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 Date : 20120612

Dossier : T‑2018‑09

Référence : 2012 CF 738

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2012

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

 

ENTRE :

 

WELLS FARGO EQUIPMENT FINANCE

COMPANY ET C&C MACHINE MOVERS

AND WAREHOUSING INC.

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT DANS LA BARGE

« MLT‑3 »

aussi connue sous le nom de

« BELL COPPER No. 3 »,

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE 

« MERCURY XII »,

MERCURY LAUNCH & TUG LTD.,

NEIL PATTERSON et

COSULICH GROUP INVESTMENTS INC.

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La nuit était tombée sur Brigade Bay. Il faisait froid. La marée était descendante. Le nez du camion était enfoncé dans l’eau; son essieu arrière reposait sur la barge. Dans une tentative désespérée pour hisser le camion à bord de la barge, une corde a été fixée à l’arrière de celui‑ci et attachée à un remorqueur. Ed Menczel, le chauffeur, a plongé pour une deuxième fois afin de desserrer les freins pneumatiques du camion de façon à ce qu’il puisse être hissé à bord. Au moment où il accomplissait cette manœuvre, la barge a fait un mouvement brusque. Le camion est tombé à la renverse dans cinquante‑cinq pieds d’eau. Ed a pu, en nageant, parvenir à la rive sain et sauf, d’où il a téléphoné à son patron.

 

[2]               Quatre ans et demi plus tard, on demande à la Cour de passer en revue les événements du 4 décembre 2007. On lui demande s’il est possible d’imputer une faute à quelqu’un, et dans l’affirmative, à qui. On lui demande d’évaluer les dommages‑intérêts pour la perte du camion et de son usage. On lui demande de déterminer si la société exploitant la barge s’était engagée à indemniser le propriétaire du camion. On lui demande si certaines dispositions législatives s’appliquent, telles que les règles de La Haye‑Visby, et, dans l’affirmative, comment les appliquer.

 

[3]               Je remercie les avocats de chacune des parties de nous avoir fourni un exposé des faits et des documents – ce qui nous a été d’une grande utilité – ainsi que pour la façon efficace avec laquelle ils ont présenté leurs témoins et leurs arguments. La courtoisie dont ils ont fait preuve les uns à l’égard des autres, ainsi qu’envers la Cour, a été exemplaire. On m’informe qu’il s’agit d’une tradition chez les avocats spécialisés en droit maritime, une tradition que d’autres pourraient fort bien adopter.

 

LA PREUVE

[4]               La preuve est constituée des éléments suivants :

 

§  Un exposé conjoint des faits, pièce A, traitant de plusieurs, mais non de l’ensemble, des faits pertinents de l’affaire;

 

§  Deux recueils de documents produits d’un commun accord : la pièce D contient 20 onglets de documents touchant à des questions de responsabilité; la pièce E contient 22 onglets de documents traitant de questions relatives aux dommages‑intérêts. Les parties ont convenu que les documents sont des copies conformes aux originaux et qu’ils ont, à première vue, été rédigés par les personnes et aux dates y mentionnées, et reçus par les personnes y mentionnées. La véracité de leur contenu n’est pas reconnue.

 

§  Monsieur Chris Crandlemire, président et propriétaire de la demanderesse, C&C Movers and Warehouse Inc., a comparu comme témoin des demanderesses;

 

§  Monsieur Ed Menczel, le chauffeur du camion perdu, a comparu comme deuxième témoin des demanderesses;

 

§  Monsieur Robert Errington, président de la défenderesse, Mercury Launch & Tug Ltd., a comparu comme témoin pour les défendeurs;

 

§  Monsieur Neil Paterson, l’un des défendeurs, chef de bord du remorqueur et de la barge en cause, a comparu comme deuxième témoin pour les défendeurs;

 

§  Un certain nombre de documents ont été enregistrés en tant que pièces au moment de l’interrogatoire et du contre‑interrogatoire de ces témoins; ils ont été versés au dossier comme pièces F, G, H et K;

 

§  La pièce I, versée au dossier d’un commun accord entre les parties, est constituée de l’affidavit d’un expert, M. Al German, et des pièces qui y sont jointes. M. German a fourni un témoignage d’opinion portant sur la valeur du camion perdu (34 000 $), ainsi que sur le coût des réparations et de la réinstallation sur un autre camion de la grue et de la plate‑forme récupérées du camion accidenté (77 248,66 $);

 

§  La pièce J contient des extraits de la transcription de l’interrogatoire préalable des défendeurs (dont Neil Paterson a fait l’objet), lesquels ont été déposés en preuve par les demanderesses.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[5]               Les parties se sont entendues sur la majorité des questions litigieuses, sauf en ce qui concerne la dernière. Leur position sur les questions en litige a été versée au dossier comme pièces B et C et peut être résumée de la façon suivante :

 

1.         Qui est responsable de la perte du camion?

 

2.         Les défendeurs ont‑ils fait preuve de négligence?

 

3.                  Les demanderesses ont‑elles fait preuve de négligence contributive?

 

4.                  Existe‑t‑il un droit d’action réelle contre la barge ou un quelconque droit d’action personnelle contre Cosulich Group Investments Inc.?

 

5.                  Les règles de La Haye‑Visby s’appliquent‑elles, et la demande est‑elle prescrite?

 

6.                  (Les parties ont laissé tomber cette question)

 

7.                  Si les règles de La Haye‑Visby (omises d’un commun accord) pouvaient être appliquées, les défenderesses ont‑elles renoncé aux défenses que ces règles permettent d’invoquer lors de conversations intervenues, avant et après la perte, entre M. Errington, de Mercury, et M. Crandlemire, de la demanderesse C&C?

 

 

8.                  Le camion de C&C se trouvait‑il sur la barge de Mercury à titre d’invité envers qui Mercury avait une obligation de diligence qui n’était soumise à aucune restriction ni à aucun contrat la liant à White, sa cliente?

 

[LES DÉFENDEURS affirment que cette huitième et dernière question n’a pas été soulevée par les demanderesses et n’a pas été régulièrement soumise à la Cour.]

 

 

LES FAITS ADMIS

[6]               Il est utile dès le départ d’exposer les faits sur lesquels les parties se sont entendues; j’ai ajouté le titre de deux documents avec la référence au numéro de pièce qui leur a été attribué :

 

Les parties

 

1.         La demanderesse, Wells Fargo Equipment Finance Company (« Wells Fargo »), est une société constituée sous le régime des lois de la Nouvelle‑Écosse. À toutes les époques pertinentes, Wells Fargo était propriétaire enregistré et locateur d’un camion Freightliner FL8/ 2001, équipé d’une plate‑forme et d’une grue (le « camion »).

 

2.         La demanderesse, C&C Machine Movers & Warehousing Inc. (« C&C »), est une société constituée sous le régime des lois de la Colombie‑Britannique. À toutes les époques pertinentes, C&C était locataire du camion.

 

3.                  Le camion pesait 38 800 lbs.

 

4.                  La défenderesse, Mercury Launch & Tug Ltd. (« Mercury »), est une société constituée sous le régime des lois de la Colombie‑Britannique;

 

5.         La défenderesse, Barge  « MLT’3 », autrefois connue sous le nom de « Bell Copper No. 3 », (la « barge ») est une barge à plate‑forme officiellement enregistrée sous le no 345207 au port de Vancouver (Colombie‑Britannique) et était, à toutes les époques pertinentes, une embarcation sans capitaine affrétée de la défenderesse, Cosulich Group Investments Inc. (« Cosulich ») par Mercury.

 

6.         Le 4 décembre 2007, la barge était la propriété de Cosulich qui l’a vendue à Mercury aux environs du 17 janvier 2008.

 

7.         Le navire défendeur, « Mercury XII » (le « remorqueur »),  un remorqueur dont le numéro officiel est 812765, appartenait à Mercury à toutes les époques pertinentes.

 

8.         Le défendeur, Neil Paterson (« Paterson ») était, à toutes les époques pertinentes, un employé de Mercury agissant comme capitaine du remorqueur dans le cadre de son emploi pour cette dernière.

 

Contexte

 

9.         Avant le 4 décembre 2007, M. Brian White a demandé à C&C de lui fournir un camion afin de transporter des matériaux de construction à un chantier situé sur Gambler Island.

 

10.       Les matériaux de construction ont été chargés sur le pont de la barge avant l’arrivée du camion à Horseshoe Bay, le 4 décembre 2007.

 

11.       Le chauffeur du camion, Ed Menczel, était à toutes les époques pertinentes, employé de C&C et agissait dans le cadre de son emploi. M. Menczel a fait monter le camion sur la barge en le faisant reculer sur la rampe d’accès jusqu’à la barge. Il s’agit de la façon normale de faire monter un camion sur une barge.

 

12.       Le 4 décembre 2007, le remorqueur a tracté la barge à Brigade Bay, sur Gambler Island, et M. Paterson a descendu la rampe d’accès de la barge sur celle en béton du rivage et il a attaché les amarres du quai à la barge. M. Menczel a utilisé la grue du camion pour soulever deux chargements de matériaux sur la plate‑forme du camion et il a ensuite quitté la barge. M. Menczel a livré ces matériaux au chantier au moyen du camion. Il a ensuite fait remonter le camion sur la barge en le faisant reculer sur la rampe d’accès et cette manœuvre s’est déroulée sans incident.

 

13.       M. Menczel a ensuite chargé une seconde fois des matériaux de construction sur le camion et est reparti par la rampe d’accès. Après avoir terminé la deuxième livraison, M. Menczel s’est servi du camion pour ramener une camionnette appartenant à M. White, qu’il a déposée sur la plate‑forme du camion avant de regagner la barge. Avant son retour, M. Paterson avait détaché les amarres du rivage.

 

14.       Le 4 décembre 2007, à Point Atkinson (C.‑B.), près de Gambler Island, la marée était haute à 13 h 03 HNP (13 pieds), et basse à 20 h 29 HNP (3,8 pieds).

 

Récupération

 

15.       Le 12 décembre 2007, Mercury a récupéré le camion et l’a déposé sur la barge. Au cours de cette opération, Mercury a photographié le camion sur la barge, et cette photographie montre également la rampe d’accès du rivage, en arrière‑plan [pièce D, onglet 1].

 

Le contrat intervenu entre White et Mercury

 

16.       Le contrat intervenu entre Brian White et Mercury avait pour objet l’utilisation du remorqueur et de la barge selon un tarif horaire. Le 14 décembre 2007, Mercury a transmis à Brian White une facture établie selon un tarif horaire pour l’utilisation du remorqueur et de la barge [pièce D, onglet 15].

 

17.       Mercury n’a délivré aucun connaissement, et il n’était pas prévu qu’elle le fasse.

 

Le contrat intervenu entre White et C&C

 

18.       Le 15 décembre 2007, C&C a facturé Brian White pour l’utilisation du Camion selon un tarif horaire [pièce D, onglet 16].   

 

 

 

C&C, MERCURY ET LEUR RELATION

 

[7]               La demanderesse C&C Machine Movers and Warehousing Inc. (ci‑après désignée C&C) est une entreprise appartenant à Chris Crandlemire, qu’il a créée dans les années 1980 sous un nom différent. Au cours de la période pertinente, C&C était propriétaire de deux gros camions, décrits comme des camions « porteurs » ou entraînés par l’essieu arrière, par opposition à un camion à remorque, sur lesquels étaient installées une grande plateforme en bois et une grue « HIAB » de taille importante. Un des camions, celui en cause, était de marque Freightliner; l’autre était de marque Peterbilt. La principale activité de C&C consistait à utiliser ces camions pour transporter de lourdes pièces d’équipement et de machinerie, essentiellement dans la région de Vancouver, en Colombie‑Britannique. C&C sous‑traitait également une partie de ses activités à d’autres camionneurs et conservait une partie du montant facturé.

 

[8]               La défenderesse, Mercury Launch & Tug Ltd. (ci‑après désignée Mercury) est une entreprise appartenant à Robert (Rob ou Bob) Errington, en affaire depuis le milieu des années 1980. Sa principale activité comprend un service de bateaux‑taxis et de barges pour le transport maritime de marchandises en grande partie dans la région de Howe Sound, près de Vancouver. Au cours de la période pertinente, Mercury possédait au moins deux bateaux en aluminium de vingt‑huit pieds équipés de moteurs en bord qui servaient de bateaux‑taxis et de remorqueurs de barges de halage. Mercury possédait ou frétait au moins trois barges; MLT‑1, MLT‑2 et MLT‑3 (alors connue sous le nom de BELL COPPER NO. 3, affrétée par la défenderesse Cosulich). Le Bell Copper No. 3 mesurait environ 70 pieds de longueur et possédait une plateforme en bois équipée d’une grue de type HIAB à la poupe, laquelle servait non seulement à soulever le chargement, mais aussi à soulever ou à abaisser une rampe en bois d’environ 20 pieds de longueur, installée à l’arrière de la barge.

 

[9]               Environ en 2003, MM. Crandlemire et Errington sont entrés en relation d’affaires. Cette relation s’est développée à un point tel qu’ils se confiaient souvent des contrats lorsque la situation s’y prêtait. Ainsi, si quelqu’un souhaitait transporter un chargement par voie d’eau de la partie continentale de Vancouver vers un lieu à Howe Sound, il était habituel qu’un camion C&C récupère le chargement, soit amené jusqu’à une barge Mercury, tractée par un remorqueur Mercury jusqu’au lieu souhaité à Howe Sound. Le camion était ramené à terre, déchargeait son chargement et retournait à la barge pour être ramené à la partie continentale. Le point de départ habituel sur la partie continentale était Horseshoe Bay, à un endroit appelé « Stick ». Dans la région de Howe Sound, au moins une douzaine de sites sont couramment utilisés pour les débarquements. Ces sites présentent une variété de topologies allant du gravier plat jusqu’à des pentes rocailleuses.

 

[10]           La relation entre C&C et Mercury a prospéré à partir de 2003, pour leur bénéfice mutuel. Elle est virtuellement arrivée à son terme après l’incident du 4 décembre 2007, date à laquelle le camion a été perdu.

 

BRIGADE BAY

[11]           L’incident concernant la perte du camion s’est produit à Brigantine Bay, sur Gambier Island, qui se trouve à Howe Sound. Il semble y avoir au moins deux lieux de débarquement des bateaux sur la baie. L’un est utilisé pour les bateaux‑taxis; l’autre, celui en cause, est utilisé, du moins en partie, pour le chargement.

 

[12]           Le lieu en question possède une ligne de côte plutôt abrupte, rocailleuse. Une rampe en béton a été fabriquée sur le rivage pour faciliter le chargement et le déchargement des cargaisons. Au sommet de la rampe en béton se trouve une zone recouverte de graviers où les camions peuvent faire demi‑tour. Des cordes d’amarrage sont disponibles près de la rampe du rivage pour faciliter l’amarrage des barges. Au moins une corde d’amarrage est fixée sur un boulon à œil ancré dans la roche. Chacune des cordes est constituée d’un câble métallique fixé à une chaîne, laquelle est attachée à une corde en nylon constituant l’extrémité à fixer à la barge. La corde en nylon permet un certain degré d’extension.

 

[13]           Généralement, un remorqueur tirait une barge au moyen d’une bride, constituée de deux cordes; une fixée à l’avant‑tribord de la barge; l’autre à l’avant‑bâbord, l’autre extrémité des cordes étant fixée en un point unique de la poupe du remorqueur. L’ensemble formé par le remorqueur et la barge entrait dans Brigade Bay, le remorqueur manœuvrant par rapport à la barge de telle sorte que la poupe du remorqueur était contiguë au centre de l’étrave de la barge. Le remorqueur inversait son hélice et faisait reculer la barge vers la rampe d’amarrage en béton ou à proximité de celle‑ci. La barge était fixée à l’aide des cordes d’amarrage fournies à terre, ces cordes étant fixées l’une à la poupe tribord et l’autre à la poupe bâbord de la barge. Le remorqueur continuait de pousser la barge vers la côte, laissait son moteur en action et faisait tourner son hélice pendant toute la période où la barge restait sur la rampe en béton ou à proximité de celle‑ci, souvent pendant des heures.

 

CHARGEMENT ET DÉCHARGEMENT D’UN CAMION

[14]           Il est commun, lors du chargement d’un camion « porteur », comme celui en cause, sur une barge du type dont il est question en l’espèce, de faire entrer le camion à reculons sur la barge de manière à ce qu’il parte d’avant lorsqu’il quitte la barge.

 

[15]           Généralement, un camion transportant un chargement sur sa plateforme se présente à Horseshoe Bay et est conduit en marche arrière sur le pont de la barge. La cargaison peut aussi être directement chargée sur le pont de la barge, puis le camion accède en marche arrière au pont de la barge.

 

[16]           Quand la barge arrive sur le site d’amarrage de Howe Sound, le camion charge la cargaison du pont de la barge sur la plateforme du camion si elle ne s’y trouvait pas déjà, et le camion quitte le pont de la barge en ligne droite pour emprunter la rampe de la barge puis celle de la côte. Au retour, le camion monte à reculons sur la barge.

 

[17]           La barge est équipée en poupe d’une rampe d’une longueur d’environ 20 pieds que l’on monte et abaisse à l’aide de la grue se trouvant sur la barge. La rampe sert de transition entre le pont de la barge et la rampe ou le lieu sur le rivage d’où le camion doit partir. La rampe, selon la marée et son emplacement ou la topologie du site, peut être inclinée vers le haut ou le bas ou être relativement droite par rapport au pont de la barge.

 

ÉVÉNEMENTS LE JOUR EN QUESTION

 

[18]           Le jour en question est le 4 décembre 2007.

 

[19]           Au matin, la barge Bell Copper No. 3 était arrimée à Horseshoe Bay avec, sur son pont, un chargement de bois de sciage et de matériaux de construction destinés à M. White, à Gambier Island. Le camion C&C de marque Freightliner, conduit par Ed Menczel, est arrivé et a été chargé sur le pont de la barge, à reculons vers 10 h 25. Le remorqueur tirant la barge et conduit par Neil Paterson est parti de Horseshoe Bay à destination de Brigade Bay, à Gambier Island, vers 10 h 30. L’heure de départ avait été fixée à 10 h 30, car le trajet prenait environ une heure et demie et la barge arriverait juste avant la marée haute.

 

[20]           Le remorqueur et la barge sont arrivés à Brigade Bay vers 12 h 00 (midi). La barge a été poussée en marche arrière sur la rampe en béton et les deux lignes d’amarrage attachées sur le rivage ont été fixées de part et d’autre de la poupe de la barge. Le remorqueur est resté à l’avant de la barge, sa poupe étant contiguë à l’avant et à l’hélice inversée, de manière à pousser la barge contre le rivage. Le remorqueur est resté ainsi pendant tout le reste de la journée de l’incident qui devait se produire plus tard.

 

[21]           Une partie du chargement destiné à M. White a été déchargée du pont de la barge, puis chargée sur la plateforme du camion. Monsieur Menczel a descendu le camion de la barge en marche avant vers 13 h 10 et a livré le chargement aux établissements de M. White, où il a été déchargé.

 

[22]           Vers 14 h 40, le camion est revenu à la barge, y a monté en marche arrière et a été chargé du reste de la cargaison. Vers 15 h 25, le camion chargé a quitté la barge pour livrer le reste du chargement aux établissements de M. White.

 

[23]           Alors qu’il se trouvait aux établissements de M. White, il a été demandé à Ed Menczel de charger une camionnette en mauvais état sur son camion pour aller la déposer dans un parc à ferrailles sur la partie continentale. M. Menczel a accepté et la camionnette a été chargée sur le camion. Cela peut avoir retardé le retour du camion à la barge, car il n’y est arrivé que vers 17 h 20. À cette heure‑là, il commençait à faire nuit et la marée baissait considérablement.

 

[24]           À ce stade, les témoignages du conducteur du camion, M. Menczel, et du capitaine du remorqueur, M. Paterson, divergent quant à ce qui s’est produit. Je suis convaincu que chacun tente de dire la vérité du mieux qu’il peut le faire. Étant donné l’anxiété générée par les événements et le temps qui s’est écoulé depuis lors, les divergences de leurs récits n’ont rien d’étonnant. Chacun d’entre eux est un témoin crédible.

 

[25]           M. Menczel affirme que lorsqu’il s’est approché de la zone recouverte de graviers où l’on effectue des demi‑tours, soit au sommet de la rampe en béton, une personne s’est présentée en gesticulant. Cela l’a décontenancé. M. Paterson dit que ce n’était pas lui, car il se trouvait sur le remorqueur ou la barge. Il affirme qu’il n’était pas en position de voir ce qui se passait.

 

[26]           Les deux sont d’accord qu’à ce moment‑là, le camion reculait vers la rampe de chargement de la barge, mais que les amarres étaient dénouées. M. Paterson déclare qu’il a dénoué les amarres avant le retour du camion, car la marée descendait et les amarres étaient presque entièrement tendues. M. Paterson reconnaît qu’il aurait pu ajouter de la corde aux amarres, mais que cela aurait pris du temps et qu’il commençait à faire très sombre. Le remorqueur était toujours en marche arrière et poussait la barge vers le rivage.

 

[27]           M. Menczel dit que tandis qu’il conduisait le camion en marche arrière sur la rampe de chargement de la barge, il pouvait voir M. Paterson lui donner des indications dans son rétroviseur. M. Paterson est d’accord. M. Menczel dit qu’il a ensuite cessé de voir M. Paterson, et a cru qu’il était passé de l’autre côté du camion. M. Paterson ne s’en souvient pas.

 

[28]           M. Menczel dit qu’il a vu la barge se déplacer lorsque l’essieu le plus à l’arrière du camion a quitté la rampe de la barge et a accédé à la barge. M. Paterson dit que la barge ne s’est pas déplacée à ce moment‑là.

 

[29]           Sentant que la barge se déplaçait, M. Menczel a actionné le système de freinage pneumatique du camion. Ce freinage a eu pour effet de bloquer toutes les roues du camion, à l’avant et à l’arrière, jusqu’à ce que le frein soit relâché. Il dit qu’il croyait que cela bloquerait les roues arrière sur le pont de la barge et les roues avant sur la rampe du rivage et empêcherait ainsi tout mouvement pouvant éloigner la barge du rivage.

 

[30]           M. Crandlemire, propriétaire de C&C et conducteur de camion expérimenté ayant formé M. Menczel, a déclaré lors de l’interrogatoire préalable et a confirmé en contre‑interrogatoire lors du procès qu’il « l’aurait démarré », c’est‑à‑dire qu’il aurait fait reculer le camion rapidement sur le pont de la barge en utilisant la force de rotation des roues à propulsion arrière pour pousser la barge vers le rivage. M. Paterson, le capitaine du remorqueur, dit que selon son expérience, c’est ce que de nombreux conducteurs auraient fait.

 

[31]           Il est important de remarquer que je ne dispose pas d’un témoin qualifié comme expert dans la conduite de camions abordant les barges et en débarquant. Bien que je dispose des points de vue de MM. Menczel, Crandlemire et Paterson, et que dans le cas de Crandlemire, il s’agisse d’un point de vue expérimenté, je ne dispose pas de l’opinion d’un expert.

 

[32]           Tandis que M. Menczel se trouvait dans la cabine du camion, et avait enclenché le système de freinage pneumatique, un bruit a retenti. En effet, le pare‑chocs avant heurtait les rochers sur le rivage. Très rapidement, tout l’avant du camion a commencé à sombrer et la cabine s’est remplie d’eau. M. Menczel a attrapé son téléphone cellulaire, a sauté hors du camion et a nagé et pataugé jusqu’à l’endroit sûr le plus proche, à savoir le pont de la barge.

 

[33]           MM. Menczel et Paterson ont rapidement discuté de ce qu’il convenait de faire. Il a été décidé d’attacher une corde à l’arrière du remorqueur et à l’arrière du camion en vue de hisser le camion sur le pont de la barge. Une des cordes d’arrimage du rivage a été rapidement fixée à l’arrière de la barge. La manœuvre s’est avérée plus difficile pour l’autre. M. Menczel, avec l’aide d’une lampe de poche, est entré à nouveau dans l’eau et a nagé pour retrouver la seconde corde d’arrimage et la fixer à la barge.

 

[34]           M. Paterson a estimé qu’il était impossible de hisser le camion sur le pont de la barge avec les freins serrés, car toutes les roues étaient bloquées. Il a persuadé M. Menczel de retourner à la nage dans la cabine du camion et de desserrer les freins. Dès que M. Menczel a desserré les freins, la barge a fait un mouvement brusque et inattendu de telle sorte que son côté tribord penchait vers le rivage. Le camion a commencé à basculer. M. Menczel a sauté hors du camion, et a pu, en nageant, parvenir à la rive sain et sauf. À ce moment‑là, le camion avait plongé à l’eau et sombré à une profondeur de cinquante‑cinq pieds.

 

[35]           Entre‑temps, un bateau‑taxi de chez Mercury est arrivé par hasard. Apparemment, il était venu chercher ou déposer un ou plusieurs passagers ailleurs à Brigade Bay. Le capitaine de ce bateau est maintenant décédé. MM. Menczel et Paterson sont tous les deux d’accord pour dire que le bateau‑taxi n’a nullement causé l’accident, et n’y a pris part d’aucune façon. Il a reconduit M. Menczel sur la partie continentale où sa femme l’attendait avec des vêtements secs et du café chaud.

 

[36]           Mais revenons maintenant au moment où M. Menczel a nagé jusqu’au rivage. M. Paterson a rendu à M. Menczel son téléphone cellulaire qui se trouvait sur la barge, puis M. Menczel a téléphoné à M. Crandlemire pour lui relater les faits. M. Crandlemire dit avoir ensuite appelé M. Errington. Je reviendrai à ces événements plus tard.

 

[37]           Quand M. Menczel est revenu sur la partie continentale, il est rentré chez lui après avoir reçu des vêtements secs et avoir bu un café chaud apportés par son épouse. M. Menczel a dicté à sa femme les événements tels qu’il s’en souvenait. Ces notes ont été déposées en preuve, comme pièce D, onglet 5. Par la suite, M. Menczel a raconté les événements à un assureur, ICBC, et les notes de ce qu’il a dit [ont également été déposées comme éléments de preuve, pièce D, onglet 20].

 

[38]           M. Paterson a pris de brèves notes des événements dans son journal de bord, les données pertinentes ayant été consignées le lendemain. Ces notes ont été déposées comme pièce D, onglet 13. Voici ce qu’elles révèlent :

 

[traduction]

En reculant le camion sur la barge, le conducteur s’arrête et se met en marche avant, éloignant la barge du rivage. Avant du camion submergé – arrière du camion toujours sur la rampe de la barge. Barge à nouveau amarrée au rivage et alors que des efforts sont déployés pour récupérer le camion – la barge glisse et pivote – le camion bascule par‑dessus la rampe et coule.

 

[39]           Lors de l’interrogatoire préalable et du contre‑interrogatoire, M. Paterson a reconnu qu’il n’a pas vu le camion se déplacer vers l’avant comme il semble l’affirmer dans les notes. M. Menczel nie formellement avoir mis le camion en marche avant.

 

[40]           La barge vide et le remorqueur sont revenus à Horseshoe Bay vers 19 h 05.

 

[41]           Quelques jours plus tard, la barge est retournée à Brigade Bay à la demande de C&C et a récupéré le camion. Une photographie du camion récupéré, avec la camionnette en mauvais état sur la rampe de Brigantine Bay, a été déposée en preuve comme pièce D, onglet 1. Mercury a facturé à C&C les opérations de récupération et C&C a payé la facture. M. Crandlemire dit qu’il ne savait pas vers qui d’autre se tourner et qu’il paie toujours ses factures.

 

[42]           M. Paterson est toujours employé par Mercury. M. Menczel a déménagé et conduit maintenant un camion‑bétonnière. Ils semblent tous les deux avoir conservé un vif souvenir de la soirée du 4 décembre 2007.

 

DISCUSSIONS ENTRE MM. CRANDLEMIRE ET ERRINGTON

[43]           Selon les demanderesses, deux discussions différentes sont censées avoir eu lieu entre MM. Crandlemire et Errington qui, à leur avis, concernent des questions relatives à la responsabilité.

 

[44]           La première est une discussion censée avoir eu lieu entre MM. Crandlemire et Errington en 2003 ou autour de cette date lorsque la relation d’affaires entre leurs deux entreprises, C&C et Mercury, se développait. M. Crandlemire dit qu’il était inquiet de faire transporter ses camions sur les barges de Mercury et voulait savoir ce qui se passerait si un camion faisait l’objet d’une perte totale ou était endommagé. M. Crandlemire dit que M. Errington lui a répondu quelque chose laissant entendre qu’il n’avait pas à s’inquiéter et que Mercury était couvert par une assurance. M. Errington dit qu’il ne se souvient pas de cette conversation et que de toute façon, il n’aurait pas dit une telle chose à M. Crandlemire, car le point de vue de M. Errington avait toujours été que les personnes se trouvant dans la situation de M. Crandlemire devraient se charger de leur propre assurance.

 

[45]           Quoi qu’il en soit, M. Crandlemire a par la suite téléphoné à son assureur et, s’il est vrai que nous ne savons pas ce que l’assureur lui a dit, M. Crandlemire n’a pas souscrit d’assurance particulière.

 

[46]           Compte tenu des éléments de preuve présentés, je crois que M. Crandlemire a soulevé la question de l’assurance et de la responsabilité avec M. Errington. Toutefois, M. Crandlemire n’a pris aucune note de quelque nature que ce soit concernant cette discussion et n’a confirmé par écrit aucune de ces discussions tenues avec M. Errington. M. Crandlemire a plutôt entrepris de communiquer avec son propre assureur et a probablement agi selon les conseils de ce dernier. Cet avis n’a pas été déposé en preuve.

 

[47]           Je ne considère pas ces discussions comme constituant d’une manière ou d’une autre un engagement d’indemnisation de Mercury en faveur de C&C.

 

[48]           Le second échange est celui par téléphone qui aurait eu lieu entre M. Crandlemire et M. Errington le jour même de l’événement, soit le 4 décembre 2007. M. Crandlemire dit avoir téléphoné à M. Errington peu après l’appel de M. Menczel l’informant que le camion avait coulé. M. Crandlemire affirme que M. Errington lui a dit quelque chose laissant entendre qu’il n’avait pas à s’inquiéter, qu’il s’occuperait de tout. Le témoignage de M. Crandlemire concernant les appels effectués est corroboré par les données de son téléphone cellulaire, qui indiquent deux appels vers le numéro de régulation des appels de Mercury, lesquels auraient été transférés (M. Errington étant d’accord sur ce point) sur son téléphone cellulaire personnel vers 18 h. Étant donné le temps qui s’est écoulé, M. Crandlemire n’a toutefois pu déterminer avec précision quand les appels téléphoniques ont été effectués. Je ne le lui reprocherais pas ce fait.

 

[49]           M. Errington nie que ces appels ont été faits. Je ne peux pas accepter ce point de vue du fait des données du téléphone cellulaire. M. Errington déclare par ailleurs qu’il ne se souvient pas avoir dit à Crandlemire qu’il s’occuperait de tout et qu’il ne lui aurait certainement pas fait de telles déclarations.

 

[50]           Mon évaluation des éléments de preuve est que M. Crandlemire a effectivement parlé à M. Errington ce soir‑là et que ce dernier a probablement dit quelque chose pour calmer M. Crandlemire. Il n’y a aucune trace de ces conversations, et M. Crandlemire n’a rien confirmé par écrit. En fait, quelques jours plus tard, Mercury a récupéré le camion et a facturé à C&C la somme de 5 215,20 $ pour ces services. C&C a payé cette facture sans la contester.

 

[51]           Quelle que soit la teneur des conversations tenues le 4 décembre 2007, j’estime qu’il n’était pas question pour Mercury de s’engager à régler les pertes subies par C&C.

 

[52]           Je vais maintenant revenir aux questions en litige.

 

QUESTION No 1 :     Qui est responsable de la perte du camion?

[53]           J’ai déjà retracé, en détail, les événements qui entourent la perte du camion survenue le 4 décembre 2007. J’estime que les faits relatés ci‑dessous ont été prouvés de façon satisfaisante et qu’ils doivent être pris en compte dans la décision à rendre au regard de la responsabilité de la perte du camion :

 

1.                  À toutes les époques pertinentes, le camion était sous le contrôle du conducteur, M. Menczel, et le remorqueur et la barge étaient sous le contrôle du capitaine, M. Paterson. Ils agissaient tous les deux dans l’exercice de leurs fonctions. Ainsi, les gestes posés par M. Menczel peuvent être attribués à C&C, et ceux de M. Paterson à Mercury.

 

2.                  Au moment où M. Menczel dirigeait le camion en marche arrière vers la barge, il faisait sombre et la marée descendait. Les cordes d’arrimage fournies sur le rivage n’étaient pas fixées à la barge. La barge n’était maintenue en place que par la poussée vers l’arrière de l’hélice du remorqueur, lequel poussait contre l’avant de la barge.

 

3.                  Le capitaine Paterson indiquait de la main la direction à prendre au chauffeur, M. Menczel, pendant l’embarquement du camion sur la barge.

 

4.                  M. Menczel s’est rendu compte que la barge s’éloignait du rivage. De son propre chef, il a actionné le système de freinage pneumatique du camion qui, à son avis, empêcherait la barge de bouger en bloquant les roues arrière du camion sur la barge et les roues avant du camion sur le rivage.

 

5.                  Il n’existe pas de norme ou de méthode agréée pour gérer la situation à laquelle M. Menczel a dû faire face. Il semble que certains conducteurs de camion auraient reculé en accélérant pour faire monter le camion sur la barge et rapprocher, grâce à la rotation des roues vers l’arrière, la barge du rivage.

 

6.                  Malgré les efforts de Menczel pour bloquer les roues, la barge a continué de s’éloigner du rivage jusqu’à ce que la partie avant du camion tombe dans l’eau.

 

7.                  M. Paterson a suggéré, avec l’accord de M. Menczel, d’attacher une corde au remorqueur et à l’arrière du camion pour tenter de le hisser sur la barge. Pour ce faire, M. Menczel a dû entrer à nouveau dans la cabine du camion et desserrer le système de freinage pneumatique.

 

8.                  Pendant que M. Menczel se trouvait dans la cabine et avait desserré le système de freinage pneumatique, la barge a tourné sur le côté de manière inattendue et pour des raisons inconnues. M. Menczel a pu s’échapper du camion. Le camion est tombé de la barge et a sombré dans l’eau.

 

[54]           Je conclus que la responsabilité pour la perte du camion incombe à Mercury. Mercury était propriétaire du remorqueur et affrétait la barge. Le capitaine du Mercury, M. Paterson, dirigeait l’embarquement du camion sur la barge. Quand l’avant du camion a commencé à sombrer dans l’eau, c’est le capitaine employé par Mercury qui a suggéré de fixer une corde au remorqueur et au camion pour tenter de hisser le camion sur la barge.

 

QUESTION No 2 :    Les défendeurs ont‑ils fait preuve de négligence?

[55]           Je conclus que Mercury a fait preuve de négligence, premièrement en ne fixant pas les cordes d’arrimage du rivage à la barge. Il faisait sombre et la marée descendait. Même s’il fallait agir prestement, un capitaine prudent aurait néanmoins ajouté de la longueur aux cordes d’arrimage sur le rivage afin d’y sécuriser la barge. Malgré l’absence de sécurité, le capitaine a néanmoins fait signe au chauffeur du camion de reculer son véhicule sur la barge. C’est faire preuve de négligence que de poser ce geste.

 

QUESTION No 3 :    Les demanderesses ont‑elles fait preuve de négligence contributive?

[56]           Si une faute peut être attribuée aux demanderesses, elle repose sur la décision du chauffeur, soit celle d’actionner le système de freinage pneumatique pour tenter d’immobiliser la barge lorsqu’il l’a vue se déplacer. Il aurait été préférable de faire reculer le camion vers la barge en accélérant. Il n’existe, toutefois, aucune preuve d’expert pour établir ce qui aurait constitué en l’occurrence la norme ou la meilleure pratique.

 

[57]           Je n’attribue aucune faute aux demanderesses en ce qui concerne les événements ultérieurs, à savoir, la fixation d’une corde entre le remorqueur et le camion, suivie du mouvement de rotation inexpliqué de la barge.

 

[58]           Au mieux, j’attribue dix pour cent (10 %) de la faute à la demanderesse, C&C, pour avoir actionné en premier lieu le système de freinage pneumatique.

 

QUESTION No 4 :    Existe‑t‑il un droit d’action réelle contre la barge ou un quelconque droit d’action personnelle contre Cosulich Group Investments Inc.?

 

[59]           Il est admis qu’à la date de l’incident, soit le 4 décembre 2007, la barge qui était alors connue sous le nom de « Bell Copper No. 3 » était la propriété de Cosulich Group Investments Inc. et était exploitée par Mercury, qui l’avait affrétée de Cosulich. À la date où la présente action a été introduite en 2009, la barge, renommée « MLT‑3 », avait été vendue par Cosulich à Mercury.

 

[60]           Il est bien établi que le paragraphe 43(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F‑7, a pour effet de priver la présente Cour de la compétence en matière réelle dans les cas des demandes visées aux alinéas 22(2)e), f), g), h), i), k), i), n), p) ou r), de cette Loi, dans les circonstances décrites ci‑dessous, lorsqu’il y a eu un changement de propriétaire entre la date de l’incident et celle où l’action a été introduite :

 

43. Note marginale :Exception

(3) Malgré le paragraphe (2), elle ne peut exercer la compétence en matière réelle prévue à l’article 22, dans le cas des demandes visées aux alinéas 22(2) e), f), g), h), i), k), m), n), p) ou r), que si, au moment où l’action est intentée, le véritable propriétaire du navire, de l’aéronef ou des autres biens en cause est le même qu’au moment du fait générateur.

 

43. Marginal note:Exception

(3) Despite subsection (2), the jurisdiction conferred on the Federal Court by section 22 shall not be exercised in rem with respect to a claim mentioned in paragraph 22(2)(e), (f), (g), (h), (i), (k), (m), (n), (p) or (r) unless, at the time of the commencement of the action, the ship, aircraft or other property that is the subject of the action is beneficially owned by the person who was the beneficial owner at the time when the cause of action arose.

 

 

[61]           Les avocats des demanderesses soutiennent que l’action réelle prévue à l’alinéa 22(2)d) n’est pas éteinte, et que Cosulich, en tant que propriétaire de la barge au moment de l’incident, avait une responsabilité personnelle immédiate à l’égard de l’action réelle introduite à l’encontre de la barge. L’alinéa 22(2)d) de la Loi sur les Cours fédérales est ainsi libellé :

 

22(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), elle a compétence dans les cas suivants :

 

[. . .]

 

d) une demande d’indemnisation pour décès, dommages corporels ou matériels causés par un navire, notamment par collision;

 

22(2) Without limiting the generality of subsection (1), for greater certainty, the Federal Court has jurisdiction with respect to all of the following:

 

. . .

 

(d) any claim for damage or for loss of life or personal injury caused by a ship either in collision or otherwise;

 

 

[62]           Les avocats des demanderesses invoquent la décision MacMillan Bloedel Ltd c Canadian Stevedoring Co, [1969] 2 R. C. de l’É. 375, au paragraphe 33, à titre d’exemple d’une action pour dommages causés par un navire :

 

[traduction]

33     À mon avis, il ne fait aucun doute que l’action telle que présentée en l’espèce, est une action pour dommages « causés par un navire » qui « a heurté » le quai, de sorte que le bois qui était sur les ponts a été projeté sur le quai et qu’elle correspond aux commentaires les plus restrictifs qui ont pu être faits quant à l’effet de l’article 7 de la Loi de 1861, lorsqu’on les considère dans leur contexte. Un navire de transport sert à recevoir des marchandises, à les transporter et à les décharger. Pendant toute la période où il sert à cette fin, le navire est à flot et il doit être manœuvré et contrôlé de façon à rendre cette fin possible. Il est tout aussi important de manœuvrer un navire pendant le déchargement et le chargement des marchandises de façon qu’il demeure stable et ne chavire pas, que de le manœuvrer pendant qu’il navigue d’un point donné à un autre, afin qu’il se rende à destination de façon sécuritaire. Si en raison d’un manquement des personnes responsables du déchargement et du chargement d’un navire, celui‑ci brise ses amarres et heurte [page 387] le quai ou cause quelqu’autre dommage, ces dommages, à mon avis, sont « causés par un navire » exactement au même titre que des dommages causés par un navire à la suite d’une collision. Selon moi, il ne fait aucun doute que dans un tel cas toute action introduite contre le navire ou son propriétaire exploitant serait clairement visée par les dispositions de l’alinéa 22(1)b) de la loi de 1925.

 

[63]           Dans MacMillan Bloedel, le navire avait heurté un quai, de sorte qu’une partie de la cargaison avait été projetée sur le quai. Il a été jugé que ces dommages avaient été « causés par un navire ».

 

[64]           Les avocats des demanderesses ont également invoqué l’arrêt rendu par la Chambre des lords dans The Eschersheim, 1 [1976] WLR 430, au soutien de la thèse selon laquelle le contact physique du navire n’est pas nécessaire pour ouvrir droit à une action pour « dommages causés par un navire ». Il convient cependant de prendre en compte dans son ensemble le passage des motifs de lord Diplock, à la page 348, auxquels ont souscrit tous les autres lords juges :

 

[traduction]

L’expression imagée « dommages causés par un navire » est un terme technique de droit maritime dont la signification est bien établie par la jurisprudence. (The Vera Cruz (No. 2) (1884) 9 P.D. 96; Currie c. McKnight [1897] A.C. 97.) Pour qu’elle puisse s’appliquer, non seulement le dommage doit être le résultat direct ou la conséquence naturelle de quelque chose qui a été fait par ceux qui se livrent à la navigation d’un navire, mais le navire lui‑même doit aussi être l’instrument réel du dommage causé. Le cas le plus fréquent est la collision, laquelle est expressément mentionnée dans la Convention : le contact physique entre le navire et l’objet endommagé, quel qu’il soit, n’est cependant pas essentiel – un navire peut par négligence causer un remous, qui causera lui‑même des dommages à un autre navire ou à une propriété sur le rivage.

 

[65]           On constate ainsi que l’expression « dommages causés par un navire » est un terme technique utilisé en droit maritime. Le dommage doit être le résultat direct ou la conséquence naturelle de quelque chose qui a été fait par ceux qui se livrent à la navigation du navire, et l’instrument réel du dommage doit être le navire lui‑même.

 

[66]           En l’espèce, ni la barge « Bell Copper No. 3 » ni le remorqueur « Mercury XII » n’ont été l’instrument réel (que ce soit par contact physique ou autrement) du dommage causé au camion. Ce dommage découle des actes posés par l’un ou l’autre du chauffeur de camion ou du capitaine de la barge et du remorqueur, ou par les deux.

 

[67]           Je conclus donc, dans les circonstances de l’espèce, que la barge MLT‑3, autrefois connue sous le nom de Bell Copper No. 3, ne peut faire l’objet d’une action réelle. Étant donné qu’aucune action réelle ne peut être engagée, aucune action personnelle contre la défenderesse Cosulich Group Investments Inc. ne peut être engagée.

 

QUESTION No 5 :    Les règles de La Haye‑Visby s’appliquent‑elles, et la demande est‑elle prescrite?

 

[68]           Les règles de La Haye‑Visby désignent l’ensemble des règles figurant à l’annexe 3 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6. L’article 41 de cette Loi donne la définition suivante de ces règles :

41. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

 

[. . .]

 

« règles de La Haye‑Visby »

 

“Hague‑Visby Rules”

 

« règles de La Haye‑Visby » Les règles figurant à l’annexe 3 et faisant partie de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, conclue à Bruxelles le 25 août 1924, du protocole de Bruxelles conclu le 23 février 1968 et du protocole supplémentaire de Bruxelles conclu le 21 décembre 1979.

 

41. The definitions in this section apply in this Part.

 

 

“Hague‑Visby Rules”

 

« règles de La Haye‑Visby »

 

“Hague‑Visby Rules” means the rules set out in Schedule 3 and embodied in the International Convention for the Unification of Certain Rules of Law relating to Bills of Lading, concluded at Brussels on August 25, 1924, in the Protocol concluded at Brussels on February 23, 1968, and in the additional Protocol concluded at Brussels on December 21, 1979.

 

 

[69]           Les règles de La Haye‑Visby ont force de loi au Canada en vertu des dispositions suivantes des paragraphes 43(1) et (2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime :

 

43. (1) Les règles de La Haye‑Visby ont force de loi au Canada à l’égard des contrats de transport de marchandises par eau conclus entre les différents États selon les règles d’application visées à l’article X de ces règles.

 

Note marginale : Application étendue

(2) Les règles de La Haye‑Visby s’appliquent également aux contrats de transport de marchandises par eau d’un lieu au Canada à un autre lieu au Canada, directement ou en passant par un lieu situé à l’extérieur du Canada, à moins qu’ils ne soient pas assortis d’un connaissement et qu’ils stipulent que les règles ne s’appliquent pas.

 

43. (1) The Hague‑Visby Rules have the force of law in Canada in respect of contracts for the carriage of goods by water between different states as described in Article X of those Rules.

 

 

Marginal note: Extended application

(2) The Hague‑Visby Rules also apply in respect of contracts for the carriage of goods by water from one place in Canada to another place in Canada, either directly or by way of a place outside Canada, unless there is no bill of lading and the contract stipulates that those Rules do not apply.

 

 

[70]           Il importe de noter que le paragraphe 43(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime prévoit l’application des règles de La Haye‑Visby « […] à l’égard des contrats de transport de marchandises par eau conclus entre les différents États selon les règles d’application visées à l’article X de ces règles ». L’article X est ainsi libellé :

 

Article X

Application

Les dispositions des présentes règles s’appliqueront à tout connaissement relatif à un transport de marchandises entre ports relevant de deux États différents, quand :

 

a) le connaissement est émis dans un État contractant, ou

 

b) le transport a lieu au départ d’un port d’un État contractant, ou

 

c) le connaissement prévoit que les dispositions des présentes règles ou de toute autre législation les appliquant ou leur donnant effet régiront le contrat,

 

quelle que soit la nationalité du navire, du transporteur, du chargeur, du destinataire ou de toute autre personne intéressée.

 

Article X

Application

The provisions of these Rules shall apply to every bill of lading relating to the carriage of goods between ports in two different States if:

 

 

(a) the bill of lading is issued in a Contracting State, or

 

(b) the carriage is from a port in a Contracting State, or

 

 

(c) the contract contained in or evidenced by the bill of lading provides that these Rules or legislation of any State giving effect to them are to govern the contract,

 

whatever may be the nationality of the ship, the carrier, the shipper, the consignee, or any other interested person.

 

[71]           Le paragraphe 43(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime découle du paragraphe 43(1) et étend l’application des règles de La Haye‑Visby visant les « contrats de transport de marchandises » à ceux traitant de la livraison de marchandises d’un lieu au Canada à un autre lieu au Canada à moins qu’ils ne soient assortis d’un connaissement et qu’ils stipulent que les règles ne s’appliquent pas.

 

[72]           Les paragraphes 43(1) et (2) doivent être considérés ensemble de sorte que, dans chaque cas, le « contrat de transport de marchandises » doit répondre à la définition figurant à l’article X des règles de La Haye‑Visby. En vertu de l’article X, les règles sont applicables au « connaissement ».

 

[73]           Le « connaissement » n’est pas défini dans la Loi sur la responsabilité en matière maritime, ni dans les règles de La Haye‑Visby; l’article I des règles définit toutefois le « contrat de transport » comme un contrat constaté par un « connaissement » ou par tout « document similaire formant titre ».

 

Article I

Définitions

Dans les présentes règles, les mots suivants sont employés dans le sens précis indiqué ci‑dessous :

 

[. . .]

 

b) « contrat de transport » s’applique uniquement au contrat de transport constaté par un connaissement ou par tout document similaire formant titre pour le transport des marchandises par eau, il s’applique également au connaissement ou document similaire émis en vertu d’une charte‑partie à partir du moment où ce titre régit les rapports du transporteur et du porteur du connaissement;

 

Article I

Definitions

In these Rules the following expressions have the meanings hereby assigned to them respectively, that is to say,

 

. . .

 

(b) “contract of carriage” applies only to contracts of carriage covered by a bill of lading or any similar document of title, in so far as such document relates to the carriage of goods by water, including any bill of lading or any similar document as aforesaid issued under or pursuant to a charter‑party from the moment at which such bill of lading or similar document of title regulates the relations between a carrier and a holder of the same;

 

 

[74]           Aux paragraphes 13 et 14 de la décision dans Timberwest Forest Corp c Pacific Link Ocean Services Corp, 2008 CF 801, le juge Harrington de notre Cour a examiné ce qu’est un « connaissement » :

 

13     Bien que le connaissement soit un document important, il n’est défini ni dans les Règles de La Haye‑Visby ni dans la Loi sur les connaissements [L.R.C. (1985), ch. B‑5]. L’article I des Règles [définition de « contrat de transport »] prévoit qu’elles ne s’appliquent qu’au « contrat de transport constaté par un connaissement ou par tout document similaire formant titre ». Selon les modalités qui y sont prévues, le connaissement peut constituer un effet de commerce négociable. Le fait que le transporteur, ou ses agents, livre la cargaison au détenteur du connaissement est un aspect fondamental du contrat de transport constaté par un connaissement. Ces aspects du connaissement ne sont pas pertinents en l’espèce.

 

 

14    Le connaissement à bord sert d’accusé de réception des marchandises et atteste qu’elles sont effectivement à bord du navire. Le connaissement fait également mention de l’état apparent des marchandises. Il est invariablement délivré après l’embarquement et la conclusion du contrat de transport. Par conséquent, lorsqu’il est en possession de la partie qui a conclu le contrat de transport avec le transporteur, il peut ou non faire foi des modalités de transport. En l’espèce, le connaissement ne constitue qu’une partie du contrat global. Dans le cas où le connaissement fait l’objet d’une consignation ou d’un endossement, l’article 2 de la Loi sur les connaissements prévoit que le consignataire et l’endossataire « entrent en possession et sont saisis des mêmes droits d’action et assujettis aux mêmes obligations à l’égard de cette marchandise que si les conventions contenues dans le connaissement avaient été arrêtées avec ce consignataire ou cet endossataire ». Dans un tel cas, le connaissement tient lieu de contrat. Comme il n’y a ni tiers consignataire ni tiers endossataire, le connaissement, qui n’a jamais été délivré, n’aurait pas réellement constitué un document formant titre. Néanmoins, ces éléments sont importants afin de déterminer si le contrat de transport global exigeait que le chargeur souscrive une assurance au bénéfice du transporteur et, le cas échéant, si cette exigence est contraire aux Règles. Certes, cette exigence ne figure pas dans le formulaire de connaissement type du transporteur, mais elle pourrait se trouver dans une autre partie du contrat global.

 

[75]           Dans Compagnie générale Électrique du Canada Limitée c Les Armateurs du St‑Laurent Inc, [1977] 1 CF 215, le juge Dubé de notre Cour s’est penché sur la législation maritime antérieure; il a cependant effectué un examen exhaustif de la jurisprudence en matière de connaissement. Je reprends ce qu’il a écrit à la page 222 :

 

Et on cite une décision de lord Goddard dans l’affaire "The Ardennes" :

 

[TRADUCTION] Il est, à mon sens, bien établi qu’un connaissement ne constitue pas par lui‑même le contrat liant l’armateur et l’expéditeur, bien que, selon certains arrêts, il puisse avoir une grande force probante quant aux conditions de ce contrat : voir le jugement de lord Bramwell dans l’affaire Sewell Burdick et l’arrêt Crooks c. Allan. Le contrat est préexistant à la signature du connaissement; ce dernier n’est signé que par une seule des parties, et remis par elle à l’expéditeur, généralement après le chargement des marchandises sur le navire. Certes, si l’expéditeur constate que le connaissement comporte une clause qui ne le satisfait pas, ou ne comporte pas une clause qu’il a exigée, il pourrait, s’il en a le temps, réclamer ses marchandises; mais il n’est pas pour autant, à mon avis, empêché de prouver qu’un contrat avait été effectivement conclu avant la signature du connaissement, et dont la teneur était différente de celle du connaissement, ou qui comportait une clause supplémentaire. Il ne prend aucune part à l’établissement du connaissement; il ne le signe pas.

 

 

            et à la page 223 :

 

 

            J. Bes définit les trois fonctions du connaissement à la page 110 de Chartering and Shipping Terms, volume 1, 9 éd., Barker & Howard Ltd., Londres, 1975 :

 

[traduction] Un connaissement a les fonctions suivantes :

 

1.      C’est un reçu de marchandises, signé par le capitaine ou une autre personne dûment autorisée par les transporteurs.

 

2.      C’est un titre représentatif des marchandises énumérées.

 

3.      Il constitue une preuve des modalités et conditions du transport convenues par les deux parties.

 

[76]           Je conclus donc que le « contrat de transport de marchandises », auquel s’applique les règles de La Haye‑Visby en vertu du paragraphe 43(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, est un connaissement ou un document similaire formant titre. En l’absence de connaissement ou de document similaire, le paragraphe 43(2) exclut alors de l’application des règles de La Haye‑Visby le transport de marchandises d’un lieu au Canada à un autre lieu au Canada. En résumé, il faut un document; le contrat oral non constaté ou non prévu par un connaissement ou un document similaire n’est pas visé par le paragraphe 43(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime.

 

[77]           Le paragraphe 6 de l’article III des règles de La Haye‑Visby interdit toute action contre le transporteur et le navire à moins qu’elle ne soit intentée dans l’année de la date de délivrance des marchandises :

 

Sous réserve des dispositions du paragraphe 6bis, le transporteur et le navire seront en tout cas déchargés de toute responsabilité, à moins qu’une action ne soit intentée dans l’année de délivrance des marchandises ou de la date à laquelle elles eussent dû être délivrées. Ce délai peut toutefois être prolongé par un accord conclu entre les parties postérieurement à l’événement qui a donné lieu à l’action.

 

[78]           En l’espèce, l’action a été intentée plus d’une année après la date de délivrance des marchandises. Il n’y avait cependant pas de contrat écrit entre la demanderesse et Mercury, ou aucun document constatant un contrat. Le contrat entre M. White et Mercury avait pour objet l’utilisation d’un remorqueur et d’une barge selon un tarif horaire. Il est admis que Mercury n’a pas délivré de connaissement et qu’aucun n’était censé l’être.

 

[79]           Les règles de La Haye‑Visby ne s’appliquent pas. L’action n’est pas prescrite par ces règles.

 

QUESTION No 6 :    (Les parties ont abandonné cette question)

 

QUESTION No 7 :    Si les règles de La Haye‑Visby pouvaient être appliquées, les défenderesses ont‑elles renoncé aux défenses que ces règles permettent d’invoquer lors des conversations intervenues, avant et après la perte, entre M. Errington, de Mercury, et M. Crandlemire, de la demanderesse C&C?

 

[80]           Lors de l’analyse de la question no 4, j’ai déjà conclu que les règles de La Haye‑Visby ne s’appliquent pas.

 

[81]           Même si elles devaient s’appliquer, je ne suis pas convaincu que la preuve établit la nature et la portée de ces conversations au point de conclure qu’il y a eu entente entre les parties.

 

[82]           En ce qui concerne les conversations intervenues entre M. Errington et M. Crandlemire en 2003, il n’existe aucun dossier écrit ni aucun autre élément de preuve quant à la teneur exacte de ce qui a été dit et par qui cela aurait pu être dit. M. Crandlemire a eu par la suite des discussions avec son agent d’assurance; par conséquent, peu importe ce qu’a pu dire M. Errington, M. Crandlemire ou C&C n’en n’ont pas tenu compte et n’ont pas modifié leur position. Dans le meilleur des cas, ce que M. Errington peut avoir dit a simplement incité M. Crandlemire à se renseigner au sujet des assurances et à prendre des mesures, ou s’abstenir de le faire, après avoir consulté son propre courtier en assurances.

 

[83]           En ce qui concerne la conversation intervenue entre M. Errington et M. Crandlemire, le ou vers le 4 décembre 2007, là encore je conclus que la preuve ne permet pas d’en établir la nature exacte ni ce qui a été dit. Je conclus que des propos ont été échangés, mais je suis incapable d’en déterminer la teneur avec précision. M. Crandlemire n’a pris aucune mesure, ou ne s’est pas abstenu de le faire, à la suite de ces conversations. Aussi, aucun acte de confiance préjudiciable n’a été posé. Dans la mesure où M. Errington aurait offert, le cas échéant, de prêter assistance, cette offre a été promptement déclinée. En fait, C&C a payé Mercury pour le sauvetage du camion sans aucune contestation à l’époque.

 

[84]           En conséquence, je conclus que même si les règles de La Haye‑Visby s’appliquaient, il n’y a pas eu de renonciation.

 

QUESTION No 8 :    Le camion de C&C se trouvait‑il sur la barge de Mercury à titre d’invité envers qui Mercury avait une obligation de diligence qui n’était soumise à aucune restriction ni à aucun contrat la liant à White, sa cliente?

 

[85]            Les avocats des défendeurs soutiennent que cette question n’a pas été débattue. Les avocats des demanderesses admettent que la question n’a pas été explicitement débattue, mais ils font valoir qu’il s’agit d’une question de droit découlant manifestement de ce qui est plaidé et de ce qui était de toute évidence connu des défendeurs au terme d’un certain nombre d’auditions avant procès et de requêtes.

 

[86]           Je conviens avec les avocats des défendeurs que la Cour n’a pas été saisie à juste titre de cette question. La présente action a été initiée il y a environ trois ans; les actes de procédure des deux parties ont été modifiés au cours d’une série d’audiences sur la gestion de l’instance et de requêtes. Les demanderesses ont eu amplement le temps de modifier leur demande si elles l’avaient jugé opportun.

 

[87]           Faire valoir que la question n’est en fait qu’un argument juridique s’appliquant à des faits connus manque de pertinence. Un argument juridique fondé sur des faits, connus ou non, doit porter sur un point en litige et celui‑ci doit être débattu. La partie adverse ne doit pas deviner ce qui sera présenté en preuve et débattu au procès. Elle doit être clairement informée des points qui seront soulevés. Je reprends ce que j’ai écrit au paragraphe 73 de la décision rendue dans Apotex Inc c AstraZeneca Canada Inc, 2012 CF 559 :

 

[73]     J’ai examiné les observations écrites d’AstraZeneca et j’ai entendu la plaidoirie de ses avocats. Une partie de cette plaidoirie va plus loin que ce qu’AstraZeneca avait déjà allégué. Selon AstraZeneca, comme elle n’est pas tenue de soulever des points de droit dans ses actes de procédure, sa plaidoirie, qui porte sur des points de droit, n’a pas à être limitée par la teneur des actes de procédure. Je ne souscris pas à cet argument. Les articles 173 à 181 des Règles de notre Cour, qui sont semblables aux règles de procédure d’autres cours canadiennes, précisent le contenu des actes de procédure. Ceux-ci doivent contenir un exposé concis des faits substantiels, peuvent soulever des points de droit et doivent contenir des précisions suffisantes. Les actes de procédure circonscrivent les questions en litige. Les faits fournissent quant à eux le cadre dans lequel s’inscrivent ces questions. Lors de l’instruction ou de l’audience, les points de droit sont débattus au regard de ces questions. Il n’existe pas de permission illimitée de présenter un argument simplement parce qu’il n’est fondé que sur le droit. Tout argument doit se rapporter à une question qui a été plaidée. 

 

 

[88]           En conséquence, j’estime que la Cour n’a pas été saisie à juste titre de la QUESTION No 8, et je ne me prononcerai pas sur cette question.

 

QUANTIFICATION DES DOMMAGES‑INTÉRÊTS

[89]           En ce qui concerne la quantification des dommages‑intérêts (par opposition à la responsabilité pour ces dommages‑intérêts), les avocats des parties sont convenus de ce qui suit :

 

Total versé par ICBC pour les réparations et le sauvetage     

(TPS en moins)                                                                       114 844,66 $

 

Franchise                                                                                        300,00 $

                        Total                                                                                        115 144,66 $

 

[90]           Les avocats des défendeurs contestent la réclamation des demanderesses relativement à une série de factures présentées par Falcon Equipment pour des éléments additionnels et des réparations non couvertes par ICBC (l’assureur). Ces factures totalisent la somme de 39 844,86 $. De cette somme, les avocats des défendeurs ont convenu qu’il fallait déduire une somme proportionnelle de 1 807,29 $ en frais de main‑d’œuvre. Ce qui ramènerait cette partie de la demande à la somme de 38 037,57 $. Je conclus que ces dépenses ont été raisonnablement engagées de façon à placer la demanderesse C&C dans la position où elle aurait été n’eût été la perte du camion. J’ajouterai la somme de 38 037,57 $ à la réclamation des demanderesses.

 

[91]           Les demanderesses réclament également la somme de 44 185,81 $ pour perte de profits pendant une période de 4,3 mois, soit la période entre le 4 décembre 2007 et la date à laquelle le nouveau camion, équipé d’une plate‑forme reconstruite et d’une grue, a été mis en service. La preuve démontre que durant cette période, C&C a sous‑traité à d’autres camionneurs le travail qu’elle s’était engagée à exécuter. C&C a par la suite facturé les clients et payé le sous‑traitant, conservant une quote‑part des sommes perçues. La preuve démontre que durant cette période, C&C a su mitiger ses dommages à ce chapitre de façon suffisante, de sorte qu’aucune indemnité pour perte d’utilisation ne sera accordée.

 

[92]           En résumé, la réclamation totale des demanderesses s’élève donc à la somme de 115 144,66 $, en sus de la somme de 38 037,57 $ versée à Falcon, pour un total de 153 182,23 $.

 

[93]           Étant donné que j’ai attribué dix pour cent (10 %) de la faute à la demanderesse C&C, je conclus que la défenderesse Mercury, en sa qualité personnelle et en sa qualité de propriétaire du remorqueur Mercury XII, ainsi que le défendeur Paterson, lequel agissait dans le cadre de ses fonctions chez Mercury, sont responsables de quatre‑vingt‑dix pour cent (90 %) de la somme de 153 182,23 $, soit la somme de 137 864 $.

 

[94]           On m’informe que des [traduction] « intérêts d’amirauté » doivent être versés en l’espèce, mais qu’ils correspondent tout simplement au taux bancaire en vigueur pour les prêts. Ces intérêts seront calculés au taux bancaire en vigueur, composé semestriellement, à partir du 4 décembre 2007.

 

DÉPENS

[95]           Les deux avocats ont demandé à ce que je diffère ma décision quant aux dépens. Par conséquent, chacune des demanderesses et chacun des défendeurs peuvent aborder la question des dépens au moyen d’un échange simultané d’observations n’excédant pas cinq (5) pages, dans les quatorze (14) jours suivant le prononcé du présent jugement; chaque partie aura le droit de présenter des observations en réplique n’excédant pas trois (3) pages, dans les sept (7) jours suivants. Les dépens seront adjugés après réception de l’ensemble des observations.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT :

LA COUR STATUE que :

 

1.                  L’action est rejetée à l’égard de la défenderesse Cosulich Group Investments Inc.;

 

2.                  L’action réelle intentée contre la barge « MLT‑3 », aussi connue sous le nom de « Bell Copper No. 3 », est rejetée;

 

3.                  Les autres défendeurs sont, conjointement et solidairement, responsables de verser des dommages‑intérêts aux demanderesses pour la somme de 137 864 $, avec intérêts au taux bancaire en vigueur, composé semestriellement, depuis le 4 décembre 2007;

 

4.                  Les parties traiteront des dépens de la manière décrite dans les présents motifs.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme.

Jean‑Jacques Goulet, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2018‑09

 

INTITULÉ :                                                  WELLS FARGO EQUIPMENT FINANCE COMPANY et C&C MACHINE MOVERS AND WAREHOUSING INC. c
LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT DANS LA BARGE « MLT‑3 », ET AL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Les 29 et 30 mai 2012; le 1er juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE HUGHES

 

DATE :                                                          Le 12 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas G. Schmitt

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

John W. Bromley

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alexander Holburn Beaudin &

Lang LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Bull, Housser & Tupper LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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