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20120511

Dossier : T‑2300‑05

Référence : 2012 CF 559

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 mai 2012

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

 

APOTEX INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

ASTRAZENECA CANADA INC.

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une action en indemnisation de pertes présentée en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement). La tenue d’un renvoi a été ordonnée. La présente partie de l’instance se limite donc à l’examen de certaines questions, sous réserve de la tenue d’un renvoi au besoin par la suite.

 

[2]               La demanderesse, Apotex Inc., est une entreprise ontarienne qui affirme être le plus important fabricant de produits pharmaceutiques appartenant à des intérêts canadiens. Ses activités consistent en grande partie à fabriquer et à distribuer des médicaments génériques, c’est‑à‑dire des copies de médicaments mis au point et fabriqués par d’autres. La défenderesse AstraZeneca Inc. est une entreprise ontarienne dont les activités consistent à distribuer des médicaments au Canada. Parmi les médicaments qu’elle distribue, il y a notamment des médicaments qui sont mis au point par des sociétés associées du groupe AstraZeneca. Pour employer le langage utilisé dans le commerce, Apotex est un « fabricant de produits génériques » et AstraZeneca est une société « innovatrice » ou société qui fabrique des médicaments de marque.

 

[3]               La demande présentée par Apotex en vertu de l’article 8 du Règlement fait suite au rejet d’une demande d’interdiction visant Apotex qui a été soumise à notre Cour par AstraZeneca et une société liée en vertu des dispositions du Règlement. Cette demande, qui porte le numéro de dossier T‑2311‑01, a été introduite au moyen d’un avis de demande déposé par AstraZeneca et une société liée le 31 décembre 2011. Aux termes d’une ordonnance prononcée le 30 décembre 2003, le juge O’Keefe a rejeté cette demande. Il a exposé ses motifs le 2 mars 2004 (2004 CF 313). Cette décision est définitive.

 

[4]               De façon générale, la demande T‑2311‑01 portait sur un médicament connu sous le nom d’oméprazole, vendu par AstraZeneca au Canada sous la marque nominative LOSEC, ainsi que sur le brevet canadien no 2133762 (le brevet 762) inscrit par AstraZeneca au registre tenu par le ministre de la Santé conformément aux dispositions du Règlement.

 

[5]               Le procès a été scindé en deux parties. La première partie a été consacrée à l’administration de la preuve et à la présentation des arguments sur certaines questions. La seconde partie a eu lieu quelques semaines plus tard : le débat portait sur les moyens invoqués par AstraZeneca pour contester la validité de l’article 8. Ce second volet du procès a, avec le consentement de toutes les parties, été plaidé devant moi et devant la juge Snider, qui était saisie de bon nombre des mêmes contestations de validité dans des instances introduites devant elle dans les dossiers T‑1161‑07 et T‑1357‑09.

 

LA PREUVE

 

[6]               Le volet du procès qui a été consacré à la preuve a nécessité cinq jours. En tout, les parties ont appelé à la barre quatre témoins des faits (deux pour chaque partie) et deux témoins experts (un pour Apotex et un pour AstraZeneca). Ces experts ont été interrogés simultanément selon la méthode dite « hot tubbing » (l’interrogatoire simultané) après avoir chacun été interrogé et contre‑interrogé selon la méthode habituelle. De plus, les parties ont déposé une entente stipulant que certains documents seraient déposés en preuve sans preuve formelle et sans toutefois admettre la véracité du contenu de ces documents.

 

[7]               La demanderesse Apotex a fait témoigner les personnes suivantes dans le cadre de sa preuve principale :

 

1.                  M. Bernard Sherman, témoin des faits. Il est le fondateur et le président d’Apotex. Il a relaté les démarches entreprises par Apotex pour obtenir l’approbation réglementaire lui permettant de fabriquer et de vendre au Canada sa version générique (Apo‑Oméprazole) de l’oméprazole d’AstraZeneca, le LOSEC, en gélules de 20 mg. Il a relaté les faits qui s’étaient déroulés avant, pendant et après l’obtention de l’approbation. Il a également parlé des usines de fabrication d’Apotex à des sites connus sous les noms de Signet et de Torpharm, et il a également parlé de la capacité de ces usines de fabriquer le médicament générique en question. Je considère que son témoignage est digne de foi.

 

2.                  M. Gordon Fahner, témoin des faits. Il est vice‑président d’Apotex, Opérations commerciales et finances. Il a fourni des détails au sujet de la capacité d’Apotex de fabriquer de l’oméprazole sous forme de médicament générique à ses usines de Signet et de Torpharm. Il a communiqué des données qu’il a extraites des dossiers d’entreprise d’Apotex qui sont conservés dans un système informatisé connu sous le nom de SAP. Je considère que son témoignage est digne de foi.

 

3.                  Mme Sue Wehner, témoin expert. Elle a soumis deux rapports sous les cotes P‑12 et P‑13. Après l’avoir contre‑interrogée au sujet de ses titres de compétence, les avocats d’AstraZeneca ont accepté que la qualité d’expert soit reconnue à Mme Wehner de la manière proposée par Apotex, c’est‑à‑dire :

[traduction]

            Experte sur les questions de réglementation de l’industrie pharmaceutique, y compris l’élaboration et la gestion des présentations soumises à Santé Canada, y compris les présentations de drogue nouvelle et les présentations abrégées de drogue nouvelle, les présentations supplémentaires de drogue nouvelle et les modifications à déclaration obligatoire.

 

Je considère que son témoignage est digne de foi.

 

 

[8]               Par ailleurs, Apotex a soumis des extraits de la transcription des interrogatoires préalables et des documents d’AstraZeneca (pièces P‑24 et P‑25), ainsi qu’une liasse de documents produits conformément à l’entente relative aux documents (pièce P‑23).

 

[9]               La défenderesse AstraZeneca a fait témoigner les personnes suivantes en défense :

 

1.         Mme Sheila Garven, témoin expert. Elle a soumis un rapport coté D‑26. Après l’avoir contre‑interrogée au sujet de ses titres de compétence, les avocats d’Apotex ont accepté qu’on lui reconnaisse la qualité d’experte sur la foi de ce qu’elle a déclaré au paragraphe 18 de son rapport modifié :

[traduction]

[...]

[…] en tant qu’experte en matière de pratiques réglementaires canadiennes (les pratiques réglementaires) […] y compris celles concernant le dépôt de présentations de drogue nouvelle, de présentations supplémentaires de drogue nouvelle et de modifications à déclaration obligatoire.

 

Je considère que son témoignage est digne de foi.

 

2.      Mme Alison Ingham, témoin des faits. Elle a été citée à comparaître par AstraZeneca. Elle est conseillère principale au Bureau des sciences pharmaceutiques de la Direction des produits thérapeutiques à Santé Canada. Elle a témoigné de façon générale sur certaines des pratiques suivies par Santé Canada en ce qui concerne l’évaluation des présentations de drogue nouvelle, des présentations abrégées de drogue nouvelle et des modifications à déclaration obligatoire. Je considère que son témoignage est digne de foi.

 

3.      Harvey Wasiuta, témoin des faits. Il a été cité à comparaître par AstraZeneca. Il est directeur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels à Santé Canada. C’est lui qui est en définitive responsable de répondre aux demandes d’accès à l’information soumises à Santé Canada. Il a témoigné au sujet des pratiques générales suivies au sein de Santé Canada relativement aux demandes d’accès à l’information et il a cité des exemples précis de demandes d’accès, y compris celle présentée par AstraZeneca, pour obtenir des dossiers portant sur les présentations soumises par Apotex à Santé Canada au sujet de l’oméprazole. Je considère que son témoignage est digne de foi.

 

 

[10]           À la fin du témoignage de Mme Wehner et de Mme Garven, j’ai organisé un interrogatoire simultané au cours duquel chacune d’entre elles a témoigné en même temps, toujours sous serment. Elles ont répondu aux questions que je leur ai posées ainsi qu’aux réponses que chacune avait données. À la fin de ce processus, les avocats des deux parties ont été invités à leur poser des questions complémentaires. Je reproduis une partie du dialogue, à savoir le début (page 773) et la fin de cet interrogatoire simultané (pages 779 et 780) :

 

[traduction]

 

            LE JUGE HUGHES : Sur quel aspect divergez‑vous d’opinion, Mme Wehner?

 

            Mme WEHNER : Je crois que la principale différence concerne la question de savoir si une modification à déclaration obligatoire tombe ou non sous le coup du Règlement. Je crois que la question se résume à cela.

 

            LE JUGE HUGHES : Mme Garven, sur quels points estimez‑vous être en désaccord toutes les deux?

 

            Mme GARVEN : Du point de vue de la pratique réglementaire, je crois que la différence concerne la question de savoir si une modification à déclaration obligatoire est nécessaire ou non et s’il faudrait d’abord obtenir l’approbation de Santé Canada avant de donner effet à la modification.

 

[...]

 

            LE JUGE HUGHES : La fabrication se poursuivrait de toute façon?

 

            Mme GARVEN : Du point de vue réglementaire, j’estime qu’ils ne devraient pas procéder à la fabrication en vue de la vente tant qu’ils n’ont pas reçu de lettre de non‑opposition.

 

            LE JUGE HUGHES : Avez‑vous quelque chose à ajouter, Mme Wehner?

 

            Mme WEHNER : La situation est un peu inusitée, mais, suivant mon expérience, Santé Canada aurait tendance à travailler de concert avec l’entreprise pour donner effet rapidement à la modification, surtout dans le cas présent où il y aurait une mise en suspens prolongée pour cause de brevet. La question est peut‑être théorique. J’ai constaté à plusieurs reprises que Santé Canada travaillait en étroite collaboration avec les entreprises pour trouver des solutions.

 

            LE JUGE HUGHES : Mme Garven, qu’avez‑vous à dire à ce sujet?

 

            Mme GARVEN : Santé Canada a tendance à travailler avec les entreprises pour trouver des solutions, mais il insisterait pour qu’une modification à déclaration obligatoire et une lettre de non‑opposition soient présentées.

 

            LE JUGE HUGHES : Nous avons donc traité des points sur lesquels vous êtes en désaccord? Existe‑t‑il d’autres points sur lesquels vous êtes sensiblement en désaccord?

 

            Mme WEHNER : Je ne le crois pas.

 

            Mme GARVEN : Je ne le crois pas non plus.

 

 

[11]           AstraZeneca a déposé en preuve une liasse de documents conformément à l’entente relative aux documents (pièce D‑37), ainsi que des extraits et des documents connexes tirés de son interrogatoire préalable d’Apotex (pièces D‑38, D‑39 et D‑40). De plus, les avocats d’Apotex ont accepté certaines stipulations concernant le brevet 762 (transcription, page 872).

 

[12]           En réponse, Apotex a, à l’instar d’AstraZenaca (pièce D‑42), déposé certains autres documents découlant des réponses qu’elle avait données à certains engagements pris au cours de l’interrogatoire préalable (pièce P‑41). Apotex n’a pas fait entendre d’autres témoins.

 

[13]           J’ai prononcé le 29 mars 2012 une ordonnance distincte au sujet de la confidentialité de certaines parties de la transcription des témoignages et de certaines pièces déposées au procès.

 

RÉPONSES DONNÉES LORS DE L’INTERROGATOIRE PRÉALABLE

[14]           Au cours de l’interrogatoire préalable qu’AstraZeneca lui a fait subir, Apotex, par l’intermédiaire de ses avocats, s’est engagée à répondre à certaines questions, dont la question 858 formulée comme suit :

 

[traduction] Expliquer pourquoi Apotex cherche à obtenir une approbation pour fabriquer de l’Apo‑Oméprazole à son usine d’Etobicoke.

 

 

[15]           Le 7 juin 2011, les avocats ont répondu ceci :

 

[traduction] La technologie servant à fabriquer l’Apo‑Oméprazole à l’échelle commerciale n’existait pas à l’usine de Signet pendant la période en cause. La modification à déclaration obligatoire relative à l’usine d’Etobicoke a été approuvée en août 2004.

 

 

[16]           Le 5 mars 2012 (deux semaines avant l’ouverture du procès), les avocats d’Apotex ont communiqué la réponse corrigée suivante :

 

[traduction] Apotex rectifie sa réponse antérieure et la remplace par la suivante. L’usine de Signet était en mesure de fabriquer des gélules d’Apo‑Oméprazole à l’échelle commerciale. Elle disposait de la technologie nécessaire. Toutefois, la capacité de production des gélules d’Apo‑Oméprazole était supérieure à l’usine de Torpharm.

 

 

[17]           Dans le cadre de sa défense, AstraZeneca n’a déposé que la première réponse « non rectifiée ». En réponse, Apotex a déposé la réponse rectifiée ainsi que des extraits de l’interrogatoire préalable complémentaire mené par AstraZeneca « sous toutes réserves » par suite de la communication de la réponse rectifiée et avant l’ouverture du procès.

 

[18]           AstraZeneca soutient qu’Apotex tente de retirer un aveu sur lequel AstraZeneca se fondait pour plaider sa cause et qu’elle ne devrait pas être autorisée à agir ainsi. Apotex affirme que l’article 245 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, l’oblige à rectifier toute réponse inexacte ou incomplète qu’elle a donnée à une question lors de l’interrogatoire préalable. L’article 248 des Règles l’empêcherait également de présenter des éléments de preuve sur cette question au procès si la réponse n’était pas rectifiée. De plus, Apotex soutient qu’AstraZeneca a bénéficié d’un interrogatoire préalable supplémentaire au cours duquel elle a eu l’occasion de contre‑interroger les témoins en question, à savoir MM. Sherman et Fahner.

 

[19]           Pour répondre à la question de savoir si la réponse « rectifiée » est admissible et si le témoignage par lequel MM. Sherman et Fahner contredisent la réponse précédente non rectifiée est admissible, je vais commencer par examiner la distinction qu’il convient de faire entre les aveux « formels » et les aveux « informels ». Dans leur ouvrage The Law of Evidence in Canada, 3e éd. (Markham, LexisNexis, 2009), à la page 1263, les auteurs Sopinka et autres traitent des aveux formels, qui sont faits pour que la partie soit dispensée de présenter des preuves au procès et qui tranchent de façon définitive les questions faisant l’objet de l’aveu. Les auteurs illustrent la façon dont des aveux formels peuvent être faits dans un procès, au Canada, au paragraphe 19.2 de leur ouvrage, que je reproduis :

 

[traduction]

§19.2 Un aveu formel peut être fait de l’une ou l’autre des cinq manières suivantes : (1) par une déclaration faite dans un acte de procédure ou par suite de l’omission de déposer des actes de procédure; (2) au moyen d’un énoncé conjoint des faits déposé à l’instruction; (3) au moyen d’une déclaration verbale faite par l’avocat lors du procès, voire par suite du silence de l’avocat à l’égard des déclarations faites par l’avocat de la partie adverse dans le but que le juge se fonde sur ces déclarations; (4) au moyen d’une lettre adressée à l’avocat d’une partie avant l’instruction; (5) au moyen d’une réponse ou par suite de l’omission de répondre à une demande d’aveu sur une question de fait. Contrairement à l’aveu portant sur une question de droit, l’aveu formel portant sur un fait ne peut être retiré que sur l’autorisation du tribunal ou après avoir obtenu le consentement de la partie en faveur de laquelle il a été fait. L’aveu qui ne concerne qu’une question de droit peut, en revanche, être retiré en tout temps, même au niveau de la cour d’appel. L’autorisation de retirer un aveu ne devrait toutefois être accordée que lorsque les conditions suivantes sont réunies : (1) l’aveu a manifestement été fait sans autorisation, par erreur ou sous la contrainte; (2) il y a matière à procès en ce qui concerne le fait qui a été admis; (3) aucun préjudice ne sera causé à la partie en faveur de laquelle l’aveu a été fait. L’affirmation de fait que l’avocat a faite par inadvertance à l’ouverture du procès peut être retirée si l’avocat se rétracte avant d’y donner suite. Le tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire avec circonspection et assortir la rétractation de conditions.

 

 

[20]           Il semble que notre Cour ait élargi la gamme de situations dans lesquelles il est possible de faire un aveu « formel » en y ajoutant certains types d’aveux faits par les avocats lors de l’interrogatoire préalable, comme l’illustre la décision de la juge Tremblay‑Lamer Archambault c Ministre du Revenu national, [1998] ACF no 635, 189 FTR 37 (confirmée sans analyse de cette question à 264 NR 171). On ne trouve pas dans les motifs qui ont été publiés les propos qui ont effectivement été tenus au cours de l’interrogatoire préalable, mais il semble que ces propos auraient été expressément tenus en vue du procès, si l’on considère que le paragraphe 6 des motifs, qui renvoie à une autre affaire, est donné pour illustrer le type de propos tenus. Au paragraphe 5, la juge Tremblay‑Lamer affirme qu’à défaut de consentement de la partie adverse, l’aveu « formel » ne peut être retiré sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la Cour :

 

5    La jurisprudence est claire sur la question de la rétraction des aveux : une partie ne peut retirer un « aveu formel » ("formal admission" ou "judicial admission") sans obtenir au préalable l’autorisation de la Cour ou le consentement de la partie adverse.

 

[21]           En revanche, notre Cour a qualifié d’aveux « informels » les réponses données lors de l’interrogatoire préalable qui peuvent être nuancées, élaborées ou même contredites avec préavis à la partie adverse. Le protonotaire Lafrenière écrit ce qui suit, au paragraphe 37 de la décision Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, [2009] ACF no 177, 343 FTR 41 :

 

37     Quoique les réponses fournies par les représentants de GSK au cours des interrogatoires préalables soient considérées comme des aveux informels, elles peuvent être nuancées, développées, ou même contredites avec préavis à la partie adverse. La possibilité de remédier à une réponse inexacte ou incomplète est expressément prévue à l’article 245 des Règles selon lequel la personne interrogée au préalable qui se rend compte par la suite que la réponse qu’elle a donnée à une question n’est plus exacte ou complète, fournit sans délai, par écrit, les renseignements exacts ou complets.

 

 

[22]           Dans Marchand c Public General Hospital Society of Chatham, [2000] OJ No 4428, 51 OR (3d) 97, la Cour d’appel de l’Ontario s’est penchée précisément sur la question de la rectification d’une réponse donnée lors de l’interrogatoire préalable lorsque cette rectification a lieu au cours du procès lui‑même. La Cour a établi une distinction entre les réponses données lors de l’interrogatoire préalable et les aveux « formels ». Les réponses données lors de l’interrogatoire préalable peuvent être corrigées et c’est au juge du procès qu’il appartient de déterminer les conséquences de la rectification. Il est instructif de consulter au complet l’analyse à laquelle la Cour s’est livrée au sujet de cette question aux paragraphes 70 à 86. Je ne reproduis ici que les paragraphes 77 et 80 :

 

[traduction]

77     En premier lieu, la réponse que M. Asher a d’abord donnée lors de l’interrogatoire préalable ne constitue pas un aveu formel. Ainsi, il lui était toujours loisible d’expliquer dans son témoignage la réponse qu’il avait donnée lors de l’interrogatoire préalable. Dans leur ouvrage The Law of Evidence in Canada, 3e éd. (Toronto, Butterworths, 1999), aux pages 1051 à 1053, les auteurs Sopinka, Lederman et Bryant établissent une distinction entre les aveux formels et les aveux informels. L’aveu formel règle de façon péremptoire les questions faisant l’objet de l’aveu et il ne peut être retiré qu’avec l’autorisation de la Cour ou le consentement de la partie en faveur de laquelle il a été fait. Aux pages 1051 et 1052, les auteurs expliquent que l’aveu formel peut être fait au moyen :

 

1) d’une déclaration faite dans un acte de procédure ou par suite de l’omission de déposer des actes de procédure;

 

2) d’un énoncé conjoint des faits déposé au procès;

 

3) d’une déclaration verbale faite par l’avocat lors du procès, voire par suite du silence de l’avocat à l’égard des déclarations faites par l’avocat de la partie adverse dans le but que le juge se fonde sur ces déclarations;

 

4) d’une lettre adressée à l’avocat d’une partie avant le procès;

 

5) d’une réponse ou par suite de l’omission de répondre à une demande d’aveu sur une question de fait.

 

En revanche, l’aveu informel ne lie pas la partie qui l’a fait s’il est supplanté par une autre preuve. Autrement dit, la partie qui a fait un aveu informel peut toujours produire une preuve pour révéler les circonstances dans lesquelles l’aveu a été fait en vue d’en réduire les effets préjudiciables.

 

[...]

 

80     Holmested et Watson expliquent dans leur ouvrage, précité, à 31 paragraphe 25, l’obligation faite par l’article 31.09 des Règles de rectifier et de compléter les réponses qui ont été données. En principe, il est loisible aux parties de rectifier les réponses qu’elles ont données lors de l’interrogatoire préalable. Il appartient au juge du procès de trancher la question des conséquences des rectifications et le juge du procès a le droit d’examiner les réponses originales et les réponses modifiées (Machado c. Pratt & Whitney Canada Inc. (1993), 17 C.P.C. (3d) 340 (protonotaire Ont.); Capital Distributing Company c. Blakey (1997), 33 O.R. (3d) 58 (Div. gén.).

 

[23]           En l’espèce, Apotex a « rectifié » une réponse déjà donnée qui portait sur un fait crucial. AstraZeneca a eu l’occasion de procéder à un nouvel interrogatoire préalable. Deux des témoins d’Apotex ont témoigné sur la question au procès et ils ont été contre‑interrogés. AstraZeneca n’a personnellement présenté aucun élément de preuve sur ce fait. Je vais admettre en preuve la réponse rectifiée et en soupeser la valeur en même temps que le témoignage de MM. Sherman et Fahner.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[24]           Les principales questions en litige sont les suivantes : premièrement, Apotex a‑t‑elle le droit, en vertu de l’article 8 du Règlement, d’être indemnisée de la perte qu’elle a subie et, dans l’affirmative, pour quelle période et dans quelle mesure? deuxièmement l’article 8 du Règlement est‑il valide?

 

[25]           Les avocats des parties ont soumis à la Cour un document intitulé [traduction] « Liste conjointe des questions litigieuses à examiner au procès ». Toutes les parties ont acquiescé à cette liste, qui expose de façon plus précise les questions qu’elles souhaitent voir examiner par la Cour. Au procès, la liste a été modifiée et certaines questions ont été retranchées par suite des échanges que les avocats ont eus. Voici la version modifiée de la liste des questions en litige :

 

[traduction]

1.         L’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) est‑il invalide et inopérant au motif qu’il :

 

a.  est imprécis et ambigu au point d’être inconstitutionnel;

b.  est draconien, sévère et punitif;

c.  constitue une mesure législative subordonnée invalide;

d.  est incompatible avec l’ALENA et l’ADPIC?

 

2.         Apotex a‑t‑elle satisfait aux conditions d’application de l’article 8 du Règlement en démontrant notamment qu’elle est une « seconde personne » au sens de l’article 8 du Règlement ou a‑t‑elle fait défaut de satisfaire aux conditions applicables, si tant est que AstraZeneca a expressément invoqué ce défaut dans un acte de procédure (il convient de signaler que les paragraphes 58 et 59 de la défense ont été abandonnés par AstraZeneca et que cette dernière convient maintenant que le ministre a effectivement attesté qu’un avis de conformité aurait été délivré à Apotex le 3 janvier 2002 n’eût été l’instance introduite dans le dossier T‑2311‑01)?

 

3.         L’article 8 du Règlement oblige‑t‑il la seconde personne à démontrer que la première personne a commis un abus pour satisfaire aux conditions prévues par l’ADPIC et l’ALENA et la réparation qui peut être accordée est‑elle assujettie à cette condition préalable?

 

4.         (Omis)

 

5.         La présumée contrefaçon du brevet 693 est‑elle pertinente en droit et peut‑elle notamment être invoquée en défense en réponse à la demande présentée par Apotex en vertu de l’article 8 (notamment en réduisant le montant des dommages‑intérêts)? (dans l’affirmative, voir le paragraphe 4 de l’ordonnance du 4 octobre 2011)

 

6.         Apotex était‑elle en mesure de commercialiser l’Apo‑Oméprazole au cours de la période comprise entre le 3 janvier 2002 et le 27 janvier 2004 et quelles sont les conséquences du présumé défaut d’Apotex d’être autorisée à fabriquer le médicament en question dans une usine de fabrication commerciale en vue de sa vente?

 

7.         La date à laquelle la période de responsabilité devrait commencer devrait‑elle être reportée en raison du présumé retard d’Apotex à signifier un avis d’allégation et/ou du présumé défaut d’Apotex d’être autorisée à fabriquer le médicament en question dans une usine de fabrication commerciale en vue de sa vente?

 

8.         (Omis)

 

9.         Apotex avait‑elle l’obligation de limiter les dommages et, dans l’affirmative, a‑t‑elle négligé de le faire?

 

10.       (Omis)

 

11.       (Omis)

 

12.       Les questions visées aux points de 5 à 7 et 9 à 11 constituent‑elles des facteurs pertinents dont on doit tenir compte pour l’application du paragraphe 8(5)?

 

 

ORDONNANCE DE RENVOI ET ORDONNANCE PRÉALABLE À L’INSTRUCTION – 4 OCTOBRE 2011

 

[26]           La présente instruction ne porte que sur certains aspects des différends qui opposent les parties. Le 20 février 2008, la Cour a rendu une ordonnance dans la présente action qui ordonnait la tenue d’un renvoi, une fois que les questions qui me sont soumises auraient été tranchées, pour aborder la question du calcul des dommages‑intérêts ainsi que d’autres points. Or, bon nombre des questions visées par cette ordonnance ne se posent plus. Voici les éléments pertinents de l’ordonnance en question qui, ainsi que les avocats l’ont convenu lors du procès auquel j’ai présidé, s’appliquent toujours :

 

[traduction]

LA COUR ORDONNE :

 

1.      Conformément à l’article 107 des Règles des Cours fédérales, la présente affaire sera instruite sans que les parties ne soient tenues de présenter des éléments de preuve au procès ou de tenir des interrogatoires préalables ou de produire des documents à l’égard de toute question de fait lorsque cet élément de preuve se rapporte uniquement à ce qui suit :

 

a)         le calcul des dommages subis par Apotex Inc. (Apotex) en raison du temps écoulé avant qu’un avis de conformité lui soit délivré pour les gélules de 20 mg d’Apo‑Oméprazole en raison du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement);

 

[...]

 

2.      Sous réserve du paragraphe 3, une audience aura lieu en application des articles 107 et/ou 153 des Règles à la suite de l’instruction s’il s’avère que les questions en litige énoncées au paragraphe 1 doivent être tranchées, y compris la communication préalable et les interrogatoires préalables nécessaires.

 

[...]

 

4.   Toute partie peut, en tout temps, sur préavis à toutes les autres parties, demander à la Cour de prononcer une ordonnance modifiant la présente ordonnance.

 

5.   En cas de désaccord au sujet de l’interprétation de la présente ordonnance, que les parties n’auraient pas réussi à résoudre par la voie de la négociation, toute partie peut, sur préavis donné à toutes les autres parties, demander à la Cour d’ordonner l’une ou l’autre des mesures suivantes : a) la tenue d’une conférence de gestion de l’instance pour discuter du désaccord avec la personne chargée de la gestion de l’instance en vue de le résoudre; b)  une ordonnance ou une directive de la Cour concernant l’objet du désaccord.

 

6.   Aucuns dépens ne sont adjugés au sujet de la requête, à l’exception des frais associés à la comparution le 14 février 2008, et les débours associés à cette comparution uniquement, qui seront supportés par les requérantes au principal.

 

 

[27]           À titre d’exemple, ainsi que j’en ai discuté avec les avocats au procès, si je devais conclure qu’Apotex pouvait fabriquer le produit en litige à une échelle commerciale à l’une ou l’autre de ses usines, il ne serait pas nécessaire, pour le moment, que je détermine dans quelle proportion et en quelle quantité l’une ou l’autre de ces usines pourrait fabriquer le produit en question.

 

[28]           De plus, à la suite de la conférence préalable au procès, j’ai, le 4 octobre 2011, prononcé une ordonnance qui mentionnait une autre action introduite devant notre Cour, dans le dossier T‑1409‑04, dans laquelle AstraZeneca poursuivait Apotex pour contrefaçon du brevet canadien 1292693 (le brevet 693, qui est différent du brevet 762 en litige en l’espèce). Pour le moment, cette action a été inscrite au rôle et elle devrait être instruite en avril 2014. Au paragraphe 4 de mon ordonnance, j’ai expliqué que, si je devais conclure que les moyens de défense invoqués par AstraZeneca dans la présente action en contrefaçon étaient fondés en droit, je reporterais le prononcé du jugement dans la présente action jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue dans le dossier T‑1409‑04. Voici le libellé du paragraphe 4 de mon ordonnance :

 

[traduction]

4.         L’instruction dans le dossier T‑2300‑05 portera sur toutes les questions en litige et, si la Cour conclut que les moyens de défense invoqués au paragraphe 60 de la Sixième défense et demande reconventionnelle modifiée (moyens de défense portant sur la contrefaçon) sont fondés en droit, tout jugement dans le dossier T‑2300‑05 sera, en ce qui concerne toute conclusion de responsabilité, reporté jusqu’à ce que le dossier T‑1409‑04 ait été tranché de façon définitive et, advenant le cas où la Cour conclurait qu’Apotex a contrefait un brevet valide dans l’action T‑1409‑04, les parties auront l’occasion de soumettre d’autres arguments à la Cour au sujet de l’applicabilité et des conséquences, s’il en est, des conclusions de contrefaçon tirées dans le dossier T‑1409‑04 dans la présente action, le tout sous réserve du droit d’Apotex de demander la tenue d’un renvoi à la suite de la conclusion initiale de responsabilité dans le dossier T‑2300‑05 et du droit d’AstraZeneca de présenter une requête en sursis à l’exécution du jugement prononcé dans le dossier T‑2300‑05 ou tout appel subséquent.

 

 

[29]           Ainsi que j’en ai discuté avec les avocats au procès, si je devais conclure que les moyens de défense invoqués par AstraZeneca pour répondre aux allégations de contrefaçon ne sont pas fondés en droit, rien ne m’empêche de prononcer dès maintenant un jugement dans la présente action.

 

CHARGE DE LA PREUVE

[30]           La présente action est fondée sur l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Dans l’arrêt Apotex Inc c Merck & Co Inc, 2011 CAF 364, la Cour d’appel fédérale a clairement énoncé les éléments de la demande d’indemnité pour perte prévue à cet article. Il faut : (1) premièrement, que la demande d’interdiction ait été rejetée; (2) deuxièmement, que la seconde personne ait subi la perte au cours de la période débutant à la date attestée par le ministre ou une autre date que la Cour estime plus appropriée et se terminant à la date du rejet de la demande d’interdiction. La Cour peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, déterminer si l’indemnité demandée par la seconde personne devrait être réduite ou supprimée, et dans quelle mesure elle devrait l’être.

 

[31]           AstraZeneca soutient que le fardeau de la preuve repose sur Apotex en ce qui concerne tous les éléments en question. J’accepte que le fardeau repose sur Apotex relativement à certains aspects, mais pas à l’égard d’autres.

 

[32]           Dans leur ouvrage, Sopinka, Lederman et Bryant analysent longuement la question de la répartition du fardeau de la preuve aux paragraphes 3.61 à 3.96 de leur ouvrage. Ils citent l’arrêt de la Cour suprême du Canada Rainbow Industrial Caterers Ltd. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 3 RCS 3, en tant que précédent moderne sur la question. Cette affaire portait sur des faits semblables à ceux qui nous intéressent en l’espèce. La demanderesse affirmait qu’elle avait été incitée à conclure un contrat avec la défenderesse par suite des fausses déclarations faites par la défenderesse et qu’elle avait de ce fait subi un préjudice. La défenderesse affirmait quant à elle que, dans la « situation hypothétique » où la demanderesse aurait signé un contrat à des conditions différentes, il incombait à la demanderesse de nier toutes les hypothèses spéculatives avancées par la défenderesse. La majorité de la Cour s’est dite en désaccord avec cette position. Il incombait à la défenderesse de prouver ses hypothèses. Le juge Sopinka écrit ce qui suit, aux paragraphes 23 et 24, au nom de la majorité :

 

Du moment qu’il établit la perte occasionnée par le marché en question, le demandeur s’acquitte du fardeau de la preuve qui lui incombe relativement aux dommages‑intérêts. Le défendeur qui allègue que le demandeur aurait conclu un marché à des conditions différentes soulève une nouvelle question qui oblige le tribunal à s’interroger sur ce qui se serait produit dans une situation hypothétique. Il s’agit d’un domaine dans lequel il est généralement impossible de produire des éléments de preuve concrets. Or, à défaut d’éléments de preuve justifiant une conclusion sur cette question, est‑ce le demandeur ou bien le défendeur qui doit supporter le risque de ne pas convaincre le tribunal? Le demandeur est‑il tenu de réfuter toute proposition de nature conjecturale quant à ce qu’aurait été sa situation si le défendeur n’avait pas commis de délit civil, ou est‑ce à l’auteur du délit civil qui invoque cette situation hypothétique d’en faire la preuve?

 

Bien que le fardeau ultime incombe généralement au demandeur, il ne s’agit pas là d’une règle immuable; voir National Trust Co. v. Wong Aviation Ltd., [1969] R.C.S. 481, et Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311. Des motifs de principe valables suffiront pour inverser le fardeau normal de la preuve. À mon avis, il y a une bonne raison qui justifie une telle inversion dans un cas comme celui qui nous occupe. La demanderesse est la victime innocente d’une déclaration inexacte qui l’a amenée à changer sa situation. Il est juste que la demanderesse puisse alléguer que « n’eût été la conduite délictuelle de la défenderesse, je n’aurais pas changé ma situation ». L’auteur du délit civil qui répond « Oui, mais vous vous seriez mise dans une situation autre que le statu quo » et qui demande, en conséquence, au tribunal de conclure à l’existence d’un marché dont les conditions sont hypothétiques et conjecturales doit assumer le fardeau de réfuter l’allégation de statu quo de la demanderesse.

 

 

[33]           Il incombe donc à Apotex de faire la preuve des éléments de sa demande et à AstraZeneca de prouver les éléments qu’elle invoque pour soutenir qu’aucun recours n’est ouvert à Apotex ou encore que l’indemnité devrait être réduite ou supprimée.

 

[34]           Lorsqu’on affirme que le fardeau de la preuve repose sur une partie, il faut rappeler que ce fardeau comporte deux volets : en premier lieu, le fardeau de verser au dossier suffisamment d’éléments de preuve pour « faire jouer » la question; en second lieu, celui de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que, dans l’affaire qui nous occupe, la question doit être tranchée en faveur de la partie qui formule la question ou la conteste. À ce propos, je cite de nouveau l’ouvrage de Sopinka, Lederman et Bryant, précité, aux paragraphes 3.6 et 3.7:

 

[traduction]

§3.6 Comme nous l’avons déjà expliqué, l’expression « charge de la preuve » est ambiguë et a parfois été employée pour dire qu’il existe des éléments de preuve au sujet d’un fait tandis qu’à d’autres occasions, elle a été employée pour expliquer qu’un fait a été établi par la preuve. Comme l’expression est appliquée sans préciser le sens dans lequel elle est utilisée, il est difficile de déterminer de quel fardeau l’intéressé s’est déchargé dans un cas déterminé.

 

§3.7 L’expression « charge de présentation » signifie que l’intéressé a l’obligation de s’assurer qu’il dispose de suffisamment d’éléments de preuve au sujet de l’existence ou de la non‑existence d’un fait ou d’une question mentionnée au dossier pour satisfaire aux critères préliminaires applicables à ce fait ou à cette question précise. Ainsi que lord Devlin l’a expliqué dans l’arrêt Jayasena c. R., pour s’acquitter de la charge de présentation, l’intéressé n’a aucune obligation de prouver quoi que ce soit :

 

Leurs Seigneuries ne comprennent pas ce qu’on entend par l’expression « charge de présentation » [...] Il est sans doute permis de qualifier cette obligation de charge et il est peut‑être commode de la qualifier de charge de présentation. Mais on crée de la confusion lorsqu’on la qualifie de charge de la preuve. De plus, on fait fausse route lorsqu’on parle de charge de la preuve, peu importe qu’on qualifie cette charge de charge ultime ou de charge de présentation ou que l’on emprunte tout autre qualificatif lorsqu’il est possible de s’acquitter de cette charge en produisant une preuve qui est insuffisante pour établir l’existence d’un fait. L’appelant soutient essentiellement qu’il n’a pas à faire quelque preuve que ce soit qu’il agissait à titre privé. On emploie donc un terme impropre lorsqu’on qualifie de charge de la preuve ce qu’il doit présenter [...] [Non souligné dans l’original]

 

Par contraste, l’expression « charge de persuasion » signifie que l’intéressé a l’obligation de convaincre le tribunal de l’existence d’un fait ou d’une question ou de les réfuter selon la norme applicable en matière criminelle ou civile. Le défaut de convaincre le juge des faits selon la norme applicable signifie que l’intéressé sera débouté à l’égard de cette question. Comme le fardeau de présentation et le fardeau de persuasion seront à l’occasion répartis entre les parties, il est essentiel que les questions à juger et que les faits sous‑jacents à ces questions soient clairement identifiés.

 

 

[35]           En bref, on peut dire que la partie qui a présenté une preuve suffisante pour « mettre en jeu » une question doit, pour obtenir gain de cause sur cette question, présenter une preuve suffisante pour que, selon la prépondérance des probabilités, les faits pertinents soient considérés par le tribunal comme étant avérés. Ainsi, Apotex doit mettre en jeu et par la suite établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits nécessaires pour démontrer son droit à une indemnité. Quant à AstraZeneca, elle doit mettre en jeu et prouver par la suite les faits qui, selon ce qu’elle affirme, font en sorte que la demande d’indemnité d’Apotex n’est pas admissible ou doit être diminuée ou refusée.

 

CONTEXTE FACTUEL

[36]           L’oméprazole est l’ingrédient actif du médicament vendu par AstraZeneca au Canada sous la marque nominative LOSEC ainsi que par une société liée aux États‑Unis sous la marque nominative PRILOSEC. Ce médicament est vendu en diverses concentrations, notamment en gélules et en comprimés de 20 mg et de 40 mg. En l’espèce, nous nous intéressons à une gélule de 20 mg. Sous cette forme, l’oméprazole est lui‑même combiné à d’autres matières, appelées excipients pour former des petites granules. Celles‑ci sont enrobées puis encapsulées. Aux fins qui nous intéressent, la fabrication de gélules de 20 mg se fait donc en trois étapes : formation de granules, enrobage des granules et encapsulation.

 

[37]           Au cours des années quatre‑vingt‑dix, AstraZeneca vendait de l’oméprazole au Canada notamment sous forme de gélules LOSEC de 20 mg. Vers la fin des années 1990 ou au début des années 2000, AstraZeneca a abandonné la gélule pour adopter le comprimé, du moins dans le cas de la concentration de 20 mg. Toutefois, une société liée a continué à vendre des gélules de 20 mg aux États‑Unis sous le nom de PRILOSEC. On a laissé entendre qu’AstraZeneca avait peut‑être remis sur le marché canadien des gélules de 20 mg, mais j’estime, d’après le dossier qui m’a été soumis, que rien ne permet de penser que tel est le cas.

 

[38]           En 1994, Apotex a soumis à Santé Canada une demande visant à obtenir l’autorisation de vendre une version générique des gélules LOSEC de 20 mg d’AstraZeneca au Canada. À l’époque, Apotex possédait une usine de fabrication à Signet Drive, à Weston, en banlieue de Toronto, où Apotex a expliqué que ce médicament serait fabriqué. Cette usine est désignée de diverses façons dans la preuve : Weston, Apotex ou Signet. Je vais l’appeler Signet. Par la suite, Apotex a construit ou acquis une autre usine de fabrication à quelques kilomètres de Signet, à Etobicoke, une autre banlieue de Toronto. Cette usine est désignée dans la preuve comme étant Etobicoke ou Torpharm. Je vais l’appeler Torpharm. J’estime, suivant le témoignage non contredit de MM. Sherman et Fahner et compte tenu de la valeur qu’il convient d’accorder aux réponses données lors de l’interrogatoire préalable dont nous avons déjà parlé, que l’usine de Signet et celle de Torpharm étaient aptes à fabriquer en quantités commerciales des gélules d’oméprazole de 20 mg. J’estime que tout le processus de fabrication pouvait se dérouler à un endroit ou à un autre ou en partie à l’un et en partie à l’autre; par exemple, la formation et l’enrobage des granules pouvaient avoir lieu à Torpharm et l’encapsulation à Signet. Ces conclusions s’appliquent à toute la période pertinente en l’espèce.

 

DEMANDER, OBTENIR ET CONSERVER L’AUTORISATION DE VENDRE UN MÉDICAMENT AU CANADA

 

[39]           Le ministre de la Santé, en particulier par le truchement d’un ministère désigné sous le nom de Santé Canada, est chargé de réglementer la fabrication, la distribution et la vente des médicaments au Canada. Le ministre accorde l’autorisation nécessaire en délivrant un avis de conformité à la personne qui demande cette autorisation.

 

[40]           Il y a deux façons de demander une telle autorisation. La première consiste à soumettre une présentation de drogue nouvelle (une PDN), qui oblige l’intéressé à fournir un grand nombre de renseignements au sujet de l’innocuité et de l’efficacité du médicament en cause. L’autre consiste à déposer une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN), qui exige, premièrement, qu’une autre personne ait déjà obtenu un avis de conformité pour le médicament et, deuxièmement, que la personne qui cherche à obtenir l’autorisation fournisse des renseignements, sans toutefois être tenue de fournir les renseignements volumineux autrement exigés pour démontrer l’innocuité et l’efficacité, à condition d’être en mesure de procéder à des comparaisons satisfaisantes par rapport aux médicaments déjà approuvés. La procédure PADN est celle que suivent de nombreux fabricants de médicaments « génériques ».

 

[41]           Pour déposer une PDN ou une PADN, celui qui cherche à obtenir une autorisation doit fournir certains renseignements à Santé Canada, y compris ceux qui sont énumérés à l’alinéa C.08.002 (2)d) du Règlement sur les aliments et drogues, CRC c 870, modifié (le Règlement sur les aliments et drogues) :

 

(2) La présentation de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle, notamment :

[...]

 

d) la description des installations et de l’équipement à utiliser pour la fabrication, la préparation et l’emballage de la drogue nouvelle;

(2)  A new drug submission shall contain sufficient information and material to enable the Minister to assess the safety and effectiveness of the new drug, including the following:

. . .

 

 

(d) a description of the plant and equipment to be used in the manufacture, preparation and packaging of the new drug;

 

 

[42]           Au procès, les parties ont débattu du sens exact des termes « installations et équipement » et de la question de savoir s’ils désignaient le « site » de fabrication. Par exemple, s’il y a plusieurs « sites » qui utilisent essentiellement la même machinerie et les mêmes méthodes pour fabriquer un médicament, chacun de ces sites peut‑il être considéré comme les mêmes « installations et équipement »? Il n’est pas nécessaire que je tranche le débat; je me contenterai de dire que la question peut faire l’objet d’un débat raisonnable.

 

[43]           Je passe maintenant à la situation qui se présente après qu’un avis de conformité a été délivré et que la personne à qui il a été délivré fait des modifications. Le paragraphe C.08.003(1) du Règlement sur les aliments et drogues prévoit que lorsque des éléments ayant trait à la drogue nouvelle « diffère[nt] sensiblement » de ceux contenus dans la présentation de drogue nouvelle, notamment en ce qui concerne la description des installations et de l’équipement à utiliser au sens de l’alinéa (2)d), cette personne doit demander et obtenir un « supplément » à sa PDN ou à sa PADN. Ce supplément s’appelle « Supplément à une présentation de drogue nouvelle » ou « Supplément à une présentation abrégée de drogue nouvelle » selon le cas. Je reproduis ici les passages pertinents des paragraphes (1), (2) et (3) :

 

(1)   Malgré l’article C.08.002, il est interdit de vendre une drogue nouvelle à l’égard de laquelle un avis de conformité a été délivré à son fabricant et n’a pas été suspendu aux termes de l’article C.08.006, lorsqu’un des éléments visés au paragraphe (2) diffère sensiblement des renseignements ou du matériel contenus dans la présentation de drogue nouvelle, la présentation de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, la présentation abrégée de drogue nouvelle ou la présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, à moins que les conditions ci‑après ne soient réunies :

 

a) le fabricant de la drogue nouvelle a déposé auprès du ministre un supplément à la présentation;

 

b) le ministre a délivré au fabricant un avis de conformité relativement au supplément;

 

c) l’avis de conformité relatif au supplément n’a pas été suspendu aux termes de l’article C.08.006;

 

d) le fabricant de la drogue nouvelle a présenté au ministre, sous leur forme définitive, des échantillons de toute étiquette — y compris une notice jointe à l’emballage, un dépliant et une fiche sur le produit — destinée à être utilisée pour la drogue nouvelle, dans le cas où la modification d’un des éléments visés au paragraphe (2) nécessite un changement dans l’étiquette.

 

(2)   Pour l’application du paragraphe (1), les éléments ayant trait à la drogue nouvelle sont les suivants :

 

[…]

 

d) les installations et l’équipement à utiliser pour sa fabrication, sa préparation et son emballage;

 

[…]

 

(3)   Le supplément à toute présentation visée au paragraphe (1) contient, à l’égard des éléments qui diffèrent sensiblement de ce qui figure dans la présentation, suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle relativement à ces éléments.

 

[…]

 

 

[44]           À part les dispositions que l’on trouve à l’article C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues, il n’existe pas d’autre disposition qui traite des modifications. Toutefois, Santé Canada a, en publiant une série de « lignes directrices », proposé une procédure connue sous le nom de « Changement devant être obligatoirement déclaré » ou de « Modification à déclaration obligatoire ». Cette procédure a fait l’objet non seulement de « lignes directrices », mais également de projets de directives et de politiques émanant de Santé Canada. En publiant ces lignes directrices, Santé Canada prend bien soin de préciser que :

 

Les lignes directrices sont des outils administratifs n’ayant pas force de loi, ce qui permet une certaine souplesse d’approche.

 

[45]           Dans l’arrêt Thamotharem c Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2008] 1 RCF 385, le juge Evans, de la Cour d’appel fédérale, écrit, aux paragraphes  58 à 60, que les lignes directrices sont des instruments législatifs non contraignants qui s’inscrivent dans un continuum de règles de droit et de pouvoirs discrétionnaires qui, même si elles n’ont aucun caractère juridiquement contraignant, peuvent valablement influencer la conduite du décideur. Voici ce qu’il écrit :

 

58        Les règles de droit et le pouvoir discrétionnaire ne font pas partie d’univers distincts, mais prennent place dans un continuum. Dans notre système de droit et de gouvernement, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi et susceptible d’avoir des répercussions défavorables sur des particuliers, fût‑il considérable, n’est jamais absolu ni soustrait au contrôle juridique : Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 140 (le juge Rand). À l’inverse, il est peu de règles de droit, s’il en est, dont l’interprétation et l’application n’admettent l’exercice d’aucune latitude : arrêt Baker, au paragraphe 54.

 

59        Même si elles ne lient pas en droit les décideurs, dans le sens qu’une mauvaise interprétation ou une mauvaise application peut constituer une erreur de droit, les directives peuvent néanmoins influer valablement sur la conduite du décideur. De fait, dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, le juge McIntyre, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré (à la page 6) :

 

Le fait que le Ministre ait employé dans ses lignes directrices contenues dans l’avis aux importateurs les mots : « Si le produit canadien n’est pas offert au prix du marché, une licence est émise [...] » n’entrave pas l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. [Non souligné dans l’original.]

 

La frontière entre le droit et les directives s’est encore estompée dans l’arrêt Baker, où la juge L’Heureux‑ Dubé, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour, a fait remarquer, au paragraphe 72, que le fait que l’administration a agi de manière contraire aux directives « est d’une grande utilité » pour évaluer si la décision était déraisonnable.

 

60        Le recours à des directives et à d’autres techniques n’ayant pas caractère obligatoire en vue d’assurer une cohérence raisonnable dans les décisions de nature administrative est particulièrement important pour l’exercice des fonctions décisionnelles des tribunaux auxquels la loi a conféré un pouvoir discrétionnaire sur des questions de procédure, de preuve ou de fond. Cette importance est d’autant plus marquée pour les tribunaux de grande envergure, comme la Commission, qui siègent en formations; dans le cas de la SPR, comme il a été précisé, le tribunal est généralement formé d’un seul commissaire.

 

 

[46]           Dans la présente action, j’ai entendu le témoignage d’expert de Mmes Wehner et Garven sur la façon dont ceux qui possèdent de l’expérience dans le domaine de la réglementation des médicaments au Canada composent avec les lignes directrices et les interprétations données par Santé Canada. Elles s’entendent dans l’ensemble sur la question.

 

[47]           Il importe de commencer avec l’article C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues que nous avons déjà reproduit et qui exige que celui à qui a déjà été délivré un avis de conformité avise le ministre (Santé Canada) du fait que certains nouveaux éléments « diffèrent sensiblement » de ceux déjà communiqués. Ainsi, l’interprétation initiale des différences en question incombe au titulaire de l’avis de conformité, qui doit déterminer si cette différence est « sensible ». Je crois comprendre que les inspecteurs de Santé Canada se rendent à l’occasion dans les installations d’entreprises à qui des avis de conformité ont été délivrés et que, lors de leur visite, on s’attend à ce qu’ils constatent eux aussi ces « différences ».

 

[48]           En avril et en septembre 1994, Santé Canada a publié ce qu’on est convenu d’appeler des documents « d’orientation ». Selon la preuve, ces documents, qui n’ont jamais eu valeur de « lignes directrices », visent à informer le public des changements que Santé Canada peut considérer comme « sensibles » et à les informer les mesures que Santé Canada s’attend à ce que le titulaire d’un avis de conformité prenne. On y prévoit quatre « niveaux » avec degré d’importance décroissant et niveaux d’attente correspondants en ce qui concerne le titulaire de l’avis de conformité. Les deux expertes s’entendent pour dire que même si les titulaires d’avis de conformité ne sont pas tenus « de par la loi » de répondre à toutes ces attentes, la plupart d’entre eux s’efforcent normalement de le faire.

 

[49]           Suivant la pratique suivie par Santé Canada, les différences ou les changements relatifs aux « installations et [à] l’équipement à utiliser pour [la] fabrication » sont considérés comme des changements de « niveau 2 ». La procédure à suivre se trouve dans un document du 6 avril 1994 intitulé « Questions de politique générale » :

 

NIVEAU 2 ‑ PRÉAVIS DE CHANGEMENT (Avis d’intention de changement)

 

            Les changements de niveau 2 sont ceux considérés comme devant être obligatoirement déclarés. Ces changements exigent la préparation et le dépôt de renseignements aussi nombreux et détaillés que ceux actuellement exigés dans le cadre des suppléments à une présentation de drogue nouvelle, ainsi que le même niveau de justification scientifique. Ces renseignements et ce matériel doivent être présentés avant la mise en œuvre du changement. Sauf s’il reçoit une opposition écrite de la part de la Direction générale dans les 90 jours, le fabricant peut donner suite au changement.

 

            Les changements de niveau 2 sont ceux apportés :

 

[…]

 

3.         Sous réserve du niveau 1 (3) et (4), à la formulation, à la méthode de fabrication, à l’équipement, aux contrôles de procédé ou au lieu de production du médicament;

 

 

[50]           Suivant les expertes qui ont été entendues, l’usage à Santé Canada consiste à examiner les modifications proposées dans l’avis soumis par le titulaire de l’avis de conformité et de discuter avec ce dernier des modifications qui devraient, le cas échéant, être apportées pour satisfaire aux exigences de Santé Canada. Une fois satisfaite, Santé Canada envoie au titulaire de l’avis de conformité une lettre qu’on est convenu d’appeler « lettre de non‑opposition » qui clos le dossier du point de vue de Santé Canada.

 

[51]           On constate qu’il existe un certain chevauchement en ce qui concerne le type de changements qui relèveraient du régime de l’avis de modification par opposition à celui qui devrait être traité selon le processus plus formel que constitue la présentation d’un supplément à la présentation de drogue nouvelle (SPDN) ou d’un supplément à la présentation abrégée de drogue nouvelle (SPADN) selon le cas. J’accepte dans l’ensemble le témoignage de Mme Garven reproduit au paragraphe 61 de son rapport (pièce P‑14) où elle déclare que, du point de vue réglementaire, ce n’est pas parce qu’un avis de modification a été accepté que les modifications sont pour autant négligeables. L’ampleur des renseignements et des justifications scientifiques exigés pour la présentation d’un avis de modification peut être du même ordre que dans le cas d’une SPDN. Sur le plan des principes, Santé Canada était disposé à traiter la présentation en fonction de l’exigence différente en matière de délai et à permettre les modifications sous une forme ou sous une autre.

 

[52]           Lors des débats, après avoir insisté auprès des avocats d’AstraZeneca pour qu’on me précise quelle pénalité pouvait être infligée en vertu de la loi à tout détenteur d’avis de conformité en cas de défaut de respecter la Loi sur les aliments et les drogues, LRC 1985, c F‑27 ou son règlement d’application, on m’a cité l’article C.08.006 du Règlement sur les aliments et drogues. Cet article prévoit que le ministre peut suspendre un avis de conformité si les nouveaux renseignements obtenus ne suffisent pas à assurer ou à conserver l’identité, la force, la qualité ou la pureté de la drogue nouvelle. Je reproduis le paragraphe 1 et l’alinéa (2)e) :

 

C.08.006. (1)  (1) Pour l’application du présent article, les éléments de preuve ou les nouveaux renseignements obtenus par le ministre comprennent les renseignements et le matériel que lui présente toute personne en vertu du titre 5 ou des articles C.08.002, C.08.002.01, C.08.002.1, C.08.003, C.08.005 ou C.08.005.1.

 

            (2) Le ministre peut suspendre, pour une période déterminée ou indéterminée, un avis de conformité délivré à l’égard d’une présentation de drogue nouvelle, d’une présentation de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, d’une présentation abrégée de drogue nouvelle, d’une présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel ou d’un supplément à l’une de ces présentations, en envoyant au fabricant qui a déposé la présentation ou le supplément une notification déclarant cette mesure nécessaire, s’il estime :

 

[…]

 

            e) que, d’après des renseignements nouveaux obtenus après la délivrance de l’avis de conformité, les méthodes, l’outillage, l’usine ou les contrôles employés pour la fabrication, le conditionnement ou l’empaquetage de la drogue, ne suffisent pas à assurer ou à conserver l’identité, la force, la qualité ou la pureté de la drogue nouvelle;

 

 

[53]           Aucune des deux expertes n’a pu citer de cas où l’on avait déjà procédé de cette façon. Elles se sont entendues lors de l’interrogatoire simultané pour dire que, selon toute vraisemblance, le personnel de Santé Canada travaillerait de concert avec le titulaire de l’avis de conformité pour s’assurer que les normes applicables soient respectées.

 

[54]           Il importe de signaler qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, Apotex n’a jamais été pénalisée ou éconduite par Santé Canada.

 

RÈGLEMENT SUR LES MÉDICAMENTS BREVETÉS (AVIS DE CONFORMITÉ) – ARTICLE 8

 

[55]           À de nombreuses reprises, des juges de notre Cour ont écrit que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) est mal rédigé et qu’il est difficile à interpréter et à mettre en application. Je joins ma voix à ce concert de reproches, sans plus.

 

[56]           L’objet du Règlement a été analysé dans de nombreuses décisions émanant de notre Cour et de cours d’instance supérieure. Je ne vais rappeler que brièvement et de façon générale cet objet. Le Règlement vise à offrir à la personne qui a déjà obtenu un avis de conformité l’autorisant à commercialiser son médicament au Canada la possibilité de demander à une autre personne qui souhaite commercialiser le même médicament et à obtenir un avis de conformité, par exemple en suivant la procédure de la présentation abrégée de drogue nouvelle, à présenter une demande concernant le ou les brevets que le titulaire de l’avis de conformité possède ou à l’égard duquel il a des droits. En règle générale, ces personnes sont appelées « première personne » dans le cas du titulaire de l’avis de conformité et « seconde personne », dans le cas de l’autre personne. La première personne peut faire inscrire au registre tenu par le ministre de la Santé certains des brevets dont il est propriétaire ou à l’égard desquels il possède des droits. La seconde personne doit envoyer à la première personne un avis dans lequel elle lui confirme qu’elle s’engage à attendre l’expiration du ou des brevets ou à ne pas contrefaire le ou les brevets en question en invoquant des raisons de fait et de droit à l’appui. La première personne peut alors, si elle le souhaite, introduire une demande visant à faire interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à la seconde personne tant que son ou ses brevets ne seront pas expirés. Le ministre met alors « en suspens » la demande de la seconde personne jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue au sujet de la demande d’interdiction ou jusqu’à l’expiration d’un délai de vingt‑quatre mois, selon la première de ces éventualités. Dans les faits, la première personne obtient automatiquement une injonction d’une durée maximale de 24 mois au cours de laquelle la seconde personne ne pourra obtenir l’autorisation de vendre son médicament tant que la demande d’interdiction n’aura pas été tranchée ou que le délai ne sera pas expiré. Le juge Iacobucci de la Cour suprême du Canada qualifie ce système de « draconien » au paragraphe 33 de l’arrêt Apotex Inc c Merck Frosst Canada Inc, [1998] 2 RCS 193.

 

[57]           Pour faire contrepoids à cette « injonction automatique », l’article 8 du Règlement prévoit que la seconde personne peut réclamer une indemnité pour la perte qu’elle subie au cours de la période au cours de laquelle elle a été tenue à l’écart du marché, si la demande d’interdiction est finalement retirée, fait l’objet d’un désistement ou est rejetée. Les parties conviennent que la version du Règlement qui était en vigueur le 1er octobre 1999 est celle qui s’applique à la présente action. Voici l’article 8, dans sa rédaction alors en vigueur :

 

8.         Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

a)         débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal estime d’après la preuve qu’une autre date est plus appropriée;

 

b)         se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

(2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

 

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action pour contrefaçon du brevet visé par la demande.

 

(4) Le tribunal peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages‑intérêts ou de profits à l’égard de la perte visée au paragraphe (1).

 

(5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1). [DORS/98‑166, art. 8.]

 

 

[58]           Je reprends ici les observations que j’ai formulées dans la décision Apotex Inc c Merck & Co Inc, 2008 CF 1185, aux paragraphes 54, 55 et 74, au sujet de l’article 8. La « première personne » dispose de plusieurs options : elle peut inscrire ou non le brevet auprès du ministre et elle peut choisir ou non d’introduire une instance en interdiction. Les droits fondamentaux que lui confère son brevet, comme celui d’intenter une action ordinaire en contrefaçon de brevet, ne sont pas touchés. Lorsqu’elle choisit de faire inscrire le brevet ou d’introduire une instance en interdiction, elle doit se rappeler qu’elle est tenue de réparer les dommages subis par l’autre partie si elle n’obtient pas l’ordonnance d’interdiction qu’elle demande au même titre que si elle avait donné un engagement à l’appui d’une requête en injonction interlocutoire. Voici ce que j’ai écrit :

 

54     À maints égards, on pourrait assimiler l’article 8 à l’engagement généralement requis d’une partie qui demande à un tribunal de prononcer une injonction interlocutoire. La Cour (paragraphe 372(2) des Règles des Cours fédérales [DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 1)]), ainsi que la plupart des autres cours de justice de ce pays, exigent, sauf ordonnance contraire, que soit donnée une promesse de réparation. Une promesse est une affaire sérieuse et les dommages‑intérêts accordés peuvent être substantiels, encore que, comme l’écrivait la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Delrina Corp. (c.o.b. Carolian Systems) v. Triolet Systems Inc. (2002), 58 O.R. (3d) 339, au paragraphe 87, ils doivent être raisonnablement prévisibles au moment de l’octroi de l’injonction interlocutoire et doivent découler naturellement de l’injonction, et non d’autre chose.

 

[55] Merck qualifie l’article 8 de disposition conférant un recours civil sans qu’il y ait eu acte dommageable. Merck fait valoir que le simple dépôt d’une demande selon l’article 6, suivi du rejet d’une telle demande, ne saurait constituer un « acte dommageable » entraînant une responsabilité. C’est là une mauvaise qualification des circonstances. Merck, et d’autres dans sa position, disposent de choix, un brevet peut ou non figurer sur la liste, une demande d’interdiction peut ou non être déposée. Tout comme pour l’introduction de procédures ou le dépôt d’une demande d’injonction interlocutoire, des choix sont faits. L’article 8 est une conséquence de ces choix. Merck et les autres brevetés ont à leur disposition tous les recours conférés à un breveté par la Loi sur les brevets, ils ne sont, sur ce plan, privés de rien. Lorsqu’un breveté veut se prévaloir de l’article 6, il doit être présumé s’en être prévalu en sachant l’existence de l’article 8.

 

[...]

 

74     Le Règlement doit être considéré dans sa globalité. L’article 8 contient, tout comme dans n’importe quelle procédure judiciaire ordinaire, une incitation à ne pas solliciter ce qui constitue en fait une injonction interlocutoire. Il s’agit en somme d’un engagement donné par une personne en quête d’une telle injonction. Il fait partie d’un « équilibre » du Règlement, pour reprendre les mots employés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Biolyse. C’est un équilibre normal et attendu, compte tenu des engagements donnés dans une procédure judiciaire telle que celle qui intéresse une contrefaçon de brevet et où sont demandées des injonctions interlocutoires. L’alinéa 55.2(4)d) prévoit explicitement la prise de règlements concernant les recours et procédures portant sur les litiges visés à l’alinéa c), à propos de la date à laquelle l’avis de conformité peut être délivré. Il s’agit notamment de la suspension de 24 mois dont parle l’alinéa 7(1)e) [mod. par DORS/98‑166, art. 6] du Règlement pour la délivrance de l’avis de conformité, et aussi des mesures dissuasives dans la quête d’une telle suspension.

 

 

[59]           Je fais mien le raisonnement suivi par la Cour d’appel de l’Ontario en ce qui concerne l’engagement donné par une partie qui obtient si aisément une injonction interlocutoire. Dans l’arrêt Nelson Burns & Co c Gratham Industries Ltd, [1987] OJ No 1100, 25 OAC 89, la Cour d’appel de l’Ontario écrit, aux paragraphes 10 et 11, que l’engagement devrait être honoré sans tergiverser et que les tribunaux devraient, de façon générale, faire preuve de peu de bienveillance envers ceux qui tentent de se dérober à cette obligation :

 

[traduction] En raison de la nature de ce changement et du nombre d’injonctions de ce genre qui sont demandées, il convient d’insister sur le caractère sérieux de l’engagement de payer des dommages‑intérêts dont est assortie la délivrance de l’injonction interlocutoire. Normalement, le demandeur débouté doit bien comprendre qu’il a l’obligation de payer des dommages‑intérêts conformément à l’engagement qu’il a pris et qu’il devrait respecter son engagement sans tergiverser et que les tribunaux devraient, en règle générale, se montrer peu bienveillants envers ceux qui cherchent à se soustraire à cette obligation.

 

 

CHRONOLOGIE DES FAITS

[60]           Avec l’exposé qui précède comme toile de fond, je vais maintenant relater certains faits, en grande partie par ordre chronologique, qui ont trait aux questions en litige. Ce n’est pas parce que j’omets certains faits que j’estime qu’ils ne sont pas importants ou encore que je les ai oubliés :

 

  • Novembre 1994 – Apotex dépose une présentation de drogue nouvelle (PDN) pour des gélules d’oméprazole à laquelle elle joint une étude de bioéquivalence comparant son produit au LOSEC. Elle y indique que ses gélules sont fabriquées à l’usine de Signet.

 

  • Mai 1997 – Santé Canada rejette la demande d’Apotex et considère qu’elle a fait l’objet d’un désistement.

 

  • Décembre 1997 – Apotex dépose à nouveau la même demande sous forme de présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) en y incluant d’autres comparaisons de bioéquivalence avec le LOSEC.

 

  • Mars 1999 – Apotex dépose d’autres études de bioéquivalence dans lesquelles elle compare son produit au produit PRILOSEC qui est commercialisé aux États‑Unis, étant donné que les gélules LOSEC ne sont plus disponibles au Canada.

 

  • Décembre 1999 – Santé Canada rejette la demande d’Apotex.

 

  • Janvier 2000 – Apotex interjette appel au motif que sa demande devrait être inscrite comme PDN et non comme PADN.

 

  • Mai 2000 à février 2001 – Apotex interjette appel au sein de Santé Canada à deux niveaux. Les deux appels sont rejetés.

 

  • Mars 2001 – Apotex saisit notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire (T‑493‑01) qui est suspendue en attendant que les autorités de Santé Canada procèdent à un réexamen à l’interne.

 

  • Septembre 2001 – Après réexamen de la demande d’Apotex, Santé Canada fait droit à cette demande et permet qu’elle soit soumise sous forme de PDN. Apotex se désiste de sa demande de contrôle judiciaire.

 

  • 19 octobre 2001 – Dans son rapport, Santé Canada recommande que la demande d’Apotex soit acceptée, mais sans déclaration d’équivalence.

 

  • Novembre 2001 – Apotex signifie à AstraZeneca, en vertu du Règlement, un avis d’allégation dans lequel elle traite du brevet 762.

 

  • 31 décembre 2001 – AstraZeneca introduit une demande en vue de faire interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex (T‑2311‑01) tant que le brevet 762 ne sera pas expiré.

 

  • 3 janvier 2002 – Date attestée par le ministre, aux termes de l’alinéa 8(1)a) du Règlement, comme étant la date à laquelle un avis de conformité aurait été délivré à Apotex n’eut été du Règlement si AstraZeneca n’avait pas introduit sa demande d’interdiction.

 

  • Octobre/novembre 2003 – Apotex commence à fabriquer à l’échelle commerciale des gélules d’oméprazole à ses installations de Torpharm en vue de leur exportation aux États‑Unis et ailleurs.

 

  • 30 décembre 2003 – Notre Cour rejette la demande d’interdiction d’AstraZeneca.

 

  • 24 janvier 2004 – Santé Canada délivre un avis de conformité à Apotex sans l’assortir de déclaration d’équivalence avec le LOSEC ou tout autre médicament. Apotex commence à fabriquer ses gélules d’oméprazole pour le marché canadien à son usine de Torpharm.

 

  • 23 février 2004 – Apotex introduit une demande de contrôle judiciaire (T‑388‑04) en vue de forcer Santé Canada à délivrer un avis de conformité assorti d’une déclaration d’équivalence avec le LOSEC.

 

  • 14 mai 2004 – Apotex dépose une modification à déclaration obligatoire de niveau 2 auprès de Santé Canada dans laquelle elle explique que le médicament est désormais fabriqué à Torpharm plutôt qu’à Signet.

 

  • 26 août 2004 – Santé Canada envoie à Apotex une lettre de « non‑opposition » au sujet du changement de site de fabrication.

 

  • 19 décembre 2005 – Apotex se désiste de sa demande dans le dossier T‑388‑04.

 

  • 4 janvier 2006 – Santé Canada délivre à Apotex un avis de conformité assorti d’une indication d’équivalence avec le LOSEC.

 

[61]           Je passe maintenant à l’examen de l’exposé conjoint des questions à trancher que les parties ont soumis.

 

QUESTIONS Nos 1 ET 3

 

1.   L’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) est‑il invalide et inopérant au motif qu’il :

 

a.         est imprécis et ambigu au point d’être inconstitutionnel;

b.         est draconien, sévère et punitif;

c.         constitue une mesure législative subordonnée invalide;

d.         est incompatible avec l’ALENA et l’ADPIC?

 

[...]

 

3.   L’article 8 du Règlement oblige‑t‑il la seconde personne à démontrer que la première personne a commis un abus pour satisfaire aux conditions prévues par l’ADPIC et l’ALENA, et la réparation qui peut être accordée est‑elle assujettie à cette condition préalable?

 

 

Il s’agit des questions dont l’examen a, avec le consentement des parties, été reporté à l’audience qui s’est déroulée devant le soussigné et la juge Snider le 30 avril et le 1er mai 2012.

 

[62]           AstraZeneca a soulevé ces questions comme moyen de défense en réponse à la demande d’Apotex. La constitutionnalité de l’article 8 a également été soulevée par AstraZeneca sous forme de demande reconventionnelle dirigée contre le ministre. Quelques jours avant la date prévue pour l’instruction de ces questions, AstraZeneca et le ministre ont réglé leur différend et AstraZeneca s’est désistée, avec le consentement du ministre, de sa demande reconventionnelle, le tout sans frais. Le représentant du ministre n’a pas comparu à l’audience. Un avis de question constitutionnelle a été signifié aux autorités fédérales et provinciales compétentes, mais aucun des représentants ne s’est présenté à l’audience ou n’a soumis d’observations écrites.

 

[63]           Il nous reste donc les allégations formulées par AstraZeneca dans sa défense au sujet de l’invalidité de l’article 8. Je reprends ces allégations et les relie aux intitulés qui figurent en caractères gras dans l’énoncé des questions en litige déjà reproduit :

 

[traduction]

L’article 8 du Règlement sur les brevets est invalide et inopérant

 

50.       L’article 8 du Règlement sur les brevets est invalide et inopérant parce que :

 

a)                 

 

b)                 

 

c)                  L’article 8 du Règlement est imprécis et ambigu au point d’être inconstitutionnel. L’article 8 expose la première personne aux pertes qui ont été subies au cours d’une période déterminée, mais qui ne peuvent être rattachées à aucune des activités de la première personne. Un règlement imprécis est inconstitutionnel parce qu’il force le tribunal à s’écarter de son rôle judiciaire en matière d’interprétation des lois pour s’arroger celui de législateur afin de donner un sens au texte législatif. [Imprécis et ambigu au point d’être inconstitutionnel]

 

d)                  L’article 8 du Règlement est draconien, sévère et punitif parce que la première personne n’a aucun contrôle sur sa période de responsabilité. La période de responsabilité est susceptible d’être manipulée par la seconde personne. En raison du rôle qu’elle joue dans le cadre du processus réglementaire, la seconde personne peut influer sur la date à laquelle sa présentation de drogue pourrait être approuvée par le ministre. Qui plus est, la seconde personne choisit la date à laquelle est présenté l’avis d’allégation. [Draconien, sévère et punitif]

 

e)                  L’article 8 est une mesure législative invalide déléguée par le Parlement au gouverneur général en conseil parce que le Parlement n’aurait jamais envisagé de prendre un règlement déraisonnable, incertain et arbitraire. L’article 8 impose une responsabilité absolue et constitue une disposition pénale et qui a un effet spoliateur s’il n’y a pas d’obligation de prouver la faute et qu’une indemnité peut être accordée en vertu de l’article 8 même si la seconde personne continue de contrefaire un brevet valide. Ainsi, l’article 8 est susceptible de récompenser les agissements illicites. [Mesure législative subordonnée invalide]

 

f)                    L’article 8 du Règlement est inopérant et sans effet parce qu’il est incompatible avec les obligations issues de traités contractées par le Canada aux termes de l’Accord de libre‑échange nord‑américain (ALENA) et de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, l’ADPIC (annexe 1C de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce) et des lois mettant en œuvre les traités, en l’occurrence, la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange nord‑américain, L.C. 1993, ch. 44 (sanctionnée le 23 juin 1993 et la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, L.C. 1994, ch. 47 (sanctionnée le 15 décembre 1994). Ces lois ont été mises en œuvre après l’entrée en vigueur du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets aux termes duquel le règlement aurait été pris. L’ALENA et l’ADPIC exigent que le Canada fournisse une protection suffisante et efficace et assure le respect des droits conférés par les brevets. L’article 8 est incompatible avec ces exigences. En particulier, bien que le Règlement sur les brevets ait été édicté pour empêcher le recours abusif à l’exception relative à l’usage réglementaire prévue au paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets, l’article 8 impose des sanctions sévères contre le breveté à défaut de preuve que le fabricant de médicaments génériques a, de façon irrégulière, été retardé dans son entrée sur le marché, à savoir la conclusion que le brevet est invalide et/ou ne serait pas contrefait ce qui décourage l’utilisation du mécanisme prévu par le Règlement sur les brevets. [Incompatible avec l’ALENA et l’ADPIC et contraire à ceux‑ci]

 

 

[64]           La question no 3 se confond en grande partie avec la question 1d). AstraZeneca plaide cette question au paragraphe 56 de sa défense :

[traduction]

Absence de droit – absence d’abus

 

56.       À titre subsidiaire, si l’article 8 est valide, pour pouvoir se conformer à l’article 48.1 de l’ADPIC et à l’alinéa 1715.2f) de l’ALENA, devrait‑on interpréter l’article 8 comme i) exigeant que la seconde personne établisse que la première personne a recouru abusivement à des moyens de contrainte; (ii) restreignant  la réparation accordée à la seconde personne à une indemnisation du préjudice subi par suite de cet abus. Comme Apotex ne reproche pas d’abus à AstraZeneca, sa responsabilité ne peut jouer aux termes de l’article 8.

 

 

[65]           Premièrement, je rappelle le principe généralement admis suivant lequel il existe une présomption de constitutionnalité (par ex. Nova Scotia Board of Censors c McNeil, [1987] 2 RCS 662, le juge Richie, jugement de la majorité, aux pages 687 et 688). Il incombe à AstraZeneca de réfuter cette présomption.

 

[66]           Deuxièmement, il convient de signaler que l’arrêt Merck Frosst Canada Ltd c Apotex Inc, 2009 CAF 187 (autorisation d’appel à la CSC refusée [2009 CSCR no 347]) de la Cour d’appel fédérale portait sur de nombreuses questions relatives à la validité de l’article 8 du Règlement.

 

[67]           Dans leurs plaidoiries, les parties ont désigné à l’occasion cette décision sous le nom d’arrêt Alendronate. Dans cette décision qui me lie, la Cour d’appel fédérale a tiré plusieurs conclusions et a notamment jugé que l’article 8 du Règlement relevait du pouvoir général que confère le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, et qu’il avait donc été validement promulgué. Je répète ce que le juge Noël écrit, au nom de la Cour, aux paragraphes 58 à 61 :

 

58        L’article 8, qui impose à la première personne une responsabilité à l’égard des pertes subies par la seconde personne du fait de la suspension automatique, dans le cas d’un retrait, d’un désistement ou du rejet de la demande d’interdiction, atténue ces préoccupations. Comme l’a noté le juge Stone dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2000] A.C.F. no 855 (C.A.) (QL) (AB Hassle) (au paragraphe 27), le pouvoir de la cour d’ordonner le paiement de dommages‑intérêts résultant de la mise en œuvre de la suspension automatique suggère que la première personne n’est dorénavant plus seule à avoir un intérêt à retarder le déroulement d’une procédure d’interdiction visée à l’article 6.

 

59        Dans la même logique, la première personne n’est dorénavant plus seule à avoir un intérêt à déclencher la suspension automatique en faisant référence à des brevets qui ne sont pas dûment inscrits sur des listes (Ferring, précité; Hoffmann‑La Roche, précité; voir également Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1999] A.C.F. no 1978 (C.A.) (QL), aux paragraphes 27 et 28) ou à « renouveler à perpétuité » un médicament breveté en vue de perpétuer l’avantage que procure le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (AstraZeneca, précité, aux paragraphes 23 et 39; Biolyse, précité, au paragraphe 66). Par l’effet de l’article 8, la première personne doit se concentrer sur la question de la contrefaçon et soupeser la force de sa position avant d’engager une procédure d’interdiction.

 

60        Cette disposition encourage l’usage du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) pour la fin à laquelle il vise : la prévention de la contrefaçon. Point important, il le fait d’une manière cohérente avec le maintien de l’équilibre dont parlent les arrêts Biolyse et AstraZeneca. Il est utile de rappeler que ces deux arrêts reposent sur l’idée que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) doit être interprété sans excéder ce qui est nécessaire pour empêcher la contrefaçon, car outrepasser cet objectif perturberait l’autre aspect de l’équilibre que vise l’article 55.2 de la Loi sur les brevets, soit la commercialisation rapide de médicaments génériques moins chers. Le pouvoir que confère la loi au gouverneur en conseil de prendre des règlements en application du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets doit être interprété en conséquence.

 

61        Je conclus donc que l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) relève du pouvoir général que confère le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et que le juge de la Cour fédérale était fondé de conclure que l’article 8 avait été validement promulgué.

 

 

[68]           Troisièmement, je rappelle le principe suivant lequel les questions constitutionnelles ne doivent pas être tranchées en l’absence d’un fondement factuel clair et que la Cour ne devrait pas rendre de décision ayant une portée plus large que ce qui est nécessaire, compte tenu des faits effectivement portés à sa connaissance. Je cite les observations formulées par le juge LeBel dans l’arrêt Bande Kitkatla c Colombie‑Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, au paragraphe 46 :

 

46        Les questions constitutionnelles ne doivent pas être examinées dans un vide factuel. Même dans une affaire de partage des compétences, des droits doivent être revendiqués et leur fondement factuel démontré. En l’espèce, les appelants font valoir que l’importance des arbres modifiés touche au cœur même de leur identité et de leurs valeurs culturelles. Ils s’appuient sur cette affirmation pour plaider que les dispositions contestées de la Loi empiètent sur un chef de compétence fédérale. C’est pourquoi la nature et la qualité de la preuve produite devront être évaluées et analysées. Même si la présente espèce demeure une affaire de partage des compétences, les commentaires de madame le juge en chef McLachlin sur les normes et les problèmes de preuve dans les affaires de droit autochtone, dans Mitchell c. M.R.N., 2001 CSC 33 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 911, 2001 CSC 33, sont à propos. Dans ces affaires, une preuve orale des valeurs, coutumes et pratiques autochtones est nécessaire et pertinente. Elle doit être appréciée avec sensibilité et dans la compréhension des traditions d’une civilisation qui est restée essentiellement orale avant et après les premiers contacts avec les Européens, lesquels ont apporté avec eux leur tradition de recourir à des documents juridiques et à des archives. Néanmoins, ce type de preuve doit être évalué comme les autres. Les revendications doivent être établies selon la prépondérance des probabilités par une preuve convaincante (Mitchell, par. 39, le juge en chef McLachlin). « Des preuves éparses, incertaines et équivoques ne peuvent établir le bien‑fondé d’une revendication [...] » (Mitchell, par. 51, le juge en chef McLachlin).

 

 

[69]           Je me reporte également à ce que le juge Sharpe a écrit, au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Abou‑Elmaati c Canada (Attorney General), 2011 ONCA 95, au paragraphe 39 :

 

[traduction] 

39        Il est non seulement inutile, mais également imprudent de chercher à trancher des questions constitutionnelles lorsqu’il n’existe pas de situation factuelle concrète. Ainsi que notre Cour l’a déclaré dans l’arrêt Clark c. Peterborough Utilities Commission (1998), 40 O.R. (3d) 409, à la page 413, citant l’arrêt Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, à la page 111, « les tribunaux ne devraient statuer sur les questions constitutionnelles que lorsque cela est nécessaire ».

 

 

[70]           Je me reporte également aux déclarations du juge en chef Lamer de la Cour suprême dans l’arrêt Phillips c Nouvelle‑Écosse, [1995] ACS no 36 (QL), au paragraphe 6 :

 

6          Notre Cour a dit à maintes reprises qu’elle ne devait pas se prononcer sur des points de droit lorsqu’il n’est pas nécessaire de le faire pour régler un pourvoi. Cela est particulièrement vrai quand il s’agit de questions constitutionnelles et le principe s’applique avec encore plus de force si le fondement de la procédure qui a été engagée a cessé d’exister.

 

 

[71]           AstraZeneca a évoqué plusieurs scénarios factuels dans son argumentation. Bon nombre de ces scénarios sont sans rapport avec les faits établis par la présente affaire. Il importe de se rappeler que, dans le cas qui nous occupe :

  • Apotex ne cherche pas à démontrer que la date à laquelle la période ouvrant droit à une indemnisation a commencé avant la date attestée par le ministre;

 

  • Apotex ne demande d’être indemnisée que pour le retard dans la délivrance d’un avis de conformité portant pour ses gélules de 20 mg par application du Règlement; elle ne réclame pas de dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages‑intérêts supérieurs à ceux prévus par le Règlement;

 

  • il y aura un renvoi après la présente instruction pour déterminer la nature et l’ampleur des dommages en question.

 

[72]           Compte tenu de ce qui précède, je passe à l’examen des questions précises soulevées.

 

[73]           J’ai examiné les observations écrites d’AstraZeneca et j’ai entendu la plaidoirie de ses avocats. Une partie de cette plaidoirie va plus loin que ce qu’AstraZeneca avait déjà allégué. Selon AstraZeneca, comme elle n’est pas tenue de soulever des points de droit dans ses actes de procédure, sa plaidoirie, qui porte sur des points de droit, n’a pas à être limitée par la teneur des actes de procédure. Je ne souscris pas à cet argument. Les articles 173 à 181 des Règles de notre Cour, qui sont semblables aux règles de procédure d’autres cours canadiennes, précisent le contenu des actes de procédure. Ceux‑ci doivent contenir un exposé concis des faits substantiels, peuvent soulever des points de droit et doivent contenir des précisions suffisantes. Les actes de procédure circonscrivent les questions en litige. Les faits fournissent quant à eux le cadre dans lequel s’inscrivent ces questions. Lors de l’instruction ou de l’audience, les points de droit sont débattus au regard de ces questions. Il n’existe pas de permission illimitée de présenter un argument simplement parce qu’il n’est fondé que sur le droit. Tout argument doit se rapporter à une question qui a été plaidée.

 

[74]           Dans le cas qui nous occupe, les arguments d’AstraZeneca ne sont pas structurés de manière à se conformer à ses actes de procédure. Qui plus est, quelques semaines avant l’instruction, les parties ont, à l’invitation de la Cour, produit un exposé des questions en litige qui était censé indiquer à la Cour les questions qui demeuraient véritablement en litige. Les questions en litige sont délimitées par cet énoncé ainsi que par les actes de procédure. Dans la mesure où l’avis de question constitutionnelle semble soulever d’autres questions, je n’examinerai pas celles‑ci, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, il s’avère qu’il n’y a aucune question constitutionnelle. En second lieu, cet avis n’est pas un acte de procédure; la partie adverse n’a pas la possibilité d’y répondre. Cet avis est simplement un document qui avertit d’éventuels intervenants des questions qui pourraient être soulevées. Dans le cas qui nous occupe, l’avis exagère la portée des questions en litige présentées et, dans la mesure où il outrepasse leur portée, je vais l’ignorer. Je reprends à mon compte les observations que le juge Létourneau a formulées au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bekker c Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 9, lorsqu’il explique que cet avis n’est rien de plus qu’une notification à l’intention des procureurs généraux intéressés :

 

9          L’objet de cet avis est utile, voire essentiel. Le procureur général, que ce soit celui du Canada ou d’une province, est chargé d’assurer l’application des lois et de défendre la constitutionnalité de celles qu’édicte le Parlement ou l’assemblée législative provinciale, selon le cas. L’avis lui permet de s’acquitter de cette fonction : au sujet de la fonction elle‑même, voir Thorson c. Canada (Procureur général), [1975] 1 R.C.S. 138, à la page 146; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, au paragraphe 28; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418. Il a également pour effet d’informer les procureurs généraux provinciaux des contestations visant des lois fédérales qui pourraient avoir des répercussions sur leurs provinces, même si l’obligation d’appuyer la constitutionnalité de ces lois n’est pas la leur. C’est pourquoi l’avis doit donner aux destinataires des renseignements satisfaisants en ce qui concerne les faits pertinents donnant lieu à la question constitutionnelle et au fondement juridique de cette question, faute de quoi il sera jugé insuffisant et la Cour présumera qu’il n’y a aucune question sérieuse à trancher : voir Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees Union et al., déjà cité. Enfin, il permet de veiller à ce qu’aucune injustice ne soit faite à l’endroit des représentants élus qui ont édicté la loi et de la population qu’ils représentent : voir Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, aux pages 264 et 265, par le juge Sopinka.

 

 

[75]           Dans la mesure où les faits ont été relatés dans les observations écrites et la plaidoirie d’AstraZeneca, bon nombre de ces faits sont exprimés sous forme de spéculation et d’hypothèses. Compte tenu de cette situation, je vais examiner les questions litigieuses soulevées dans les actes de procédure.

 

[76]           Il convient de signaler ce qui suit en ce qui concerne les questions litigieuses soulevées dans les actes de procédure ainsi que celles qui ont été soulevées lors de la plaidoirie par AstraZeneca :

 

  • Il n’y a pas d’argument « constitutionnel » comme tel : aucune des parties ne prétend que le législateur fédéral n’avait pas compétence pour adopter l’article 8;

 

  • Aucun moyen tiré de la Charte n’a été invoqué.

 

QUESTION no 1

a)         Disposition imprécise et ambiguë au point d’être inconstitutionnelle

[77]           Je citerai, d’entrée de jeu, les observations formulées par le juge Gonthier dans l’arrêt Ontario c Canadian Pacific, [1995] 2 RCS 1031, en particulier celles que l’on trouve au paragraphe 79, où il écrit qu’une loi ne devrait être déclarée inconstitutionnelle pour cause d’imprécision que lorsque le tribunal conclut qu’il est impossible d’en dégager une interprétation; il n’est donc pas nécessaire de tenir compte de situations hypothétiques. Voici ce que le juge écrit :

 

79        Lorsqu’un tribunal est saisi d’une prétention d’imprécision fondée sur l’art. 7, l’analyse doit porter sur les termes de la loi attaquée. Le tribunal doit déterminer si la loi fournit un fondement pour un débat judiciaire et une interprétation judiciaire cohérente. Comme je l’ai déjà dit, le tribunal a pour premier rôle de déterminer le contexte interprétatif intégral qui entoure la loi, puisque l’imprécision ne peut être établie qu’une fois que le tribunal épuise les possibilités se rattachant à sa fonction d’interprétation. S’il est possible de procéder à une interprétation judiciaire, alors la loi attaquée n’est pas imprécise.

 

Une loi ne peut être déclarée d’une imprécision inconstitutionnelle que lorsque le tribunal, après avoir épuisé le processus, conclut qu’il est impossible d’en dégager une interprétation. Dans un cas comme la présente espèce, où un tribunal a interprété une disposition législative, puis déterminé que la situation factuelle propre à la partie opposante tombe précisément sous le coup de cette disposition, celle‑ci n’est manifestement pas imprécise. Il n’est pas nécessaire d’examiner des situations factuelles hypothétiques puisqu’il appert clairement que la loi fournit un fondement pour un débat judiciaire et satisfait ainsi aux exigences de l’art. 7 de la Charte.

 

 

[78]           En l’espèce, AstraZeneca affirme dans ses actes de procédure que les pertes subies par Apotex au cours de la période retenue n’ont aucun rapport avec les activités d’AstraZeneca, de sorte que l’article 8 est inconstitutionnel parce qu’il est imprécis et ambigu.

 

[79]           Il est difficile de trouver, à part les affaires portant sur la Charte, des situations dans lesquelles un tribunal a invalidé une mesure législative simplement parce qu’elle est imprécise ou ambiguë. Par exemple, dans l’arrêt Canada c JTI‑Macdonald Corp, [2007] 2 RCS 610, aux paragraphes 62 à 66, la Cour (sous la plume de la juge en chef McLachlin)  a jugé que, lorsqu’il est possible d’attribuer une interprétation raisonnable à un texte de loi, la Cour ne devrait pas l’invalider pour cause d’imprécision.

 

[80]           Il semble qu’en ce qui concerne le sous‑alinéa 8(1)a)(ii) du Règlement, AstraZeneca soutienne que le texte de cette disposition ne « s’accorde » pas avec les dispositions habilitantes de l’article 55.2 de la Loi sur les brevets ou que le fait de permettre au tribunal de fixer une « date de commencement » antérieure à celle que le ministre a attestée en vertu de l’alinéa 8(1)a) rend cette disposition injuste pour une première personne comme AstraZeneca. Dans un cas comme dans l’autre, la disposition n’est pas « imprécise ».

 

[81]           AstraZeneca affirme que, pour être valides, les dispositions du sous‑alinéa 8(1)a)(ii) doivent faire l’objet d’une « interprétation atténuante » de manière à limiter la capacité de la Cour de proposer une date de commencement différente qui serait postérieure à celle attestée par le ministre.

 

[82]           Dans le même ordre d’idées, AstraZeneca affirme que l’alinéa 8(1)b) ne s’accorde pas avec les dispositions habilitantes de l’article 55.2 de la Loi sur les brevets si on l’interprète de manière à permettre à l’intéressé d’être indemnisé des pertes subies après la date à laquelle la demande a été retirée, a fait l’objet d’un désistement, a été rejetée ou a été infirmée.

 

[83]           Ces deux arguments n’ont rien à voir avec de « l’imprécision ». Ils se rapportent à l’interprétation d’une loi ou d’un règlement.

 

[84]           Dans le cas qui nous occupe, il convient de se souvenir qu’Apotex ne demande pas à la Cour de fixer, comme date du début de la période d’indemnisation prévue au sous‑alinéa 8(1)a)(ii) du Règlement, une date antérieure à celle attestée par le ministre en vertu de l’alinéa 8a). Je suis conscient du fait que ma collègue, la juge Snider, examinait une situation dans laquelle le fabricant de produits génériques, Teva, cherchait à obtenir une date antérieure (Sanofi‑Aventis Canada Inc c Teva Canada Limited, dossier de la Cour T‑1161‑07). Il se peut que, dans le cas de Teva ou dans un autre cas, une date antérieure soit appropriée et justifiée. Je laisse le soin à la juge Snider ou à un autre juge saisi d’une autre affaire de se prononcer sur la question. Dans l’affaire dont je suis saisi, un argument « général » suivant lequel l’article 55.2 de la Loi sur les brevets ne justifie pas la fixation d’une date antérieure ou que celle‑ci est par ailleurs « injuste » est tout simplement trop spéculatif pour qu’on puisse l’examiner sans un fondement factuel acceptable.

 

[85]           En ce qui concerne la date d’expiration du droit à une indemnité prévue par l’alinéa 8(1)b) du Règlement, je signale deux choses. En premier lieu, dans l’arrêt Alendronate, précité, la Cour d’appel fédérale a clairement interprété ces dispositions et fait observer que « l’intention clairement exprimée du gouverneur en conseil » était que seules les pertes subies au cours de la période applicable (c.‑à‑d. avant la date butoir) pouvaient donner lieu à une indemnisation. Le juge Noël écrit ce qui suit, au nom de la Cour, aux paragraphes 100 à 102 :

 

100      Quand on prend en considération les larges pouvoirs que confère l’article 55.2(4) de la Loi sur les brevets, il apparaît clair que l’évaluation de l’indemnité qui peut être accordée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil. Il est clair également que dans le cadre de l’objet du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et de l’équilibre que cherche à établir la Loi sur les brevets, le gouverneur en conseil pouvait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, fixer l’indemnisation à l’intérieur d’une fourchette.

 

101      En l’espèce, nous avons l’avantage de savoir qu’en 1998 le gouverneur en conseil s’est penché sur la question et qu’il a choisi de limiter l’évaluation des pertes faisant l’objet d’une indemnisation par voie de dommages‑intérêts aux pertes subies au cours de la période. Cela ne pose aucune question de principe. Le gouverneur en conseil aurait pu étendre l’évaluation des pertes aux pertes qui ont été causées au cours de la période, sans égard au moment où elles sont subies. Cependant, il ne l’a pas fait.

102      Il faut donner effet à l’intention clairement exprimée du gouverneur en conseil. L’indemnisation des pertes pour les années futures est donc exclue puisqu’on ne peut pas dire que ces pertes ont été subies au cours de la période. Il s’ensuit, par exemple, que le droit d’Apotex à des dommages‑intérêts pour la perte de ventes résultant de la baisse alléguée de sa part de marché doit être limité aux ventes dont on peut établir qu’elles ont été perdues au cours de la période. Pour que les pertes fassent l’objet d’une indemnité, il faut établir qu’elles sont survenues au cours de la période. Par conséquent, je conclus que l’appel devrait être accueilli sur ce point précis.

 

[86]           En second lieu, il convient de signaler que la demande de réparation d’Apotex que j’ai déjà reproduite dans les présents motifs n’est pas censée viser une période plus large que la période applicable définie par la Cour d’appel fédérale. Si Apotex entend effectivement, lors du renvoi, réclamer des pertes qui débordent cette période, la question pourra être abordée à ce moment‑là à la lumière de ce qu’aura dit la Cour d’appel fédérale. Il n’y a rien d’« imprécis » et rien ne justifie de donner une « interprétation atténuante » à l’alinéa 8(1)b) du Règlement.

 

QUESTION No 1

b)         Draconien, sévère et punitif

[87]           En l’absence de moyen tiré de la Charte, il n’y a tout simplement rien qui justifie d’invalider une disposition législative ou réglementaire ou d’en donner une interprétation atténuante simplement parce qu’elle est draconienne, sévère ou punitive. Aucun moyen tiré de la Charte n’a été invoqué en l’espèce.

 

[88]           La disposition réglementaire qui a été prise conformément à sa loi habilitante n’est pas invalide du simple fait qu’une partie estime que cette disposition réglementaire est sévère dans son cas.

 

[89]           AstraZeneca affirme que l’article 8 déborde le cadre des dispositions habilitantes de la Loi sur les brevets. Cette question a déjà été tranchée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Alendronate, précité; l’article 8 situé à l’intérieur du champ d’application des dispositions habilitantes de la Loi sur les brevets. AstraZeneca fait valoir, de façon nuancée, que certains arguments n’ont peut‑être pas été invoqués devant la Cour d’appel et qu’ils auraient pu convaincre celle‑ci de rendre une décision différente. Je rejette cet argument. J’accepte ce que le juge MacKinnon a écrit, au nom de la majorité, dans l’arrêt R c Bell, (1977), 15 OR (2d) 425, à la page 430 (infirmé pour d’autres motifs, [1979] 2 RCS 212) :

 

[traduction] Il est dangereux de se fonder sur un exposé du droit et des faits ou sur un mémoire pour déterminer comment certains arguments ont été formulés ou pour savoir si toutes les sources pertinentes ont été mentionnées à la cour. Nous sommes tous bien conscients qu’il arrive souvent que des décisions qui ne sont pas citées dans le mémoire ou dans les motifs soient mentionnées lors des plaidoiries et à quel point les arguments invoqués à l’appui de certaines propositions peuvent différer considérablement de ceux qui ont été formulés dans la procédure écrite. À mon humble avis, la démarche suivie par la Cour divisionnaire pourrait entraîner des résultats chaotiques lorsqu’on tenterait d’appliquer le principe du stare decisis et rendrait d’autant plus difficile pour les administrés d’avoir de la certitude au sujet de l’état du droit. Lorsque la Cour a fait un énoncé de principe clair, l’effet contraignant du précédent ne peut dépendre de la question de savoir si, de l’opinion des cours qui examineraient par la suite le dossier, l’affaire a été bien ou mal plaidée.

 

 

[90]           Par ailleurs, si la question de la « dureté » ne vise que la situation dans laquelle AstraZeneca devrait peut‑être verser une indemnité à Apotex, l’obligation de payer relève de la loi habilitante, selon ce que la Cour d’appel fédérale a jugé dans l’arrêt Alendronate, précité. Le montant de l’indemnité sera établi lors du renvoi.

 

QUESTION No 1

c)         Mesure législative subordonnée invalide

[91]           La Cour d’appel fédérale a donné une réponse complète à cette question dans l’arrêt Alendronate, précité. L’article 8 du Règlement constitue une mesure législative subordonnée valide. Comme nous l’avons déjà expliqué, il n’y a rien qui justifie, du moins devant notre Cour, de débattre davantage de cette question.

 

QUESTION No 1

x)         Équilibre

[92]           Dans leurs observations écrites et leur plaidoirie, les avocats d’AstraZeneca ont consacré beaucoup de temps à expliquer que l’article 8 du Règlement n’était pas suffisamment « équilibré » et qu’il était par conséquent invalide. Cette question n’a pas été clairement présentée dans les actes de procédure et, pour cette raison, Apotex s’est opposée à ce qu’elle soit soulevée. Apotex a néanmoins abordé cet argument tout comme je vais le faire pour le cas où un appel serait interjeté.

 

[93]           On peut commencer l’analyse de cet argument en citant l’extrait suivant des propos tenus par le juge en chef Dickson au nom de la majorité de la Cour suprême dans l’arrêt R c Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 RCS 295, au paragraphe 80 :

 

80        Je ne puis être d’accord. À mon avis, l’objet et l’effet d’une loi sont tous les deux importants pour déterminer sa constitutionnalité; un objet inconstitutionnel ou un effet inconstitutionnel peuvent l’un et l’autre rendre une loi invalide. Toute loi est animée par un but que le législateur compte réaliser. Ce but se réalise par les répercussions résultant de l’opération et de l’application de la loi. L’objet et l’effet respectivement, au sens du but de la loi et de ses répercussions ultimes, sont nettement liés, voire inséparables. On s’est souvent référé aux effets projetés et aux effets réels pour évaluer l’objet de la loi et ainsi sa validité.

 

 

[94]           Pour discuter de l’« objet » du Règlement, AstraZeneca s’est fondée sur un concept d’« équilibre » entre, d’une part, la protection des droits du breveté et, d’autre part, la volonté de réduire le coût des soins de santé. Ce concept a d’abord été élaboré par le juge Binnie, de la Cour suprême, dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co c Canada, 2005 CSC 26 (arrêt Biolyse) aux paragraphes 1 et 2 :

 

La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella : Le ministre avait le droit de délivrer à Biolyse un ADC qui reposait sur sa PDN sans l’assujettir au gel légal. Une interprétation du Règlement ADC qui confère un monopole à BMS du simple fait qu’elle a établi que son produit contient un médicament comme le paclitaxel, qui appartient au domaine public, n’apporte rien au public en échange du monopole auquel aspire BMS. Si on l’examine dans le contexte qui lui est propre et, en particulier, à la lumière du libellé de la disposition législative qui l’autorise, le Règlement ADC n’a pas la vaste portée que lui prête BMS. [4] [69]

 

Le législateur a adopté la loi en question en vue de protéger les droits des titulaires de brevets en empêchant les fabricants de produits génériques de mettre sur le marché des copies de drogues avant l’expiration de tous les brevets pertinents. Aux termes du Règlement ADC, le tribunal saisi de la demande d’interdiction n’a aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant de lever la suspension, même s’il estime faibles les arguments sur lesquels se fonde la demande de mesures provisoires de la société innovatrice. Le tribunal n’a pas non plus le pouvoir discrétionnaire de renvoyer les parties opposées aux recours prévus par la Loi sur les brevets. La demande d’ADC soumise par la « deuxième personne » est simplement reléguée aux oubliettes jusqu’à ce que la procédure réglementaire ait connu son dénouement. [24] [45‑46]

 

 

[95]           Un an plus tard, dans l’arrêt AstraZeneca Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, le juge Binnie écrivait, au paragraphe 3 :

 

3          Apotex réplique que les brevets ultérieurs n’ont rien à voir avec la version du Losec 20 qu’elle a copiée, laquelle n’incorpore pas (et ne pouvait incorporer) la technique décrite aux brevets 037 ou 470. L’AC qu’elle a reçu le 27 janvier 2004 ne l’autorise pas à employer cette technique. Elle a copié le produit de 1989 et soutient avoir respecté à cet égard toutes les exigences réglementaires de l’AC. Elle fait valoir qu’elle n’aurait pas pu copier la technique expliquée aux brevets 037 et 470 même si elle avait voulu le faire « pour en démontrer la bioéquivalence » au sens du Règlement AC, parce qu’AstraZeneca n’a jamais fabriqué de produit incorporant la technique décrite aux deux brevets ultérieurement délivrés et inscrits au registre. Elle ne pouvait pas copier un produit qui n’existait pas. Le juge Kelen a accepté son argument selon lequel le Règlement AC vise uniquement les brevets relatifs au produit innovateur véritablement copié et non les brevets délivrés et inscrits au registre par la suite qui ne profitent en rien aux fabricants de produits génériques selon le processus d’approbation fédéral des drogue nouvelle ([2004] A.C.F. no 1545 (QL), 2004 CF 1277). Il a donc rejeté la demande d’AstraZeneca visant à faire annuler l’AC d’Apotex. La Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision, la juge Sharlow étant dissidente ([2006] 1 R.C.F. 297, 2005 CAF 189). Selon moi, les juges Kelen et Sharlow sont arrivés à la bonne conclusion. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi. Les délais procéduraux que la Cour d’appel fédérale a, dans sa décision majoritaire, accordés à AstraZeneca outrepassent les dispositions et l’objet du Règlement AC. L’AC 9427‑A1114‑195, délivré par le ministre le 27 janvier 2004, est valide.

 

 

[96]           Dans l’arrêt Alendronate, précité, la Cour d’appel fédérale a repris le thème de l’« équilibre ». Ce mot revient à plusieurs reprises dans les motifs de la Cour rédigés par le juge Noël. Je répète ce que le juge Noël écrit, aux paragraphes 36 et 60 :

 

36        Il est également utile d’examiner brièvement la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Biolyse et ultérieurement dans l’arrêt AstraZeneca. La question soulevée dans l’arrêt Biolyse était de savoir si une « demande » d’AC présentée par une personne qui ne s’appuyait pas sur le médicament d’une première personne (c.‑à‑d. n’en tirait pas profit) tombait sous la portée du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). S’exprimant au nom de la majorité, le juge Binnie a écrit qu’il reconnaissait que le mot « demande » du paragraphe 5(1.1) [mod. par DORS/99‑379, art. 2] pourrait à première vue englober toute demande (Biolyse, au paragraphe 43). Toutefois, le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) devait être interprété en tenant compte de la Loi sur les brevets dans son ensemble et de l’équilibre qu’elle cherche à établir entre la protection efficace des droits de brevet par le recours au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (paragraphe 55.2(4)) et la commercialisation rapide de médicaments génériques à des prix inférieurs par l’application de l’exception relative aux « travaux préalables » (paragraphe 55.2(1)) (Biolyse, précité, au paragraphe 50).

 

60        Cette disposition encourage l’usage du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) pour la fin à laquelle il vise : la prévention de la contrefaçon. Point important, il le fait d’une manière cohérente avec le maintien de l’équilibre dont parlent les arrêts Biolyse et AstraZeneca. Il est utile de rappeler que ces deux arrêts reposent sur l’idée que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) doit être interprété sans excéder ce qui est nécessaire pour empêcher la contrefaçon, car outrepasser cet objectif perturberait l’autre aspect de l’équilibre que vise l’article 55.2 de la Loi sur les brevets, soit la commercialisation rapide de médicaments génériques moins chers. Le pouvoir que confère la loi au gouverneur en conseil de prendre des règlements en application du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets doit être interprété en conséquence.

 

 

[97]           Évoquant ce concept d’« équilibre », les avocats d’AstraZeneca ont énuméré un certain nombre de situations dans lesquelles, à leur avis, AstraZeneca serait défavorisée et où un fabricant de produits génériques serait indûment favorisé. Ils ont cité comme exemple celui du fabricant de produits génériques qui pouvait attendre, une fois sa demande « mise en suspens » pour cause de brevet, que le moment favorable arrive pour signifier un avis d’allégation, forçant ainsi le titulaire du brevet à introduire ou non une instance en interdiction à un moment et dans un délai choisi par le fabricant de produits génériques.

 

[98]           À mon avis, l’argument de l’« équilibre » repose à tort sur l’hypothèse qu’on doit interpréter le règlement de manière à atteindre une harmonie parfaite et qu’AstraZeneca ne devrait jamais, bien sûr selon le point de vue de celle‑ci, être défavorisée de façon excessive. Dans le contexte juridique, le concept d’équilibre ne vise pas la perfection. Les juristes et les juges parlent de « prépondérance des probabilités », un exercice au cours duquel divers éléments de preuve sont soupesés et à l’issue duquel un point de vue ou une série de faits est retenue de préférence à une autre. Une des exceptions que le Black’s Law Dictionary donne du terme anglais « balance » [équilibre] est : [traduction] « mesurer des intérêts opposés et les contrebalancer de manière appropriée ».

 

[99]           C’est au législateur qu’il appartenait de procéder à la pondération ou à la mise en balance appropriée des intérêts en présence lorsqu’il a édicté la Loi sur les brevets, et il incombait au gouverneur en général d’en faire autant lorsqu’il a promulgué le Règlement. Il n’existe pas de motif permettant à lui seul de soutenir que l’article 8 du Règlement est invalide du simple fait qu’il n’a pas fait l’objet d’une « pondération » du point de vue d’un des intéressés.

 

[100]       En tout état de cause, la Cour d’appel fédérale a déjà jugé que l’article 8 s’inscrivait légitimement dans le cadre d’un régime « exhaustif » et que le gouverneur en conseil avait tenu compte des intérêts opposés en présence. Le juge Rothstein (maintenant juge de la Cour suprême) écrit, au nom de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être national), [1999] ACF no 1978, 3 CPR (4th) 1, aux paragraphes 27 et 28 :

 

27        L’alinéa 8(1)a ) prévoit expressément que le propriétaire d’un brevet dont la demande est rejetée est responsable de la perte qu’un fabricant de médicaments génériques a subie parce qu’on a tardé à lui délivrer un avis de conformité à cause de la demande. En vertu du paragraphe 8(4), la Cour a compétence pour accorder réparation par recouvrement de dommages‑intérêts ou de profits à l’égard de la perte. L’article 8 du Règlement montre clairement que le gouverneur en conseil a reconnu que les fabricants de médicaments génériques pourraient faire l’objet de demandes injustifiées, y compris des demandes fondées sur des brevets non admissibles inscrits au registre, et qu’en pareil cas, il a prévu une réparation sous la forme du recouvrement de dommages‑intérêts ou de profits à l’égard de la perte.

28        En somme, le Règlement renferme des dispositions exhaustives qui se rapportent expressément aux brevets non admissibles inscrits au registre ainsi qu’aux frais, pertes et dommages subis par les fabricants de médicaments génériques par suite de l’inscription de pareils brevets au registre. Compte tenu du texte du Règlement et du fait qu’il y est reconnu que des brevets non admissibles peuvent être inscrits au registre, le ministre ne refuse pas illégalement d’exercer son pouvoir discrétionnaire en ne supprimant pas pareils brevets du registre en vertu du paragraphe 3(1).

 

 

[101]       Par conséquent, même si la « pondération » constitue un moyen d’invalidité distinct non soulevé dans les actes de procédure, la Cour d’appel a déjà jugé que l’article 8 reflète un juste équilibre.

 

QUESTION No 1

d)         Incompatible avec l’ALENA et l’ADPIC

et

QUESTION No 3

            Est incompatible avec l’ALENA et l’ADPIC

[102]       Je vais examiner la question 1d) et la question 3 ensemble étant donné qu’elles se recoupent essentiellement.

 

[103]       L’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (l’ADPIC) est un accord signé par de nombreux pays. Le Canada y a adhéré le 1er janvier 1995. Parmi les objectifs qu’il vise, citons le suivant :

 

l’élaboration de moyens efficaces et appropriés pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, compte tenu des différences entre les systèmes juridiques nationaux.

 

 

[104]       L’ADPIC renferme de nombreuses dispositions portant sur les mesures visant à faire respecter les droits en matière de propriété intellectuelle. AstraZeneca mentionne notamment deux d’entre elles : le paragraphe 48(1) et le paragraphe 50(7), que je reproduis ici :

Article 48

 

Indemnisation du défendeur

 

1.         Les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner à une partie à la demande de laquelle des mesures ont été prises et qui a utilisé abusivement des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle d’accorder, à une partie injustement requise de faire ou de ne pas faire, un dédommagement adéquat en réparation du dommage subi du fait d’un tel usage abusif. Les autorités judiciaires seront aussi habilitées à ordonner au requérant de payer les frais du défendeur, qui pourront comprendre les honoraires d’avocat appropriés.

 

[...]

 

SECTION 3 : MESURES PROVISOIRES

 

Article 50

 

[...]

 

7.         Dans le cas où les mesures provisoires seront abrogées ou cesseront d’être applicables en raison de toute action ou omission du requérant, ou dans le cas où il sera constaté ultérieurement qu’il n’y a pas eu atteinte ou menace d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner au requérant, à la demande du défendeur, d’accorder à ce dernier un dédommagement approprié en réparation de tout dommage causé par ces mesures.

 

 

[105]       L’Accord de libre‑échange nord‑américain (l’ALENA) est un traité conclu entre le Canada, les États‑Unis d’Amérique et le Mexique. Il est entré en vigueur le 1er janvier 1994. Ce traité renferme également plusieurs dispositions concernant les mesures à prendre pour faire respecter les droits en matière de propriété intellectuelle. AstraZeneca cite notamment deux dispositions, l’alinéa 1715(2)f) et le paragraphe 1716(7), dont voici le texte :

 

Article 1715 : Aspects spécifiques des procédures et voies de recours civiles et administratives

 

[…]

 

2.         Chacune des Parties fera en sorte que ses autorités judiciaires soient habilitées

 

[…]

 

f) à ordonner à une partie à la demande de laquelle des mesures ont été prises et qui a utilisé abusivement des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle d’accorder à la partie injustement requise ou empêchée de se joindre à la procédure un dédommagement adéquat en réparation du préjudice subi du fait d’un tel usage abusif et de payer les frais du défendeur, qui pourront comprendre les honoraires d’avocat appropriés.

 

Article 1716 : Mesures conservatoires

 

[…]

 

7.         Dans les cas où les mesures conservatoires seront révoquées ou cesseront d’être applicables en raison d’une action ou d’une omission du requérant, ou dans les cas où il sera constaté ultérieurement qu’il n’y a pas eu atteinte ou menace d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle, chacune des Parties habilitera ses autorités judiciaires à ordonner au requérant, à la demande du défendeur, d’accorder à ce dernier un dédommagement approprié en réparation de tout préjudice causé par ces mesures.

 

 

[106]       On constate, d’entrée de jeu, que ces dispositions de l’ADPIC et de l’ALENA sont pratiquement identiques. Le premier exige que la partie qui réclame un dédommagement démontre un « abus » de la part de la partie adverse. Le second prévoit pour sa part qu’un dédommagement ne peut être accordé que lorsque les mesures conservatoires sont révoquées ou cessent d’être applicables en raison d’une action ou d’une omission du requérant. Les deux traités ont été signés après l’entrée en vigueur de la première version du Règlement, qui a toutefois été modifié à plusieurs reprises depuis.

 

[107]       Le Canada a édicté la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, LC 1994, c 47, qui mentionne plusieurs traités, tels que l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (le GATT). On y cite expressément, aux articles 141 et 142, la Loi sur les brevets, mais aucun de ces deux articles ne nous intéresse en l’espèce.

 

[108]       Il convient de signaler que le paragraphe 1(1) de l’ADPIC confère expressément une grande latitude aux pays membres qui souhaitent mettre en œuvre les dispositions de l’ADPIC dans leur législation interne :

Article 1

 

Nature et portée des obligations

 

1.         Les Membres donneront effet aux dispositions du présent accord. Les Membres pourront, sans que cela soit une obligation, mettre en œuvre dans leur législation une protection plus large que ne le prescrit le présent accord, à condition que cette protection ne contrevienne pas aux dispositions dudit accord. Les Membres seront libres de déterminer la méthode appropriée pour mettre en œuvre les dispositions du présent Accord dans le cadre de leurs propres systèmes et pratiques juridiques.

 

 

[109]       Le Canada a également édicté la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange nord‑américain, LC 1993, c 44. L’article 3 de cette Loi dispose :

 

3. Il est entendu que la présente loi, les dispositions d’une loi fédérale édictées par la partie II et tout autre texte législatif fédéral qui met en œuvre une disposition de l’Accord ou vise à permettre au gouvernement du Canada d’exécuter une obligation contractée par lui aux termes de l’Accord s’interprètent d’une manière compatible avec celui‑ci.

 

3. For greater certainty, this Act, any provision of an Act of Parliament enacted by Part II and any other federal law that implements a provision of the Agreement or fulfils an obligation of the Government of Canada under the Agreement shall be interpreted in a manner consistent with the Agreement

 

 

[110]       Cette loi de mise en œuvre apporte diverses modifications à la Loi sur les brevets, mais aucune ne vise l’article 55.2, qui est la disposition qui nous intéresse en l’espèce. L’article 55.1 a été modifié par l’article 193 de la Loi sur la mise en œuvre, mais il ne nous intéresse pas en l’espèce. Il dispose :

193. L’article 55.1 de la même loi est abrogé et remplacé par ce qui suit:

 

  55.1  Dans une action en contrefaçon d’un brevet accordé pour un procédé relatif à un nouveau produit, tout produit qui est identique au nouveau produit est, en l’absence de preuve contraire, réputé avoir été produit par le procédé breveté.

193. Section 55.1 of the said Act is repealed and the following substituted therefor:

 

  55.1  In an action for infringement of a patent granted for a process for obtaining a new product, any product that is the same as the new product shall, in the absence of proof to the contrary, be considered to have been produced by the patented process.

 

 

[111]       S’agissant de ces deux traités, l’ADPIC et l’ALENA, je répète ce que le juge Strayer écrit dans l’arrêt Baker Petrolite Corp c Canwell Enviro‑Industries Ltd, 2002 CAF 158, au paragraphe 25, lorsqu’il explique que les lois de mise en œuvre ne confèrent pas en elles‑mêmes à ces traités la force d’une loi fédérale, sauf dans la mesure où ils peuvent servir à interpréter la législation interne. Un traité ne saurait remplacer les termes clairs employés dans une loi. Voici ce que le juge écrit :

 

25        Je ne suis pas d’accord avec cet argument, pour deux raisons. D’abord, le paragraphe 1709(8) est une disposition de l’ALÉNA, qui a été approuvé par la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange nord‑américain, L.C. 1993, ch. 44, art. 10. Toutefois, cette approbation ne donne pas force de loi aux dispositions mêmes de l’ALÉNA. Je reconnais qu’il est possible, dans les cas pertinents, d’examiner un traité international pour interpréter un texte législatif national. Voir, par exemple, Baker c. Canada (Ministre la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 69 et 70. Toutefois, le traité international ne saurait remplacer les termes clairs employés dans une loi qu’a édictée le Parlement. L’article 78.4 est une disposition claire et évidente. À mon avis, Petrolite invoque le paragraphe 1709(8) de l’ALÉNA pour donner à l’article 78.4 un sens restreint qui ne peut être appuyé par le libellé de celui‑ci.

 

[112]       En tout état de cause, la clause de « suprématie » prévue au paragraphe 55.2(5) de la Loi sur les brevets résout tout doute qui pourrait subsister : c’est le libellé de la Loi sur les brevets et du Règlement qui prévalent :

55.2 (5) Une disposition réglementaire prise sous le régime du présent article prévaut sur toute disposition législative ou réglementaire fédérale divergente.

 

 

55.2 (5) In the event of any inconsistency or conflict between

 

(a) this section or any regulations made under this section, and

 

(b) any Act of Parliament or any regulations made thereunder,

 

this section or the regulations made under this section shall prevail to the extent of the inconsistency or conflict.

 

 

 

[113]       AstraZeneca soutient que, même si les dispositions pertinentes de l’ADPIC et l’ALENA n’étaient pas directement mises en œuvre dans la législation ou la réglementation canadienne, elles devraient nous « éclairer » au sujet de l’interprétation de la Loi sur les brevets et du Règlement. À l’appui de cet argument, AstraZeneca cite l’arrêt National Corn Growers Assn c Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 RCS 1324, dans lequel le juge Gonthier écrit, au nom de la majorité, à la page 1371 :

 

Je tiens à souligner en premier lieu que je partage le point de vue des appelantes selon lequel il est raisonnable, dans des circonstances où la loi nationale manque de clarté, d’examiner toute convention internationale sous‑jacente. Dans l’interprétation d’une loi adoptée en vue d’assurer l’exécution d’obligations internationales, comme c’est le cas en l’espèce, il est raisonnable pour un tribunal d’examiner la loi nationale dans le contexte de la convention pertinente afin d’obtenir les éclaircissements voulus. En fait, lorsque le texte de la loi nationale s’y prête, on devrait en outre s’efforcer d’adopter une interprétation qui soit compatible avec les obligations internationales en question.

 

 

[114]       Dans l’affaire Corn Growers, précitée, la loi en cause visait expressément à mettre en œuvre certaines obligations contractées par le Canada aux termes d’un traité concernant le subventionnement des importations de céréales. La Cour suprême n’a pas fait de déclaration de portée aussi générale et elle n’est pas allée jusqu’à dire que, chaque fois qu’il existe un traité, il peut « éclairer » l’interprétation de toute loi interne, et ce, même s’il n’a pas été mis en œuvre dans la législation interne.

 

[115]       En tout état de cause, même si l’on devait adopter le point de vue suivant lequel l’ADPIC et l’ALENA devaient « éclairer » l’interprétation de l’article 55.2 de la Loi sur les brevets et de l’article 8 du Règlement, AstraZeneca est loin d’être claire dans ses arguments au sujet de ce qui pourrait en ressortir. Tout au plus, ainsi qu’il en a été question lors de la plaidoirie avec les avocats d’AstraZeneca, il semble que l’obligation de payer prévue au paragraphe 8(1) ne s’applique qu’en cas d’« abus ». Il n’y a aucune jurisprudence qui nous aide à déterminer ce que l’ADPIC et l’ALENA considèrent comme un « abus ». AstraZeneca soutient que seul un abus de procédure déclencherait l’obligation de payer et que le simple fait d’introduire une demande d’interdiction en vertu de l’article 6 du Règlement et d’y donner suite ne constitue pas un « abus ».

 

[116]       Je rejette cet argument. Même s’il était applicable, l’arrêt Corn Growers précise que l’on ne doit se reporter au traité que si la loi est ambiguë. En l’espèce, le paragraphe 8(1) n’est pas ambigu. On n’y trouve pas le mot « abus » ou tout autre élément qui permettrait de déterminer quelles sont les activités qui peuvent être considérées comme un « abus ». AstraZeneca souhaite interpoler dans le texte un mot qui ne s’y trouve pas et qui changerait fondamentalement le sens de cette disposition. Cet argument est mal fondé.

 

[117]       La Cour d’appel fédérale s’est récemment penchée sur un argument semblable dans l’arrêt Fraser c Janes Family Foods Inc, 2012 CAF 99. Il s’agissait dans cette affaire de déterminer si l’obligation de fournir un cautionnement pour les dépens imposée par l’article 416 des Règles des Cours fédérales était incompatible avec certaines dispositions de l’ALENA et de l’ADPIC. La Cour a jugé que l’ALENA ne pouvait « écarter » les dispositions claires des Règles. Le juge Noël écrit ce qui suit, au nom de la Cour, aux paragraphes 19 et 22 :

 

19        À mon avis, « interpréter » l’alinéa 416(1)a) des Règles comme s’il ne s’appliquait pas dans les présentes circonstances reviendrait à en « écarter » l’application. Le juge Cromwell affirme simplement dans Merck que, lorsqu’une disposition législative peut être interprétée de deux façons différentes, dont l’une est compatible avec les obligations du Canada découlant de traités et l’autre ne l’est pas, il convient de préférer la première. Cette observation ne remet pas en question la conclusion qui a été tirée dans Baker Petrolite selon laquelle l’ALÉNA ne peut « l’emporter » sur une disposition législative claire.

 

[...]

 

22        Là encore, comme l’indiquent les arrêts Baker Petrolite et Pfizer, le fait qu’un traité ait été approuvé par une loi fédérale n’attribue pas force de loi à ses dispositions. La seule façon dont le paragraphe 1.1(2) des Règles pourrait assister les appelants serait de démontrer que l’alinéa 416(1)a) des Règles est incompatible avec les lois de mise en œuvre de ces accords.

 

 

[118]                   Le seul effet que l’ADPIC et l’ALENA ont en ce qui concerne le Règlement est que les dispositions relatives au régime de licence obligatoire applicable aux produits pharmaceutiques ont été abrogées et que le Règlement actuel a été pris. Le juge Binnie écrit ce qui suit, au paragraphe 10, de l’arrêt Biolyse, précité :

 

10        En 1993, le Parlement a fait volte‑face et a abrogé les dispositions de la Loi sur les brevets relatives aux licences obligatoires en adoptant ce que l’on a appelé le projet de loi C‑91 (L.C. 1993, ch. 2), et en annulant toutes les licences obligatoires octroyées le 20 décembre 1991 ou par la suite. Ces modifications découlaient notamment des obligations internationales assumées par le Canada dans le cadre d’un accord international, l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, 1869 R.T.N.U. 332 (« ADPIC »). Il est possible qu’à plus court terme, on ait pensé que le régime canadien de licences obligatoires serait jugé incompatible avec les obligations incombant au Canada en vertu de l’Accord de libre‑échange nord‑américain, R.T. Can. 1994 no 2, signé à la fin de 1992, en particulier avec son par. 1709(10).

 

 

[119]                   Je conclus donc que ni l’ADPIC ni l’ALENA n’aident AstraZeneca dans le cas qui nous occupe.

 

QUESTION No 2

 

1.                  Apotex a‑t‑elle satisfait aux conditions d’application de l’article 8 du Règlement en démontrant notamment qu’elle est une « seconde personne » au sens de l’article 8 du Règlement ou a‑t‑elle fait défaut de satisfaire aux conditions applicables, si tant est que AstraZeneca a expressément invoqué ce défaut dans ses actes de procédure (ailleurs qu’aux paragraphes 58 et 59 de la défense d’AstraZeneca)?

 

 

[120]       Les parties ont été invitées à exposer leur point de vue brièvement sur cette question ainsi que sur les autres questions en suspens. Apotex affirme qu’elle a rempli les conditions qui doivent être satisfaites pour que l’article 8 du Règlement s’applique. AstraZeneca soutient qu’Apotex n’était pas une « seconde personne » au sens de l’article 8, étant donné qu’elle n’avait pas effectué de travaux préalables relativement à l’invention brevetée et qu’elle n’avait pas soumis de présentation admissible.

 

[121]       Dans sa rédaction en vigueur en 1999, le Règlement définit, à son article 2 (l’article des définitions), la « seconde personne » comme étant la personne visée aux paragraphes 5(1) ou (1.1), selon le cas. Dans leur rédaction en vigueur à l’époque, les paragraphes 5(1) et (1.1) étaient ainsi libellés :

5. (1)    Lorsqu’une personne dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l’égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :  [SOR/98‑166, s. 4(1); SOR/99‑379, s. 2(1).]

 

[...]

 

 5. (1.1)   Sous réserve du paragraphe (1.2), lorsque le paragraphe (1) ne s’applique pas, la personne qui dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue contenant un médicament que l’on trouve dans une autre drogue qui a été commercialisée au Canada par suite de la délivrance d’un avis de conformité à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été soumise doit inclure dans la demande, à l’égard de chaque brevet inscrit au registre visant cette autre drogue contenant ce médicament, lorsque celle‑ci présente la même voie d’administration et une forme posologique et une concentration comparables :

 

 

[122]       Le paragraphe 5(1.1) a été ajouté au Règlement en 1999. Voici les explications que l’on trouve au sujet de cet ajout dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) :

 

On a récemment constaté qu’un deuxième fabricant, ou un fabricant subséquent, pouvait chercher à obtenir un avis de conformité sans déclencher l’application du règlement, même si une liste de brevets a été déposée auprès du ministre de la Santé pour le médicament de l’innovateur.

 

Les présentes modifications visent à éclaircir la loi et à réitérer l’application du règlement. Ainsi, le paragraphe 5(1) actuel est maintenu et éclairci et un nouveau paragraphe 5(1.1) est introduit. Le nouveau paragraphe 5(1.1) est basé sur le texte réglementaire proposé, publié dans la Gazette du Canada Partie I le 31 juillet 1999. Comme dans le cas du texte de la publication préalable, le paragraphe 5(1.1) s’appliquera au cas où un deuxième fabricant, ou un fabricant subséquent, peut chercher à obtenir un avis de conformité sans déclencher l’application du règlement en vertu du paragraphe 5(1).

 

Le paragraphe 5(1) s’appliquera, comme c’est le cas actuellement, lorsque le deuxième fabricant, ou le fabricant subséquent, compare son produit, ou fait renvoi, à un autre médicament qui a été commercialisé au Canada et pour lequel une liste de brevets a été présentée au ministre de la Santé. On a éliminé le verbe «  souhaiter » pour rester fidèle à l’analyse factuelle effectuée en vertu du règlement. On a ajouté aux mots « comparer et faire renvoi » l’expression suivante : « pour en démontrer la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité ». Cet ajout éclaircit l’intention selon laquelle le paragraphe 5(1) s’applique à un deuxième fabricant, ou à un fabricant subséquent, qui se base sur une comparaison ou un renvoi à un médicament, antérieurement approuvé, d’un innovateur pour obtenir un avis de conformité pour sa version du médicament de l’innovateur, médicament qui s’est révélé sécuritaire et efficace après des essais cliniques approfondis.

 

Le paragraphe 5(1.1) s’appliquera dans le cas où un deuxième fabricant, ou un fabricant subséquent, ne fait pas ainsi une comparaison ou un renvoi explicites, mais cherche en fait à obtenir un avis de conformité pour une autre version d’un médicament qui a antérieurement été commercialisé au Canada par une première personne ayant déposé une liste de brevets auprès du ministre de la Santé. Plus particulièrement, le paragraphe 5(1.1) s’appliquera dans le cas où le médicament du deuxième fabricant, ou du fabricant subséquent, contient le même médicament, emploie la même voie d’administration et se présente en concentration et forme posologique comparables à celles du médicament figurant sur le registre des brevets. Dans ce contexte, le mot « comparable » doit être interprété comme dans le contexte du processus d’approbation des médicaments. Dans l’expression « une drogue contenant un médicament que l’on trouve dans une autre drogue », le mot « médicament » s’applique à la fois à la substance qui fait l’objet de l’avis de conformité émis pour le médicament de l’innovateur et à la substance qui fait l’objet d’une demande d’avis de conformité de la part d’un deuxième fabricant, ou d’un fabricant subséquent.

 

 

[123]       Le paragraphe 5(1.1) du Règlement a fait l’objet d’une décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Biolyse, précitée. Dans cette affaire, Bristol‑Myers avait élaboré et fait breveter un médicament anti‑cancer fabriqué à partir d’une espèce d’écorce de l’if. Elle avait inscrit le brevet sur la liste tenue par le ministre conformément au Règlement. Biolyse avait mis au point un médicament anti‑cancer tiré d’une espèce différente d’if. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont jugé que la demande de Biolyse, dans laquelle Biolyse ne comparait pas son produit à celui de Bristol‑Myers en vue d’établir la bioéquivalence, tombait néanmoins sous le coup des dispositions du paragraphe 5(1.1) du Règlement. La Cour suprême a fait droit à l’appel, statuant que le paragraphe 5(1.1) ne s’appliquait pas aux « drogues innovantes », mais uniquement aux copies génériques de médicaments brevetés. Le juge Binnie écrit ce qui suit aux paragraphes 29 et 69, au nom de la majorité :

 

29        Biolyse a aussi conclu que le paclitaxel était non seulement utile pour le traitement du cancer ovarien réfractaire (l’utilisation indiquée par l’intimée BMS dans sa PDN initiale au ministère de la Santé), mais qu’il pouvait aussi servir dans le traitement du cancer du poumon non à petites cellules et de certaines formes de cancer du sein. Les fonctionnaires du ministère de la Santé s’inquiétaient de l’origine biologique différente du paclitaxelet de la revendication de Biolyse relative à des utilisations nouvelles et différentes du médicament. Le ministère de la Santé a alors exigé qu’il soit procédé à des essais cliniques indépendants. Bref, les fonctionnaires du PPT ont estimé que le produit de Biolyse était une substance qui « n’avait pas été vendue comme drogue au Canada pendant assez longtemps et en quantité suffisante pour établir, au Canada, [son] innocuité et [son] efficacité » et qu’il s’agissait donc d’une « drogue nouvelle » au sens de l’art. C.08.001 du Règlement sur les aliments et drogues.

 

[...]

 

69        J’estime que le par. 5(1.1) ne s’applique pas aux drogues nouvelles. Il devrait se limiter aux demandes relatives aux copies génériques de drogues brevetées dans les cas envisagés par l’autorité de réglementation, c.‑à‑d. ceux où le fabricant demande un ADC à l’égard d’une drogue qui contient un médicament qu’il prétend être une copie d’un autre produit générique, mais qui, en fait, est une copie du produit de la société innovatrice qui a soumis la liste de brevets. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Si le demandeur se fonde sur la bioéquivalence, il sera visé par le par. 5(1). Au vu des faits de l’espèce, ni le par. 5(1) ni le par. 5(1.1) ne s’appliquent. Par conséquent, je conclus que le ministre avait le droit de délivrer à l’appelante Biolyse un ADC qui reposait sur sa PDN sans l’assujettir au gel légal.

 

 

[124]       La Cour suprême a commenté cette décision dans l’arrêt subséquent Apotex Inc c AstraZeneca Canada Inc, précité, qui mettait en présence les mêmes parties que dans la présente action et qui portait sur une version générique d’oméoprazole d’Apotex de la gélule LOSEC, mais qui concernait deux brevets différents. La décision unanime de la Cour a été prononcée par le juge Binnie, qui écrit, au paragraphe 19 :

 

19        Selon le Règlement sur les aliments et drogues et les politiques ministérielles, les fabricants de drogues doivent soumettre différents types de présentations de drogue nouvelle (« PDN ») à des fins différentes. Les deux principales formes de présentation sont la PDN, déposée par un fabricant de produits d’origine à l’égard d’un nouveau produit pharmaceutique, et la PADN, déposée par un fabricant de produits génériques qui allègue que son produit est l’équivalent pharmaceutique d’un « produit de référence canadien » déjà approuvé (al. C.08.002.1(1)a)). Un SPDN peut être soumis pour des raisons fondamentales ou des raisons de nature purement administrative. Contrairement à la situation dans Biolyse, l’intention de la requérante Apotex a toujours été de produire une version générique (c.‑à‑d. une copie) du produit qu’AstraZeneca a commercialisé sous le nom de Losec 20 en 1989. En l’espèce, Apotex n’a aucune prétention d’originalité.

 

 

[125]       En 2006, le Règlement a été modifié par abrogation du paragraphe 5(1.1) et suppression, au paragraphe 5(1), de l’obligation de comparer les produits en vue d’en établir la « bioéquivalence ». Voici ce que le REIR qui accompagnait les modifications explique au sujet de ces modifications :

 

            Les modifications proposées entraîneraient également l’abrogation du paragraphe 5(1.1). Cette disposition a été instaurée en 1999, lorsqu’il a été constaté qu’un fabricant de produits génériques pouvait contourner le Règlement de liaison en faisant une comparaison indirecte avec une drogue pour laquelle des brevets étaient inscrits au registre. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a statué dans une décision subséquente que le mécanisme de déclenchement déjà prévu au paragraphe 5(1) était suffisamment large pour couvrir les stratégies d’évitement fondées sur une comparaison indirecte. L’abrogation du paragraphe 5(1.1) concorde également avec l’arrêt récemment rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Biolyse, qui a confirmé que le Règlement de liaison ne s’applique pas au deuxième fabricant ou aux fabricants subséquents lorsque le ministre exige que le fabricant réalise des études cliniques indépendantes en vue de démontrer l’innocuité et l’efficacité de son produit.

 

            Malgré l’abrogation du paragraphe 5(1.1), l’article 5 modifié contiendra toujours deux dispositions de déclenchement afin de mieux refléter la structure de l’article 4 modifié. Le paragraphe 5(1) s’appliquera donc aux fabricants de produits génériques qui présentent pour la première fois une demande d’avis de conformité pour une version générique d’une drogue innovatrice. Le paragraphe 5(2) s’appliquera toutes les fois que le fabricant présente un supplément à cette demande en vue de modifier la formulation, la forme posologique ou l’utilisation de l’ingrédient médicinal. Une telle distinction entre ces deux genres de demandes d’avis de conformité devrait aussi permettre d’accélérer le processus d’examen des drogues, car le ministre ne sera plus tenu de vérifier la conformité de chaque supplément au Règlement de liaison.

 

 

[126]       Dans la présente action, AstraZeneca soutient qu’Apotex n’était pas une « seconde personne » parce que le document qu’elle a d’abord soumis à Santé Canada était une PDN qu’elle a par la suite remplacée par une PADN pour ensuite revenir à une PDN. AstraZeneca souligne que, lorsqu’Apotex a obtenu son premier avis de conformité en 2004, la bioéquivalence était expressément omise et n’avait été ajoutée qu’après que l’avis de conformité révisé eut été délivré en 2006. AstraZeneca affirme en fait qu’Apotex n’a pas agi de manière à déclencher l’application des dispositions de la Loi sur les brevets relatives aux « travaux préalables ». Apotex affirme qu’AstraZeneca n’a pas soulevé cette question dans ses actes de procédure. Je suis du même avis et, pour cette seule raison, cet argument devrait être rejeté. Je vais néanmoins l’examiner.

 

[127]       Malgré le fait que la question n’a pas été soulevée régulièrement dans les actes de procédure, Apotex réfute cet argument essentiellement de trois manières. Premièrement, invoquant le principe de l’autorité de la chose jugée, Apotex affirme qu’elle est, vis‑à‑vis d’AstraZeneca, une seconde personne. Deuxièmement, elle affirme qu’AstraZeneca ne peut à la fois refuser et accepter; autrement dit, elle ne peut se prévaloir d’une injonction de vingt‑quatre mois en invoquant le fait qu’Apotex était une seconde personne pour ensuite affirmer qu’elle n’a jamais été une seconde personne. Troisièmement, Apotex affirme qu’il importe peu de savoir si elle a tenté de comparer son produit au LOSEC aux fins de la bioéquivalence, étant donné qu’elle tombait sous le coup du paragraphe 5(1) du Règlement ou du paragraphe 5(1.1) du Règlement.

 

[128]       Premièrement, en ce qui concerne le principe de l’autorité de la chose jugée, Apotex soutient que, dans le dossier T‑812‑02 opposant Apotex, le ministre de la Santé et AstraZeneca Canada, notre Cour a statué, en ce qui concerne la demande présentée par Apotex en vue de commercialiser une version générique des gélules LOSEC de 20 mg, qu’Apotex était une seconde personne qui devait traiter du brevet 762 conformément au Règlement. Dans sa décision datée du 30 avril 2004, ayant pour référence 2004 CF 650 (appel rejeté le 31 janvier 2005 par la Cour d’appel fédérale dans le dossier A‑291‑04, sans motifs), le juge O’Keefe explique ce qui suit, aux paragraphes 50 et 51 de ces motifs, au sujet des arguments invoqués par AstraZeneca :

 

50        Selon AstraZeneca, il existe des failles dans les arguments d’Apotex portant que celle‑ci a seulement comparé l’Apo‑Oméprazole à la version du Losec en 1996 et que le Losec n’était pas commercialisé au Canada à l’époque pertinente. Elle fait observer que l’affirmation d’Apotex selon laquelle elle a comparé le produit qu’elle propose à une « nouvelle drogue » différente ne repose sur aucun fondement. Apotex aurait comparé ses gélules d’Apo‑Oméprazole aux gélules d’oméprazole d’AstraZeneca, déclenchant ainsi l’obligation de produire une allégation. Qui plus est, si la Cour conclut qu’AstraZeneca doit avoir commercialisé son produit conformément à la présentation déposée en 1999 pour qu’Apotex soit tenue de produire une allégation, AstraZeneca affirme que c’est justement ce qu’elle a fait dès mai 2002. AstraZeneca fait valoir au vu des faits de l’espèce que le Règlement sur les AC s’applique clairement et qu’Apotex doit traiter du brevet 762.

 

[51]     Enfin, AstraZeneca prétend que même à supposer que le paragraphe 5(1) du Règlement sur les AC n’entre pas en jeu, le paragraphe 5(1.1) prescrit clairement qu’Apotex doit produire une allégation de non‑contrefaçon puisqu’elle a déposé une présentation de drogue nouvelle contenant un médicament trouvé dans une autre drogue commercialisée au Canada conformément à un AC.

 

 

[129]       Apotex soutenait dans cette affaire que le paragraphe 5(1) ne s’appliquait pas à elle, étant donné que les gélules LOSEC n’étaient pas encore commercialisées à l’époque en cause. Le juge O’Keefe a rejeté cet argument et a estimé qu’Apotex était obligée de traiter du brevet 762 dans son avis d’allégation. En d’autres termes, Apotex était une « seconde personne ». Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 66 à 70 :

66        Apotex a soutenu que la commercialisation de la drogue doit avoir lieu après la délivrance de l’AC associé à la liste de brevets pour qu’entre en jeu le paragraphe 5(1) du Règlement sur les AC. Apotex a fait valoir que si le brevet 762 était inscrit à juste titre, ce n’était qu’en rapport avec le supplément à la présentation de drogue nouvelle no 059881. L’AC pour cette présentation a été délivré le 4 juin 1999. AstraZeneca a cessé la vente de ses gélules de Losec en doses de 20 mg en 1996 et n’a recommencé à les vendre que le 14 mai 2002. Apotex prétend que le paragraphe 5(1) du Règlement sur les AC ne s’appliquait pas à elle parce que les gélules n’étaient pas commercialisées au Canada conformément à l’AC délivré le 4 juin 1999 à l’égard duquel une liste de brevets a été déposée.

 

67        De l’avis du ministre, le paragraphe 5(1) du Règlement sur les AC n’exige pas que la commercialisation au Canada ait lieu à un moment précis, pourvu qu’elle le soit conformément à un AC, ni qu’elle ait lieu conformément à un AC en rapport avec lequel la liste de brevets a été déposée.

 

68        Au vu des faits de l’espèce, je n’ai pas à décider laquelle de ces interprétations relatives au paragraphe 5(1) du Règlement sur les AC est correcte puisque j’estime que l’une ou l’autre donnera lieu à l’application du paragraphe 5(1), obligeant ainsi Apotex à se prononcer sur le brevet 762.

 

69        AstraZeneca a déposé une liste de brevets le 31 août 2000 énumérant le brevet 762 et renvoyant aux suppléments à la présentation de drogue nouvelle 14671, 17495 et 059881 pour lesquels des AC ont été délivrés le 30 juin 1993, le 15 juillet 1994 et le 4 juin 1999.

 

70        Le brevet 762 a été ajouté au registre des brevets le 1er septembre 2000. Comme elle n’a pas cessé de commercialiser le Losec au Canada avant 1996, AstraZeneca commercialisait donc le Losec au Canada conformément aux AC liés à la liste de brevets, nommément ceux délivrés le 30 juin 1993 et le 15 juillet 1994. Le paragraphe 5(1) s’appliquait, obligeant ainsi Apotex à traiter du brevet 762 dans un avis d’allégation.

[130]       L’arrêt classique sur la question de l’autorité de la chose jugée est celui qu’a rendu la Cour suprême du Canada dans l’affaire Angle c Ministre du Revenu national, [1975] 2 RCS 248, à la page 254, dans lequel le juge Dickson écrit, après avoir cité l’arrêt Carl Zeiss :

Lord Guest, dans l’arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2)[4], à la p. 935, définit les conditions de l’« issue estoppel » comme exigeant :

 

[traduction] … (1) que la même question ait été décidée; (2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de non‑recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la fin de non‑recevoir est soulevée, ou leurs ayants droit…

 

 

[131]       Je me réfère également à l’arrêt de la Cour suprême Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, [2001] 2 RCS 460, dans lequel, le juge Binnie écrit, au paragraphe 18 :

 

18        Le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances. Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire. Autrement dit, un plaideur n’a droit qu’à une seule tentative. L’appelante a décidé de se prévaloir du recours prévu par la LNE. Elle a perdu. Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évités.

 

 

[132]       Dans la présente action, et dans le dossier T‑812‑02, les parties (Apotex et AstraZeneca) sont les mêmes, la question en litige est la même (Apotex était‑elle tenue de traiter du brevet 762 sous le régime du Règlement en tant que « seconde personne »?) et la décision est définitive.

 

[133]       AstraZeneca soutient que l’autorité de la chose jugée n’a pas été soulevée dans les actes de procédure par Apotex relativement à l’affaire T‑812‑02, mais uniquement en ce qui a trait à une autre instance, celle se rapportant au dossier T‑2311‑01. Bien qu’il soit techniquement exact, cet argument est trompeur et malhonnête. L’instance T‑2311‑01 était effectivement celle de laquelle découlait l’instance T‑812‑02. Saisi de l’affaire T‑2311‑01, le juge O’Keefe a décidé que l’inscription du brevet 762 au registre devait être jugée dans une seconde instance. Le dossier T‑812‑02 a donc été « retranché » du dossier T‑2311‑01 et a été instruit séparément. Je reprends ici ce que le juge O’Keefe a écrit, aux paragraphes 32 et 78 de sa décision dans le dossier T‑2311‑01 (2004 CF 313) :

 

32.              Apotex prétend que le brevet 762 ne remplit pas les conditions pour être inscrit au registre des brevets ou, subsidiairement, qu’il ne s’applique pas à l’Apo‑oméprazole.

 

[…]

 

78        La question de l’inscription du brevet sur la liste sera examinée séparément.

 

 

[134]       Je crains que les avocats d’AstraZeneca n’aient pas été francs et ouverts lorsqu’ils ont invoqué cet argument devant notre Cour.

 

[135]       J’estime, conformément aux principes de l’autorité de la chose jugée, qu’AstraZeneca ne peut soulever dans la présente action l’argument suivant lequel Apotex n’était pas une « seconde personne » au sens du Règlement lorsqu’il s’agit de traiter du brevet 762.

 

[136]       Même si le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’appliquait pas, j’estime que, lorsqu’on examine la question de savoir si les paragraphes 5(1) ou 5(1.1) du Règlement s’appliquaient à l’époque, il importe peu de savoir si Apotex a déposé ou non une PDN ou une PADN, ou si elle a traité la question d’équivalence en ce qui concerne le LOSEC ou a eu gain de cause à cet égard. Que le document déposé par Apotex ait été fondé ou non sur la bioéquivalence, il tombe sous le coup du paragraphe 5(1) ou du paragraphe 5(1.1). En conséquence, Apotex avait l’obligation de traiter du brevet 762 en tant que « seconde personne » au sens du Règlement.

 

[137]       Une autre raison qui justifie de rejeter l’argument invoqué par AstraZeneca au sujet de la « seconde personne » est la doctrine de l’obligation d’opter. Ainsi que lord Wilberforce décrit dans l’arrêt Johnson c Agnew, [1980] AC 367 (CL), à la page 398, en dernière analyse, la doctrine repose sur de simples considérations de bon sens et d’équité.

 

[138]       AstraZeneca a introduit une instance contre Apotex en vertu du Règlement, ce qui a eu immédiatement pour effet d’empêcher Apotex d’obtenir un avis de conformité lui permettant de commercialiser sa version générique des gélules d’oméprazole pendant vingt‑quatre mois. Cette réparation n’était ouverte que si AstraZeneca considérait Apotex comme une seconde personne. Certes, AstraZeneca n’a jamais soulevé dans cette instance la question de savoir si Apotex était une seconde personne et elle n’a donc pas à se soucier du Règlement. D’ailleurs, dans une autre instance qui a déjà été rejetée, dans le dossier T‑2311‑01, la Cour a jugé qu’Apotex devait agir en vertu du Règlement en tant que seconde personne. AstraZeneca cherche en effet à accepter et à refuser en même temps, c’est‑à‑dire à avoir le beurre et l’argent du beurre. Cette façon d’agir va tout simplement à l’encontre du bon sens et de l’équité.

 

[139]       J’estime, en ce qui concerne la question no 2, qu’Apotex est une « seconde personne » au sens du Règlement dans le cas qui nous occupe.

 

QUESTION No 5

La présumée contrefaçon du brevet 693 est‑elle pertinente en droit et peut‑elle notamment être invoquée en défense en réponse à la demande présentée par Apotex en vertu de l’article 8 (notamment en réduisant le montant des dommages‑intérêts)? (dans l’affirmative, voir le paragraphe 4 de l’ordonnance du 4 octobre 2011)

 

 

[140]       La thèse d’AstraZeneca est que la présumée contrefaçon constitue un moyen de défense valable en droit à une demande fondée sur le paragraphe 8(1) (ainsi qu’à une demande fondée sur le paragraphe 8(5)), étant donné que le sursis légal n’aurait pas entraîné de dommages relativement aux ventes faites en contrefaçon parce qu’Apotex aurait été responsable envers AstraZeneca pour les dommages causés par les ventes en question. Aucune « perte » n’aurait donc été « subie ».

 

[141]       La thèse d’Apotex est que la présumée contrefaçon du brevet 693 ne constitue pas un moyen de défense bien fondé en droit en réponse à une prétention d’Apotex et ce, à quelque titre que ce soit. La nouvelle allégation formulée par AstraZeneca au procès suivant laquelle le moyen de défense de la contrefaçon est pertinent en vertu du paragraphe 8(5) n’a jamais été formulée dans les actes de procédure et est de toute façon dénuée de fondement.

 

[142]       La question de savoir si la contrefaçon d’un brevet par un fabricant de produits génériques pouvait donner ouverture à un moyen de défense valable à une demande d’indemnité présentée par ce fabricant de produits génériques en vertu du paragraphe 8(5) du Règlement a été examinée très récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Apotex Inc c Merck & Co Inc, 2011 CAF 364 (désignée lors de la plaidoirie par les avocats sous le nom d’affaire Lovastatine). Dans cette affaire, le juge de première instance de notre Cour, qui était saisi d’une action de contrefaçon d’un brevet (le brevet canadien 1161380), avait conclu (Merck & Co c Apotex Inc, 2010 CF 1265), – et cette conclusion avait été confirmée par la Cour d’appel (2011 CAF 363) – que certains, mais non la totalité, des produits d’Apotex contrefaisaient le brevet en question. Dans l’affaire Lovastatine, précitée, Apotex demandait à être indemnisée de ses pertes en vertu du paragraphe 8(5) du Règlement. Merck affirmait que la conclusion de contrefaçon rendait cette demande irrecevable. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’y avait pas d’irrecevabilité, mais qu’il pouvait exister des raisons justifiant de diminuer le montant de l’indemnité par application du principe ex turpi causa. Le juge Evans écrit ce qui suit, au nom de la Cour, aux paragraphes 36 à 38 :

 

36        Je n’accepte pas l’argument de Merck suivant lequel la Cour devrait intégrer dans cette disposition l’idée qu’elle ne s’applique pas [traduction] « si la demande présentée par la seconde personne est fondée sur la perte qu’elle a subie du fait qu’elle a été empêchée de contrefaire plus tôt le brevet de la première personne ». La présomption contre l’addition de termes dans un texte législatif peut être réfutée lorsque le contexte et l’objectif de la Loi le commandent. À mon avis, il n’est pas toutefois pas nécessaire d’intégrer une exception ex turpi causa dans le paragraphe 8(1) pour empêcher les contrefacteurs de brevet de se faire indemniser injustement par la première personne.

 

37        Il en est ainsi parce que le paragraphe 8(5) confère un large pouvoir discrétionnaire au tribunal lorsqu’il s’agit d’évaluer le montant de l’indemnité que la seconde personne doit verser. Le paragraphe 8(5) prévoit que, pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal « tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin », y compris, le cas échéant, de la conduite de l’une ou l’autre personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande d’interdiction présentée par la première personne. À mon avis, cette disposition habilite la Cour à déterminer, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, si l’indemnité demandée par la seconde personne devrait être réduite ou éliminée, et dans quelle mesure elle devrait l’être.

 

38        Le vaste pouvoir discrétionnaire dont elle dispose en vertu du paragraphe 8(5) permet à la Cour, lorsqu’elle examine des arguments fondés sur l’exception ex turpi causa, de considérer la situation factuelle en son entier, dans toutes ses nuances. En l’espèce, une des nuances dont on peut tenir compte est le fait que ce ne sont pas tous les comprimés vendus par Apotex qui ont été, dans le cadre de l’action en contrefaçon, considérés comme contenant de la lovastatine fabriquée au moyen du procédé argué de contrefaçon. Le tribunal sera sans doute mieux en mesure d’appliquer le principe ex turpi causa dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire plutôt qu’en appliquant des règles délimitant la responsabilité. En vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré, le tribunal est en mesure de déterminer le montant approprié de l’indemnité à accorder (lequel peut être égal à zéro) d’une manière qui tient dûment compte de tous les faits pertinents.

 

 

[143]       La question du principe ex turpi causa a été soumise à la Haute Cour de justice du Royaume‑Uni et plus précisément au Tribunal des brevets de la Division de la chancellerie dans l’affaire Les Laboratoires Servier c Apotex Inc, [2011] EWHC 730 (Pat), décision rendue par le juge Arnold. Dans cette affaire, Apotex était sous le coup d’une interdiction de vendre du perindopril au Royaume‑Uni aux termes d’une injonction interlocutoire prononcée au procès. Servier, qui avait obtenu l’injonction, avait donné un engagement au sujet des dommages‑intérêts. Apotex avait obtenu gain de cause au procès et réclamait des dommages‑intérêts conformément à l’engagement en question. Servier soutenait qu’Apotex n’aurait pu fabriquer et vendre de produits de toute façon étant donné qu’ils auraient été fabriqués au Canada. La Cour fédérale du Canada (la juge Snider) avait jugé que le produit d’Apotex contreferait un brevet valide détenu par Servier au Canada de sorte qu’il serait illicite de la part d’Apotex de fabriquer et d’exporter le produit du Canada (Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2008 CF 825). Le juge Arnold a procédé à une analyse approfondie des règles de droit relatives au principe ex turpi causa et a conclu que l’illégalité avérée devait être suffisamment grave pour qu’il y ait application du principe et que cette illégalité devait être une activité personnelle au demandeur et non une activité attribuable à autrui. Voici ce que le juge écrit aux paragraphes 92 à 95 :

 

[traduction] 

92.       La principale conclusion que je tire de cette analyse de la jurisprudence qui m’a été citée est qu’elle confirme le fait que l’application du principe ex turpi causa dépend des circonstances de l’espèce. Parmi les facteurs importants dont on peut tenir compte, mentionnons la question de savoir si le demandeur était au courant des faits à l’époque pertinente, si l’illégalité était intentionnelle ou attribuable à une conduite négligente de la part du demandeur et si le défendeur a incité le demandeur à commettre l’acte illégal. Il ressort de plusieurs de ces décisions qu’il ne suffit peut‑être pas que l’acte ait été criminel s’il s’agissait d’une infraction de responsabilité stricte et que le demandeur n’était pas au courant des faits pertinents. Dans le même ordre d’idées, une simple négligence ne suffira probablement pas lorsque la demande de contribution ou d’indemnisation vise un autre auteur du délit.

 

93.       À mon avis, aucune de ces décisions n’établit que, dans le cas d’actes qui sont délictueux plutôt que criminels, le principe ne s’applique que si les actes reprochés sont entachés de malhonnêteté. Qui plus est, j’estime qu’une telle limitation ne tiendrait pas dûment compte des considérations de principe à la base de ce principe. J’admets qu’il peut exister des situations dans lesquelles le délit n’est pas suffisamment grave pour donner lieu à l’application du principe, mais la réponse à la question de savoir si le délit est suffisamment grave dépend des circonstances de l’espèce. À mon avis, un facteur clé dans la plupart des cas sera probablement la question de savoir si le demandeur était au courant des faits au moment où il a commis l’acte en question. Si le demandeur était au courant des faits essentiels et surtout s’il a commis l’acte en question de façon intentionnelle, le principe s’appliquerait probablement.

 

94.       Dans le cas qui nous occupe, il est important de se rappeler que je dois tenir compte de la compétence en equity en vertu de laquelle la Cour peut contraindre l’auteur d’un engagement réciproque à payer les dommages‑intérêts. J’ai tenu compte des principes généraux qui s’appliquent en la matière dans l’affaire Lilly c 8PM, aux paragraphes [8] à [21]. Comme je l’ai expliqué dans cette décision, l’engagement réciproque a pour objet de faire en sorte que les parties qui font l’objet d’une injonction provisoire reçoivent une indemnité s’il s’avère par la suite que l’injonction a été accordée à tort. Quoi qu’il en soit, il est de jurisprudence constante que le tribunal a toute latitude pour refuser d’ordonner la tenue d’une enquête en vertu d’un engagement réciproque même si l’injonction est annulée. En l’espèce, une enquête a déjà été ordonnée et entreprise, et Servier ne prétend pas qu’une ordonnance prévoyant le versement de l’indemnité due selon le juge Norris devrait être refusée pour des motifs purement discrétionnaires. Néanmoins, le fait que le tribunal dispose du pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner la tenue d’une enquête jette un peu de lumière sur la nature de la compétence en question. Le tribunal cherche à faire ce qui est juste en tenant compte non seulement du fait que l’injonction a été accordée à tort, mais en tenant également compte de considérations plus larges.

 

95.       Compte tenu de l’analyse qui précède, je conclus que le principe que j’ai exposé dans l’arrêt Lilly c 8PM, au paragraphe [287] et qui est repris au paragraphe 47 des présents motifs doit être précisé sous un ou deux rapports. La première précision que je souhaite apporter est que l’illégalité doit être suffisamment grave pour entraîner l’application du principe ex turpi causa. La réponse à la question de savoir si l’illégalité est suffisamment grave dépend des circonstances de l’espèce et notamment de la question de savoir si le demandeur qui a donné un engagement réciproque était au courant des faits à l’époque en cause. La conduite du demandeur doit toutefois être examinée en tenant compte du fait que la demande vise à obtenir une indemnité en vertu d’un engagement réciproque. La seconde précision que l’on pourrait par ailleurs apporter concerne le fait que l’illégalité doit être attribuable au demandeur et non à un tiers. Il n’est toutefois pas nécessaire de trancher cette question dans le cas qui nous occupe.

 

 

[144]       Le juge Arnold a examiné les circonstances particulières de l’affaire dont il était saisi et a conclu que le principe ex turpi causa s’appliquait effectivement à Apotex. Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 96 à 100 :

 

[traduction] 

96.       À mon avis, la demande présentée par Apotex en l’espèce comporte une illégalité suffisamment grave pour donner lieu à l’application du principe ex turpi causa, et ce, pour les raisons qui suivent. Par souci de commodité, je vais formuler ces raisons en fonction des faits dont Apotex était effectivement au courant et de ses agissements au cours de la période en cause bien que, à strictement parler, la question qui se pose est celle de savoir ce qu’Apotex aurait su et aurait fait dans le scénario hypothétique proposé par Apotex à l’appui de sa demande.

 

97.       Premièrement, il ne s’agit pas d’un cas dans lequel Servier a incité Apotex à commettre l’acte illégal (la contrefaçon du brevet canadien). Servier n’a pas non plus induit Apotex en erreur de quelque façon que ce soit.

 

98.       Deuxièmement, Apotex était au courant de tous les faits importants. En particulier, Apotex était parfaitement au courant à la fois (i) de l’existence du brevet canadien et (ii) de la nature des actes illicites. D’ailleurs, la juge Snider a conclu qu’Apotex savait que le fait de fabriquer du perindopril erbumine contreferait le brevet canadien si celui‑ci était valide.

 

99.       Troisièmement, il est clair qu’Apotex a commis délibérément les actes illicites reprochés, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’elle avait l’intention de contrefaire le brevet. Apotex m’a soumis des éléments de preuve non contredits suivant lesquels elle avait été informée qu’elle avait de bonnes chances de contester avec succès la demande de contrefaçon du brevet canadien parce qu’elle disposait d’arguments respectables établissant que le brevet canadien était invalide. Il s’ensuit qu’Apotex a décidé de prendre le risque commercial que la fabrication du perindopril erbumine au Canada soit considérée comme une contrefaçon d’un brevet valide.

 

100.     Quatrièmement et surtout, il existe une symétrie parfaite entre la demande d’indemnité formulée par Apotex en vertu des engagements réciproques et l’illégalité sur laquelle Servier se fonde. La demande d’indemnité présentée par Apotex en vertu des engagements réciproques repose sur le fait que Mann J l’a empêchée à tort de contrefaire le brevet européen et que, n’eût été ces injonctions, elle aurait continué à importer au Royaume‑Uni et à lui vendre du perindopril erbumine fabriqué par elle au Canada dans un but lucratif. Il ressort toutefois de la jurisprudence canadienne que la fabrication du perindopril erbumine aurait contrefait le brevet canadien. Pourquoi devrait‑on permettre à Apotex de réclamer une indemnité parce qu’on l’a empêché à tort de contrefaire un brevet au motif que sans les injonctions en question, elle aurait contrefait un autre brevet appartenant au groupe de sociétés? Dans ces circonstances, la raison d’être du principe ex turpi causa que la juge en chef McLachlin a formulée dans l’arrêt Hall c Hebert nous permet de conclure que ce principe devrait s’appliquer en l’espèce.

 

 

[145]       La Cour d’appel d’Angleterre a infirmé cette décision. Les motifs de l’arrêt de la Cour d’appel ont été rédigés par le lord juge Etherton avec l’appui des lords juges Laws et Kitchen (Les Laboratoires Servier c Apotex Inc, [2012] EWCA, Civ 593). Les avocats d’Apotex ont fait une importante concession juste avant l’instruction de l’appel. Apotex a accepté en principe l’argument formulé au paragraphe 26 de la défense modifiée de nouveau de Servier. Ce paragraphe est reproduit au paragraphe 22 des motifs du lord juge Etherton :

 

[traduction] 

26.       À titre plus subsidiaire encore, la fabrication par la première défenderesse, au Canada, de chaque unité de perindopril destinée à la vente au Royaume‑Uni aurait, suivant les lois de la fédération canadienne, donné lieu à une responsabilité sous forme de dommages‑intérêts ou de restitution des profits réalisés par ADIR et Servier Canada Inc. par suite de cette fabrication. Il y a lieu de tenir compte de cette responsabilité et de la considérer comme un coût de fabrication supplémentaire au Canada en diminuant d’autant tout manque à gagner subi par les défendeurs dont il est fait état dans les chefs de demande confidentiels. Le montant précis de cette responsabilité est une question qu’il faut évaluer en fonction du droit canadien dont les détails plus complexes seront fournis à ce sujet en temps utile.

 

[146]       Le lord juge Etherton a formulé les observations suivantes au sujet de cette concession au paragraphe 33 :

 

[traduction]

33.       Apotex a ajouté un argument important à ceux qu’elle avait fait valoir devant le juge pour faire écarter ce que le juge a appelé l’argument d’ordre public de Servier, que je préfère appeler pour ma part le moyen de défense fondé sur l’illégalité, qui reposait sur ce que le juge a appelé le principe ex turpi causa, mais que je préfère appeler le principe d’illégalité. La veille de la date à laquelle l’instruction de l’appel devait commencer, les avocats d’Apotex ont écrit aux avocats de Servier pour accepter en principe l’argument formulé au paragraphe 26 de la défense modifiée de nouveau de Servier, à savoir qu’on devait déduire des dommages‑intérêts accordés par le juge Norris un montant équivalent à ce qu’un tribunal canadien aurait condamné Apotex à payer à Servier au Canada pour la contrefaçon du brevet canadien en raison de la fabrication et de l’exportation de produits destinés à la vente au Royaume‑Uni si des injonctions interlocutoires avaient interdit leurs ventes ici (la concession du paragraphe 26).

 

 

[147]       Cette concession joue un rôle crucial dans la décision de la Cour d’appel d’infirmer le jugement de première instance et d’accorder à Apotex des dommages‑intérêts sur la foi de l’engagement qui avait été pris. La Cour a estimé que, pour accorder les dommages‑intérêts en question, le tribunal chargé d’en évaluer le montant devait arriver à un chiffre qui s’approchait de celui qui serait accordé au Canada et qui ne devait pas aller à l’encontre de l’ordre public anglais. Le lord juge Etherton écrit ce qui suit au paragraphe 88 :

 

[traduction] 

88.       Par conséquent, et en cinquième lieu, la concession que l’on trouve au paragraphe 26 a pour effet de placer Apotex exactement dans la position dans laquelle elle aurait été si aucune injonction interlocutoire n’avait été accordée au Royaume‑Uni et si l’on respectait le principe de la courtoisie internationale envers le Canada. On tiendrait compte de l’illégalité que constitue la contrefaçon du brevet canadien par la présumée fabrication et exportation au Canada de marchandises destinées à l’importation et à la vente légale au Royaume‑Uni en déduisant du montant accordé par le juge Norris un montant équivalent aux profits réalisés par Apotex que Servier pourrait récupérer en droit canadien en raison de cette fabrication et de cette exportation illégales. Cette façon de procéder tiendrait compte de la réparation effectivement accordée au Canada pour la fabrication et l’exportation par Apotex en contrefaçon du brevet canadien au cours de la période antérieure à la délivrance de l’injonction finale de la juge Snider et au cours de la période de trente jours allouée aux termes de l’ordonnance définitive de la juge Snider pour la vente des articles contrefaits. On assurerait ainsi l’uniformité du droit en reconnaissant, au cours de l’examen de l’analyse des dommages‑intérêts, l’illégalité reconnue au Canada de la même façon et dans la même mesure que ce que les tribunaux canadiens auraient effectivement fait relativement à toute fabrication et exportation illégale au Canada au cours de la période pertinente. Autrement dit, si Apotex obtenait une partie de l’indemnité ordonnée par le juge Norris même après déduction d’un montant tenant compte de la concession faite au paragraphe 26, le montant qui resterait ne constituerait pas une indemnité que les tribunaux canadiens eux‑mêmes considéreraient comme pouvant être légitimement récupérable en droit canadien en cas de contrefaçon du brevet canadien. Le résultat ne porterait donc pas atteinte au principe de la courtoisie internationale envers le Canada et ne justifierait pas une intervention fondée sur l’ordre public anglais.

 

 

[148]       Cette solution s’accorde avec celle que l’on peut légitimement proposer en l’espèce. Advenant le cas où le tribunal qui instruira l’action en contrefaçon pendante conclurait que le brevet est valide et a été contrefait par Apotex lorsqu’elle a fabriqué le médicament à base d’oméprazole faisant l’objet de la présente instance, il peut en même temps élaborer une réparation appropriée en tenant compte de l’indemnité accordée dans la présente instance. Il serait impensable que la présente instance cesse ou que notre Cour refuse d’accorder une indemnité pour la simple raison qu’une autre action ou un autre brevet est en instance. Agir ainsi ne ferait qu’encourager l’introduction de telles actions. La meilleure façon de traiter cette question est d’adopter la solution que je viens d’exposer.

 

[149]       Apotex soulève deux autres questions à cet égard. Elle invoque d’abord un argument trop formaliste en soutenant que les allégations formulées par AstraZeneca au sujet de la contrefaçon ne se trouvent pas sous la bonne rubrique. Apotex n’a pas été induite en erreur et moi non plus. Je rejette cet argument. Apotex affirme ensuite qu’AstraZeneca n’a pas invoqué dans ses actes de procédure le principe ex turpi causa. C’est exact. Toutefois, les règles de droit sur cette question ont évolué récemment de sorte qu’on ne peut leur reprocher de ne pas l’avoir invoqué. Toutefois, ainsi que je l’ai conclu, ce principe ne s’applique pas dans les circonstances de l’espèce.

 

[150]       Dans ces conditions, le paragraphe 4 de mon ordonnance du 4 octobre 2011 ne s’applique pas et le prononcé du jugement quant à la responsabilité dans la présente action ne sera pas reporté à plus tard.

 

QUESTION No 6

Apotex était‑elle en mesure de commercialiser l’Apo‑Oméprazole au cours de la période comprise entre le 3 janvier 2002 et le 27 janvier 2004 et quelles sont les conséquences du présumé défaut d’Apotex d’être autorisée à fabriquer le médicament en question dans une usine de fabrication commerciale en vue de sa vente?

 

[151]       La thèse d’AstraZeneca est qu’Apotex n’était pas autorisée à fabriquer ses produits ailleurs qu’à son site de fabrication commerciale de Torpharm au cours de la période de responsabilité invoquée. Apotex n’était autorisée à fabriquer ses produits qu’à Signet, un site où elle ne produisait pas à une échelle commerciale.

 

[152]       La thèse d’Apotex est qu’elle était en mesure de fabriquer son produit pendant toute la période en cause. AstraZeneca n’a jamais invoqué dans ses actes de procédure l’illégalité ou le principe ex turpi causa et de toute façon cet argument est dénué de fondement.

 

[153]       En premier lieu, en ce qui concerne le principe ex tupri causa qu’AstraZeneca aurait pu invoquer ou celui relatif à l’illégalité, je suis d’accord avec Apotex pour dire qu’ils n’ont jamais été invoqués dans les actes de procédure. La situation est différente de celle du principe ex turpi causa dont il a été question au sujet de la question précédente, en ce sens que cet argument ne dépend pas d’une conclusion ou d’une allégation de contrefaçon, mais de la question de savoir si l’approbation de Santé Canada était nécessaire pour qu’Apotex puisse fabriquer ses produits à Torpharm. L’allégation relative à cette question se trouve au paragraphe 63 de la défense :

 

[traduction]

Absence de droit – Impossibilité de commercialiser

 

63.       À titre plus subsidiaire encore, si elle est à première vue responsable, AstraZeneca nie qu’Apotex ait subi des dommages ouvrant droit à une indemnité notamment pour les raisons qui suivent. Au cours de la période comprise entre le 3 janvier 2002 et le 27 janvier 2004, Apotex n’était pas en mesure de commercialiser l’Apo‑Oméprazole au Canada. Apotex doit démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’elle a été empêchée de se lancer sur le marché en raison de la demande d’interdiction présentée dans le dossier T‑2311‑01. En aucun temps au cours de la période invoquée, Apotex n’était en mesure de faire approuver la fabrication de l’Apo‑Oméprazole à un site qui possédait la technologie requise pour fabriquer de l’Apo‑Oméprazole à une échelle commerciale. C’est également un aspect pertinent dont le tribunal devrait tenir compte pour évaluer l’indemnité à verser, le cas échéant, en vertu du paragraphe 8(5).

 

 

[154]       Il n’y a aucune allégation claire ou non équivoque d’illégalité ou d’ex turpi causa. Une allégation aussi grave doit être clairement invoquée dans l’acte de procédure. Les faits étaient bien connus d’AstraZeneca depuis un certain temps. AstraZeneca a obtenu amplement de renseignements au sujet des faits pertinents lors de la communication préalable.

 

[155]       Cet argument se ramène à une proposition fort simple pour laquelle il existe une réponse simple vu les faits établis en l’espèce.

 

[156]       L’argument d’AstraZeneca est qu’en date du 3 janvier 2002, date à laquelle le ministre a attesté que l’avis aurait été délivré à Apotex « n’eût été » l’instance en interdiction, Apotex avait présenté une demande qui ne concernait que l’usine de fabrication de Signet. Je suis d’accord. Par conséquent, suivant AstraZeneca, l’avis de conformité aurait été délivré expressément pour cette usine « n’eût été » la demande d’interdiction. Je suis dans l’ensemble d’accord mais pas complètement, étant donné que si l’avis de conformité en question avait été délivré, Apotex aurait pu fabriquer son produit à l’échelle commerciale – ainsi que je l’ai conclu – à son établissement de Signet. Apotex aurait pu déplacer en tout ou en partie ses activités à son usine de Torpharm et en aviser Santé Canada. Santé Canada n’aurait pas fermé les installations de fabrication, mais aurait continué à collaborer avec Apotex pour trouver des accommodements suffisamment acceptables pour en arriver à l’étape de la « non‑opposition ».

 

[157]       La preuve présentée en l’espèce démontre ce qui suit :

 

  • Après avoir obtenu son avis de conformité en 2004, Apotex a effectivement commencé à fabriquer son produit à Torpharm.

 

  • Apotex a avisé Santé Canada qu’elle fabriquait son produit à Torpharm.

 

  • Santé Canada n’a jamais empêché Apotex de fabriquer son produit à Torpharm et a finalement envoyé à Apotex une lettre de « non‑opposition » qui avait pour effet d’approuver la fabrication du produit à Torpharm.

 

La preuve démontre également ce qui suit :

 

  • Apotex aurait pu commencer à fabriquer son produit en janvier 2002 à son établissement de Signet.

 

  • L’usine de Signet disposait d’une capacité suffisante pour qu’on puisse y fabriquer le produit jusqu’à un certain point à une échelle commerciale.

 

[158]       Dans le cadre du renvoi, la capacité des sites de Signet et de Torpharm sera examinée de plus près. Pour le moment, il semble que chaque usine disposait d’une capacité raisonnable pour fabriquer de l’oméprazole à une échelle commerciale entre 2002 et 2004.

 

[159]       Je conclus que, dans la situation hypothétique où Apotex aurait commencé à y fabriquer son produit en 2002, l’usine de Torpharm n’aurait pas été fermée par Santé Canada. Je conclus, à la lumière de ce qui s’est effectivement passé en 2004 et par la suite et conformément à ce que les deux expertes ont déclaré lors de leur interrogatoire simultané, qu’Apotex continuerait à fabriquer son produit à Torpham tout en collaborant avec Santé Canada en vue de finir par obtenir une lettre de « non‑opposition ». Pendant tout ce temps‑là, Apotex continuerait à fabriquer son produit à Torpharm.

 

[160]       Par conséquent, en ce qui concerne la question no 6, je conclus qu’Apotex était en mesure de fabriquer son produit à une échelle commerciale dès le 3 janvier 2002 que ce soit à Signet ou à Torpharm ou aux deux sites.

 

QUESTION No 7

La date à laquelle la période de responsabilité devrait commencer devrait‑elle être reportée en raison du présumé retard d’Apotex à signifier un avis d’allégation et/ou du présumé défaut d’Apotex d’être autorisée à fabriquer le médicament en question dans une usine de fabrication commerciale en vue de sa vente?

 

[161]       La thèse d’AstraZeneca est que la date de commencement devrait être reportée : (i) en raison du temps qu’Apotex a laissé s’écouler avant de signifier son avis d’allégation le 3 mars 2003; (ii) en raison du fait que Apotex ne bénéficiait pas d’autorisation avant la fin de la période de responsabilité invoquée, c’est‑à‑dire jusqu’au 30 décembre 2003.

 

[162]       La thèse d’Apotex est que la date de commencement ne devrait pas être reportée peu importe la raison.

 

[163]       L’alinéa 8(1)a) du Règlement prévoit que la date à laquelle la période commence est celle, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré à moins que la Cour ne soit convaincue qu’une autre date que celle qui a été attestée est plus appropriée. En l’espèce, les parties s’entendent pour dire que la date attestée par le ministre est le 3 janvier 2002. Quiconque affirme qu’une autre date est plus appropriée a, pour les raisons déjà énoncées, la charge de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre la Cour qu’une autre date convient davantage. En l’espèce, AstraZeneca revendique une date différente, soit le 3 mars 2003 ou le 30 décembre 2003; c’est donc sur elle que repose la charge de la preuve.

 

[164]       Le premier motif qu’invoque AstraZeneca pour affirmer que, dans son cas, on devrait retenir une date ultérieure, soit le 3 mars 2003, est que, selon elle, Apotex a tardé à signifier son avis d’allégation de sorte que l’introduction et l’issue de l’instance en interdiction s’en sont trouvées retardées.

 

[165]       J’ai examiné à fond la question du « retard » à signifier un avis d’allégation dans la décision Apotex Inc c Merck & Co Inc, 2008 CF 1185, en particulier aux paragraphes 103 à 116. Je reprends ce que j’y écrivais aux paragraphes 109 et 113 :

 

109      Le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré au regard de cette période ne concerne que la première date, le 3 février 2004, c’est‑à‑dire la date à laquelle le ministre a écrit au fabricant de produits génériques pour lui dire que sa demande d’avis de conformité était approuvée, mais qu’elle serait laissée en suspens durant l’existence du brevet. Je ne puis exercer mon pouvoir discrétionnaire selon l’alinéa 8(1)a) que si je suis d’avis, d’après la preuve, qu’une autre date est plus indiquée.

 

[...]

 

113      L’alinéa 8(1)a) oblige la Cour à considérer la date à laquelle le ministre envoie au fabricant de produits génériques une lettre lui disant que sa demande est approuvée, sous réserve de toute affaire en instance relevant du Règlement, par exemple, en l’occurrence, la demande T‑884‑03. Ici, la date de la lettre en question est le 3 février 2004. Je puis considérer une autre date si la preuve me convainc que c’est ce que je devrais faire. Il n’y a absolument aucune preuve devant moi attestant que le ministre aurait envoyé la lettre du 3 février 2004 à une date plus avancée ou plus tardive, en raison de quelque événement ou de la conduite d’une personne, ou autrement.

 

 

[166]       En l’espèce, la preuve démontre que, pendant une période de temps considérable avant la date à laquelle elle a fini par signifier son avis d’allégation, Apotex a débattu avec Santé Canada la question de savoir s’il était nécessaire qu’elle traite du brevet 762. Apotex soutenait qu’elle n’avait pas cette obligation. Apotex et Santé Canada ont échangé une abondante correspondance, notamment la lettre du 16 novembre 2001 de Santé Canada (pièce D‑2, Vol. 2, onglets 46 et 47), la lettre d’Apotex en date du 30 novembre 2001 (onglet 54) et la lettre reçue le 4 janvier 2002 (onglet 56) dans laquelle Santé Canada insistait pour dire que, malgré ses arguments contraires, Apotex devait traiter du brevet 762 en signifiant un avis d’allégation conformément au Règlement. Apotex a effectivement signifié un avis d’allégation à la mi‑novembre 2001. Je conclus qu’Apotex n’a, dans les circonstances, pas tardé à signifier son avis d’allégation. Il était raisonnable de la part d’Apotex de poursuivre ses démarches en vue de convaincre Santé Canada qu’elle n’avait pas à traiter du brevet 762. Toutefois, lorsque cette voie est devenue sans issue, elle a effectivement signifié un avis d’allégation.

 

[167]       Le second motif invoqué par AstraZeneca pour reporter à une date ultérieure le début de la période en cause est le fait qu’Apotex n’était pas autorisée à fabriquer ses produits au site de Torpharm. J’ai déjà traité de cette question. Apotex aurait eu tout le loisir de faire de la fabrication à une échelle commerciale à Signet ou à Torpharm à partir du 3 janvier 2002.

 

[168]       Par conséquent, en ce qui concerne la question 7, j’estime que rien ne justifie de retenir une autre date de commencement que le 3 janvier 2002.

 

QUESTION No 9

Apotex avait‑elle l’obligation de limiter les dommages et, dans l’affirmative, a‑t‑elle négligé de le faire?

 

[169]       La thèse d’AstraZeneca est qu’Apotex avait l’obligation de limiter ses dommages en signifiant l’avis d’allégation à la première occasion, ce qu’elle a négligé de faire puisqu’elle a attendu jusqu’en novembre 2001 pour faire cette signification.

 

[170]       La thèse d’Apotex est qu’elle n’avait aucune obligation d’atténuer ses dommages et que même si elle était assujettie à cette obligation, elle n’a pas fait défaut de le faire.

 

[171]       Dans l’arrêt Michaels c Red Deer College, [1976] 2 RCS 324, aux pages 331 et 332, la Cour suprême du Canada explique qu’il incombe à la partie qui affirme que les dommages auraient dû être atténués de démontrer que tel est effectivement le cas :

 

Dans le cours ordinaire d’une action pour renvoi injustifié, un demandeur, en faisant la preuve de ses dommages, doit être en mesure de prouver la perte qu’il prétend avoir subie en raison du renvoi. Il peut avoir obtenu un autre emploi dont la rémunération était moindre ou plus élevée qu’auparavant, ce qui influerait sur ses dommages. Il peut ne pas avoir obtenu un autre emploi, et la question de savoir s’il a paressé ou s’il a vainement cherché un autre emploi aurait aussi une incidence sur la question des dommages. Si le défendeur prétend que le demandeur aurait pu raisonnablement minimiser la perte alléguée, il incombe au défendeur d’en faire la preuve, à moins que ce dernier ne se contente de laisser au juge de première instance le soin de trancher cette question à la lumière de son évaluation de la preuve des conséquences évitables fournie par le demandeur. C’est là mon interprétation des lectures que j’ai faites sur la question dans des traités qui font autorité sur le sujet comme Cheshire and Fifoot’s, Law of Contract, 8e éd. (1972), à la p, 599, et Corbin, Contracts, vol. 5 (1964), à la p. 248. La question est posée comme suit dans les deux passages suivants tirés de Williston on Contracts, vol. 11, 3e éd. (1968), aux pp. 302 et 312 :

 

[traduction] La règle des conséquences évitables est fréquemment appliquée ici. L’inexécution a pour effet de priver l’employé du salaire promis tout en le laissant cependant libre de son temps. Si l’employé doit forcément rester sans travail, sa perte salariale n’est alors aucunement réduite. Cependant, si l’employé peut obtenir un autre emploi, il peut ainsi éviter tout au moins une partie de ces dommages. Par conséquent, dans une action intentée par l’employé contre son employeur pour renvoi injustifié, la mesure ordinaire de l’étendue des dommages s’obtient en soustrayant le salaire net qu’il a gagné ou qu’il aurait pu raisonnablement gagner en effectuant un travail de nature semblable, du montant qu’il aurait reçu s’il n’y avait pas eu inexécution.

 

Il semble que l’on ait généralement accepté la règle voulant qu’il incombe au défendeur de prouver que le demandeur a trouvé un autre emploi semblable et approprié à ses talents ou qu’il aurait pu trouver un tel emploi s’il avait déployé l’effort nécessaire, et qu’en l’absence de cette preuve le demandeur a droit de recouvrer le salaire prévu au contrat.

 

Cheshire et Fifoot, précité, expriment avec plus de concision leur opinion sur la question:

 

[traduction] Mais l’obligation qui incombe au défendeur de prouver que le demandeur a négligé son devoir de minimiser les dommages n’est certes rien de facile car il s’agit d’une situation où une partie, déjà coupable d’inexécution, demande à l’autre partie, qui souvent n’a rien à se reprocher, d’accomplir des gestes concrets.

 

A mon avis, l’obiter qu’a formulé le juge d’appel MacDonald dans John East Iron Works, Ltd. v. Labour Relations Board of Saskatchewan[8], à la p. 57, suivant lequel [traduction] « il incombe à l’employé de prouver qu’il a vainement tenté, par des moyens raisonnables, de trouver un autre emploi », n’est pas exact en droit. J’oppose cette remarque à celle que formule le juge Blain dans Yetton v. Eastwoods Froy Ltd.[[1967] 1 W.L.R. 104.], une affaire de renvoi injustifié, où il dit (à la p. 115) [traduction] « s’il peut minimiser sa perte en agissant raisonnablement, il doit le faire, bien qu’il incombe au défendeur en faute de prouver qu’il pourrait le faire ou qu’il aurait pu le faire et qu’il ne le fait pas ou ne l’a pas fait ».

 

 

[172]       L’argument soulevé par AstraZeneca à cet égard est le même que celui qu’elle a invoqué à l’égard de la question no 8 en ce qui concerne le présumé retard à signifier l’avis d’allégation. La Cour d’appel fédérale écrit, dans l’arrêt AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2000] ACF no 855, 7 CPR (4th) 272, au paragraphe 19, qu’il n’existe aucune obligation de signifier un avis d’allégation dans un délai donné :

 

19        L’énoncé détaillé n’est pas un acte de procédure comme tel, mais représente une étape essentielle dans le processus conduisant à la délivrance d’un AC. En agissant de la sorte, la seconde personne avise le titulaire du brevet des motifs pour lesquels elle considère que l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente de la drogue ne contreviendra pas aux droits de la seconde personne afférents au brevet pour la période non expirée du brevet. En théorie, cette procédure devrait permettre au titulaire du brevet de décider en toute confiance à l’intérieur d’une période de 45 jours s’il doit contester la délivrance d’un AC. Il faut noter que, sous réserve des exigences du commerce, la seconde personne n’a aucune obligation de faire ses allégations ou de fournir son énoncé détaillé dans un délai déterminé. La seconde personne peut prendre le temps qui lui semble nécessaire en vertu du régime établi par le Règlement.

 

[173]       En l’espèce, je suis parvenu à la conclusion, lorsque j’ai répondu à la question no 7, qu’Apotex n’avait pas tardé à signifier son avis d’allégation. Par conséquent, dans les faits, AstraZeneca n’a pas démontré le bien‑fondé de son allégation en ce qui concerne le défaut d’atténuer les dommages.

 

[174]       Par conséquent, en ce qui concerne la question no 9, je conclus qu’AstraZeneca n’a pas établi qu’Apotex avait l’obligation d’atténuer ses dommages ou qu’Apotex n’a pas respecté son obligation d’atténuer ses dommages.

 

QUESTION No 12

Les questions visées aux points de 5 à 7 et 9 à 11 constituent‑elles des facteurs pertinents dont on doit tenir compte pour l’application du paragraphe 8(5)?

 

[175]       La thèse d’AstraZeneca est qu’il convient de tenir compte des facteurs suivants pour évaluer toute indemnité à verser en vertu du paragraphe 8(5) :

 

Question no 5 – Présumée contrefaçon, dans la mesure où il s’agit d’une activité illégale.

 

Question no 6 – Apotex n’était pas autorisée à commercialiser l’Apo‑Oméprazole à son site de fabrication commerciale de Torpharm au cours de la période de responsabilité invoquée. Apotex n’a jamais eu l’intention de commercialiser des produits à partir de son usine approuvée de Signet.

 

Question no 7 – Voir les questions nos 6 et 9

 

Question no 9 – Obligation d’Apotex d’atténuer ses dommages en signifiant un avis d’allégation à la première occasion.

 

[176]       La thèse d’Apotex est, en en qui concerne la question no 5, qu’AstraZeneca n’a pas allégué dans ses actes de procédure que la contrefaçon est pertinente quant au paragraphe 8(5) du Règlement. En ce qui a trait aux questions nos 6 et 7, dans la mesure où AstraZeneca se fonde sur le principe ex turpi causa pour démontrer la pertinence quant au paragraphe 8(5) du Règlement, le principe ex turpi causa n’a pas été invoqué dans ses actes de procédure. En ce qui concerne la question no 9, la thèse d’Apotex est celle qui a déjà été exposée à ce sujet.

 

[177]       Le paragraphe 8(5) du Règlement permet au tribunal, lorsqu’il détermine le montant de l’indemnité à accorder, de tenir compte « des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande ».

 

[178]       En examinant les questions nos 5, 6, 7 et 9, je suis arrivé à la conclusion qu’AstraZeneca n’avait pas démontré le bien‑fondé de ses arguments dans chaque cas. Devrais‑je néanmoins tenir compte de la proposition suivant laquelle AstraZeneca a pu faire valoir des arguments suffisants pour réduire ou éliminer d’une façon ou d’une autre la demande d’indemnisation d’Apotex?

 

[179]       Le paragraphe 8(5) confère au tribunal un pouvoir discrétionnaire pour accorder une indemnité pour perte en vertu du paragraphe 8(1). Les facteurs relatifs à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire qui sont expressément énumérés au paragraphe 8(5) se rapportent à ce qui a contribué au retard ou au règlement de l’affaire. On peut aisément présumer qu’en recourant à des tactiques dilatoires ou à des manœuvres procédurales injustifiées, une partie peut retarder le règlement d’une demande soumise à notre Cour, ce qui constituerait de toute évidence un facteur dont on devrait tenir compte en vertu du paragraphe 8(5). Il n’est pas question de tactiques dilatoires ou à de manœuvres procédurales en l’espèce. Le pouvoir discrétionnaire devrait‑il donc être défini plus largement? Je me rallie au point de vue que feu lord Tom Bingham exposait lors de la conférence qu’il donnait pour la première fois en novembre 2006 à l’Université de Cambridge et qui a été reproduite sous l’intitulé « The Rule of Law », (2008) 8(1) JSIJ 121, aux pages 127 et 128 :

 

[traduction] 

Voici ma seconde règle subsidiaire : les questions de droits et d’obligations juridiques devraient normalement être tranchées par application de la loi et non en vertu de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. La plupart des auteurs contemporains ne partagent pas l’hostilité exprimée par Dicey envers l’exercice de pouvoirs discrétionnaires par des autorités publiques. Dans le domaine de l’immigration, par exemple, les juges invitent systématiquement et avec reconnaissance le secrétaire d’État à exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder l’autorisation d’entrer ou de demeurer au pays à des demandeurs qui ne satisfont pas aux critères d’admission prévus par les règles d’immigration mais dont les antécédents ou la situation personnelle commandent que l’on examine leur cas avec compassion. Mais la vérité fondamentale à la base de la réflexion de Dicey demeure vraie. Plus un pouvoir discrétionnaire est large et flou, qu’il s’agisse d’un fonctionnaire ou d’un juge, plus les risques de subjectivité et, partant, d’arbitraire, sont élevés, ce qui est l’antithèse du respect du principe de la primauté du droit. Cette règle subsidiaire exige que le pouvoir discrétionnaire soit normalement étroitement circonscrit et qu’il puisse reposer sur des motifs rationnels. Il s’agit là d’exigences qui, à mon avis, sont presque toujours respectées dans notre droit, parce que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire suppose un choix entre deux options possibles et qu’habituellement, la gamme de choix est très limitée.

 

 

[180]       Bien que le paragraphe 8(5) du Règlement ne se limite pas uniquement aux actes qui contribuent à retarder le déroulement de l’instance, sa portée n’est pas vaste au point d’englober tout facteur qu’une partie ou un juge choisit d’invoquer. En l’espèce, les facteurs soulevés par AstraZeneca relativement aux questions nos 5, 6, 7 et 9 ont déjà été jugés à son encontre. L’exercice d’un pouvoir discrétionnaire n’est jamais assorti de l’attribution d’une sorte de prix de consolation au perdant ou d’un prix récompensant les efforts. En vertu du pouvoir discrétionnaire judiciaire qui m’est conféré, je conclus que, comme elle a perdu sur ces questions, AstraZeneca ne pourra les faire examiner.

 

[181]       Par conséquent, pour répondre à la question no 12, je conclus qu’aucune des questions qui font l’objet des questions nos 5, 6, 7 ou 9 ne constitue des facteurs pertinents dont on doit tenir compte pour l’application du paragraphe 8(5) du Règlement.

 

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS ET DÉPENS

[182]       En résumé voici mes conclusions en ce qui concerne les questions conjointes soumises à la Cour :

 

QUESTION No 1

L’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) est‑il invalide et inopérant au motif qu’il :

 

a.   est imprécis et ambigu au point d’être inconstitutionnel;

b.   est draconien, sévère et punitif;

c.   constitue une mesure législative subordonnée invalide;

d.   est incompatible avec l’ALENA et l’ADPIC?

 

 

CONCLUSION : L’article 8 est valide.

 

 

QUESTION No 2

Apotex a‑t‑elle satisfait aux conditions d’application de l’article 8 du Règlement en démontrant notamment qu’elle est une « seconde personne » au sens de l’article 8 du Règlement ou a‑t‑elle fait défaut de satisfaire aux conditions applicables, si tant est que AstraZeneca a expressément invoqué ce défaut dans un acte de procédure (il convient de signaler que les paragraphes 58 et 59 de la défense ont été abandonnés par AstraZeneca et que cette dernière convient maintenant que le ministre a effectivement attesté qu’un avis de conformité aurait été délivré à Apotex le 3 janvier 2002 n’eût été l’instance introduite dans le dossier T‑2311‑01)?

 

 

CONCLUSION : Apotex est une seconde personne au sens du Règlement dans sa rédaction en vigueur à l’époque en cause.

 

 

QUESTION No 3

L’article 8 du Règlement oblige‑t‑il la seconde personne à démontrer que la première personne a commis un abus pour satisfaire aux conditions prévues par l’ADPIC et l’ALENA et la réparation qui peut être accordée est‑elle assujettie à cette condition préalable?

 

 

CONCLUSION : Non.

 

 

QUESTION No 5

La présumée contrefaçon du brevet 693 est‑elle pertinente en droit et peut‑elle notamment être invoquée en défense en réponse à la demande présentée par Apotex en vertu de l’article 8 (notamment en réduisant le montant des dommages‑intérêts) (dans l’affirmative, voir le paragraphe 4 de l’ordonnance du 4 octobre 2011)?

 

 

CONCLUSION : Eu égard aux circonstances de l’espèce, le principe ex turpi causa ne s’applique pas; la possibilité que la Cour arrive un jour à une conclusion de contrefaçon ne suffit pas pour que ce principe s’applique. L’existence d’une action en contrefaçon n’a aucune incidence sur la conclusion à tirer en vertu du paragraphe 8(1) en l’espèce.

 

QUESTION No 6

Apotex était‑elle en mesure de commercialiser l’Apo‑Oméprazole au cours de la période comprise entre le 3 janvier 2002 et le 27 janvier 2004 et quelles sont les conséquences du présumé défaut d’Apotex d’être autorisée à fabriquer le médicament en question dans une usine de fabrication commerciale en vue de sa vente?

 

 

CONCLUSION : Apotex était en mesure de produire son médicament à l’échelle commerciale dès le 3 janvier 2002 que ce soit au site de Signet ou à celui de Torpharm ou aux deux endroits.

 

QUESTION No 7

La date à laquelle la période de responsabilité devrait commencer devrait‑elle être reportée en raison du présumé retard d’Apotex à signifier un avis d’allégation et/ou du présumé défaut d’Apotex d’être autorisée à fabriquer le médicament en question dans une usine de fabrication commerciale en vue de sa vente?

 

 

CONCLUSION : Rien ne justifie de retenir une autre date de commencement que le 3 janvier 2002.

 

QUESTION No 9

Apotex avait‑elle l’obligation de limiter les dommages et, dans l’affirmative, a‑t‑elle négligé de le faire?

 

CONCLUSION : AstraZeneca n’a pas démontré qu’Apotex avait l’obligation d’atténuer les dommages ou qu’Apotex n’a pas respecté cette obligation.

 

QUESTION No 12

Les questions visées aux points de 5 à 7 et 9 à 11 constituent‑elles des facteurs pertinents dont on doit tenir compte pour l’application du paragraphe 8(5)?

 

CONCLUSION : Aucune des questions visées à ces points ne constitue un facteur pertinent dont on doit tenir compte pour l’application du paragraphe 8(5).

 

 

[183]       Par conséquent, j’estime qu’Apotex a le droit d’être indemnisée pour les pertes qu’elle a subies conformément aux dispositions du paragraphe 8(1) du Règlement pour la période allant du 3 janvier 2002 au 30 décembre 2003. AstraZeneca n’a pas démontré qu’il existe des facteurs qui permettraient au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à réduire ou à éliminer les pertes ainsi constatées. Un renvoi sera rendu conformément à l’alinéa 1a) et au paragraphe 3 de l’ordonnance du 20 février 2008. Le paragraphe 4 de l’ordonnance que j’ai rendue le 4 octobre 2011 ne s’applique pas, étant donné que j’ai conclu que les moyens de défense mentionnés ne sont pas valables.

 

[184]       Les parties se sont entendues pour dire qu’elles pouvaient aborder la question des dépens au moyen d’un échange simultané d’observations ne devant pas dépasser cinq (5) pages, dans un délai de quatorze (14) jours suivant le prononcé du présent jugement, le tout sous réserve du droit de déposer des observations en réponse d’une longueur maximale de trois (3) pages, dans un délai supplémentaire de sept (7) jours. Les dépens seront fixés une fois toutes les observations reçues.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI ONT ÉTÉ EXPOSÉS,

LA COUR STATUE :

 

1.         Apotex a le droit d’être indemnisée pour les pertes qu’elle a subies en raison de l’instance introduite par AstraZeneca dans le dossier T‑2311‑01 pour la période comprise entre le 3 janvier 2002 et le 30 décembre 2003, conformément aux dispositions du paragraphe 8(1) du Règlement;

 

2.         Il n’y a rien qui justifie l’exercice du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 8(5) du Règlement confère à la Cour pour réduire cette indemnité ou pour refuser de l’accorder;

 

3.         Un renvoi aura lieu conformément à l’ordonnance datée du 20 février 2008, (alinéa 1a) et paragraphes 2, 4,5 et 6);

 

4.         Les parties aborderont la question des dépens conformément à ce qui est prévu dans les présents motifs.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2300‑05

 

INTITULÉ :                                                  APOTEX INC. (demanderesse) c
ASTRAZENECA CANADA INC. (défenderesse)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                      Les 19, 20, 21, 22, 26 et 28 mars, le 30 avril et le 1er mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 11 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brodkin

Harry Radomski

Ben Hackett

Daniel Cappe

Jerry Topolski

Nando De Luca

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mark Biernacki

Gunars Gaikis

Nancy Pei

Jordan Scopa

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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