed a laissé entendre que la Commission n’est pas tenue de faire état du rapport psychiatrique dans les tous les cas : « [c]ela dépend de la qualité de cet élément de preuve et de la mesure dans laquelle il est essentiel à la revendication du requérant ».

 

[16]           Toutefois, en l’espèce, j’estime que la qualité des éléments de preuve était telle que la Commission aurait dû renvoyer aux rapports psychologiques et en tenir compte (voir, par exemple, Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425, au paragraphe 27). Ce défaut affaiblit sa conclusion générale quant à la crédibilité. Par conséquent, je ne peux admettre que cet aspect de la décision de la Commission est raisonnable.

 

[17]           Je ne souscris pas à la décision Cortes (Tuteur) c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 329, [2011] ACF no 427, à savoir que le fait de conclure que la Commission a tiré des conclusions relatives à la crédibilité qui sont viciées mène automatiquement à la conclusion que la demande doit être accueillie. Rien ne permet de conclure, en l’espèce, que la conclusion relative à la crédibilité tirée par la Commission « a entaché l’entière décision » (pour un raisonnement similaire, voir Pena c Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2011 CF 746, [2011] ACF no 964, au paragraphe 30). J’estime donc qu’un examen du caractère raisonnable de l’analyse sur la protection de l’État s’impose également.

 

B.        Protection de l’État

 

[18]           Après examen, j’estime que l’évaluation de Commission sur la protection de l’État, laquelle est déterminante pour la demande, est raisonnable dans les circonstances.

 

[19]           Les demandeurs ne sont pas d’accord avec la Commission qui a reproché à la mère d’Eden de ne pas s’être adressée à la police avant 2009, en dépit de ses efforts pour régler la question avec les responsables de l’école. Ils se demandent également pourquoi, si elle était insatisfaite de la réponse de la police, elle aurait dû demander l’asile ailleurs.

 

[20]           Dans un État démocratique, toutefois, il est beaucoup plus difficile de réfuter la présomption relative à la protection de l’État (voir Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376, au paragraphe 5 (CA)). Dans une décision récente, le juge André Scott a conclu que les demandeurs « doivent démontrer qu’ils ont tenté d’épuiser tous les recours qui s’offraient à eux en Israël en vue d’obtenir la protection nécessaire ». (Galinkina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 36, [2011] ACF no 39, au paragraphe 22). De même, la Cour a conclu que les demandeurs doivent faire davantage que deux vaines tentatives de communiquer avec la police pour démontrer qu’ils ne pouvaient compter sur la protection de l’État (voir Antypov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1589, [2004] ACF no 1931, au paragraphe 12).

 

[21]           S’agissant d’Israël, il était donc raisonnable pour la Commission de reprocher aux demandeurs de ne pas avoir poursuivi leurs démarches auprès de la police et de ne pas avoir attendu qu’elle leur réponde. Les demandeurs ont d’abord signalé le problème aux responsables de l’école, mais ils ont seulement porté plainte à la police peu avant leur départ d’Israël. D’autres voies de recours s’offraient encore à eux et la police n’a pas eu l’occasion d’examiner la plainte (voir, par exemple, Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 487, [2009] ACF no 617, au paragraphe 20).

 

[22]           Je dois également souligner que la norme de protection applicable en pareils cas est celle du caractère adéquat (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, 2008 CarswellNat 605, au paragraphe 38). Le fait qu’une enquête n’aboutit pas ne signifie pas nécessairement que la protection est insuffisante, si la police a enquêté sur les allégations et y a donné suite (voir Salvagno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 595, [2011] ACF no 794, au paragraphe 18).

 

[23]           Compte tenu de ma conclusion relativement à la protection de l’État, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres arguments soulevés par l’avocat à l’audience quant à savoir si la Commission a procédé à une analyse distincte fondée sur les articles 96 et 97 et a appliqué les critères juridiques appropriés (voir Pena, précité, au paragraphe 40).

 

VI.       Conclusion

 

[24]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IRIT FURMAN‑YOUNIS ET AL c MCI

 

 

INTITULÉ :                                                  IMM‑7021‑11

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 3 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 7 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Catherine Bruce

 

POUR LES DEMANDEURS

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Catherine Bruce

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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