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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120607

Dossier : IMM-8571-11

Référence : 2012 CF 711

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2012

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

YOURI BOB ARMEL TCHICAYA-LOEMBET

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la Loi] d’une décision rendue par une agente d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agente) datée du 19 août 2011, dans laquelle elle a refusé la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire (demande CH) de M. Youri Bob Armel Tchicaya-Loembet (le demandeur). Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

I. Contexte

[2]               Le demandeur est originaire de la République démocratique du Congo (RDC). Il est arrivé au Canada le 25 mai 2007 et a demandé l’asile. Le 11 décembre 2009, sa demande d’asile a été rejetée. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a jugé que le demandeur n’était pas crédible en regard des éléments essentiels de sa demande. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée le 16 avril 2010. Le 3 novembre 2010, le demandeur a déposé une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) qui a, elle aussi, été rejetée.

 

[3]               Le 28 janvier 2010, le demandeur avait déposé une demande CH. Le 20 novembre 2010, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne. En décembre 2010, l’épouse du demandeur a déposé une demande de parrainage en faveur du demandeur, laquelle a été jointe à la demande CH. Au moment où la demande CH a été traitée, l’épouse du demandeur était enceinte et son accouchement était prévu pour le 1er novembre 2011.

 

II. Décision soumise au contrôle judiciaire

[4]               Le demandeur a basé sa demande CH sur les risques qu’il encourrait de la part des autorités congolaises s’il devait retourner en RDC, de même que sur son établissement et sur les liens qu’il a tissés au Canada.

 

[5]               L’agente a noté que dans le traitement de la demande CH, elle devait évaluer si les circonstances du demandeur étaient telles qu’il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il était tenu de présenter sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

 

[6]               L’agente a énuméré tous les documents soumis par le demandeur au soutien de sa demande. Elle a ensuite analysé les divers facteurs.

 

[7]               Au chapitre des risques invoqués par le demandeur, l’agente a noté que les difficultés invoquées par le demandeur découlaient des mêmes risques que ceux qu’il avait invoqués au soutien de sa demande d’asile et de sa demande ERAR et qui avaient été jugés non crédibles. Elle n’a donc pas retenu cet élément. Elle a par ailleurs consulté la documentation récente sur la situation générale en RDC et noté qu’il existait toujours des problèmes de violations des droits humains. Elle a toutefois conclu que le demandeur ne serait pas particulièrement ciblé advenant son retour dans son pays. Elle a donc jugé que le demandeur n’avait pas établi qu’il pourrait être exposé à des risques qui lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il devait faire sa demande de résidence permanente à partir de la RDC. Le demandeur n’est d’ailleurs pas revenu sur ce facteur lors de l’audience.

 

[8]               L’agente a ensuite analysé le facteur de l’établissement et des liens du demandeur au Canada.

 

[9]               Elle a considéré que le demandeur était au Canada depuis quatre ans et qu’il était marié à une citoyenne canadienne. L’agente n’a pas mis en doute le mariage et elle a considéré qu’il s’agissait d’un facteur positif. Elle a par ailleurs jugé que le demandeur n’avait pas soumis suffisamment de preuves pour démontrer que la relation avec son épouse était telle qu’une séparation constituerait une difficulté inhabituelle et injustifiée ou démesurée. L’agente a considéré que la relation était relativement récente et qu’il n’existait aucune preuve de cette relation avant août 2010, et ce bien que le demandeur ait déclaré qu’ils se fréquentaient depuis son arrivée au Canada. Elle a aussi indiqué qu’il était raisonnable de croire que la séparation du couple serait temporaire compte tenu de la demande de parrainage déposée par l’épouse du demandeur qui continuera d’être traitée même si le demandeur n’est plus au Canada. L’agente a reconnu qu’une séparation physique du couple puisse être difficile, mais noté que la relation était relativement récente et que le demandeur avait choisi de se marier malgré la précarité de son statut au Canada.

 

[10]           L’agente a noté les allégations du demandeur relativement à l’intérêt supérieur de l’enfant à naître. Le demandeur a indiqué dans sa demande que la protection, l’éducation et l’instruction de l’enfant demandaient la présence des deux parents et qu’il avait la responsabilité de soutenir moralement, financièrement et psychologiquement sa famille. L’agente a indiqué être sensible au fait que l’épouse du demandeur était enceinte, mais noté qu’il n’avait pas été démontré qu’elle ne pourrait bénéficier de l’aide de sa famille ou de son entourage et qu’elle serait démunie à un point tel que les répercussions découlant de cette séparation constitueraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

 

[11]           L’agente a aussi considéré le fait que le demandeur a rapidement intégré le marché du travail, qu’il est apprécié de son employeur et de ses collègues, qu’il a fait du bénévolat et qu’il a participé aux activités de sa paroisse. Elle a également considéré le fait que le demandeur a des épargnes, qu’il a maintenu un bon dossier civil et qu’il n’a pas d’antécédents judiciaires.

 

[12]           Bien qu’elle ait jugé que ces facteurs étaient positifs, l’agente a conclu que la preuve ne démontrait pas que le demandeur ferait face à des difficultés inhabituelles ou démesurées s’il devait faire sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Bref, elle a jugé qu’il n’y avait pas de motifs humanitaires suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense.

 

III. Question en litige

[13]           La seule question en litige a trait au caractère raisonnable de la décision de l’agente.

 

IV. Norme de contrôle

[14]           Il est bien établi que les décisions traitant des demandes CH sont révisables selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 SCC 12 au para 46, [2009] 1 RCS 339; Kisana c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 au para 18, [2010] RCF 360) [Kisana].

 

[15]           Le rôle de la Cour, en révisant une décision sur la base de la norme de contrôle de la décision raisonnable est expliqué dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190 :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

V. Analyse

[16]           Le demandeur soutient que l’agente n’a pas suffisamment motivé sa décision et qu’elle a erré dans son appréciation de la preuve et des facteurs invoqués par le demandeur.

 

[17]           Le demandeur soutient que l’agente n’a pas suffisamment expliqué comment et pourquoi elle a conclu que l’établissement du demandeur n’était pas suffisant pour que son départ pendant le traitement de sa demande de résidence permanente entraîne des difficultés inhabituelles et démesurées ou injustifiées.

 

[18]           Le demandeur insiste notamment sur le fait que l’agente n’a pas expliqué sur quoi elle s’était basée pour déterminer qu’il était raisonnable de croire que la séparation du demandeur et de son épouse serait temporaire en raison de la demande de parrainage qui continuerait d’être traitée. Le demandeur soutient que cette conclusion est purement spéculative et, qu’au contraire, il est peu probable qu’il puisse revenir rapidement au Canada. Il soutient que la demande de parrainage devra être greffée d’une demande d’autorisation de retour en vertu de l’article 52 de la Loi, laquelle sera traitée par agent de visa à l’ambassade canadienne en RDC. Le demandeur allègue que cette disposition accorde un large pouvoir discrétionnaire aux agents de visa et que le lourd processus administratif rend aléatoires son retour et la réunion de son couple.

 

[19]           Le demandeur allègue également que l’agente n’a pas accordé suffisamment d’importance à son degré d’établissement et à l’effet de son renvoi sur son mariage et sa famille.

 

[20]           Le demandeur soutient aussi que le pouvoir discrétionnaire des agents d’immigration qui traitent les demandes CH n’est pas absolu et que l’agente a apprécié la situation du demandeur et de son épouse de façon arbitraire et déraisonnable. L’agente aurait dû faire preuve de compassion et se mettre dans la peau du demandeur. Le demandeur insiste également qu’il était déraisonnable pour l’agente de considérer le fait que le demandeur avait fait le choix de se marier malgré la précarité de son statut.

 

[21]           L’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi constitue une mesure d’exception au principe selon lequel un étranger qui veut obtenir le statut de résident permanent doit présenter sa demande à partir de l’étranger. De plus, ce pouvoir est largement discrétionnaire (Legault c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 au para 15, [2002] 4 CF 358) [Legault]).

 

[22]           Le cadre d’analyse relatif aux demandes CH est précisé dans les directives administratives de Citoyenneté et Immigration Canada qui servent de guide aux agents et il est reconnu de façon incontestée par la jurisprudence (Legault, précité aux para 20-23). Le demandeur doit démontrer que s’il devait faire sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada, il serait soumis à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives (Williams c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1474 au para 8 (disponible sur CanLII) ; (Rachewiski c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 244 au para 26, 365 FTR 1; Sharma c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1006 au para 9 (disponible sur CanLII); Pashulya c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1275 au para 43, 257 FTR 143, Monteiro c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1322 au para 20, 166 ACWS (3d) 556).

 

[23]           Une lecture de la décision de l’agente démontre qu’elle a considéré et analysé les facteurs pertinents et qu’elle a compris et considéré toutes les allégations du demandeur, incluant l’impact de son départ sur sa famille. Je considère également que son appréciation de la preuve et des circonstances du demandeur est raisonnable et ne justifie pas l’intervention de la Cour. Dans Kisana, précité, au para 24, la Cour a rappelé qu’ « [i]l n'appartient pas aux tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par l'agent chargé de se prononcer sur les raisons d'ordre humanitaire ».

 

[24]           Contrairement aux prétentions du demandeur, il n’était pas déraisonnable, à la lumière de l’ensemble de la preuve, de conclure que la relation entre le demandeur et son épouse était récente. Il n’était pas non plus déraisonnable de croire, compte tenu de la demande de parrainage qui est pendante, que la séparation du demandeur et de sa famille serait temporaire, et ce malgré la nécessité pour lui d’obtenir une autorisation de retour. De plus, le fait que le demandeur doive quitter sa famille n’est pas toujours suffisant pour justifier une dispense. Dans Irimie c Canada (ministre de la Citoyenneté et l’Immigration) (2000), 101 ACWS (3d) 995, 10 Imm LR (3d) 206 (CF), le juge Pelletier a traité comme suit du sens à donner au concept de difficultés inhabituelles et injustifiées :

12        Si l'on examine ensuite les commentaires qui figurent dans le Guide au sujet des difficultés inhabituelles ou injustifiées, on conclut que ces difficultés sont appréciées par rapport à la situation d'autres personnes à qui l'on demande de quitter le Canada. Il semblerait donc que les difficultés qui déclencheraient l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire pour des raisons d'ordre humanitaire doivent être autres que celles qui découlent du fait que l'on demande à une personne de partir une fois qu'elle est au pays depuis un certain temps. Le fait qu'une personne quitterait des amis, et peut-être des membres de la famille, un emploi ou une résidence ne suffirait pas nécessairement pour justifier l'exercice du pouvoir discrétionnaire en question.

 

[25]           De plus, quoique l’intérêt d’un enfant est un élément important à considérer, il n’emporte pas sur toutes les autres considérations (Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 75, 174 DLR (4th) 193; Legault, précité, aux para 11, 12 et Kisana, précité, au para 24).

 

[26]           Le demandeur soutient également que l’agente n’a pas suffisamment motivé sa décision. Avec égards, je ne suis pas de cet avis. Les motifs de l’agente sont succincts, mais ils permettent de comprendre qu’elle a considéré l’ensemble de la preuve et qu’elle a examiné les facteurs pertinents. De plus, ses motifs sont suffisants pour comprendre le fondement de sa décision.

 

[27]           Les principes énoncés récemment par la Cour suprême dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 s’appliquent en l’espèce :

15        La cour de justice qui se demande si la décision qu'elle est en train d'examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de "respect [à l'égard] du processus décisionnel [de l'organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit" (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

 

16        Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l'analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n'est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d'autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

17        Le fait que la convention collective puisse se prêter à une interprétation autre que celle que lui a donnée l'arbitre ne mène pas forcément à la conclusion qu'il faut annuler sa décision, si celle-ci fait partie des issues possibles raisonnables. Les juges siégeant en révision doivent accorder une "attention respectueuse" aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu'ils ont relevées dans les motifs.

 

[28]           Pour tous ces motifs, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est proposée pour certification et ce dossier ne comporte aucune question susceptible d’être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8571-11

 

INTITULÉ :                                       YOURI BOB ARMEL TCHICAYA-LOEMBET c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 7 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Serge Silawo

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Denisa Chrastinova

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Serge Silawo

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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