Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120601

Dossier : IMM‑4530‑11

Référence : 2012 CF 676

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2012

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

FLORENCE NSIMBA MUNGANGA

FAITHFULL FLORY MUSUNGU

SEPHORA JOYCE MUSUNGU

KETSIA SHARON MUSUNGU

(alias Ketsia Sharom Musungu)

FLORIBERT MUSUNGU

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, Florence Nsimba Munganga (la demanderesse), Floribert Musungu (le demandeur) et leurs trois enfants, (collectivement, les demandeurs) sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 27 mai 2011, par laquelle la Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger (la décision).

 

CONTEXTE

 

[2]               Les demandeurs sont le mari, la femme et leurs trois enfants. Ils se sont enfuis de la République démocratique du Congo [RDC] parce qu’ils craignaient d’être persécutés par le gouvernement et l’armée.

 

[3]               La résidence des demandeurs était située dans la ville de Kinshasa. Cependant, le demandeur était prédicateur et devait se rendre dans la ville de Goma pour prêcher l’Évangile. Il prêchait dans les rues, dans les places publiques et dans les hôpitaux. Il revenait périodiquement à Kinshasa pour rendre visite à sa famille et celle‑ci allait parfois le voir à Goma.

 

[4]               Le demandeur a déclaré que le 29 octobre 2008, après avoir prêché pendant environ quatre heures devant une foule d’environ 2 000 personnes dans la ville de Rutshuru, il est retourné auprès de sa famille à Goma. Plus tard ce jour‑là, la ville Rutshuru a été envahie par des rebelles dirigés par Laurent Nkunda, et en soirée, alors que la famille dormait, quatre soldats des Forces armées congolaises se sont présentés à son domicile. Les soldats ont poussé le demandeur et sont entrés dans la maison. L’un des soldats, qui avait reconnu le demandeur en raison de ses activités évangéliques, s’est mis à le battre. Les soldats l’ont accusé d’être un traître et de collaborer avec les rebelles de Nkunda.

 

[5]               Le demandeur allègue qu’après avoir été battu, on lui a bandé les yeux et on l’a emmené dans un centre de détention à Goma, où il a été détenu pendant quatre jours. Il a alors été interrogé, battu et menacé pour qu’il avoue qu’il était un traître et qu’il collaborait avec les rebelles. Le 4 novembre 2008, on l’a emmené dans une maison à Goma où il a été gardé en captivité pendant environ trois mois au cours desquels on lui a fait subir un traitement semblable.

 

[6]               Le 30 octobre 2008, la demanderesse s’est rendue au poste de police pour se renseigner au sujet de son mari. Elle a parlé à un inspecteur qui lui a dit qu’elle devrait se réjouir de ne pas avoir été tuée ou violée et qu’elle devrait retourner à Kinshasa avec ses enfants. Elle a suivi son conseil.

 

[7]               Au cours de la nuit du 18 novembre 2008, trois soldats se sont présentés à la maison des demandeurs à Kinshasa. Ils ont questionné la demanderesse au sujet de son mari, l’ont menacée et agressée, et lui ont demandé de l’argent. La demanderesse a fui Kinshasa avec ses enfants le 21 décembre 2008 et a présenté une demande d’asile au Canada le 26 décembre 2008.

 

[8]               Le 24 janvier 2009, alors qu’il était toujours incarcéré à Goma, le demandeur a été abordé par un militaire qui s’est montré gentil et lui a offert de l’aider à obtenir une bible. Le demandeur a donné au militaire le nom d’un ami qui était pasteur à Goma. Cet ami a aidé le demandeur à s’évader le 7 février 2009. Après l’évasion, le demandeur s’est caché.

 

[9]               Il est retourné à Kinshasa le 27 septembre 2009 pour y retrouver sa famille, et il est demeuré chez son oncle. Le 27 octobre 2009, alors qu’il n’était pas à la maison, la police nationale s’est présentée chez son oncle et a demandé à le voir. Informé de cette visite, le demandeur s’est enfui pour se rendre au village de Kimayala.

 

[10]           Alors qu’il se trouvait à Kimayala, le demandeur a entendu dire que la police continuait à le rechercher à Kinshasa. Celle‑ci aurait remis trois assignations à comparaître [les assignations] à son ami, Hubert Banza, et à son frère, Mbo Senge. Les deux hommes se sont alors présentés au poste de police et se sont fait dire que la police recherchait le demandeur.

 

[11]           Le demandeur a quitté Kimayala et est arrivé à Casablanca par avion le 13 septembre 2010. Il est arrivé au Canada et a demandé l’asile le 23 septembre 2010.

 

LA DÉCISION

 

[12]           La Commission a indiqué à juste titre que les demandes d’asile des demandeurs étaient fondées sur l’appartenance du demandeur à un groupe social, à savoir les évangélistes [le motif religieux], et sur les opinions politiques qu’on lui imputait en raison de son appartenance à ce groupe social [le motif politique]. Selon la preuve qu’il a présentée, il était perçu comme un opposant du gouvernement en raison de son influence en tant qu’évangéliste.

 

[13]           La Commission examine le motif religieux au paragraphe 13 de ses motifs, où elle indique que le rapport du département d’État des États‑Unis mentionne clairement que la constitution de la RDC reconnaît la liberté de religion et qu’aucun cas de meurtre, de détention ou d’emprisonnement pour des motifs religieux n’avait été signalé. La Commission a donc conclu qu’il n’y avait pas de fondement objectif pour étayer le motif religieux. Elle n’a toutefois tiré aucune conclusion dans laquelle aurait renvoyé expressément au motif politique.

 

[14]           La Commission a également tiré plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité, mais seules les deux conclusions mentionnées ci‑dessous sont importantes en l’espèce.

 

[15]           Premièrement, la Commission n’a pas cru que le demandeur avait été détenu pendant trois mois et (ou) qu’il avait été torturé [la conclusion relative à la détention]. Elle est arrivée à cette conclusion après avoir jugé que le témoignage du demandeur était évasif et manquait de détails.

 

[16]           Deuxièmement, le demandeur n’a fait aucunement mention des assignations dans son interrogatoire principal même si elles avaient été déposées en preuve à l’audience. Dans sa décision, la Commission a indiqué qu’elle avait expressément demandé au demandeur s’il s’était passé autre chose le 27 octobre 2009, ou à quelque moment que ce soit avant qu’il ne quitte la RDC. Il a répondu par la négative et a ainsi omis de mentionner les assignations. Par conséquent, la Commission a conclu qu’elles n’étaient pas authentiques et ne leur a accordé aucun poids [la conclusion relative aux assignations].

 

ANALYSE

 

[17]           Même si les demandeurs ont critiqué la décision à plusieurs égards, les trois points suivants sont déterminants :

(i)         La Commission a omis de tirer une conclusion concernant le motif politique.

(ii)       La Commission a mal exposé la preuve du demandeur pour tirer la conclusion relative à la détention.

(iii)     Pour arriver à la conclusion relative aux assignations, la Commission a mal décrit la question posée au demandeur à l’audience.

 

(i)         La Commission a omis de tirer une conclusion relative au motif politique

 

[18]           L’avocate du défendeur a soutenu que la Commission avait traité du motif religieux et du motif politique au paragraphe 22 de sa décision lorsqu’elle a conclu que les demandeurs ne craignaient pas avec raison d’être persécutés « pour l’un des cinq motifs prévus dans la Convention ».

 

[19]           Pour l’examen de cette question, je me reporte au récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 340 DLR (4th) 17. Dans cet arrêt, la cour a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 16 :

 

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale […] En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

[20]           À mon avis toutefois, cet arrêt ne libère pas la Commission de son obligation de rendre une décision finale qui renvoie expressément à chacun des motifs de la Convention invoqués par les demandeurs. Puisque la Commission a omis de tirer une conclusion précise concernant le motif politique, la décision est déraisonnable.

 

(ii)        La Commission a mal exposé la preuve du demandeur pour tirer la conclusion relative à la détention.

 

[21]           À mon avis, la Commission a commis une erreur en exposant mal la preuve du demandeur au point de la faire paraître absurde.

 

[22]           Au paragraphe 14 de la décision, la Commission a fait observer ce qui suit :

 

Le tribunal a demandé au demandeur d’asile de décrire ses trois mois en détention. Le demandeur d’asile a indiqué qu’il avait été battu et torturé. Il a eu beaucoup de difficulté à fournir des détails sur ce qu’il a vécu durant ces trois mois de détention. Par conséquent, le tribunal a dû demander des détails. Par exemple, le tribunal a demandé au demandeur d’asile à quelle fréquence il avait été battu et des détails sur les blessures et les mauvais traitements qu’il avait subis. Le demandeur d’asile a déclaré qu’il était battu tous les deux jours et que sa pire blessure correspondait à des contusions. Le tribunal lui a demandé d’expliquer la façon dont il pouvait avoir été battu tous les deux jours pendant trois mois et n’avoir eu que des contusions. Il a répondu qu’il s’agissait principalement de torture mentale.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]           Voici le passage pertinent de la transcription de l’audience :

[traduction]

le Commissaire : À quelle fréquence vous sortaient‑ils de votre chambre et vous infligeaient‑ils des mauvais traitements?

 

Le Demandeur : Cela dépendait; cela pouvait être tous les deux jours, ou ils pouvaient me laisser tranquille pendant environ une semaine.

le Commissaire : Quelle est la pire blessure que vous avez subie […] par suite des coups que vous avez reçus?

Le Demandeur : Je n’étais pas, je n’ai pas eu de blessures. Essentiellement, je ne saignais pas, j’avais comme tout le corps enflé, mais la torture était plutôt mentale.

[Non souligné dans l’original.]

 

[24]           Il ressort clairement de la transcription que le demandeur n’a pas déclaré qu’il était « battu tous les deux jours », comme l’indique la décision. Comme la décision est fondée sur une preuve mal exposée, je conclus que la conclusion relative à la détention était déraisonnable.

 

(iii)       Pour arriver à la conclusion relative aux assignations, la Commission a mal décrit la question posée au demandeur à l’audience

 

[25]           La Commission déclare qu’elle n’a accordé aucun poids aux assignations pour deux raisons. La première raison est que le demandeur a mentionné les assignations dans son FRP, mais qu’il n’en a absolument pas parlé dans son interrogatoire principal. C’est exact.

 

[26]           Cependant, la Commission a également rejeté les assignations parce que le demandeur ne les avait pas mentionnées lorsqu’il a répondu à une question qu’elle lui avait posée. Au paragraphe 17 de la décision, la Commission déclare qu’elle « avait expressément demandé au demandeur s’il s’était passé autre chose le 27 octobre 2009, ou à quelque moment que ce soit avant qu’il ne quitte la RDC ». Cependant, la transcription indique que cette question n’a jamais été posée. C’est pourquoi je conclus que la conclusion relative aux assignations était également déraisonnable.

 

CONCLUSION

 

[27]           En résumé, la demande sera accueillie parce que la Commission a omis de se prononcer sur un aspect fondamental de la demande d’asile des demandeurs, qu’elle a mal exposé la preuve et qu’elle s’est appuyée sur une réponse à une question qu’elle n’avait pas posée.

 

CERTIFICATION

 

[28]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée à la certification sous le régime de l’alinéa 74d) de la Loi.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen. Les parties pourront déposer à cette occasion de nouveaux éléments de preuve.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4530‑11

 

INTITULÉ :                                                  FLORENCE NSIMBA MUNGANGA et al c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 1er juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alla Kikinova

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nina Chandy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loeback

London (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.