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Date : 20120604

Dossier : IMM‑5805‑11

Référence : 2012 CF 679

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2012

En présence de madame la juge Simpson

 

ENTRE :

 

JOSEPH BLEDY

HELENA SAMKOVA

ADAM FRANTISEK BLEDY

JENIFER BLEDA

JOSEP BLEDY (JR)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, Josef Bledy [le demandeur principal], sa conjointe de fait Helna Samkova, et leurs enfants Adam Frantisek Bledy, Jenifer Bleda et Josef Bledy (Jr) [les demandeurs] sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] le contrôle judiciaire de la décision du 5 août 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[2]               Les demandeurs sont des Roms de la République tchèque qui sont arrivés au Canada le 17 décembre 2009 et qui, deux jours plus tard, ont présenté une demande d’asile. Leur demande a été entendue par la Commission [la première audience], qui l’a rejetée dans une décision en date du 10 mai 2010 [la première décision]. La demande de contrôle judiciaire de cette première décision a été accueillie par le juge Scott, le 22 février 2011 (voir J.B. c MCI, 2011 CF 210, [2011] ACF no 358). La demande d’asile des demandeurs a par la suite été instruite par la Commission lors d’une audience de novo tenue le 17 juin 2011 et a été de nouveau rejetée dans une décision en date du 25 août 2011 [la deuxième décision]. C’est cette deuxième décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               Dans son formulaire de renseignements personnels [FRP], le demandeur principal décrit cinq incidents d’agressions physiques et sexuelles qui se sont produits en République tchèque. Les victimes auraient été visées du fait de leurs origines romes [ensemble, les incidents] :

 

1.                  En août 2005, le demandeur principal et l’un de ses cousins se promenaient au moment où ils ont été attaqués par environ 12 skinheads [le premier incident]. Ils ont communiqué avec la police, qui a répondu à l’appel, mais les a accusés d’avoir provoqué la confrontation. En outre, la police s’est moquée d’eux et n’a pas rempli de rapport.

2.                  En janvier 2006, le demandeur principal s’est rendu dans une discothèque avec deux de ses cousins. Ils ont été de nouveau attaqués, cette fois par un groupe d’environ 30 à 40 skinheads [le deuxième incident]. Un de ses cousins a été poignardé dans le dos à l’aide d’un couteau. La police a été appelée sur les lieux, mais encore une fois aucun rapport n’a été rédigé.

3.                  En août 2007, la belle‑mère du demandeur principal a été violée dans la ville de Prachatice [le troisième incident]. Elle a par la suite demandé l’aide de la police, qui s’est moquée d’elle et a laissé entendre qu’elle avait imaginé le viol. Elle craignait que son agresseur sache où elle demeurait, car il avait dérobé les clés de son domicile et sa carte de citoyenneté. Plus tard, la famille a demandé une enquête policière, mais en vain.

4.                  Le 25 décembre 2007, les demandeurs étaient chez les parents du demandeur principal dans la ville de Vimperk lorsqu’on a mis le feu à la maison, mais celle‑ci a toutefois été sauvée par les pompiers. Le jour suivant, des skinheads ont mis le feu au sous‑sol de la maison, mais l’incendie a de nouveau été maîtrisé à temps, ce qui a permis de sauver le reste de la maison. Le 28 décembre, le toit de la maison a été brûlé et le jour suivant la totalité du toit et une partie de la maison ont été incendiées [le quatrième incident].

5.                  Le 22 novembre 2008, le demandeur principal assistait à une fête dans un pub avec des membres de sa famille, y compris sa conjointe de fait. Un groupe de six skinheads les ont attaqués avec des bâtons de baseball et se sont enfuis avant l’arrivée des policiers [le cinquième incident]. La police a poursuivi les skinheads et pris les dépositions des victimes, mais le demandeur principal et sa famille n’ont pas eu de nouvelles de l’enquête.

 

LA DEUXIÈME DÉCISION

 

[4]               La Commission a indiqué que la question déterminante à trancher était celle de la protection de l’État, mais a commencé ses motifs en s’intéressant à la véracité de certains des incidents.

 

[5]               En ce qui a trait au deuxième incident, la Commission a fait remarquer qu’au cours de la première audience, le demandeur principal a déclaré qu’il s’était retrouvé à l’hôpital. Or, étant donné que ce fait n’a pas été mentionné dans son FRE, la Commission a conclu dans la première décision que le demandeur principal n’avait jamais été à l’hôpital et qu’il cherchait à embellir sa demande. Bien que la Commission n’ait pas expressément dit dans la deuxième décision qu’elle était parvenue à la même conclusion, je crois qu’il est raisonnable de conclure qu’elle a convenu qu’il y a eu embellissement de la demande. Toutefois, elle n’a pas conclu que l’incident avait été entièrement fabriqué.

 

[6]               En ce qui a trait au troisième incident, la Commission a fait observer que le demandeur principal avait produit une lettre au sujet du viol qui était rédigée en anglais et signée par sa belle‑mère. Il a déclaré qu’elle ne parlait ni ne lisait l’anglais, mais qu’un membre de sa famille, qui s’exprime couramment en anglais, lui avait lu la lettre afin qu’elle en comprenne le contenu. Toutefois, la Commission a estimé qu’étant donné que sa belle‑mère vivait au Canada depuis au moins deux ans, le demandeur principal avait eu amplement la possibilité d’obtenir une lettre qui soit dûment traduite et signée. La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la lettre avait été rédigée pour embellir la demande du demandeur principal.

 

[7]               La Commission a également mis en doute le fait qu’il y ait eu viol parce que, même s’il avait été allégué que le rapport médical en lien avec l’incident se trouvait au Canada et en possession de l’avocat de la belle‑mère, ce document n’a pas été produit.

 

[8]               À la première audience, le demandeur principal a présenté un certain nombre de lettres provenant de membres de sa famille et de connaissances, lesquelles corroboraient son témoignage au sujet de l’incendie de la maison de ses parents. Lorsqu’on lui a demandé si l’incendie avait été rapporté dans les journaux, le demandeur principal a répondu qu’il avait vu un article à ce sujet sur Internet la veille de la première audience, mais qu’il n’avait pas pu faire de copie parce qu’il n’avait pas d’imprimante. Dans la deuxième décision, la Commission a rejeté cette explication et a conclu que la maison des parents du demandeur principal n’avait pas été brûlée et que les lettres avaient été produites pour embellir sa demande.

 

[9]               La Commission n’a pas tiré de conclusions défavorables quant à la crédibilité dans la deuxième décision au sujet des premier et cinquième incidents.

 

[10]           La Commission a ensuite examiné le caractère adéquat de la protection de l’État et a conclu que le demandeur principal n’avait pas réfuté la présomption que la République tchèque est en mesure de protéger ses citoyens. La Commission a reconnu que, par le passé, la République tchèque avait eu de la difficulté à protéger ses citoyens roms et qu’encore aujourd’hui, cette protection n’« est pas sans faille ». La Commission a indiqué que, bien que la preuve documentaire indique que les agressions perpétrées par les skinheads contre la minorité rom sont en hausse, il existe également des éléments de preuve qui démontrent que l’État [traduction] « ne tolère pas ces comportements et de façon générale, ne les approuve pas ».

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]            

1.      La conclusion de la Commission sur le caractère suffisant de la protection de l’État était‑elle déraisonnable?

2.      Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité étaient‑elles déraisonnables?

 

            1.         Protection de l’État

 

[12]           Les deux parties ont convenu que la Commission avait exposé le bon critère en vue de déterminer s’il existait une protection de l’État et que le critère applicable est celui du caractère adéquat plutôt que celui de l’efficacité, selon la décision de la Cour d’appel fédérale dans Carillo c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CAF 94. Les demandeurs soutiennent toutefois que la Commission doit prendre en considération non seulement les cadres législatif et procédural créés par l’État, mais également le caractère adéquat de la protection de l’État « au niveau opérationnel » : Sow c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 646, au paragraphe 11.

 

[13]           Bien qu’elle n’ait été citée par aucune des parties, la récente décision de la Cour dans Koky c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1407, ACF no 1715, qui repose sur des faits semblables à ceux de l’espèce, est instructive. Monsieur le juge Russell a dit ce qui suit, au paragraphe 63 :

D’après la jurisprudence de la Cour, il ne suffit pas que le gouvernement soit disposé à assurer une protection et fasse des efforts pour y parvenir. Pour que l’État protège ses citoyens, il doit prendre des mesures qui leur assurent concrètement une protection suffisante.

 

[14]           Le juge Russell a ensuite examiné la décision rendue par le juge Scott sur la demande de contrôle judiciaire de la première décision, J.B. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité, alors qu’il dit, au paragraphe 71 :

[J]’estime que la SPR a commis une grave erreur de droit en assimilant les « sérieux efforts » au « caractère suffisant » de la protection et a omis, de façon déraisonnable, d’examiner les preuves présentées concernant la question de savoir si, concrètement, ces efforts avaient débouché sur une protection adéquate des demandeurs.

 

[15]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a de nouveau associé les sérieux efforts au caractère suffisant de la protection, et plus particulièrement, ils ne sont pas d’accord avec le fait que la Commission n’a pas tenu compte des preuves au dossier qui démontrent que, concrètement, la police n’est pas en mesure de protéger les citoyens roms en République tchèque.

 

[16]           J’ai examiné avec soin le dossier et les documents répertoriés dans le mémoire des faits et du droit produit par les demandeurs et j’estime que, bien que plusieurs documents aient une importance secondaire, il en y a un qui renvoie à plusieurs reprises à des exemples précis où l’intervention policière faisant suite à des crimes commis à l’encontre des citoyens roms s’est révélée inappropriée ou hostile. Or, ce document décrit également des incidents où la police est intervenue de façon adéquate. À mon avis, la décision sur le caractère suffisant de la protection de l’État aurait dû tenir compte de ce document. Il s’agit du numéro 13.16 dans le cartable national de documentation de la Commission pour la République tchèque [le cartable].

 

2.         Crédibilité

 

[17]           J’estime que rien ne permet de conclure que les conclusions de la Commission sur la crédibilité sont déraisonnables.

 

CERTIFICATION

 

[18]           Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée pour qu’il soit procédé à un nouvel examen fondé sur le dossier existant [le dossier], conformément aux instructions suivantes :

 

(i)                 Dans la mesure du possible, le membre de la Commission qui a rendu la deuxième décision doit procéder à un nouvel examen;

(ii)               La Commission doit reconsidérer la question du caractère suffisant de la protection de l’État en tenant compte des documents suivants du cartable :

a)   Document 13.6 – Réponse à une demande de renseignements en date du 1er mars 2011;

b)   Document 13.16 – Rapport de l’European Roma Rights Centre mis à jour le 4 mai 2011.

(iii)             La Commission peut prendre en considération tout autre document au dossier qu’elle juge pertinent pour la question du caractère suffisant de la protection de l’État;


(iv)             Aucun autre élément de preuve ni aucune autre observation ne doivent être déposés à moins que la Commission, à sa discrétion, ne l’autorise, et cette autorisation ne doit être accordée que si les documents proposés ne portent que sur l’existence concrète d’une protection policière pour les citoyens roms de la République tchèque.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5805‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  JOSEPH BLEDY ET AL c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 22 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Radin

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alex Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Radin

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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