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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120606

Dossier : IMM-5938-11

Référence : 2012 CF 697

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

ALAIN MUTSHAMBA KABEYA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Le demandeur, Alain Mutshamba Kabeya, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent ERAR) le 29 juin 2011. L’agent ERAR a conclu qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté dans la République démocratique du Congo (RDC) et qu’il n’y avait aucune raison sérieuse de croire qu’il serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, comme l’exigent les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

 

I.          Les faits à l’origine du litige

[2]               Le demandeur, qui est citoyen de la RDC, est arrivé au Canada le 5 septembre 2000 et a présenté une demande d’asile le 30 octobre de la même année. Sa demande était fondée sur le rôle que son père avait joué dans le parti de l’opposition, l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), et sur le fait qu’il s’était enfui pour éviter d’être recruté de force dans l’armée congolaise. Cependant, le 22 août 2002, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande du demandeur en raison de préoccupations liées à la crédibilité de celui-ci.

 

[3]               Par suite des déclarations de culpabilité au criminel dont le demandeur a fait l’objet (notamment pour voies de fait et non-respect des conditions) alors qu’il se trouvait au Canada, la suspension temporaire des mesures de renvoi en vigueur pour la RDC ne s’applique plus à lui.

 

[4]               Le demandeur a présenté la demande relative au ERAR visé par la présente décision le 27 juillet 2007.

 

II.        La décision de l’agent ERAR

[5]               Lorsqu’il a refusé la demande, l’agent ERAR a souligné que le demandeur invoquait les mêmes craintes que celles qu’il a fait valoir devant la Commission au cours de la première audition de sa demande d’asile. Les documents déposés au sujet de la violence et de la situation politique qui règnent en RDC ne portaient pas sur la situation du demandeur lui-même et n’ont pas permis à l’agent ERAR de réfuter les conclusions de la Commission concernant la crédibilité des allégations qu’il avait formulées.

 

[6]               L’agent ERAR a formulé la conclusion suivante : [traduction] « [m]ême s’il est possible que le demandeur soit exposé à la criminalité en RDC, cette réalité s’applique à l’ensemble de la population et n’est pas probante dans le cas du demandeur ». De plus, le demandeur n’a pas établi qu’il était membre des groupes qui faisant apparemment l’objet de discrimination au pays, ni n’a [traduction] « démontré que la situation est plus difficile pour lui que pour la majorité des Congolais ».

 

[7]               Reconnaissant la suspension temporaire des mesures de renvoi de la part du gouvernement du Canada, l’agent ERAR a mentionné les déclarations de culpabilité au criminel et l’interdiction de territoire prononcées contre le demandeur. Il a ajouté ce qui suit : [traduction] « cette situation ne permet pas de déduire que l’ensemble de la population congolaise est exposée à des difficultés personnelles ».

 

[8]               Enfin, le demandeur n’a présenté aucun [traduction] « élément de preuve personnel et probant » au soutien de ses allégations selon lesquelles son épouse et son fils canadiens seraient en danger en RDC en raison des événements survenus avant son départ. L’agent ERAR estimait que les mêmes conclusions formulées contre le demandeur s’appliqueraient à l’épouse et au fils de celui-ci en RDC.

 

III.       Les questions en litige

[9]               Le demandeur soulève les questions suivantes :

a)         L’agent ERAR a-t-il commis une erreur en mentionnant que le demandeur alléguait les mêmes craintes que celles qui avaient été invoquées devant la Commission?

 

b)         L’agent ERAR a-t-il commis une erreur en n’appréciant pas correctement la preuve concernant les antécédents du demandeur, laquelle preuve constituait, eu égard à la documentation sur les conditions dans le pays, un élément clé de la décision?

 

c)         L’agent ERAR a-t-il omis d’appliquer le test pertinent aux termes de l’article 96 de la LIPR?

 

IV.       La norme de contrôle

[10]           En général, la norme de contrôle applicable à l’évaluation des décisions des agents ERAR est la décision raisonnable (voir, par exemple, Hnatusko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 18, 2010 CarswellNat 21, aux paragraphes 25 et 26). Cependant, certaines questions de droit qui se posent peuvent nécessiter l’application de la norme de la décision correcte (voir, par exemple, Franco c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1087, 2010 CF 1360, aux paragraphes 17 à 20).

 

V.        Analyse

[11]           Le demandeur conteste l’affirmation de l’agent ERAR selon laquelle il alléguait les mêmes craintes que celles qu’il avait invoquées dans la demande d’asile qu’il a présentée à la Commission. Le demandeur fait valoir que cette affirmation n’est pas raisonnable, parce qu’il a invoqué de nouvelles allégations concernant la dimension ethnique du risque auquel il serait exposé en RDC.

 

[12]           Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas réussi à établir un lien entre ses allégations et les renseignements contenus dans la preuve documentaire présentée à l’agent ERAR. Aucun des documents ne concernait directement sa situation. En ce qui a trait aux allégations précises concernant la dimension ethnique du conflit, le défendeur répond qu’il était raisonnable de conclure que ces renseignements avaient déjà été pris en compte, étant donné que, aux fins d’un ERAR aux termes de l’alinéa 113a) de la LIPR, le demandeur peut présenter uniquement de nouveaux éléments de preuve qui sont survenus depuis le rejet de sa demande d’asile ou qui n’étaient pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, dont il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet.

 

[13]           Il est vrai que le demandeur aurait pu décrire plus clairement les allégations apparemment nouvelles concernant la dimension ethnique du risque auquel il était exposé en RDC; cependant, dans les observations écrites supplémentaires dont l’agent ERAR a été saisi, il a mentionné un problème d’ordre ethnique fondé sur la région dont il était originaire et sur son appartenance à la tribu Luba.

 

[14]           Le défendeur soutient avec raison, du point de vue de l’agent ERAR, que la preuve concernant cet aspect du risque était peut-être normalement accessible lors de l’audience et ne devrait pas nécessairement être examinée dans le cadre de l’ERAR. Cependant, l’agent ERAR n’a nullement mentionné que tel était le cas. Le défendeur ajoute des motifs à ceux qui existent déjà. Il est peut-être loisible à l’agent ERAR de conclure que ces allégations auraient normalement pu être soulevées à l’audience relative à la demande d’asile et de mentionner que l’objet de l’ERAR n’est pas de trancher à nouveau cette demande (Kaybaki c Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32, [2004] ACF no 27). L’agent ERAR devrait néanmoins mentionner que tel est le cas.

 

[15]           Le texte de la décision ne permet pas clairement de savoir si l’agent ERAR a véritablement examiné ces allégations ou s’il avait des raisons de ne pas en tenir compte au motif qu’elles n’étaient pas appuyées par les documents présentés. Différentes questions peuvent se poser au sujet de facteurs comme la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et l’importance des éléments de preuve présentés au soutien d’un ERAR. Comme l’a dit la juge Karen Sharlow dans Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] ACF no 1632, aux paragraphes 13 à 15, « l’important, c’est que l’agent d’ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs ».

 

[16]           Le demandeur ajoute que l’agent ERAR a commis une erreur en soulignant qu’il était originaire de Kinshasa plutôt que de la ville de Lubumbashi, située dans la région de l’est. Dans bien des cas, ce genre d’assertion inexacte n’a pas une importance vitale pour la décision et ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Cependant, compte tenu de la nature de la décision de l’agent ERAR en l’espèce, cette assertion soulève certaines préoccupations.

 

[17]           La décision était fondée principalement sur la conclusion de l’agent ERAR selon laquelle [traduction] « le demandeur n’a pas réussi à démontrer l’existence d’un risque personnel auquel il serait exposé s’il était renvoyé en RDC ». Le passage où l’agent ERAR formule l’assertion inexacte revêt une importance particulière :

[traduction]

Même s’il est possible que le demandeur soit exposé à la criminalité en RDC, cette réalité s’applique à l’ensemble de la population et n’est pas probante dans le cas du demandeur. De plus, le demandeur allègue qu’il est originaire de Kinshasa et, selon Freedom House, « à l’exception de l’est, la plupart des régions du pays étaient relativement stables en 2009 ».

 

[18]           Il appert cependant de la preuve cohérente du demandeur qu’il est originaire de la ville de Lubumbashi, située dans la région de l’est. De plus, la preuve documentaire montre clairement que des problèmes particuliers se sont posés dans l’est du pays. L’agent ERAR aurait dû, à tout le moins, se demander si l’instabilité dans la région de l’est avait eu des incidences directes sur la situation du demandeur. Eu égard à l’assertion inexacte susmentionnée, il est difficile de savoir si cette question a été examinée comme elle devait l’être.

 

VI.       Conclusion

[19]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à une formation différente de la Commission pour nouvel examen.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à une formation différente de la Commission pour nouvel examen.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5938-11

 

INTITULÉ :                                                  KABEYA c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 1er mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Prasanna Balasundaram

 

POUR LE DEMANDEUR

Sybil Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Prasanna Balasundaram

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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