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Date : 20120524

Dossier : IMM‑6988‑11

Référence : 2012 CF 595

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2012

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Hai Long JIN

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le 11 octobre 2011, Hai Long Jin (le demandeur) a déposé, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), la présente demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision rendue par Walter Kawun, commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur, concluant que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine. En 2009, il a commencé à fréquenter régulièrement une église non enregistrée en Chine après qu’un ami l’eut initié au christianisme. Le 29 novembre 2009, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) aurait fait une descente à l’église et trois membres auraient été arrêtés. Le 30 novembre 2009, le BSP se serait présenté au domicile du demandeur pour l’arrêter. En conséquence, le demandeur a quitté la Chine pour se rendre au Canada, où il est arrivé le 22 décembre 2009. Il a présenté une demande d’asile deux jours plus tard. Le demandeur a joint la Full Gospel Young Church à Toronto et a été baptisé le 1er août 2010.

 

[3]               On peut résumer comme suit les questions que soulève la présente demande de contrôle judiciaire, et elles seront examinées dans cet ordre :

1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur de fait en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve qui lui a été présentée, plus précisément :

                                                              i.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant de prendre en compte la preuve documentaire relative à la dévotion religieuse du demandeur au Canada?

                                                            ii.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

                                                          iii.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation des connaissances religieuses du demandeur?

 

2. La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit dans la manière dont elle a évalué la demande d’asile sur place du demandeur?

 

[4]               La norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission touchant les faits et la crédibilité ainsi qu’à son appréciation de la preuve est la norme de la décision raisonnable (Yin c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 544, au paragraphe 22 [Yin]; Song c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1321, au paragraphe 24; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir]; Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315, au paragraphe 4). Cette même norme s’applique à l’appréciation de la Commission quant à la connaissance de la foi chrétienne du demandeur et à l’authenticité de sa croyance, puisqu’il s’agit de conclusions de fait (Huang c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 346, au paragraphe 7 [Huang]; Chen c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1168, au paragraphe 13 [Chen]). Ainsi, la Cour doit déterminer si les conclusions de la Commission appartiennent aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », à savoir si elles sont justifiées, transparentes et intelligibles (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[5]               L’identification par la Commission du critère applicable à une demande d’asile sur place est une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Ejtehadian c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 158, au paragraphe 12 [Ejtehadian]). L’application du critère par la Commission aux faits de l’espèce est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable, puisqu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (décision Chen, précitée, au paragraphe 10).

 

* * * * * * * *

 

1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de fait en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve qui lui a été présentée?

 

i.          La Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant de prendre en compte la preuve documentaire relative à la dévotion religieuse du demandeur au Canada?

 

[6]               Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire attestant sa pratique religieuse au Canada en se concentrant sur ce que les documents ne disent pas, par opposition à ce qu’ils indiquent. Les lettres du pasteur du demandeur, d’un membre de son église et de sa mère attestent la sincérité des croyances religieuses du demandeur. En n’accordant aucun poids à ces documents, la Commission a commis une erreur : elle a rendu sa décision en faisant complètement fi de la preuve.

 

[7]               Le défendeur fait valoir que la prétention du demandeur est erronée : la Commission a bel et bien examiné ces documents, mais a décidé de leur accorder peu de poids, car, selon elle, ils n’établissaient pas l’authenticité des convictions religieuses du demandeur. La Commission ne les a pas uniquement rejetés en raison d’un manque de crédibilité. Je suis d’accord.

 

[8]               La Commission n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Au contraire, la Commission a expressément mentionné le certificat de baptême du demandeur ainsi que les lettres, expliquant les raisons pour lesquelles elle leur accordait peu de poids, contrairement à l’affaire Yin, précitée, dans laquelle la Commission avait fait abstraction de la preuve et ne l’avait même pas mentionnée (aux paragraphes 89 et 90). Comme elle y était tenue, la Commission a clairement expliqué dans sa décision que les documents ne prouvaient pas l’authenticité de sa croyance, mais confirmaient effectivement sa participation aux activités de l’église. Les lettres sur lesquelles le demandeur se fondait ont été examinées pour ce dont elles faisaient état, comme il est proposé de le faire dans la décision Mahmud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 167 F.T.R. 309, au paragraphe 11 : elles parlent de la participation du demandeur, mais n’aident pas à prouver l’authenticité de ses convictions religieuses.

 

[9]               En conséquence, l’examen des documents par la Commission était raisonnable : « [l]e tribunal peut n’accorder aucun poids à une lettre si celle‑ci omet d’aborder des éléments centraux d’une demande » (J.E.P.G. c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 744, au paragraphe 8).

 

ii.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

 

[10]           Après avoir examiné la preuve, je conclus que la conclusion de la Commission quant à la crédibilité est raisonnable, car de telles conclusions commandent une grande déférence (Ghanuom c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 947, au paragraphe 16 [Ghanuom]). La Cour ne peut tout simplement pas substituer son opinion à celle de la Commission. La Commission a eu l’avantage de voir et d’entendre le demandeur et possède des connaissances spécialisées (décision Ghanuom, précitée, au paragraphe 16, citant Cepeda‑Gutierrez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (1998), 157 F.T.R. 35). En conséquence, la Commission, en qualité de tribunal administratif spécialisé, a tous les pouvoirs nécessaires pour apprécier la vraisemblance du témoignage du demandeur et tirer les inférences qui s’imposent (Jones c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 405, au paragraphe 8 [Jones]).

 

[11]           De plus, la Commission a examiné les explications du demandeur relativement à son omission, mais a choisi de les rejeter, comme elle l’a indiqué dans sa décision et était en droit de le faire (décision Jones, précitée, au paragraphe 27). La Commission a également clairement expliqué les raisons pour lesquelles elle estimait que le demandeur n’était pas crédible : il avait omis de mentionner un fait important dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP) (voir Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 800 (C.A.F.) (QL), 101 N.R. 372) et Dong c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 55, au paragraphe 15 [Dong]). Le demandeur était tenu d’inclure tous les faits pertinents dans son FRP et le demandeur ne peut se contenter d’affirmer que ce qu’il a dit dans son témoignage oral était plus détaillé (Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 536 (C.F.) (QL), au paragraphe 9; Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1867, au paragraphe 33 (C.F. 1re inst.) (QL)). L’omission du demandeur de mentionner l’existence d’un mandat d’arrestation dans son FRP vise un événement important et ce fait aurait dû être mentionné au départ. Ainsi, l’inférence défavorable de la Commission était justifiée.

 

iii.        La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation des connaissances religieuses du demandeur?

 

[12]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de sa connaissance du christianisme, appliquant le mauvais critère pour une telle appréciation en se fondant sur un examen de type [traduction] « jeu‑questionnaire ».

 

[13]           À l’inverse, le défendeur fait valoir que rien n’empêche d’interroger un demandeur sur sa connaissance d’une religion. Chaque affaire doit être tranchée selon les faits qui lui sont propres et la Commission a conclu que le demandeur ne connaissait pas les éléments de base du christianisme. Il était par conséquent raisonnable de la part de la Commission de conclure qu’une personne qui est censée lire la Bible tous les jours posséderait une meilleure compréhension des préceptes de base de la foi chrétienne. Les questions posées au demandeur n’étaient ni dénuées d’intérêt ni déraisonnablement complexes. Or, les réponses que le demandeur avait été en mesure de donner n’étaient pas satisfaisantes : elles ne reflétaient une bonne compréhension du christianisme.

 

[14]           En réponse au renvoi du demandeur à l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551 [Amselem], le défendeur souligne que cet arrêt concernait la détermination des pratiques constitutives d’une religion précise, alors que la présente affaire vise la question de savoir si le demandeur possédait une compréhension de base du christianisme. La Cour suprême du Canada a statué que l’acceptation des allégations ayant trait à la pratique religieuse repose sur la sincérité de la croyance d’une personne. Les tribunaux sont donc autorisés à s’enquérir de la sincérité de ces croyances religieuses. Je souscris à la position que fait valoir le défendeur.

 

[15]           L’arrêt Amselem, précité, concerne la liberté de religion et la subjectivité des croyances religieuses. Ainsi, selon la Cour suprême du Canada, ce qui importe, ce n’est pas l’objectivité des croyances religieuses ni leur validité, mais plutôt la sincérité des croyances religieuses du demandeur (au paragraphe 43). En l’espèce, la Commission devait apprécier l’authenticité des convictions religieuses du demandeur. Les questions posées par la Commission ne visaient pas à mesurer la justesse de ces croyances, mais plutôt à établir si le demandeur comprenait les principes de base du christianisme. Contrairement à l’affaire Zhu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1066 [Zhu], on n’évaluait pas le niveau de croyance du demandeur : la Commission n’a pas admis que le demandeur était un chrétien authentique (au paragraphe 13). De plus, dans Zhu, le juge Russell Zinn a expressément déclaré que la sincérité de la conviction religieuse d’un demandeur pouvait être évaluée au regard de sa bonne connaissance du dogme ou de la croyance invoquée (au paragraphe 17).

 

[16]           De plus, la norme relative à la connaissance du christianisme utilisée par la Commission n’était pas déraisonnablement élevée, pas plus que la Commission ne s’est concentrée exclusivement sur quelques points de mauvaise compréhension (comparer avec les décisions Huang, précitée, au paragraphe 10 et 11, et Dong, précitée, aux paragraphes 20 et 21). En conséquence, la Commission ne s’est pas livrée à une analyse microscopique.

 

[17]           Compte tenu des questions posées au demandeur et de ses réponses, la conclusion de la Commission quant à l’absence d’authenticité de ses convictions religieuses appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

 

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit dans la manière dont elle a évalué la demande d’asile sur place du demandeur?

 

[18]           En dernier lieu, le demandeur soutient que la Commission a en outre commis une erreur dans son appréciation de sa demande d’asile sur place, omettant d’appliquer le critère approprié et mêlant ses conclusions en ce qui concerne la pratique religieuse du demandeur en Chine et au Canada, comme dans l’affaire Yin, précitée.

 

[19]           Chaque cas est un cas d’espèce (décision Chen, précitée, au paragraphe 25). Lors de l’examen d’une demande d’asile sur place, le fait qu’un demandeur n’était pas un véritable chrétien pratiquant en Chine ne signifie pas qu’il n’est pas un chrétien sincère et pratiquant au Canada (décision Yin, précitée, au paragraphe 94). Par conséquent, la Commission était tenue d’examiner la pratique religieuse du demandeur au Canada, ce qu’elle a fait, examinant expressément les documents discutés précédemment, comme cela a été déclaré dans la décision Ejtehadian, précitée, au paragraphe 11 :

[...] la preuve crédible des activités d’un demandeur au Canada susceptibles d’attester le risque d’un préjudice dès son retour doit être expressément prise en considération par la CISR, même si la motivation derrière ces activités n’est pas sincère [...].

 

[20]           La Commission n’a pas appliqué le mauvais critère juridique, pas plus qu’elle ne s’est concentrée sur les motifs de la conversion du demandeur au christianisme. Elle a plutôt examiné la question de savoir si le demandeur était un chrétien authentique susceptible d’être persécuté en Chine en raison de ses croyances. Étant donné que le demandeur n’était pas considéré comme un chrétien pratiquant authentique, il n’était pas nécessaire que la Commission cherche à savoir si le demandeur serait exposé à un risque de persécution religieuse en Chine. Ainsi, il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle les activités religieuses du demandeur au Canada pourraient donner lieu à une réaction défavorable de la part des autorités chinoises s’il était forcé de retourner en Chine (voir Girmaeyesus c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 53, au paragraphe 28). De plus, le défendeur déclare avec raison qu’il serait absurde d’accueillir une demande d’asile sur place chaque fois qu’un pasteur fournit une lettre attestant l’adhésion d’un demandeur à son église.

 

[21]           En conséquence, le demandeur n’a pas établi que l’intervention de la Cour est justifiée.

 

* * * * * * * *

 

[22]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[23]           Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle d’une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6988‑11

 

INTITULÉ :                                                  HAI LONG JIN c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 25 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 24 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kristina Dragaitis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rocco Galati Law Firm

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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