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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120607

Dossier : IMM-8277-11

Référence : 2012 CF 709

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

ENTRE :

 

JUAN CARLOS BALLESTERO ROMERO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 24 octobre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [1969] R.T. Can. no 6) ni de personne à protéger conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

 

[2]               La Cour a informé les parties à l’audience tenue le 4 juin 2012 que, malgré les arguments sérieux invoqués par le défendeur, la demande serait accueillie, pour les motifs exposés ci‑dessous. Dans la décision visée par la présente demande, la Commission n’a pas tenu compte de l’un des deux principaux motifs constituant le fondement de la demande de protection, soit la crainte que le demandeur ressentait d’être persécuté en raison de sa séropositivité. La Commission ne s’est pas demandé si la discrimination systémique à l’égard des personnes séropositives dans l’emploi équivalait à de la persécution et si la protection de l’État était disponible relativement à cette forme de persécution.

 

[3]               Le demandeur, Juan Carlos Ballestero Romero, est un citoyen du Venezuela. Il a soutenu craindre d’être persécuté en raison de son orientation sexuelle et de sa séropositivité. Le demandeur et son compagnon, Rumaldo Antonio Rincon Ferrer (Rumaldo), se sont enfuis du Venezuela pour venir au Canada le 26 avril 2010 et ont présenté une demande d’asile au point d’entrée. Après avoir passé les examens médicaux réglementaires, le demandeur et Rumaldo ont appris en juin 2010 qu’ils étaient tous les deux séropositifs.

 

[4]               Les demandes du demandeur et de Rumaldo ont d’abord été réunies; cependant, à l’audience tenue le 26 juillet 2011, la Commission a séparé les demandes, parce qu’elles étaient fondées sur des allégations factuelles différentes. La demande du demandeur a été refusée au motif que celui-ci avait accès à la protection de l’État et disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Caracas. La demande de Rumaldo a également été refusée.

 

[5]               Les parties ont convenu que la question soulevée par la présente demande est de savoir si la décision de la Commission est raisonnable; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Je suis d’avis que la décision de la Commission n’est pas raisonnable, parce que celle-ci n’a pas examiné l’argument selon lequel le demandeur craignait d’être persécuté en raison de sa séropositivité. La Commission n’a examiné la séropositivité du demandeur dans aucune partie de son analyse, sauf lorsqu’elle s’est penchée sur le caractère raisonnable de la PRI proposée et, même dans cette analyse, la Commission n’a pas étudié la preuve de discrimination systémique dans l’emploi à l’endroit des personnes séropositives. La Commission a analysé comme suit la question de l’emploi au paragraphe 41 de sa décision :

La représentante du demandeur d’asile a affirmé que celui‑ci pourrait perdre tout emploi qu’il occuperait à Caracas parce qu’il est séropositif; le tribunal fait toutefois observer que plus de quatre millions de personnes vivent à Caracas et, compte tenu du niveau d’instruction et des antécédents professionnels du demandeur d’asile, le tribunal estime que ce dernier pourrait trouver un emploi à Caracas. Étant donné ces facteurs, le tribunal estime que la PRI à Caracas ne représente pas une situation trop sévère pour le demandeur d’asile.

 

 

[6]               Il appert de la preuve présentée à la Commission dans la présente affaire qu’il [traduction] « est presque impossible d’éviter les tests de dépistage du VIH aux fins d’emploi » au Venezuela et que les personnes séropositives sont fréquemment victimes de discrimination au travail. Par conséquent, comme le demandeur le soutient, la Commission devait se demander si cette discrimination équivalait à de la persécution, ainsi qu’en a décidé le juge John O’Keefe dans Rodriguez Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1243, au paragraphe 33 :

De plus, même si le défendeur a raison de souligner que l’absence d’emploi n’est généralement pas une raison suffisante pour déterminer qu’une PRI est déraisonnable et que les obstacles à l’emploi frappent particulièrement durement les Mexicains séropositifs. La preuve documentaire soumise par le demandeur donne à penser que les tests de dépistage du VIH aux fins d’emploi sont pratique courante à Mexico, qu’il s’agisse d’emploi de travailleur d’usine ou d’emploi de professionnel. Malgré le fait que le demandeur a réussi à obtenir des emplois dans le passé, la preuve documentaire donne à penser que le demandeur aurait de la difficulté à gagner sa vie en raison de sa séropositivité. Dans la décision Xie c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), A.C.F. no 286, on a conclu que l’ingérence systématique du gouvernement dans les possibilités d’emploi constituait une atteinte importante à la liberté d’une personne à la recherche d’un emploi. En l’espèce, la Commission n’a pas examiné adéquatement la question de savoir si le demandeur avait prouvé que les barrières systémiques associées au test de dépistage du VIH et à l’emploi équivalaient, selon la prépondérance des probabilités, à de la persécution. Les aspects interdépendants du statut socio‑économique du demandeur et de sa séropositivité sont des facteurs importants dont la Commission a omis de tenir compte.

 

 

[7]               La Commission ne s’est pas demandé si la discrimination à laquelle le demandeur serait exposé à titre de personne séropositive à la recherche d’un emploi équivalait à de la persécution, laquelle question était pertinente quant aux conclusions auxquelles la Commission en est arrivée au sujet de la protection de l’État et de la PRI. En raison de cette erreur, la conclusion de la Commission n’est pas raisonnable et la demande doit donc être accueillie.

 

[8]               En conclusion, je souligne que le défendeur a tenté d’invoquer les motifs sous‑jacents au refus de la demande d’asile de Rumaldo par la Commission pour faciliter la compréhension des motifs de la décision faisant l’objet du présent contrôle. Le défendeur a soutenu que, suivant le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, les motifs exposés dans la décision par laquelle la demande de Rumaldo a été refusée pourraient permettre à la Cour de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission en est arrivée à sa conclusion dans la demande du demandeur.

 

[9]               À mon avis, cet argument va trop loin. Même si le jugement susmentionné de la Cour suprême du Canada invite la Cour fédérale à consulter le dossier pour mieux comprendre les motifs des décideurs, il ne va pas jusqu’à lui permettre de se fonder sur les motifs distincts d’une autre décision dans laquelle le même décideur a peut-être analysé plus en profondeur la preuve dont il était saisi. En conséquence, pour trancher la présente demande, la Cour n’a pas tenu compte de la décision que la Commission avait rendue dans la demande de Rumaldo. Le bien‑fondé de cette décision sera examiné séparément dans une autre demande de contrôle judiciaire. La décision par laquelle la Commission a refusé la demande du demandeur n’était pas raisonnable, eu égard au dossier dont elle était saisie, et la demande doit être accueillie.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’elle en confie l’examen à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-8277-11

 

INTITULÉ :                                                  JUAN CARLOS BALLESTERO c¸

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 7 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Norquay

 

POUR LE DEMANDEUR

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Norquay

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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