Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120425

Dossier : T‑1181‑11

Référence : 2012 CF 489

[traduction française certifiée, non révisée]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 25 avril 2012

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

appelant

 

et

 

 

 

SHIRLEY J. WILLOUGHBY

 

 

 

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Mme Shirley Willoughby, est devenue résidante permanente du Canada le 20 avril 2000. Le 18 juillet 2008, elle a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Dans une décision datée du 16 mai 2011, un juge de la citoyenneté (le juge ou le juge de la citoyenneté) a approuvé la demande de Mme Willoughby. Plus précisément, malgré une absence de 745 jours du Canada au cours des quatre ans (1460 jours) ayant précédé sa demande, le juge a conclu que Mme Willoughby remplissait les exigences en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi sur la citoyenneté ou la Loi).

 

[2]               Le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), sollicite l’annulation de cette décision. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai le présent appel.

 

[3]               Il s’agit d’un appel fondé sur le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté. Ces appels sont présentés par voie de demande fondée sur le dossier soumis au juge de la citoyenneté et sont régis par les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), se rapportant aux demandes (alinéa 300c) des Règles; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Wang, 2009 CF 1290, 360 FTR 1). Les décisions de la Cour ne sont pas susceptibles d’appel.

 

[4]               La citoyenneté est attribuée au demandeur qui satisfait aux critères énoncés à l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté. Suivant l’alinéa 5(1)c), la personne qui demande la citoyenneté doit démontrer qu’elle a résidé au Canada pendant au moins trois ans au cours des quatre ans précédant la date de sa demande. Selon un courant jurisprudentiel de la Cour fédérale, le défaut de satisfaire au nombre de jours prévus par la Loi n’est pas fatal pour la demande. Cette approche qualitative a été formulée dans Affaire intéressant la Loi sur la citoyenneté et affaire intéressant Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208, aux pages 213 et 214 (1re inst), 88 DLR (3d) 243 [Papadogiorgakis] et exige simplement que le demandeur, qui ne respecte pas la condition des 1095 jours de résidence, démontre que le Canada est le pays où il vit normalement ou habituellement ou que le Canada est « le centre de son mode de vie ». Ce critère a été précisé par le juge Reed dans Koo (Re) (1992), [1993] 1 CF 286 (1re inst), [1992] ACF no 1107 [Koo]. Le critère établi dans la décision Koo, précitée, aux pages 293 et 294, et appliqué pour la première fois par le juge Reed, impose au juge de la citoyenneté d’analyser six facteurs en vue d’établir si le demandeur a « centralisé son mode d’existence » au Canada et satisfait ainsi à la condition de résidence, et ce, même s’il y a été présent moins que les 1095 jours requis.

 

[5]               Devant moi, le ministre ne prétend pas que le juge a commis une erreur en appliquant le critère qualitatif. Il fait plutôt valoir que le juge pouvait appliquer le critère énoncé dans Koo, mais que sa décision est déraisonnable parce qu’il n’a pas apprécié tous les volets du critère énoncé dans Koo.

 

[6]               Je suis d’accord avec le ministre que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. L’examen des facteurs énoncés dans Koo repose sur une appréciation de la preuve axée sur les faits, ce qui commande l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir Jardine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 565, aux paragraphes 16 et 17, [2011] ACF no 782). Selon cette norme, la Cour ne devrait intervenir que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables ou si elle déroge aux principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[7]               Mme Willoughby n’était pas à quelques jours près des 1095 jours exigés par la Loi. Elle n’a été physiquement présente au Canada que pendant 708 jours, soit 387 jours de moins que les 1095 jours exigés. Elle s’est absentée presque exclusivement pour retourner en Australie afin de passer du temps avec ses enfants et ses petits‑enfants. Mme Willoughby a une résidence en Australie et, selon le dossier soumis au juge de la citoyenneté, elle a nettement l’intention de passer beaucoup de temps en Australie avec sa famille.

 

[8]               Dans sa décision, le juge de la citoyenneté est censé appliquer les facteurs du critère énoncé dans Koo. Il a fait des observations au regard de chaque facteur. J’estime toutefois qu’il a mal apprécié la nature des attaches de Mme Willoughby avec le Canada et n’a pas procédé à l’analyse des éléments de preuve. Le principal problème est que le juge de la citoyenneté n’a pas tenu compte de la nature des absences du Canada de Mme Willoughby. Ces absences n’étaient pas temporaires et ne devraient pas être moins fréquentes dans l’avenir.

 

[9]               En effet, presque tous les faits présentés au juge de la citoyenneté militent contre l’octroi de la citoyenneté canadienne. Non seulement Mme Willoughby a passé 745 jours à l’extérieur du Canada, mais la fréquence de ses absences n’était pas sur le point de changer. Mme Willoughby a un appartement en Australie qu’elle utilise lorsqu’elle rend visite aux membres de sa famille immédiate (ses filles et petits‑enfants). Bien que Mme Willoughby ait une maison et un mari au Canada, ses longues absences du Canada constituent « un mode structurel de vie à l’étranger plutôt qu’une situation temporaire » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Camorlinga‑Posch, 2009 CF 613, 347 FTR 37, au paragraphe 50 [souligné dans l’original]). Il est tout au plus possible de dire que Mme Willoughby a établi deux demeures, l’une au Canada et l’autre en Australie. Comme l’a souligné le juge Martineau dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Chen, 2004 CF 848, au paragraphe 10, [2004] ACF no 1040 :

 

Quand les absences sont un mode de vie régulier plutôt qu’un phénomène temporaire, elles indiquent que la vie est partagée entre les deux pays, et non pas un mode de vie centralisé au Canada, comme le prévoit la Loi [...].

 

[10]           À mon avis, la décision du juge de la citoyenneté est loin d’appartenir aux issues possibles acceptables et ne respecte pas les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité.

 

[11]           Mme Willoughby s’est représentée elle‑même devant la Cour avec compétence et éloquence. Il ne fait pas de doute qu’elle a formé des attaches importantes avec le Canada. Malheureusement à ce moment‑ci, ces attaches ne sont vraisemblablement pas suffisantes pour répondre au critère de la citoyenneté canadienne.

 


JUGEMENT

            LA COUR STATUE que :

1.         Il est fait droit à l’appel;

2.         La décision du juge de la citoyenneté est annulée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1181‑11

 

INTITULÉ :                                                  Le MINISTRE de la Citoyenneté et de l’Immigration c
SHIRLEY J. WILLOUGHBY

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 avril 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 25 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Timothy E. Fairgrieve

 

Pour l’appelant

Shirley Willoughby

 

Pour l’intimée

(se représentANT elle‑même)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

 

Pour l’appelant

s.o.

 

Pour l’intimée

(se représentANT elle‑même)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.