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Date : 20120530


Dossier : IMM-4804-11

Référence : 2012 CF 659

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

LANA KHOURI, LEILA FAWAZ (REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, LANA KHOURI)

ET NADINE FAWAZ (REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE,

LANA KHOURI)

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               Mme Lana Khouri est arrivée au Canada en 2009 après avoir vécu aux États‑Unis durant huit ans. Elle est originaire de la Palestine. Elle a demandé l’asile au Canada parce qu’elle craint sa propre famille et celle de son ex‑mari. Les deux familles sont en colère parce qu’elle a laissé en Palestine son mari qu’elle dit être violent et a commencé une nouvelle relation avec un autre homme aux États‑Unis, avec lequel elle a eu deux enfants.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a instruit la demande d’asile de Mme Khouri et l’a rejetée pour manque de preuve crédible. Mme Khouri prétend que la Commission a tiré des conclusions déraisonnables relatives à la crédibilité et qu’elle n’a pas procédé à une analyse complète de sa demande d’asile. Elle me demande d’annuler la décision et d’ordonner qu’un tribunal différent de la Commission réexamine son cas.

 

[3]               Je ne vois aucune raison d’infirmer la décision de la Commission. Ses conclusions concernant la crédibilité n’étaient pas déraisonnables compte tenu de la preuve dont elle disposait. De plus, dans les circonstances, il n’était pas nécessaire d’examiner les aspects de la demande d’asile de Mme Khouri auxquels se rapportait la preuve mise en doute. En conséquence, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Il y a deux questions en litige en l’espèce :

a.       Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient‑elles déraisonnables?

b.      La Commission a-t-elle omis de prendre en considération l’ensemble de la demande d’asile de Mme Khouri?

 

i.                        La décision de la Commission

 

[5]               La principale préoccupation de la Commission avait trait à la crédibilité de Mme Khouri. Trois aspects de sa preuve étaient problématiques.

 

[6]               En premier lieu, dans son exposé circonstancié écrit, Mme Khouri a indiqué que c’était sa famille qui l’avait poursuivie pendant qu’elle vivait aux États‑Unis. Elle a dit que la famille de son ex‑mari avait appelé chez elle, mais elle n’a pas mentionné que des membres de cette famille vivaient aux États‑Unis. À l’audience, Mme Khouri a plutôt déclaré que des membres de la famille de son ex‑mari vivaient au Kentucky et qu’ils avaient embauché un détective privé pour la retrouver. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas mentionné cette allégation importante dans son exposé circonstancié, Mme Khouri n’a fourni aucune explication.

 

[7]               En deuxième lieu, dans son exposé circonstancié écrit, Mme Khouri a dit que son ex‑mari lui avait téléphoné pendant qu’elle vivait aux États‑Unis. Or, quand on lui a posé des questions à ce sujet à l’audience, elle a dit que son ex‑mari ne l’avait jamais appelée. Lorsqu’on l’a priée d’expliquer cette contradiction, elle a répondu que son ex‑mari lui avait téléphoné une seule fois – il lui avait alors parlé deux minutes – et que cela lui était complètement sorti de la tête à cause du stress. Étant donné qu’elle avait expressément mentionné ce fait important dans son exposé circonstancié, la Commission ne pouvait pas accepter cette explication.

 

[8]               En troisième lieu, la Commission a constaté que le résumé des notes au point d’entrée [PDE] de Mme Khouri était incompatible sur des aspects fondamentaux avec sa demande d’asile. Dans ces notes, Mme Khouri a déclaré qu’elle craignait [traduction] « les autorités jordaniennes et les autorités de l’immigration des États‑Unis », alors que son exposé circonstancié subséquent ne dit rien à ce sujet. En outre, les notes au PDE ne font aucune mention de la crainte que lui inspire sa famille. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer cette divergence, Mme Khouri a répondu que son consultant en immigration avait préparé le formulaire au PDE pour elle. Elle l’a simplement signé lorsqu’elle est entrée au Canada. Elle a déclaré également avoir eu des problèmes avec son consultant. Par exemple, celui‑ci a supposé qu’elle était jordanienne parce qu’elle possédait un passeport jordanien. Or, il s’agissait seulement d’un document de voyage qui ne reflétait pas sa citoyenneté. Elle a dit à son consultant que le formulaire était erroné, mais ce dernier lui a répondu de ne pas s’inquiéter. La Commission a accepté cette partie de ses explications parce que la mauvaise réputation du consultant était connue.

 

[9]               La Commission ne pouvait toutefois pas accepter les explications de Mme Khouri concernant la différence entre la crainte décrite dans les notes au PDE et la crainte sur laquelle reposait sa demande d’asile. Mme Khouri a dit qu’elle savait que le formulaire était erroné et incomplet. Toutefois, elle avait peur, elle était stressée et elle avait avec elle quand elle est arrivée au Canada deux jeunes enfants qui étaient d’humeur maussade et qui pleuraient. Elle a choisi de ne pas corriger le formulaire; elle s’est contentée de signer ce que le consultant avait écrit.

 

[10]           La Commission a souligné que Mme Khouri est une femme instruite et compétente qui parle couramment l’anglais. Elle aurait dû savoir à quel point il est important de fournir des renseignements complets et exacts aux autorités de l’immigration. La Commission n’a pas accepté qu’elle n’ait pas pris quelques minutes pour corriger le formulaire.

 

[11]           Dans l’ensemble, la Commission a jugé non crédible Mme Khouri et a conclu que sa demande d’asile ne pouvait pas être étayée par son témoignage.

III.             Question 1 – Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient‑elles déraisonnables?

 

[12]           Mme Khouri soutient que la Commission a rejeté de manière déraisonnable ses explications concernant la divergence entre son formulaire rempli au PDE et son témoignage subséquent. Elle a fait confiance à son consultant et elle était excessivement stressée lors de son arrivée au Canada. Dès qu’elle l’a pu, elle a donné une explication complète de sa demande d’asile dans son exposé circonstancié écrit.

 

[13]           Mme Khouri soutient également que la Commission a rejeté de manière déraisonnable son témoignage selon lequel l’appel téléphonique de son ex‑mari lui était complètement sorti de la tête. Selon elle, l’approche adoptée par la Commission était analogue à un examen microscopique de son témoignage.

 

[14]           Je peux infirmer les conclusions de la Commission seulement si je conclus qu’elles étaient déraisonnables. En l’espèce, je suis convaincu que la Commission pouvait tirer les conclusions défavorables relatives à la crédibilité auxquelles elle est parvenue compte tenu de la preuve dont elle disposait, de sorte que ces conclusions n’étaient pas déraisonnables.

 

[15]           En particulier, la Commission a tenu compte du fait que Mme Khouri était une anglophone instruite qui savait à l’avance ce que le formulaire rempli au PDE indiquerait et qui connaissait l’importance de ce document aux fins de sa demande d’asile. Il est peu probable qu’elle ait signé un formulaire erroné, même si elle était stressée. Cette constatation étayait la conclusion de la Commission selon laquelle elle ne craignait pas véritablement les membres de sa famille, contrairement à ce qu’elle avait écrit subséquemment dans son exposé circonstancié écrit. Le fait que certains documents produits en preuve étayaient ses allégations ne compense pas son manque de crédibilité concernant la source de sa présumée crainte.

 

[16]           En outre, Mme Khouri ne pouvait pas expliquer de manière crédible pourquoi elle ne se rappelait pas que son mari lui avait téléphoné pendant qu’elle se trouvait aux États‑Unis. Il s’agissait pourtant d’un élément clé de sa demande d’asile. Dans son exposé circonstancié, elle a dit que, alors qu’elle pensait que son mariage était terminé, elle avait été [traduction] « surprise de recevoir un appel et d’entendre mon ex‑mari me demander de le rencontrer, à défaut de quoi il dira à mes parents, qui ont décidé que je devais mourir, où j’habitais […] C’est là que les choses se sont aggravées. » Pourtant, lorsqu’elle a été interrogée à ce sujet à l’audience, Mme Khouri a nié que son mari l’avait déjà appelée aux États‑Unis.

 

[17]           Enfin, Mme Khouri a déclaré dans son témoignage à l’audience que des membres de la famille de son ex‑mari vivant au Kentucky avaient lancé un détective privé à ses trousses. Or, son exposé circonstancié est muet à ce sujet et elle ne pouvait pas expliquer pourquoi.

 

[18]           En conséquence, j’estime que, dans l’ensemble, les conclusions défavorables tirées par la Commission relativement à la crédibilité étaient étayées par la preuve dont celle‑ci disposait et n’étaient pas déraisonnables.

 

IV.             Question 2 – La Commission a-t-elle omis de prendre en considération l’ensemble de la demande d’asile de Mme Khouri?

 

[19]           Mme Khouri prétend que la Commission a généralement l’obligation d’examiner tous les motifs d’une demande d’asile qui ressortent de la preuve. La Commission n’a pas rejeté expressément la preuve de son identité produite par Mme Khouri afin de démontrer qu’elle était une Palestinienne chrétienne apatride qui avait supporté un mariage marqué par la violence et qui avait ensuite bâti une nouvelle relation aux États‑Unis. La Commission avait donc l’obligation de déterminer si Mme Khouri risquait d’être persécutée en raison de son sexe en Palestine, même si elle avait jugé que son témoignage manquait de crédibilité.

 

[20]           Mme Khouri prétend également que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives de la présidente sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Elle a affirmé dans son témoignage que son père et la famille de son ex‑mari avaient menacé de s’en prendre à elle parce qu’elle avait agi de manière contraire aux valeurs, à la religion et aux traditions de la famille. Ces craintes satisfaisaient à la définition de la persécution fondée sur le sexe selon les Directives.

 

[21]           À mon avis, la Commission a décidé que la demande d’asile de Mme Khouri devait être rejetée en raison de ses conclusions concernant la crédibilité. Elle a conclu que la crainte ressentie par Mme Khouri à l’égard de sa famille n’était pas crédible, de sorte qu’il n’y avait plus rien à analyser.

 

[22]           Dans certains cas, la Commission devra, même après être parvenue à une conclusion défavorable concernant la crédibilité, apprécier le reste de la preuve, en particulier la preuve documentaire, dans le but de déterminer si le demandeur court le risque d’être persécuté. Par exemple, le fait qu’elle conclut que le demandeur a exagéré les expériences qu’il a vécues « ne libère pas [la Commission] de sa responsabilité d’apprécier la preuve, malgré les exagérations, et de décider si l’allégation de persécution est justifiée » (Ozer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1257).

 

[23]           En l’espèce, la Commission n’a pas rejeté le fait que Mme Khouri était une Palestinienne chrétienne apatride qui avait fait l’objet d’un mariage arrangé, qui avait divorcé et qui avait commencé une relation avec un autre homme avec lequel elle avait eu deux enfants. Elle a toutefois raisonnablement conclu que le témoignage de Mme Khouri au sujet de sa crainte de sa famille n’était pas crédible. En conséquence, il ne restait aucun aspect de la demande d’asile à analyser.

 

V.                Conclusion et décision

 

[24]           Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité de Mme Khouri étaient fondées sur la preuve qui avait été produite et, de ce fait, n’étaient pas déraisonnables. Cela étant, il ne restait aucun aspect de la demande d’asile qui n’avait pas été analysé par la Commission. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune partie n’a proposé une question de portée générale à certifier et aucune n’est énoncée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-4804-11

 

INTITULÉ :                                                 LANA KHOURI ET AL c

                                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                       ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        Le 15 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                       LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                Le 30 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hadayt Nazami

                            POUR LES DEMANDERESSES

 

Jane Stewart

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

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