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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120522


Dossier : IMM-4479-11

Référence : 2012 CF 616

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

FRANCIS RUSERE CHIKEREMA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 16 juin 2011, par laquelle celle-ci a conclu que le demandeur, Francis Rusere Chikerema, n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande sera rejetée.

 

I.          Les faits

 

[3]               Le demandeur est un citoyen du Zimbabwe. Il était membre de l’Union du peuple africain du Zimbabwe [Zimbabwe African People’s Union] (le ZAPU). Il a allégué que l’Union nationale africaine du Zimbabwe – Front patriotique [Zimbabwe African National Union – Patriotic Front] (le ZANU-PF) le percevait comme un partisan d’un parti d’opposition, comme le Mouvement pour le changement démocratique [Movement for Democratic Change] (le MDC), et que des membres de ce parti avaient détruit ses biens.

 

[4]               Le demandeur avait quitté le Zimbabwe pour aller aux États-Unis (les É.-U.) en 2001. Il avait présenté une demande d’asile, mais était resté illégalement aux É.-U. pendant huit ans. Il a allégué avoir fondé, au cours de cette période, l’Alliance démocratique nationale unie [United National Democratic Alliance] (l’UNDA), un parti politique d’opposition au Zimbabwe.

 

[5]               Le 25 février 2009, le demandeur est venu au Canada et a présenté une demande d’asile fondée sur ses antécédents en matière de participation à la vie politique.

 

II.        La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

 

[6]               La Commission a conclu qu’aucun élément de preuve convaincant n’avait été présenté pour établir que le demandeur était actif sur le plan politique avant de déménager aux É.-U. en 2001. On se serait attendu à ce qu’il détienne une carte de membre du parti ou quelque document pour démontrer son allégeance au parti. De plus, aucun élément de preuve convaincant ne démontrait que l’UNDA est un parti politique légitime et reconnu, qui s’oppose au ZANU-PF. La Commission a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle il avait été nommé comme suspect en lien avec un attentat à la bombe contre un poste de police de Harare, parce que le demandeur n’avait pas de copie de l’article de journal qui faisait mention de lui. La Commission a aussi accordé peu de poids aux lettres portant sur son engagement au sein de l’UNDA.

 

[7]               Le défaut du demandeur de présenter rapidement une demande d’asile aux É.-U. renforçait la conclusion qu’avait tirée la Commission quant à l’absence de crainte subjective du demandeur. 

 

[8]               Bien que la Commission ait reconnu que le ZANU-PF faisait preuve d’hostilité à l’égard des membres de certains partis d’opposition et que le gouvernement était instable, elle a conclu que le demandeur « n’a[vait] jamais été actif sur le plan politique, qu’il vi[vait] à l’étranger depuis huit ans et qu’il n’a[vait] fait aucun effort pour participer de quelque manière que ce soit à la vie politique en tant que membre de la diaspora. Par conséquent, il n’[était] fidèle à aucun parti à ce moment-[là]. »

 

[9]               La Commission a conclu ainsi :

Puisque le demandeur d’asile a été incapable de convaincre le tribunal à l’aide d’une preuve fiable et digne de foi qu’il est une personne importante sur la scène politique au Zimbabwe, ou qu’il l’a été, j’estime que, même en tenant compte de la situation actuelle au Zimbabwe, son affirmation selon laquelle il craint d’être persécuté pour des motifs politiques n’est pas fondée. Ainsi, il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté, et il ne sera pas exposé au risque d’être soumis à la torture ou de subir un préjudice grave s’il doit retourner au Zimbabwe.

 

III.       Les questions en litige

 

[10]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

a)         La Commission a-t-elle omis de tenir compte de certains éléments de preuve?

 

b)         La Commission a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[11]           En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 51). La Cour interviendra seulement si la décision ne démontre pas de justification, de transparence et d’intelligibilité, ou si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

[12]           Le demandeur affirme que la Commission a omis de tenir compte d’éléments de preuve concernant ses activités politiques antérieures, y compris son appui officieux à des groupes d’opposition. Le demandeur a donné les détails de ces activités dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ainsi que dans son témoignage. Il y avait aussi des renseignements concernant l’engagement politique de son père en Afrique. On ne lui a jamais demandé d’expliquer pourquoi il n’avait pas communiqué avec les bureaux du MDC ou du ZAPU.  

 

[13]           Il existe, selon le demandeur, une présomption de véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF)). La Commission n’a pas décelé d’incohérences dans son témoignage et avait l’obligation d’expliquer pourquoi elle n’avait pas tenu compte de l’ensemble de ces éléments de preuve.

 

[14]           Cependant, je dois souscrire à la prétention du défendeur selon laquelle l’analyse de la Commission au sujet des activités politiques antérieures du défendeur était raisonnable dans les circonstances.

 

[15]           La principale préoccupation de la Commission était le manque de preuve corroborant les antécédents du demandeur en matière d’engagement politique ainsi que les incidents prétendus au cours desquels ses biens auraient été détruits. Bien que la Commission ait explicitement fait mention d’une carte de membre, elle a aussi envisagé d’autres documents qui auraient pu étayer les prétentions du demandeur. La Commission « peut tenir compte de l’absence de preuve corroborante dans des circonstances où l’on pourrait s’attendre à ce qu’existent de tels éléments de preuve » (voir Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 (CAF); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Bacsa, 2005 CF 1376, [2005] ACF no 1803, au paragraphe 8).

 

[16]           La Commission a également pris acte du profil politique passé du père du demandeur. Comme le relève le défendeur, la preuve documentaire à cet égard ne contient pas de renvoi au demandeur. Bien que le demandeur eût supposé que cette preuve allait mener la Commission à conclure qu’il était lui aussi actif sur la scène politique, une conclusion différente, mais toutefois raisonnable, ne donne pas à penser que la Commission avait omis de tenir compte de cette preuve.

 

[17]           Le demandeur savait, de façon générale, que la Commission avait des doutes quant à sa crédibilité. Le demandeur n’a pas à être mis au courant des imprécisions ou des lacunes précises qui ont été décelées dans l’examen de sa demande d’asile (voir, par exemple, Kutuk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1754, au paragraphe 7; Khorasani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 936, [2002] ACF no 1219, au paragraphe 35. En fin de compte, la Commission n’était pas convaincue de l’importance qu’avait eue le demandeur sur la scène politique, compte tenu de l’absence d’une preuve « fiable et digne de foi ».

 

[18]           Le demandeur allègue de plus que la Commission a omis de tenir compte de la preuve concernant sa participation à la fondation de l’UNDA et a déraisonnablement conclu qu’il n’était pas actif sur la scène politique. Il souligne les lettres fournies par des membres de l’UNDA, le blogue qu’il tient ainsi que les lettres qu’il aurait censément écrites à Robert Mugabe, le président du Zimbabwe. Il soutient que, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve liés aux efforts qu’il a consacrés à l’enregistrement de l’UNDA en tant que parti politique et à l’expression d’une opposition politique, la Commission n’aurait pas dû rejeter ses prétentions concernant ses activités politiques actuelles.

 

[19]           Les lettres liées à sa participation aux activités de l’UNDA ont cependant fait l’objet d’un examen relativement détaillé. La Commission leur a simplement accordé moins que poids que ce que le demandeur aurait souhaité. Il ne s’agit pas d’un fondement permettant à la Cour d’intervenir.

 

[20]           Dans la même veine, le fait que d’autres documents n’ont pas été explicitement mentionnés, comme le laisse entendre le demandeur, ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle (voir Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (CAF)). Comme le prétend le défendeur, il n’était pas clair si le blogue du demandeur avait été mis à jour depuis sa création, ou si les lettres destinées à M. Mugabe lui avaient réellement été envoyées ou si ce dernier les avait réellement reçues. En l’absence d’une preuve suffisamment crédible, la Commission était justifiée de douter de la nature de l’engagement politique actuel du demandeur.

 

[21]           En ce qui concerne le fait que la Commission a tenu compte du retard à demander l’asile aux É.-U., je ne vois pas de problème avec démarche générale adoptée. Le retard est un élément pertinent dans l’appréciation de la demande d’asile du demandeur par la Commission (Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988, [2003] ACF no 1259). La jurisprudence plus récente va aussi loin que de proposer que, lorsqu’une personne n’est pas en mesure de justifier sa lenteur à présenter une demande d’asile, celle-ci peut être déclarée irrecevable, même si les allégations de son auteur sont jugées par ailleurs crédibles (voir Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, [2010] ACF no 1138, au paragraphe 28).  

 

[22]           Dans la présente affaire, la Commission a simplement laissé entendre que le retard à demander l’asile aux É.-U. appuyait les conclusions qu’elle avait précédemment rendues. Elle a déclaré que « le défaut du demandeur d’asile de demander l’asile dès que possible, ou même de déployer des efforts afin de savoir s’il pouvait demander l’asile plus tôt, alors qu’il vivait dans un pays démocratique qui accepte les réfugiés, appuie [s]a conclusion selon laquelle il n’éprouvait aucune crainte subjective de persécution » et que « cela renforce [s]a conclusion selon laquelle la demande d’asile dans son ensemble manque de crédibilité ».

 

[23]           Le demandeur conteste cette conclusion, car celle-ci ne répond pas expressément à l’explication qu’il a donnée pour justifier son retard à présenter une demande d’asile. Ce n’est cependant pas ce qui s’est produit en l’espèce. Bien que la Commission n’ait pas fait référence aux explications du demandeur dans sa conclusion quant au retard, elle les a abordées au début de la décision. La Commission a déclaré que le demandeur croyait qu’il « avait raté l’occasion » de demander l’asile. De plus, il « craignait de demander l’asile parce qu’il savait que d’autres Zimbabwéens qui avaient vécu illégalement aux États-Unis avaient été expulsés vers le Zimbabwe ».

 

[24]           La conclusion tirée par le juge James O’Reilly, dans la décision Jumbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 543, [2008] ACF no 691, au paragraphe 12, portant que « la Commission ne pouvait pas simplement déclarer que le fait de ne pas présenter de demande d’asile ailleurs prouvait, en soi, l’absence d’une crainte subjective », ne s’applique pas au fait que la Commission ait tiré une simple conclusion d’appui quant au retard à demander l’asile, dans une situation factuelle différente concernant le Zimbabwe. De plus, il était loisible à la Commission de juger insuffisantes les explications du demandeur après les avoir examinées (voir Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, [2004] ACF no 188, au paragraphe 10).

 

[25]           Contrairement à ce qu’avance le demandeur dans ses observations, la Commission a aussi tenu compte de son argument selon lequel il serait contraint de s’exprimer sur ses croyances politiques à son retour au Zimbabwe et que cela l’exposerait à un risque. La Commission a conclu qu’il n’y avait « aucun élément de preuve corroborant décrivant ses activités dans la société civile ou présentant des exemples de sa volonté de défendre les droits de la personne ». Elle a ensuite analysé la preuve documentaire portant que les personnes qui ne sont pas actives sur le plan politique ne sont pas exposées au risque de subir des mauvais traitements. La préoccupation de la Commission était le manque de preuve corroborant les activités politiques du demandeur. Comme le laisse entendre le défendeur, la position du demandeur est contradictoire. Il veut être reconnu comme un réfugié au Canada en raison de ses croyances politiques, mais insiste simultanément sur le fait que, s’il devait retourner au Zimbabwe, il devrait alors défendre ses croyances de manière officielle, ce qui l’exposerait probablement davantage à un risque.

 

VI.       Conclusion

 

[26]           Le demandeur n’a pas démontré que la Commission avait omis de tenir compte d’éléments de preuve importants ou qu’elle avait autrement tiré des conclusions déraisonnables à l’égard de son profil politique antérieur ou actuel. Par conséquent, sa demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4479-11

 

INTITULÉ :                                      FRANCIS RUSERE CHIKEREMA

                                                            c

                                                            MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 4 AVRIL 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 22 MAI 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Naomi Loewith

Carole Simone Dahan

 

POUR LE DEMANDEUR

Kristina Dragaitis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Laura Brittain

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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