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Date : 20120524

Dossier : IMM‑6696‑11

Référence : 2012 CF 594

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2012

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

WEI ZHENG

 

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le 29 septembre 2011, Wei Zheng (la demanderesse), une citoyenne de la Chine, a déposé, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), la présente demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue par Linda Hart, commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, concluant que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               La demanderesse conteste l’appréciation de sa crédibilité par la Commission ainsi que sa conclusion selon laquelle il n’y a pas de persécution religieuse dans la région du Fujian. De telles conclusions sont des conclusions de fait. Par conséquent, la question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la Commission a commis une erreur en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait; plus précisément :

1.                  La Commission a–t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse?

 

2.                  La Commission a–t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque de persécution religieuse dans la province du Fujian?

 

[3]               De telles conclusions doivent être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité (Lin c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 254, au paragraphe 12 [Lin]; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir]; Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315, au paragraphe 4 [Aguebor]; Yang c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1274, au paragraphe 13 [Yang]; He c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 525, au paragraphe 7 [He]; Sun c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1255, au paragraphe 3 [Sun]; Yao c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 902, au paragraphe 20 [Yao]). Par conséquent, la Cour doit déterminer si la décision de la Commission était justifiée, transparente et intelligible et appartenait aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

* * * * * * * *

1.         La Commission a–t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse?

 

[4]               La Commission a pleine compétence pour apprécier la crédibilité de la demanderesse et la plausibilité de son témoignage (arrêt Aguebor, précité, au paragraphe 4; Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 805 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 28 et 29 [Gonzalez]). La demanderesse s’appuie sur Ilyas c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1270, mais la Commission a correctement traité en l’espèce des éléments de preuve et du témoignage de la demanderesse, fondant sa conclusion sur des incohérences dans la preuve présentée par la demanderesse et diverses invraisemblances. La Commission n’a pas simplement estimé que la demanderesse n’était pas crédible en raison de ce qu’elle croyait qu’une personne aurait dû faire dans la situation de la demanderesse. La Commission a au contraire tenu compte des explications de la demanderesse concernant les raisons pour lesquelles elle serait retournée de plein gré en Chine et des incohérences présentes dans ses demandes d’asile aux États‑Unis et au Canada, mais a jugé ces explications insuffisantes, comme il lui était loisible de le faire (décision He, précitée, au paragraphe 12). Comme l’a dit ma collègue la juge Judith Snider, au paragraphe 10 de sa décision, dans Sinan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 87 :

[...] Ce n’est pas parce qu’un demandeur donne une explication que celle‑ci doit être acceptée par la Commission. Il est loisible à la Commission d’examiner la réponse ou l’explication et de décider si elle est suffisante.

 

 

[5]               Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité commandent un degré élevé de retenue et il y aurait lieu de garder à l’esprit quelques principes bien établis, énoncés par la juge Snider dans la décision Sun, précitée, au paragraphe 5 :

1.  La Commission, qui a entendu le témoignage oral, est la mieux placée pour jauger la crédibilité et la vraisemblance du récit d’un demandeur.

 

2.    Une conclusion d’absence de crédibilité peut être fondée sur des invraisemblances, des contradictions, sur l’irrationalité et sur le sens commun.

 

3.    La Commission peut tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité en invoquant des omissions de renseignements importants dans le Formulaire de renseignements personnels d’un demandeur (le FRP).

 

4.  La Commission a le pouvoir discrétionnaire de décider de la valeur à accorder à la preuve.

 

[6]               La Commission a clairement expliqué la raison pour laquelle elle jugeait que la demanderesse n’était pas crédible. Premièrement, elle estimait qu’il était invraisemblable qu’une personne recherchée par la police veuille retourner de plein gré dans son pays de persécution, ce qui est raisonnable. De plus, il était loisible à la Commission de s’appuyer sur des omissions contenues dans les demandes d’asile de la demanderesse pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité (décision Gonzalez, précitée, au paragraphe 39). Les deux demandes d’asile contiennent des différences importantes. La conclusion de la Commission en matière de crédibilité est donc raisonnable, car elle est justifiée et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En outre, le rôle de la Cour ne consiste pas à substituer ses conclusions à celles de la Commission (arrêt Dunsmuir, précité).

 

2.         La Commission a–t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque de persécution religieuse dans la province du Fujian?

 

[7]               La demanderesse a raison de dire que la Commission n’a pas fait de commentaires particuliers sur la prétendue descente à l’église en 2009. Toutefois, dans la décision Lin, précitée, la Cour a conclu que la décision de la Commission était déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte de la situation particulière de la demanderesse et n’a pas tiré de conclusion précise au sujet de la véracité de son récit. En l’espèce, la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et n’avait pas fourni de preuve relativement aux descentes dans les églises, ni aux mandats d’arrêt dont elle faisait toujours l’objet par suite de ces descentes. La Commission n’a pas cru la totalité du récit de la demanderesse, mais a cru qu’elle était véritablement une chrétienne. Ainsi, la décision Lin n’a aucune pertinence.

 

[8]               Il est utile de souligner ici que la jurisprudence est d’une utilité limitée pour déterminer le risque de persécution religieuse auquel est exposé un demandeur, comme l’a déclaré le juge David Near dans la décision He, précitée, au paragraphe 26 :

     Chaque cas est un cas d’espèce et renferme une preuve documentaire unique. La prudence est de mise lorsque des conclusions tirées au sujet d’un pays dans une décision de la Cour sont appliquées dans une autre affaire (voir Yu, précitée, paragraphe 22).

 

[9]               Ainsi, l’approche que les deux parties ont adoptée, consistant à citer diverses décisions dans lesquelles il a été reconnu qu’il existait ou n’existait pas un risque de persécution religieuse dans la province du Fujian, est inappropriée. Dans certains cas, la cour a conclu qu’il existait un risque de persécution dans la province du Fujian et dans d’autres cas, elle a conclu le contraire : la jurisprudence n’est pas déterminante, pas plus qu’il n’est possible de s’appuyer exclusivement sur elle pour prouver un risque. Les commissaires de la Commission devraient également se garder de fonder leur évaluation de la situation d’un pays sur la jurisprudence.

 

[10]           La question que la Cour doit plutôt trancher est celle de savoir si la conclusion de la Commission relativement à l’absence de persécution religieuse dans la région du Fujian est raisonnable. Elle l’est. La Commission a soigneusement étayé sa conclusion; elle a tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait et s’est plus particulièrement fondée sur la preuve documentaire. Elle n’a pas ignoré les incidents de persécution : de tels incidents sont mentionnés, mais ils n’ont pas eu lieu dans la région dans laquelle la demanderesse retournerait, car la persécution varie grandement dans les différentes régions de la Chine. De plus, il a été établi qu’il est loisible à la Commission de conclure qu’il n’y a peu de persécution sur le fondement d’une absence d’arrestations signalées, un seul exemple de persécution étant insuffisant (voir la décision Yang, précitée, au paragraphe 38). Une telle conclusion peut également être fondée sur une absence d’incidents rapportés : il est raisonnable que la Commission présume, dans ces circonstances, que si des incidents de persécution avaient eu lieu dans la province du Fujian, ils auraient été rapportés (voir la décision Yang, précitée, au paragraphe 41). En outre, la Commission a expliqué la raison pour laquelle elle a accordé peu de poids à certains documents, comme dans la décision Yao, précitée, aux paragraphes 26 et 27.

 

[11]           Pour ces motifs, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. La décision et les conclusions de la Commission sont raisonnables : la Commission a fourni des explications largement suffisantes et a fondé ses conclusions sur l’ensemble de la preuve dont elle disposait.

 

* * * * * * * *

 

[12]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[13]           Il n’y a aucune question à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de refugié du Canada a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6696‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  WEI ZHENG c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 24 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 24 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cheryl Robinson

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Bradley Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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