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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120524

Dossier : IMM-7489-11

Référence : 2012 CF 638

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

ZIXIANG ZHOU, QUIAN YI FENG

WEN FENG ZHOU (mineur),

CHU LIN ZHOU (mineure),

représentés par leur tuteur à l’instance ZIXIANG ZHOU

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agente principale J. Luneau (l’agente), datée du 22 août 2011, qui a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH), présentée en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La présente demande sera rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Les faits

[2]               Les demandeurs sont une famille originaire de la Chine : Zixiang Zhou (le demandeur principal); son épouse, Qian Yi Feng (la demanderesse); leur fille, Chu Lin Zhou; leur fils, Wen Feng Zhou. Les demandeurs avaient quitté la Chine et étaient arrivés au Canada en 2003. Ils affirment qu’ils avaient quitté la Chine, car ils craignaient d’être persécutés en raison de la pratique du Falun Gong par le demandeur principal et du fait que la famille avait contrevenu à la politique de l’enfant unique. Les demandeurs avaient présenté une demande d’asile, laquelle avait été rejetée en 2005, principalement en raison de doutes en matière de crédibilité.

 

[3]               Les demandeurs avaient présenté leur demande CH en 2006 et avaient produit des versions mises à jour de leurs formulaires et de leurs documents en décembre 2010. Leur demande CH était fondée sur les allégations de difficultés suivantes :

1.      Le demandeur principal craignait d’être persécuté en raison de sa pratique du Falun Gong;

2.      Les demandeurs craignaient que leur fils ne soit pas capable de mener une vie normale, parce qu’il était né sans permis et qu’il n’était donc pas inscrit dans leur certificat de résidence (hukou);

3.      La présentation d’une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada pourrait nuire à leur établissement au Canada, y compris à l’égard de leur emploi et de l’éducation de leurs enfants.

 

[4]               L’agente, par une décision datée du 22 août 2011, a rejeté les demandes CH présentées par les demandeurs. L’agente a relaté les allégations et les observations des demandeurs dans ses notes au dossier. Elle a relevé que les allégations concernant la pratique du Falun Gong par le demandeur principal avaient été examinées et rejetées par la Section de la protection des réfugiés (la SPR).

 

[5]               L’agente a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur principal pratiquait le Falun Gong, que ce soit en Chine ou au Canada, ou qu’il avait été persécuté en Chine en raison de cette pratique. L’agente a relevé que les demandeurs avaient produit une lettre, laquelle énonçait que la demanderesse avait pratiqué le christianisme alors qu’elle était en Chine, pratique qui lui a valu d’être persécutée, et qu’elle avait continué de ce faire une fois rendue au Canada. L’agente a souligné que la demanderesse n’avait pas, dans les faits, allégué qu’elle courait un risque pour ce motif et qu’elle n’avait jamais mentionné auparavant qu’elle était une chrétienne pratiquante. En raison de ces contradictions, et aussi du fait qu’aucun autre élément de preuve ne corroborait les allégations de la demanderesse, l’agente a accordé une très faible valeur probante à la preuve concernant la pratique du christianisme par la demanderesse.

 

[6]               L’agente a aussi conclu que les demandeurs n’avaient présenté aucun élément de preuve étayant que les autorités les recherchaient en vue de les stériliser de force, en raison de la naissance de leur fils. L’agente a indiqué que la SPR avait rejeté cette allégation. Puisqu’il y avait des éléments de preuve documentaire objectifs portant que le fils pouvait être inscrit au hukou, moyennant le paiement d’une amende, l’agente a conclu qu’il était peu probable que le fils du demandeur soit exposé à un risque de discrimination.

 

[7]               Finalement, en ce qui concerne l’établissement des demandeurs, l’agente a conclu qu’ils avaient pris le risque de s’établir au Canada sans statut et que les liens qu’ils avaient tissés depuis leur arrivée ne constituaient pas automatiquement des considérations d’ordre humanitaire suffisantes. L’agente a reconnu que les demandeurs pourraient avoir à déployer des efforts additionnels pour se réadapter lors de leur retour, mais elle a conclu qu’ils seraient probablement capables de se trouver un emploi, et a aussi relevé qu’ils pourraient bénéficier de l’appui de leur famille à leur retour en Chine. 

 

 

[8]               Eu égard à l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a énoncé ce qui suit :

[traduction]

 

Compte tenu de l’analyse qui précède, et en considérant que les enfants peuvent retourner avec leurs parents dans un pays où ils disposent d’un réseau familial, dont ils connaissent la langue et qui est doté d’un système d’éducation, je conclus que le fait d’interrompre l’instruction des enfants au Canada constitue un facteur important, mais non décisif. Donc, à cet égard, je suis d’avis que l’intérêt supérieur des enfants ne serait pas compromis, dans l’éventualité où ils devraient retourner en Chine.

 

 

[9]               La demande a par conséquent été rejetée.

 

 

La norme de contrôle applicable et la question en litige

 

[10]           La présente demande soulève la question de savoir si la décision de l’agente était raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

 

Analyse

 

[11]           Les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, comme l’exigeait l’article 25 de la Loi : Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, aux paragraphes 9 à 11. Les demandeurs prétendent que l’intérêt supérieur des enfants doit être bien cerné et examiné avec beaucoup d’attention, et qu’on doit lui attribuer un poids significatif. Ils font valoir que les remarques superficielles de l’agente à ce sujet sont loin la décharger de ce fardeau.

 

[12]           Cependant, je souscris à l’observation du défendeur selon laquelle l’agente a bel et bien examiné les deux allégations liées à l’intérêt supérieur des enfants, soit celle portant que le fils serait exposé à de la discrimination, car il n’était pas inscrit, et celle portant que le renvoi nuirait à l’instruction des enfants, alors que ceux-ci obtenaient d’excellents résultats scolaires ici, au Canada.

 

[13]           En ce qui concerne l’inscription du fils du demandeur, l’agente a souligné la conclusion de la SPR comme quoi le fils pourrait être inscrit moyennant le paiement d’une amende; par conséquent, il n’y avait pas de preuve suffisante démontrant que celui-ci serait exposé à quelque discrimination que ce soit. En ce qui concerne l’éducation des enfants, l’agente a reconnu que l’interruption de l’instruction était un facteur important, mais elle a conclu que cette conclusion était atténuée par le fait que les enfants retourneraient avec leurs parents dans un pays où ils avaient de la famille, dont ils parlaient la langue et où ils recevraient de l’instruction. Par conséquent, l’agente a examiné l’ensemble des facteurs pertinents soulevés dans la demande, de sorte que les prétentions des demandeurs constituent une demande visant à ce que ces facteurs soient pondérés différemment.

 

[14]           Les demandeurs allèguent aussi que plusieurs erreurs de droit ont été commises. 

 

[15]           Premièrement, ils prétendent que le fait d’avoir qualifié la demande CH comme étant une demande visant à les exempter des exigences prévues par la Loi constituait une erreur. Bien que les demandeurs aient raison d’affirmer que l’article 25 prévoit que le ministre « peut [leur] octroyer le statut de résident[s] permanent[s] ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables », cela ne signifie pas que l’octroi du statut de résident permanent au titre de l’article 25 ne constitue pas une levée des exigences de la Loi. Le fait que l’on prévoit l’octroi de la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire constitue, en soi, une exemption visant à offrir une mesure exceptionnelle à un demandeur qui ne satisfait pas aux exigences des catégories de résidents permanents au titre de la Loi. Cet argument est rejeté.

 

[16]           Les demandeurs soutiennent aussi que l’agente, en renvoyant à maintes reprises au risque et à la persécution plutôt qu’aux difficultés, a appliqué le mauvais critère en ce qui concerne l’octroi de la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Cependant, comme le soutient le défendeur, la majorité de leurs observations portaient sur les risques auxquels ils alléguaient être exposés en raison de leurs pratiques religieuses ou de leur contravention à la politique de l’enfant unique. L’agente a donc employé ces mots dans son appréciation de la question de savoir si les demandeurs avaient prouvé ces allégations de fait. Le bon critère, soit celui de savoir si les demandeurs seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, a été mentionné et appliqué dans la décision.

 

[17]           Je conviens que les motifs donnés dans la présente affaire sont terriblement près d’être inadéquats pour démontrer que l’agente a été « réceptive, attentive et sensible » aux intérêts des enfants, comme l’exigeait l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817. Ils donnent, à première vue, l’impression que l’agente s’était acquittée sommairement de son obligation découlant de l’arrêt Baker. Cependant, les motifs doivent être lus dans le contexte du dossier et des observations dont l’agente disposait. Ceux‑ci étaient superficiels, comme l’a reconnu l’avocat (lequel, je m’empresse d’ajouter, n’était pas le conseil à ce moment-là). L’agente n’avait pas beaucoup d’éléments à examiner. 

 

[18]           Il est évident que le demandeur a le fardeau de produire les éléments de preuve et les observations à l’appui d’une demande CH : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635. Cette situation reste la même à l’égard de l’intérêt des enfants. Comme la juge Dawson l’a relevé dans la décision Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 646 :

Les demandeurs n’ont relevé aucune erreur de fait dans l’analyse de l’agente, affirmant plutôt que son cadre d’analyse était trop étroit. Les demandeurs soutiennent que l’agente aurait dû tenir compte de la discrimination que la fille du demandeur, qui est maintenant âgée de huit ans, subirait au Pakistan.

 

 

À mon avis, cet argument n’est pas compatible avec le fait que c’était aux demandeurs qu’il incombait de préciser que leur demande était fondée, du moins en partie, sur l’intérêt supérieur des enfants et à qui il incombait de présenter des éléments de preuve pour établir les prétentions sur lesquelles reposait leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Il appartenait aux demandeurs de préciser, avec preuve à l’appui, tout problème auquel un des membres de la famille serait confronté et qui se traduirait par des difficultés que l’on pourrait qualifier d’inusitées, d’injustifiées ou de disproportionnées.

 

 

Comme les demandeurs n’ont pas invoqué directement l’intérêt supérieur des enfants parmi les motifs de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, et parce qu’ils n’ont soulevé aucun facteur précis se rapportant aux enfants, j’estime que l’agente n’a pas commis d’erreur dans la façon dont elle a analysé la question de l’intérêt supérieur des enfants.

 

 

[19]           En l’espèce, les demandeurs ont fait valoir deux facteurs précis qui étaient liés à l’intérêt supérieur des enfants; l’effet sur leur instruction et le fait que leur deuxième enfant constituait une contravention à la politique de l’enfant unique et qu’il pourrait se voir refuser l’accès aux institutions fondamentales.

 

[20]           La SPR a examiné le deuxième de ces facteurs. L’agente a souligné que la SPR avait conclu qu’un hukou aurait pu être délivré, après un certain délai et moyennant le paiement d’une amende. En ce qui concernait l’instruction, l’agente ne s’est pas prêtée au jeu des comparaisons entre le système canadien et le système chinois, ni à une analyse quant à savoir lequel de ces systèmes serait préférable pour les enfants. Cela aurait constitué une erreur de sa part, puisqu’il ne s’agissait pas du critère applicable. L’agente a souligné que les enfants parlaient le cantonais, qu’ils étaient très intelligents et qu’ils pourraient bénéficier de l’appui de leurs parents ainsi que celui de leur famille élargie. 

 

[21]           Dans l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360, au paragraphe 45, la Cour d’appel a souligné ce qui suit, en citant l’arrêt Osuwu :

[…] Dans l’arrêt Owusu, précité, notre Cour a expliqué que l’agent chargé de se prononcer sur une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’a aucune obligation positive de s’enquérir davantage de l’intérêt supérieur des enfants lorsque la question est soulevée de façon « trop indirecte, succincte et obscure » […]

 

 

[22]           L’agente n’avait donc pas l’obligation de conduire un examen quant à la question de savoir s’il était préférable que les enfants aillent à l’école en Chine plutôt qu’au Canada.

 

[23]           Par conséquent, le résultat n’était pas celui que les demandeurs auraient souhaité et la Cour aurait peut-être pu parvenir à une conclusion différente, mais j’estime que l’agente a tenu compte de l’ensemble de la preuve et qu’elle est parvenue à une conclusion raisonnable et justifiée. Il n’y a donc pas lieu que la Cour intervienne.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée. Aucune question n’a été proposée en vue de la certification, et la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7489-11

 

INTITULÉ :                                      ZIXIANG ZHOU, QUIAN YI FENG

                                                            WEN FENG ZHOU (mineur), CHU LIN ZHOU (mineur), représentés par leur tuteur à l’instance ZIXIANG ZHOU 

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 24 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nancy Myles Elliott

POUR LES DEMANDEURS

 

Sophia Karantonis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elliott Law Firm
Toronto, Ontario

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan,

Deputy Attorney General of Canada

Toronto, Ontario

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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