Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120524

Dossier : IMM‑6987‑11

Référence : 2012 CF 596

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2012

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Janos BALAZS, Katalin FARKAS,

Vanessza BALAZS

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), M. Pettinella. La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs, concluant qu’ils n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Janos Balazs (le demandeur), sa conjointe de fait Katalin Farkas et leur fille mineure, Vanessza Balazs, appelés collectivement les demandeurs, sont des citoyens roms de la Hongrie. Ils disent craindre d’être persécutés en raison de leur origine ethnique; la demande d’asile de Vanessza est fondée sur celle de ses parents. Les demandeurs allèguent qu’ils ont subi de la violence verbale de la part de skinheads, que Vanessza a été harcelée et que leur fils a été battu.

 

[3]               Le demandeur allègue avoir été physiquement agressé et menacé par six skinheads alors qu’il rentrait du travail le 18 juin 2007. En conséquence de cette agression, au cours de laquelle il a eu des côtes fracturées, a perdu des dents et s’est fait taillader le visage, il aurait, à ses dires, été hospitalisé pendant trois semaines. Le demandeur allègue également que, trois ou quatre mois après avoir quitté l’hôpital, il a été menacé et on l’a traité de [traduction] « gitan », et qu’il aurait à nouveau été menacé à deux reprises en 2008. Pour sa part, son épouse a été traitée de [traduction] « salle gitane » et de « putain de gitane » par des skinheads dans l’autobus.

 

[4]               En conséquence, les demandeurs ont quitté la Hongrie et sont arrivés au Canada le 16 septembre 2009; ils ont présenté une demande d’asile le jour même. Leur demande a été instruite par la Commission le 12 septembre 2011. Le 15 septembre 2011, la Commission a rendu sa décision défavorable, rejetant la demande d’asile des demandeurs.

 

[5]               Les demandeurs soulèvent plusieurs questions, dont deux sont déterminantes à mon avis pour l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[6]               Je traiterai pour commencer de l’argument des demandeurs selon lequel ils n’ont pas eu droit à une audience équitable en raison de l’incompétence de l’avocate qu’ils avaient alors, contrairement aux principes de justice naturelle. Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable à une telle question est celle de la décision correcte.

 

[7]               Les demandeurs font valoir qu’ils n’ont pas eu droit à une audience équitable en raison de l’incompétence de leur avocate à l’audience, dont l’haleine sentait l’alcool à une autre occasion et qu’ils n’avaient rencontrée qu’à deux reprises avant l’audience. À l’audience que j’ai présidée, l’avocat des demandeurs a souligné les [traduction] « observations de piètre qualité » de l’avocate qui figurent dans la transcription de l’audience tenue devant la Commission.

 

[8]               L’incompétence d’un avocat a été reconnue comme un manquement à la justice naturelle lorsqu’il existe une preuve à l’appui d’une conclusion d’incompétence (voir Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] Imm. L.R. (2d) 81 [Sheikh]; Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 51 (1re inst.) [Shirwa]; Siloch c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 10 (C.A.F.) (QL), 151 N.R. 76 [Siloch]; Mathon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 28 F.T.R. 217 [Mathon]).

 

[9]               À la fin de leur mémoire, les demandeurs font à nouveau valoir qu’ils n’ont pas eu droit à une audience équitable, se fondant sur l’arrêt Siloch, précité, et sur Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). Les demandeurs omettent toutefois d’expliquer la raison pour laquelle l’audience ne s’est pas déroulée de façon équitable.

 

[10]           À l’inverse, le défendeur prétend que même si l’avocate des demandeurs pouvait avoir été incompétente, les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve pour illustrer les problèmes qui peuvent en avoir découlé. Ils n’ont pas non plus expliqué de quelle façon la présumée incompétence de l’avocate avait nui à leur demande d’asile, omettant d’établir l’atteinte à leur droit à une audience équitable. Par conséquent, il n’y a eu aucun manquement à la justice naturelle.

 

[11]           Le défendeur a raison : les demandeurs n’ont pas démontré comment le comportement de leur avocate au moment de l’audience leur avait causé un préjudice. Les circonstances de l’espèce sont très différentes de celles des affaires sur lesquelles s’appuient les demandeurs, mais ces décisions établissent effectivement que l’incompétence d’un avocat à l’audience peut constituer une violation du droit à une audience équitable et fournir des motifs de contrôle judiciaire en raison de la violation d’un principe de justice naturelle (décision Shirwa, précitée, au paragraphe 11). Ainsi, lorsque le demandeur n’a commis aucune faute, mais le manque de diligence de l’avocat a pour effet de le priver de son droit d’être entendu, il y a un manquement susceptible de contrôle (décision Shirwa, précitée, au paragraphe 11; décision Mathon, précitée). Les demandeurs n’ont cependant pas été privés du droit à une audience : leur demande d’asile a été instruite. Ainsi, dans un tel cas, la décision de la Commission ne peut faire l’objet d’un contrôle qu’en présence de preuve de circonstances extraordinaires, « lorsqu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir “l’étendue du problème” » (décision Shirwa, précitée, au paragraphe 12). En conséquence, lorsque l’incompétence ou la négligence d’un avocat ressort de la preuve de façon suffisamment précise, cette conduite est en soi préjudiciable aux demandeurs : elle constitue une atteinte à leur droit à une audience équitable (décision Shirwa, précitée, au paragraphe 12). Les demandeurs n’ont toutefois pas présenté une telle preuve.

 

[12]           Les demandeurs n’ont pas expliqué en quoi la conduite de leur avocate leur avait causé un préjudice, outre le rejet de leur demande d’asile. L’avocate s’est présentée à l’audience, a fait des observations, a interrogé les demandeurs et semble avoir suivi leurs instructions (comparer avec la décision Mathon, précitée). Ainsi, l’avocate semble avoir agi selon la norme de diligence requise, faisant preuve de diligence, de compétence et de connaissances raisonnables dans la prestation de ses services juridiques (décision Mathon, précitée, citant Central Trust Co c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147). En l’absence de preuve d’inconduite ou de préjudice, la Cour ne peut pas conclure que les demandeurs ont été privés du droit à une audience équitable.

 

[13]           Au contraire, les demandeurs avaient choisi l’avocate et disposaient de suffisamment de temps avant l’audience pour trouver un nouvel avocat s’ils étaient préoccupés. Comme l’a déclaré le juge Marshall Rothstein dans Huynh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 11, au paragraphe 16 [Huynh] :

[...] Le fait que l’histoire du requérant n’ait pas été racontée ou ne se soit pas fait jour peut avoir été une faute de la part de l’avocat, ou il se peut que le requérant n’ait pas donné à l’avocat l’information appropriée. Selon mon interprétation des faits, le requérant a librement choisi son avocat. Si l’avocat ne représentait pas adéquatement son client, c’est une affaire entre le client et l’avocat.

 

[14]           Puisque les demandeurs n’ont pas prouvé qu’ils avaient été privés du droit à un procès équitable, la Cour ne peut intervenir : « l’omission de la part d’un avocat, librement choisi par un client, ne saurait, en aucun cas à l’exception du cas le plus extraordinaire, entraîner l’annulation d’une décision » (décision Huynh, précitée, au paragraphe 23). Comme ils ont déposé une plainte auprès du Barreau du Haut‑Canada, les demandeurs savent qu’ils disposent d’autres formes de réparation à l’encontre de leur avocate si elle était véritablement incompétente.

 

[15]           Comme deuxième argument, les demandeurs sont valoir que la Commission a commis une erreur de fait en fondant sa décision sur des conclusions erronées tirées de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve dont elle disposait. La norme de contrôle applicable à cette question est celle de la raisonnabilité (voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir]). Ainsi, la Cour doit décider si les conclusions de la Commission sont justifiées, transparentes et intelligibles et si elles appartiennent aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[16]           Les demandeurs contestent plus particulièrement les conclusions suivantes tirées par la Commission : (i) l’agression n’a jamais eu lieu; (ii) le demandeur n’a jamais signalé l’incident à la police; (iii) le demandeur n’a jamais passé de temps à l’hôpital. Pour en arriver à ces conclusions, la Commission a ignoré les éléments de preuve dont elle disposait, plus précisément les rapports médicaux, le témoignage de corroboration des enfants et la preuve documentaire, commettant ainsi une erreur susceptible de révision.

 

[17]           De plus, les demandeurs contestent la conclusion de la Commission quant à la crédibilité, croyant que la Commission a commis une erreur en omettant de fournir des motifs. Or, la Commission était tenue d’examiner l’ensemble de la preuve et d’expliquer la raison pour laquelle elle a jugé qu’ils n’étaient pas crédibles, ce qu’elle a omis de faire selon eux.

 

[18]           D’entrée de jeu, il est important de corriger les demandeurs : la Commission n’a jamais déclaré que l’attaque dont avait fait l’objet le demandeur n’avait jamais été signalée ni qu’il n’avait jamais été hospitalisé. La Commission a plutôt conclu que le demandeur n’avait pas signalé les menaces qu’il affirme avoir reçues et qu’il avait été hospitalisé, mais pas pendant trois semaines, contrairement à ses allégations.

 

[19]           Il y a lieu de rappeler que l’appréciation de la crédibilité du demandeur relève entièrement de la compétence de la Commission, car elle « a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution » des demandeurs (Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 771 (1re inst.), au paragraphe 18 [Mohacsi]).

 

[20]           Les conclusions et la décision de la Commission sont raisonnables, prises dans leur ensemble (Ogiriki c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 342, au paragraphe 13 [Ogiriki]). Même si l’un, parmi plusieurs, des motifs fournis par la Commission était fautif, il y avait d’autres faits pour soutenir sa décision (décision Ogiriki, précitée, au paragraphe 14). La Commission a clairement expliqué la raison pour laquelle elle ne croyait pas le récit du demandeur : il y avait plusieurs versions contradictoires de l’attaque du demandeur et ce dernier a omis de fournir une explication satisfaisante concernant ces contradictions, explications que la Commission a explicitement fournies dans ses motifs (comparer avec la décision Mohacsi, précitée, au paragraphe 28).

 

[21]           En outre, contrairement aux allégations des demandeurs, la Commission n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait. Elle a expressément traité des rapports policiers et médicaux, du témoignage des demandeurs et de la preuve documentaire (comparer avec Ameir c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 876, aux paragraphes 27 et 31). Ainsi, la Commission, qui n’a pas l’obligation de mentionner chaque élément de preuve, n’a pas omis d’examiner la preuve qui lui avait été présentée, mais a plutôt examiné l’ensemble de la preuve et justifié sa conclusion concernant le manque de crédibilité en « termes clairs et explicites » (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (C.A.F.) (QL), 130 N.R. 236; décision Mohacsi, précitée, au paragraphe 19; Gondi c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 433, au paragraphe 16). Une conclusion générale de manque de crédibilité du demandeur peut s’étendre à tous les éléments de preuve provenant de son témoignage (décision Sheikh, précitée, au paragraphe 8). Ainsi, la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’étaient pas crédibles équivalait à une conclusion d’absence de preuve crédible sur laquelle fonder leur demande d’asile (Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 444 (1er inst.) (QL), au paragraphe 6). Cette conclusion, qui s’ajoute à celle que j’ai tirée précédemment concernant la question de justice naturelle, est suffisante pour rendre une décision sur la présente demande de contrôle judiciaire sans qu’il soit nécessaire de traiter les autres questions soulevées par les demandeurs.

 

[22]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[23]           L’avocat des demandeurs a présenté les questions suivantes aux fins de certification :

[traduction]

1.      Les actes de violence criminels dirigés contre des personnes sur le fondement de la race ou l’origine ethnique constituent‑ils toujours de la « persécution », sous réserve d’une analyse relative à la protection de l’État?

2.      Autrement dit, des actes de violence criminels fondés sur la race ou l’origine ethnique peuvent‑ils constituer de la simple « discrimination »?

 

[24]           Compte tenu des motifs particuliers fournis ci‑dessus à l’appui du rejet de la présente demande de contrôle judiciaire, les questions proposées ne sont clairement pas déterminantes pour trancher la demande de contrôle judiciaire et, par conséquent, ne peuvent être certifiées (voir Liyanagamage c. Canada (Secrétaire d’État) (1993), 71 F.T.R. 67).

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6987‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  JANOS BALAZS, KATALIN FARKAS, VANESSZA BALAZS c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 25 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 24 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alexis Singer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rocco Galati Law Firm

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.