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Date : 20120605

Dossier: IMM-8792-11

Référence : 2012 CF 689

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

JULIENNE UMUHOZA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               L’alternative à la protection internationale que constitue la protection d’un pays de nationalité ne doit pas constituer également une alternative à l’analyse des craintes de persécutions alléguées. Il importe de rappeler, à cet égard, les mots de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689. Dans un cas pareil, une voie de sortie n’existe pas pour éviter une analyse nécessaire du dossier :

Le droit de réclamer le statut de résident permanent n'est que l'une de plusieurs conséquences de la qualification d'un demandeur comme étant un réfugié au sens de la Convention. Le réfugié au sens de la Convention bénéficie également du droit de demeurer au Canada (par. 4(2.1)), du droit de ne pas être renvoyé dans le pays où il craint avec raison d'être persécuté (par. 53(1)) et du droit de travailler pendant qu'il est au Canada (par. 19(4)j) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78 172). Aucune de ces dispositions n'exige de garantir que le demandeur a épuisé les possibilités de protection dans chaque pays dont il a la nationalité. L'évaluation que l'on fait de la crainte du demandeur dans chaque pays dont il a la citoyenneté, au stade de la détermination du statut de «réfugié au sens de la Convention» et avant de lui conférer ces droits, est conforme aux principes qui sous tendent la protection internationale des réfugiés. Autrement, le demandeur bénéficierait de droits conférés par un État étranger alors que l'État d'origine peut encore le protéger. La mention d'autres pays dont il a la nationalité, figurant à l'al. 46.04(1)c), est probablement destinée à vérifier une seconde fois si le réfugié n'a pas accès à la protection nationale, en cas de changements de circonstances ou de nouvelles révélations, avant que le statut important de résident permanent ne soit accordé. [La Cour souligne]

 

[2]               En l’espèce, la conclusion de la crainte de persécution, dans le pays envisagé à titre d’alternative à la protection internationale par le tribunal, justifie l’intervention de cette Cour. En effet, la preuve documentaire, reflet objectif de la crainte de persécution, ne soutient pas l’analyse de la Section de la protection des réfugiés [SPR].

 

II. Procédure judiciaire

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la SPR de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 16 novembre 2011, selon laquelle la demanderesse n’a ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III. Faits

[4]               La demanderesse, madame Julienne Umuhoza, est née à Goma, en République démocratique du Congo [RDC]. Elle est citoyenne congolaise de naissance.

[5]               À l’âge de 15 ans, durant la guerre au Nord-Kivu, les membres de sa famille et elle furent déplacés au Rwanda où ils acquirent la citoyenneté rwandaise.

 

[6]               Après des études universitaires, la demanderesse a occupé un poste de journaliste pour le New Times à Kigali. Au cours de son emploi, elle a interviewé des personnalités importantes du corps politique rwandais. En conséquence, elle allègue avoir été approchée par les services de renseignements rwandais l’accusant de semer le désaccord. Arrêtée, elle a pu prendre la fuite lorsque sa famille a corrompu son gardien.

 

[7]               La demanderesse, ayant obtenu un visa pour les États-Unis, a demandé la protection au Canada alléguant une crainte de persécution en raison de ses opinions politiques au Rwanda et en raison de son ethnie rwandaise en RDC.

 

IV. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[8]               La SPR, se basant sur la Loi no 04/024, du 12 novembre 2004, relative à la nationalité congolaise [Loi congolaise], a conclu que la demanderesse pouvait être réintégrée dans sa nationalité congolaise en respectant certaines formalités. Par conséquent, la SPR n’a analysé que le risque de persécution allégué par la demanderesse relative à son origine ethnique en RDC.

 

[9]               Forte de cette conclusion, la SPR n’a pas analysé la situation au Rwanda.

 

[10]           Référant à la preuve documentaire, la SPR est d’avis qu’il n’y a pas « une possibilité sérieuse de persécution pour raison de l’ethnie rwandaise de la demanderesse en RDC » (Décision de la SPR au para 18).

 

[11]           Relativement au paragraphe 97(1) de la LIPR, bien qu’elle constate que la situation des droits humains en RDC soit « exécrable » (Décision de la SPR au para 21), la SPR est d’avis que la situation n’engendre qu’un risque généralisé auquel tous les Congolais font face.

 

V. Points en litige

[12]           (1) La SPR a-t-elle erré en concluant à la nationalité congolaise de la demanderesse?

(2) Dans la négative, la SPR a-t-elle erré en concluant que la demanderesse n’avait pas une crainte de persécution fondée en RDC?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[13]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au présent cas :

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

VII. Position des parties

[14]           La partie demanderesse soutient que la SPR a erré en ne considérant pas les conditions de fond nécessaires au recouvrement de la nationalité congolaise. Ainsi, en plus de s’acquitter des formalités, la demanderesse, qui a perdu sa nationalité congolaise pour acquérir la nationalité rwandaise, doit respecter les conditions de fond telle la démonstration de liens d’attachement à la RDC établies par la Loi congolaise.

 

[15]           À titre subsidiaire, elle soumet que la SPR a erré dans son application 96 et en ayant refusé d’appliquer l’article 97 de la LIPR. Se basant sur la preuve documentaire, elle soumet qu'il n’existe pas de possibilité de refuge intérieur à Kinshasa.

 

[16]           La partie défenderesse soutient que la conclusion de la SPR relative au recouvrement de la nationalité congolaise de la demanderesse est étayée par la preuve documentaire. Elle précise que la demanderesse a fait défaut d’appuyer son interprétation du droit congolais par une preuve d’expert.

 

[17]           Quant à la crainte de persécution en RDC, elle fait valoir que la SPR a adéquatement analysé la preuve documentaire pour en venir à la conclusion que la demanderesse ne faisait pas face à un risque de persécution en raison de son origine ethnique.

 

VIII. Analyse

a.       La SPR a-t-elle erré en concluant a la nationalité congolaise de la demanderesse?

[18]           Cette question suppose une appréciation factuelle sujette à un haut degré de déférence. La norme de contrôle est donc celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 126, [2005] 3 RCF 429 (QL/Lexis) [Williams] au para 17).

 

[19]           Dans l’arrêt, la Cour d’appel fédérale dans Williams a édicté le critère applicable en la matière :

22        Je souscris entièrement aux motifs du juge Rothstein et en particulier au passage suivant, au paragraphe 12 [[1993] A.C.F. no 576 (QL)]:

 

Le fait de ne pas avoir de nationalité ne doit pas relever du contrôle d'un [demandeur].

 

Le véritable critère est, selon moi, le suivant: s'il est en son pouvoir d'obtenir la citoyenneté d'un pays pour lequel il n'a aucune crainte fondée d'être persécuté, la qualité de réfugié sera refusée au demandeur. Bien que des expressions comme "acquisition de la citoyenneté de plein droit" ou "par l'accomplissement de simples formalités" aient été employés, il est préférable de formuler le critère en parlant de "pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur", car cette expression englobe divers types de situations. De plus, ce critère dissuade les demandeurs d'asile de rechercher le pays le plus accommodant, une démarche qui est incompatible avec l'aspect "subsidiaire" de la protection internationale des réfugiés reconnue dans l'arrêt Ward et, contrairement à ce que l'avocat de l'intimé a laissé entendre, ce critère ne se limite pas à de simples formalités comme le serait le dépôt de documents appropriés. Le critère du "contrôle" exprime aussi une idée qui ressort de la définition du réfugié, en l'occurrence le fait que l'absence de "volonté" du demandeur à accomplir les démarches nécessaires pour obtenir la protection de l'État entraîne le rejet de sa demande d'asile à moins que cette absence s'explique par la crainte même de persécution. Le paragraphe 106 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, [Genève, 1992] précise bien que "[c]haque fois qu'elle peut être réclamée, la protection nationale l'emporte sur la protection internationale". Dans l'arrêt Ward, la Cour suprême du Canada fait observer, à la page 752, que "[l]orsqu'il est possible de l'obtenir, la protection de l'État d'origine est la seule solution qui s'offre à un demandeur". [La Cour souligne].

 

[20]           En l’espèce, la SPR, se référant à l’arrêt Williams, a estimé, à la lumière des articles pertinents de la Loi congolaise et de la preuve documentaire, que la demanderesse pouvait recouvrir sa nationalité en s’assujettissant à des formalités.

 

[21]           La SPR a notamment référé à l’onglet 3.8 du Cartable national de documentation de la RDC du 29 avril 2011, intitulé République démocratique du Congo (RDC) : processus et conditions de réintégration de la nationalité congolaise par les Congolais d'origine rwandaise, daté du 24 janvier 2006, [onglet 3.1] mentionnant ce qui suit :

Un docteur en histoire, chercheur au Centre d'études de la région des Grands lacs d'Afrique de l'Université d'Anvers (Belgique), également spécialiste de l'Afrique centrale et de la région du Kivu en particulier, a signalé, le 8 décembre 2005 au cours d'un entretien téléphonique, qu'avec l'adoption de la loi no 04-024 du 12 novembre 2004, les Congolais d'origine rwandaise ont « automatiquement » recouvré la nationalité congolaise. Il a expliqué qu'à sa connaissance, aucun processus de réintégration de la nationalité congolaise n'a été prévu ni aucune condition n'a été imposée (8 décembre 2005). Le spécialiste de la région du Kivu a expliqué que les Congolais d'origine rwandaise ne sont en aucune façon tenus de se présenter aux autorités gouvernementales en vue de recouvrer leur nationalité congolaise (8 déc. 2005). Selon lui, en cas de doute, la personne concernée doit se rendre dans sa chefferie d'origine pour en ramener une preuve documentaire prouvant qu'elle est de nationalité congolaise, ou doit trouver cinq personnes qui attestent de sa nationalité si elle vit très loin de son lieu d'origine (8 décembre 2005). D'après le chercheur, il en va de même pour tous les autres Congolais (8 déc. 2005).

 

[22]           Il semble également que le même document aurait dû attirer l’attention de la SPR sur le contexte ethnique de la RDC dont il sera plus amplement question lors de l’analyse de la crainte de persécution :

D'après le spécialiste du Kivu, le problème ne réside pas dans le recouvrement de la nationalité par les Congolais d'origine rwandaise, mais plutôt dans la méfiance qui prévaut entre ces derniers et les membres des autres groupes ethniques, notamment du Kivu, méfiance exacerbée par plusieurs années de guerre qui se sont succédé en RDC depuis 1996 (8 déc. 2005). [La Cour souligne].

 

[23]           À la lecture des motifs de la SPR, cette Cour est convaincue que l’approche préconisée dans l’arrêt Williams quant à la faculté de recouvrir une nationalité a été suivie.

 

[24]           Ainsi, le recouvrement de la nationalité congolaise est à la portée de la demanderesse en ce qu’elle a, au sens de l’arrêt Williams, le pouvoir de la recouvrir si elle le souhaite. Partant de ce constat, les conditions de fond de l’article 32 de la Loi congolaise, auquel fait référence explicitement la SPR, ne constituent pas un obstacle au recouvrement de la nationalité congolaise, et cela, en dépit du fait qu’elles dépassent la portée du terme «formalités» dans l’esprit de la demanderesse.

 

[25]           Cette Cour ne peut donner raison à la demanderesse quant à son interprétation du droit congolais étayée par les nouveaux documents soumis en preuve notamment un extrait de la Constitution rwandaise pour une raison primordiale relative à la nature de la présente demande. En l’occurrence, cette Cour agit dans le cadre d’un contrôle judiciaire et doit s’en tenir au rôle de révision dont elle est investie de la preuve à laquelle la SPR avait accès.

 

[26]           En outre, le témoignage de la demanderesse, lors de l’audience met en exergue les éléments suivants :

a)   la demanderesse est de nationalité congolaise par sa naissance;

b)   les parents de la demanderesse vivant au Rwanda sont de nationalité congolaise;

c)   Elle n’a pas fait de demande de passeport congolais, car elle n’en exprimait pas le besoin;

(Dossier du tribunal, [DT] à la p 261).

 

[27]           Même si cette Cour ne partage pas l’avis de la SPR, suffisamment de motifs le justifient. Il est également étayé par la preuve documentaire et résiste donc à l’analyse menée sous la norme de contrôle de la décision raisonnable. La SPR n’a pas erré en concluant que la RDC est un pays de nationalité à considérer dans la demande d’asile.

 

[28]           Conclure à la nationalité n’est, cependant, pas décisif en l’instance, encore faut-il que le pays proposé à titre d’alternative à la protection internationale soit en mesure d’offrir une protection (Williams au para 22).

 

[29]           Dans le présent cas, force est de constater que la SPR n’a pas poursuivi le raisonnement mis de l’avant dans Williams et n’a pas analysé la protection que pouvait offrir la RDC à la demanderesse. La SPR s’est vue contrainte d’analyser la crainte de persécution alléguée par la demanderesse en RDC.

 

(2) La SPR a-t-elle erré en concluant que la demanderesse n’avait pas une crainte de persécution fondée en RDC?

 

[30]           Pour cette question, un degré de déférence est requis, mais cette Cour « peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 au para 15).

 

[31]           Contrairement à l’arrêt Williams, la demanderesse a fait part, lors de l’audience, d’une crainte fondée de persécution en RDC en raison de son origine ethnique soit celui d’une Congolaise d’expression rwandaise. À cet égard, il importe de remarquer que la SPR n’a pas remis en question l’aspect subjectif de la crainte de persécution. La conclusion de la SPR relative à la crainte de persécution est la suivante :

[18]      À la lumière des preuves documentaires disponibles, le tribunal estime qu’il n’existe pas une possibilité sérieuse de persécution pour raison de l’ethnie rwandaise de la demanderesse en RDC. Elle n’a pas allégué d’autre lien à la Convention. Elle n’est pas une réfugiée au sens de la Convention en conséquence. [La Cour souligne].

 

[32]           Il est bien établi en droit qu’un tribunal a intérêt à discuter de la preuve pertinente contraire à ses conclusions sous peine de commettre une erreur susceptible de révision (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et d l'Immigration) (1998), 157 FTR 35.

 

[33]           Dans le présent cas, l’analyse de la SPR, portant, il faut le rappeler, sur l’aspect objectif de la crainte de persécution, est hâtive. Pour soutenir sa conclusion, la SPR a cité deux extraits de l’onglet 13.1 du Cartable national de documentation de la RDC du 29 avril 2011, intitulé République démocratique du Congo : information sur le traitement réservé aux Banyamulenge, ou Tutsis congolais, vivant à Kinshasa ainsi que dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, no COD103417.F, daté du 31 mars 2010. Or, ce même document fait état de la situation suivante :

Toutefois, dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches le 22 février 2010, le directeur du Phare a signalé que les Banyamulenge seraient inquiétés dans la région du Kivu par la présence des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe de rebelles hutus rwandais (GlobalSecurity.org s.d.), qui susciterait un climat de suspicion, et ce, en particulier au Sud-Kivu (Le Phare 22 févr. 2010). Par ailleurs, selon le représentant d'Hj, lors d'attaques sporadiques, les rebelles hutus des FDLR, visant principalement les Banyamulenge, commettraient « des exactions, tels que des viols, des massacres, de vols et de véritables chasses à l'homme, ce qui pousse les civils à fuir leurs maisons qu'ils brûlent par la suite » (Hj 22 févr. 2010). [La Cour souligne].

 

[34]           De plus, l’onglet 2.5 du Cartable national de documentation de la RDC du 29 avril 2011 intitulé Country of Origin Information Report: Democratic Republic of the Congo, du Royaume-Uni, daté du 30 juin 2009, apporte les éclaircissements suivants sur le risque de persécution ethnique :

21.03   Freedom House’s Freedom in the World Survey 2008 reported:

 

“Societal discrimination based on ethnicity is practiced widely among the country’s 200 ethnic groups, particularly against the various indigenous Pygmy tribes and the Congolese Banyamulenge Tutsis. The ongoing fighting in the eastern Kivu region is driven in part by ethnic rivalries. The ubiquity of firearms and deep mutual resentment over land security has helped to harden ethnic identities.” [14a] (Political Rights and Civil Liberties)

 

21.05   In a similar vein, Human Rights Watch’s (HRW) November 2008 report, ‘We will crush you’ recorded:

 

“During a bitter [2006 Presidential] campaign both candidates tried to mobilize ethnic and regional loyalties to win votes. Bemba, member of a well-known business and political family from the northwestern province of Equateur, portrayed himself as ‘One Hundred Percent Congolese,’ implying that Kabila was a foreigner. Bemba supporters stressed that Kabila was unable to speak Lingala (the main language of western Congo) and raised questions about his parentage, alleging that his mother was a Rwandan Tutsi.” [13c] (p13)

 

21.10   An October 2007 Human Rights Watch (HRW) report, ‘Renewed Crisis in North Kivu’ recorded:

 

“Congolese who speak Kinyarwanda (Rwandophones) represent less than five percent of the population of Congo and live largely in the two eastern provinces of North and South Kivu. Congolese Tutsi are a small part of the larger group of Rwandophones, numbering several hundred thousand and constituting between one and two percent of the total Congolese population of some 60 million. In South Kivu, Tutsi are known locally as Banyamulenge, but this term does not apply to Tutsi living in North Kivu. The rapid rise of Tutsi to national political prominence in the 1990s followed by a sharp decline in their power, as well as the anti-Tutsi hostilities accompanying the process, form the essential context of the current political and military crisis in eastern Congo.” [13b] (p9) [La Cour souligne].

 

[35]           Ce document fait part, d’ailleurs, de l’éventuelle difficulté qu’un individu d’expression rwandaise pourrait rencontrer dans ses démarches d’acquisition de la nationalité :

21.11   The August 2007 concluding observations of the UN Committee on the Elimination of Racial Discrimination stated: “While welcoming the adoption of the Act of 12 November 2004, granting the Banyarwanda Congolese nationality, the Committee is concerned to note that in practice Congolese nationality is particularly difficult to acquire by members of this group.” [15f] (p4) A March 2009 Refugees International report, ‘Nationality Rights for All: A Progress Report and Global Survey on Statelessness’, concurred; “Despite a 2004 citizenship law granting citizenship to the Banyamulenge community, it is unclear whether the 300,000 to 400,000 of them living in Congo can obtain nationality documents or their rights as citizens in the ongoing conflict in eastern Congo.” [31b] (p29)

 

21.12   The October 2007 HRW report noted: “The struggle over North Kivu was embittered by ethnic hostilities, with Nkunda and his movement identified with Tutsi, while many other North Kivu residents, as well as most FDLR [he Democratic Forces for the Liberation of Rwanda] combatants, were Hutu. Both Tutsi and Hutu remembered past discrimination and violence against people of their ethnic group in Congo, and in neighboring Rwanda and Burundi. Both groups asserted the need to protect themselves from the other.[13b] (p4)

 

21.13   Refugees International’s March 2009 report, provided a brief history of the Banyamulenge in the Democratic Republic of Congo, which concluded by noting: “In the name of defending Tutsis against oppression in North Kivu, a rebel army consisting primarily of Banyamulenge and commanded by General Laurent Nkunda has been fighting the government. Violence from this conflict has displaced hundreds of thousands of people. In early 2009, General Nkunda was arrested, a development with uncertain implications for conflict in the region.” [31b] (p29) [La Cour souligne].

 

[36]           À la lumière de ces rapports, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’est pas objectivement sujette à persécution en raison de son origine ethnique est déraisonnable. En effet, ces extraits ne peuvent étayer la conclusion de la SPR selon laquelle il n’existe pas une « possibilité sérieuse de persécution » (Décision de la SPR au para 18). En conséquence, la décision de la SPR dans son ensemble est viciée.

 

[37]           Par ailleurs, la Cour se doit de souligner que le raisonnement de la SPR n’est pas approprié dans les circonstances particulières du cas. En effet, la SPR a fait fi de l’importance factuelle du déplacement de la famille de la demanderesse de la RDC au Rwanda , fuyant la persécution ethnique. Sur ce point, la SPR a conclu que ce déplacement ne constituait pas des raisons impérieuses au sens du paragraphe 108(4) de la LIPR sans pour autant le remettre en contexte dans son analyse de l’article 96 de la LIPR.

 

IX. Conclusion

[38]           Si la SPR avait eu l’occasion d’étudier le contexte ethnique de la situation de ces pays limitrophes que sont la RDC et le Rwanda, peut-être aurait-elle, porté une attention d’une façon compréhensive à la preuve documentaire à laquelle elle avait accès ; cette preuve ne pouvait être laissée dans l’ombre dans le contexte singulier d’un examen d’une alternative à la protection internationale que la SPR voulait objectif.

 

[39]           Pour toutes ces raisons, la décision de la SPR n’est pas raisonnable suite à l’analyse de la preuve prise dans son ensemble par cette Cour; donc, la demande de contrôle judiciaire est accordée et l’affaire est retournée pour redétermination par un panel autrement constitué.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et l’affaire soit retournée pour redétermination par un panel autrement constitué. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8792-11

 

INTITULÉ :                                       JULIENNE UMUHOZA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 4 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacques J. Bahimanga

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Paul Battin

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jacques J. Bahimanga

Avocat

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du CanadaOttawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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