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Date : 20120531

Dossier : DES-7-08

Référence : 2012 CF 672

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa, (Ontario), le 31 mai 2012

En présence de monsieur le juge Blanchard 

 

 

ENTRE :

 

AFFAIRE INTÉRESSANT UN CERTIFICAT

DÉPOSÉ CONFORMÉMENT AU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LOI SUR L’IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS (LIPR)

 

 

 

 

ET LE RENVOI D’UN CERTIFICAT À LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA CONFORMÉMENT AU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LIPR

 

 

ET MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Au moyen d’un avis de requête présenté le 30 janvier 2012, M. Mahjoub demande ce qui suit :

[TRADUCTION]

 « a)  Autorisation de déposer un affidavit sous scellé de Jennifer Jans, accompagné d’une copie de l’affidavit aux défendeurs, mais une ordonnance de non-divulgation.

b)  Accorder l’autorisation de citer comme témoins les trois (3) avocats (Me Madgy Salem, Me Mohammed Abbas Suleiman et Me Mohammed Hassan Abdullah), M. Mubarak Al-Duri ainsi que les personnes dont l’identité n’a pas été révélée publiquement (« personnes »).

Pour la personne anonyme :

c)  Autorisation de permettre les plaidoyers oraux concernant le jugement au fond de la question ex parte.

d)  Autorisation de permettre le dépôt devant le juge Blanchard et la mise sous scellé d’un autre affidavit, plus détaillé, sans que les défendeurs reçoivent une copie.

e)  Autorisation des plaidoyers oraux à l’appui des témoignages ex parte de vive voix de la personne.

f)  Audience du témoignage ex parte de vive voix des personnes par vidéoconférence. OU

g)  Le dépôt d’un affidavit comme témoignage sans permettre le contre-interrogatoire. »

 

  • [2] Il convient de reformuler en termes simples l’allègement que M. Mahjoub sollicite par l’entremise de cette requête. M. Mahjoub demande l’autorisation de produire les témoignages oraux de Me Madgy Salem, de Me Mohammed Abbas Suleiman, de Me Mohammed Hassan Abdullah, de M. Mubarak Al-Duri et d’autres témoins dont l’identité n’a pas été divulguée (témoins anonymes). De plus, M. Mahjoub demande à ce que les témoins anonymes témoignent à huis clos et en l’absence des ministres, ou, sinon, en présence de l’avocat des ministres sous l’engagement de ne pas divulguer de renseignements confidentiels aux ministres. Enfin, si la Cour n’autorise pas le témoignage à huis clos et ex parte des témoins anonymes, M. Mahjoub sollicite l’autorisation de déposer un affidavit sans permettre le contre-interrogatoire.

 

  • [3] Par une ordonnance du 22 février 2012, la Cour a accueilli la demande de M. Mahjoub de déposer un affidavit sous scellé de Jennifer Jans accompagnée d’une copie à l’intention des ministres. Cet affidavit se trouvait devant la Cour au moment de l’audience des 3 et 4 avril 2012.

 

  • [4] À l’audience, sans préavis, M. Mahjoub a informé la Cour qu’il ne souhaitait plus obtenir l’autorisation de citer M. Al-Duri comme témoin. Il a aussi informé la Cour qu’il ne souhaitait plus obtenir l’autorisation de déposer d’abord le troisième affidavit sous scellé de Jennifer Jans devant un autre juge qui déciderait s’il convient que le juge de l’audience reçoive un autre affidavit ex parte. M. Mahjoub avait soutenu que cette mesure a eu pour conséquence principale de protéger les défendeurs, mais que, puisque les ministres s’opposaient à la participation d’un autre juge, M. Mahjoub a informé la Cour qu’il ne maintiendrait pas cette requête. Enfin, M. Mahjoub a informé la Cour qu’il ne souhaitait plus citer la ministre Diane Finlay comme témoin.

 

  • [5] Par conséquent, seules les questions suivantes doivent être réglées :

 

  1. L’autorisation de permettre Me Madgy Salem, de Me Mohammed Abbas Suleiman et de Me Mohammed Hassan Abdullah de témoigner doit-elle être accordée?

  2. L’autorisation de permettre aux témoins anonymes de témoigner devrait-elle être accordée?

  3. M. Mahjoub doit-il être autorisé à déposer un troisième affidavit sous scellé de Jennifer Jans en l’absence des ministres, ou au moyen d’une copie transmise à l’avocat des ministres sous l’engagement de ne pas divulguer de renseignements confidentiels aux ministres?

 

  • [6] M. Mahjoub soutient que, si l’autorisation de déposer un troisième affidavit sous scellé de Jennifer Jans est accordée, la Cour doit entendre des plaidoyers oraux pour décider si les témoins anonymes doivent témoigner à huis clos et en l’absence des ministres. Si un troisième affidavit sous scellé de Jennifer Jans n’est pas déposé, M. Mahjoub soutient que la Cour doit rendre sa décision en fonction du deuxième affidavit sous scellé de Jennifer Jans déjà déposé.

 

  • [7] Dans le cas où l’autorisation de citer les témoins anonymes n’est pas accordée, M. Mahjoub demande la permission de présenter d’autres observations dans son autre demande visant à ce qu’un affidavit soit accueilli comme témoignage sans être assujetti à un contre-interrogatoire par les ministres. Il convient de noter que la Cour a ordonné que les parties soient prêtes à répondre à toutes les questions soulevées dans la requête, y compris les autres arguments.

 

  • [8] Je traiterai à mon tour des questions restantes.

 

i.  L’autorisation de permettre à Me Madgy Salem, à Me Mohammed Abbas Suleiman, et à Me Mohammed Hassan Abdullah de témoigner doit-elle être accordée?

 

  • [9] Les ministres prétendent que la liste de témoins est fermée compte tenu du fait que la Cour a rendu plusieurs ordonnances obligeant M. Mahjoub à mettre au point sa liste de témoins. Les ministres prétendent aussi que le fait d’autoriser la citation d’autres témoins retarderait la procédure et causerait des dommages. Ils citent la décision de la Cour dans Sawbridge Band c Canada, 2005 CF 1476, aux paragraphes 180 à 183, et 275 F.T.R. 1, conf. 2006 CAF 228, autorisation d’interjeter appel devant la SCS rejetée 364 N.R. 400, à l’appui de leur argument selon lequel la Cour établit l’échéance pour la citation des témoins, il appartient à la Cour de faire respecter ces échéanciers. Les ministres reconnaissent toutefois que la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’autoriser d’autres témoins si M. Mahjoub peut prouver qu’avec diligence raisonnable, les témoins n’auraient pas pu être cités plus tôt et que les preuves présentées sont pertinentes.

 

  • [10] Les ministres soutiennent que le fait qu’il y avait des avocats égyptiens connaissant bien le cas des Renvoyés de l’Albanie et d’autres cas concernant l’Avant-garde de la conquête n’est pas nouveau et que M. Mahjoub n’a pas prouvé qu’il n’aurait pas pu citer les témoins plus tôt. Ils soutiennent en outre que M. Mahjoub n’a pas prouvé que les preuves présentées se rapportent à la procédure. Il n’a pas non plus démontré les raisons pour lesquelles le témoignage de trois avocats serait nécessaire.

 

  • [11] M. Mahjoub soutient qu’en décidant si l’autorisation doit être accordée pour permettre la citation d’autres témoins, la Cour doit seulement conclure (i) qu’il a fait preuve de diligence raisonnable pour confirmer que les témoins n’auraient pas pu être cités plus tôt et (ii) que le témoignage proposé se rapporte à la procédure. Je reconnais qu’il s’agit du critère applicable pour la décision à savoir si d’autres témoins doivent être cités.

 

  • [12] Maîtres Salem, Suleiman et Abdullah pratiquent le droit pour la même société en Égypte. M. Mahjoub affirme qu’ils ont été identifiés par une source ou des sources en Égypte qui hésitaient à fournir des renseignements avant la chute du président Hosni Mubarak. Selon M. Mahjoub, ses sources fournissent des renseignements depuis mars 2011, mais n’a été qu’en mesure de fournir des détails sur le témoignage des témoins proposées en décembre 2011. L’avocat de M. Mahjoub explique que, puisque les détails du témoignage des témoins proposés n’ont pas été établis, ils n’informaient pas la Cour qu’on demandait d’autres témoins.

 

  • [13] Il est préoccupant de voir que la défense publique a décidé de ne pas informer la Cour de son intention de citer d’autres témoins. Le dossier dans la requête indique que le contact avec les sources non identifiées sur lesquelles s’appuie M. Mahjoub dans ses efforts de nommer d’autres témoins d’Égypte s’est produit à un certain moment en mars 2011. Le dossier indique maintenant que la défense publique a fait des [TRADUCTION] « efforts constants » en vue d’envisager l’option de nommer de tels témoins supplémentaires depuis son premier contact avec les sources non identifiées en Égypte. Le 3 juin 2011, la Cour a rejeté une requête présentée par M. Mahjoub, visant à citer des témoins égyptiens anonymes, en raison de preuves insuffisantes à propos de l’identité des témoins proposés. À aucun moment entre le 3 juin 2011 et novembre 2011 la défense publique n’a informé la Cour qu’elle pourrait envisager la possibilité de citer d’autres témoins égyptiens.

 

  • [14] Compte tenu du stade avancé de la procédure, et restant seulement quatre témoins de la liste des témoins de M. Majoub à citer, il aurait été utile au moment de l’ajournement le 14 juillet 2011 ou avant d’informer la Cour de son intention de citer d’autres témoins. Cela aurait aidé la Cour à faire progresser la procédure rapidement par sa fonction de gestion des cas. Ce manque de collaboration est dommage.

 

  • [15] M. Mahjoub soutient que les témoins égyptiens connaissent le cas des Renvoyés de l’Albanie et d’autres cas se rapportant à l’Avant-garde de la conquête. Le premier affidavit de Jennifer Jans affirme ce qui suit :

[TRADUCTION]

M. Hameed m’informe, et j’en suis aussi au courant grâce à mon examen des renseignements découlant des entrevues préparatoires de la défense publique avec les témoins potentiels, et je crois par conséquent que ces témoins témoigneront à propos du contexte et des faits des cas en Égypte relatifs à l’Avant-garde de la conquête et de l’absence de lien entre ces cas et M. Mahjoub. Ces témoins présenteront par conséquent des preuves qui contredisent directement les preuves au dossier ou les renseignements fournis à la défense publique dans la communication.

 

 

  • [16] À l’audience, l’avocat de M. Mahjoub a garanti à la Cour que les trois avocats égyptiens n’étaient pas les mêmes témoins anonymes qu’il cherchait à ajouter à la liste des témoins en mai 2011. Comme mentionné ci-dessus, la Cour a rejeté cette demande le 3 juin 2011.

 

  • [17] Lorsqu’on lui a demandé à l’audience pourquoi le témoignage de trois avocats était nécessaire, la défense publique de M. Mahjoub a informé la Cour que Me Salem avait été condamné et qu’il a purgé une peine dans une prison égyptienne en raison de son statut de membre de l’Avant-garde de la conquête, et que le fait de corroborer les preuves provenant d’autres sources pouvait être essentiel pour veiller à ce que la Cour entende des preuves fiables et crédibles. La défense publique de M. Mahjoub a aussi informé la Cour que ce que Me Salem sait diffère de ce que savent les deux autres avocats. Les preuves n’appuient pas les affirmations de la défense publique ci-dessus. M. Mahjoub soutient que le nombre de témoins n’est pas un facteur à étudier s’il peut faire preuve de diligence raisonnable et que le témoignage des témoins est pertinent.

 

  • [18] Les ministres affirment que le témoignage par affidavit produit par M. Mahjoub n’indique pas que les avocats ont des preuves différentes à présenter ou que le témoignage de plus d’un avocat est nécessaire puisqu’il est possible de contester la crédibilité ou le témoignage d’un autre. De plus, outre l’affirmation large selon laquelle les avocats égyptiens fourniront des renseignements qui contrediront la preuve au dossier, il existe très peu d’autres preuves concernant le fond de leur témoignage proposé. Les ministres affirment que rien n’appuie le fait que M. Mahjoub n’aurait pas pu fournir de tels renseignements par affidavit.

 

  • [19] En dépit des préoccupations soulevées par les ministres, je conclus que le témoignage des trois témoins proposés se rapporte à la procédure. Hormis le fait d’affirmer que leur témoignage fournirait des renseignements qui contredisent les preuves au dossier, le témoignage par affidavit indique aussi que les témoins parleront de cas en Égypte concernant les Avant-garde de la conquête et de l’absence de lien entre ces cas et M. Mahjoub. Selon moi, c’est suffisant pour appuyer une conclusion de pertinence.

 

  • [20] J’accueille aussi le fait que des renseignements détaillés sur la nature du témoignage à présenter par les trois témoins n’étaient pas disponibles avant décembre 2011. Dans ce cas, je conclus que la défense publique agissant au nom de M. Mahjoub a fait preuve de diligence raisonnable en garantissant que les témoins proposés n’auraient pas pu être cités plus tôt. Sans renseignements détaillés sur leur témoignage proposé, aucune décision ne peut être rendue sur le fait de les citer comme témoin ou non. Par conséquent, ils n’auraient pas pu être cités plus tôt.

 

  • [21] Dans ces conclusions, M. Mahjoub sera autorisé à citer Me Madgy Salem, Me Mohammed Abbas Suleiman et Me Mohammed Hassan Abdullah comme témoins au cours de la procédure sous-jacente.

 

 

 

ii.  L’autorisation de permettre aux témoins anonymes de témoigner doit-elle être accordée?

  • [22] M. Mahjoub cherche à obtenir l’autorisation de présenter certaines preuves sur une base ex parte. Premièrement, il cherche à obtenir l’autorisation de citer les témoins anonymes. Deuxièmement, il cherche à obtenir une autorisation de déposer un troisième affidavit de Jennifer Jans, qui identifierait les personnes et qui décrirait sa preuve en quelques détails. Cet affidavit, si accueilli, serait sous scellé et déposé ex parte, ou sinon, transmis à l’avocat des ministres sous son engagement à ne pas révéler les renseignements à ses clients. Troisièmement, M. Mahjoub cherche à obtenir l’autorisation de citer les témoins anonymes sur une base ex parte, ou sinon, en présence de l’avocat des ministres seulement. Quatrièmement, et autrement, il cherche à obtenir l’autorisation d’accorder le dépôt d’un affidavit à titre de témoignage sans contre-interrogatoire par les ministres.

 

  • [23] Les demandes visant à présenter un témoignage à huis clos et ex parte sont fondées sur la croyance que l’identité des témoins anonymes proposés, habitant en Égypte à l’heure actuelle, doit être protégée par crainte pour leur sécurité personnelle. On soutient que, si les témoins anonymes témoignent en audience publique et en présence des ministres, les renseignements qu’ils fourniront se rendront aux autorités égyptiennes, leur identité ne sera pas protégée et leur sécurité personnelle sera en péril. On soutient aussi que dans ces circonstances, la Cour doit imposer des mesures de façon à protéger leur identité et se conformer aux lois internationales.

 

  • [24] M. Mahjoub soutient que toute ordonnance rendue dans le but de protéger l’identité des témoins anonymes ne suffira pas. Il soutient que le Service canadien du renseignement de sécurit (SCRS) [TRADUCTION] « interprétera de façon étroite » une ordonnance de protection ou cherchera à la contourner. M. Mahjoub soutient que le SCRS fait preuve d’une insouciance générale à l’égard de la primauté du droit. Essentiellement, il soutient qu’on ne peut pas avoir confiance que le SCRS se conformera à une ordonnance de la Cour. L’avis de M. Mahjoub est que si l’on n’interdit pas aux ministres d’avoir accès au témoignage, les personnes anonymes ne témoigneront pas, et le troisième affidavit de Jennifer Jans ne sera pas déposé.

 

  • [25] Compte tenu de l’avis de M. Mahjoub, il convient de traiter de la demande d’entendre et de déposer les affaires en l’absence des ministres dès le départ.

 

  • [26] M. Mahjoub fait valoir quatre arguments à l’appui de ses affirmations selon lesquelles on ne peut pas avoir confiance que le SCRS ou l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) respecteront une ordonnance de protection.

 

  • [27] D’abord, M. Mahjoub soutient que les obligations en vertu d’ententes d’échange de renseignements que le SCRS aurait avec les autorités égyptiennes seront interprétées de façon à outrepasser toute ordonnance de protection rendue par la Cour. M. Mahjoub affirme que le SCRS a fait abstraction de la loi dans le passé, et qu’on ne peut par conséquent pas avoir confiance qu’il respectera quelconque ordonnance de la cour à l’avenir. À l’appui de cet argument, il évoque les facteurs suivants : allégations relativement à la destruction de preuves et non-collaboration avec d’autres organismes d’enquête dans le cas d’Air India par le SCRS, fournir des renseignements peu fiables aux États-Unis sans mise en garde au sujet de circonstances pour lesquelles il savait ou aurait dû savoir que Maher Arar serait envoyé en Syrie pour y être torturé, le SCRS a continué de détruire les dossiers comme la Cour suprême en a discuté dans Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC [28], [2008] 2 R.C.S. 326, et la participation du SCRS à des événements ayant mené à la torture de M. Khadr à Guantanamo Bay, comme la Cour suprême du Canada l’a conclu.

 

  • [28] Ensuite, M. Mahjoub soutient qu’en l’espèce, le SCRS a induit l’ASFC et les ministres en erreur en ce qui a trait à la signature du certificat de sécurité.

 

  • [29] Puis, M. Mahjoub soutient qu’on ne peut pas faire confiance au SCRS parce qu’il a participé à l’interception de communications entre avocat et clients.

 

  • [30] Enfin, M. Mahjoub affirme qu’on peut tirer l’indifférence du SCRS à l’égard de la loi du témoignage d’un témoin, M. Hindi, au cours d’une autre procédure, où il a déclaré que les autorités égyptiennes l’ont détenu à la demande du SCRS et pour aucune autre raison.

 

  • [31] Comme appui supplémentaire à son avis, M. Mahjoub cite l’exemple de certaines ordonnances de protection de témoins rendues par le Tribunal international pour le Rwanda que les représentants du gouvernement rwandais n’ont pas respectées, et M. Mahjoub soutient que l’affaire actuellement devant la Cour soulève des préoccupations semblables.

 

  • [32] M. Mahjoub souligne l’intention des ministres à chercher à obtenir l’autorisation de citer d’autres témoins dans le cas où le témoin anonyme est autorisé à témoigner. Il soutient que cette intention démontre que les ministres risqueraient de révéler des renseignements pouvant dévoiler l’identité des personnes anonymes et appuie son argument selon lequel le SCRS ne doit pas avoir accès aux renseignements concernant ces personnes. M. Mahjoub affirme que le processus accusatoire pourrait être protégé par la participation de l’avocat des ministres, pourvu qu’il s’engage à n’échanger aucun renseignement avec ses clients.

 

  • [33] Les ministres contestent chacun des arguments ci-dessus présentés par M. Mahjoub. En réponse, ils soutiennent qu’aucune preuve n’existe selon laquelle ils, ou le SCRS, ne respecteraient pas une ordonnance de la cour. Ils perçoivent cette affirmation comme [TRADUCTION] « choquante ». Ils soutiennent que les exemples offerts par M. Mahjoub ne constituent pas des cas dans lesquels le SCRS a désobéi à une ordonnance de la cour. La destruction de documents dans l’affaire Air India et soulevée dans Charkaoui, ci-dessus, découlait d’une politique du SCRS en place à ce moment-là. Ils soulignent la jurisprudence où les cours n’ont pas conclu de façon rétroactive que le SCRS a agi de mauvaise foi à l’égard de ces politiques. Quant aux cas de M. Arar et de M. Khadr, les ministres affirment que même si les cours peuvent avoir été critiques à l’égard des gestes de certains organismes gouvernementaux impliqués, rien dans ces cas n’indique que le SCRS ferait abstraction d’une ordonnance de la cour. De plus, en ce qui concerne les affirmations selon lesquelles le SCRS aurait induit l’ASFC et les ministres en erreur concernant la signature des certificats, les ministres affirment que la Cour doit encore tirer des conclusions sur des témoignages contestés.

 

  • [34] Quant aux affirmations relativement à la participation du SCRS à des interceptions d’appels entre avocat et clients, les ministres soutiennent qu’aucune preuve n’indique que ces interceptions étaient délibérées, et que l’affaire demeure devant la Cour dans l’abus de la requête de la procédure. Dans tous les cas, selon cet événement, on soutient qu’aucune inférence selon laquelle le SCRS ferait abstraction d’une ordonnance de la cour ne peut être tirée.

 

  • [35] En ce qui a trait au témoignage de M. Hindi, les ministres soutiennent qu’il n’existe aucune preuve selon laquelle la Cour dans cette procédure a jugé le témoin comme crédible ni qu’elle a donné de l’importance au témoignage. Les ministres soulignent une décision de 2007 par le juge Mosley qui a conclu que M. Hindi ne serait pas une garantie souhaitable pour M. Jaballah parce que ses écritures peuvent être interprétées comme exprimant la sympathie ou la défense du terrorisme islamique.

 

  • [36] Les ministres soutiennent aussi que la situation au Rwanda, si les affirmations s’avéraient, ne s’applique pas à la conduite du SCRS.

 

  • [37] Enfin, en ce qui a trait à l’argument subsidiaire de M. Mahjoub selon lequel seul l’avocat des ministres serait au courant du témoignage, les ministres affirment que les avocats ne remplacent pas le client dans un processus accusatoire. Ils soutiennent que les courts hésitaient à ordonner à l’avocat de ne pas divulguer de renseignements à ses clients. Pour appuyer leur position, les ministres citent R. c. Ahmad, 2011 CSC 6, [2011] 1 RCS 110, où la Cour suprême, au paragraphe 49 de ses motifs, a écrit :    

Certes, nous reconnaissons qu’en raison de sa souplesse procédurale le régime de l’art. 38 autorise la conclusion d’accords (tel celui intervenu entre la poursuite et la défense dans l’affaire Malik examinée plus haut) susceptibles de donner aux avocats de la défense accès aux renseignements visés par l’interdiction de divulgation, moyennant leur engagement de ne pas les divulguer à l’accusé. Toutefois, nous recommandons la prudence dans le recours à cette procédure. Dans R. c. Basi, 2009 CSC 52, [2009] 3 R.C.S. 389, nous avons signalé que, même dans le cas où le client y a consenti, des accords de cette nature mettraient « à rude épreuve, dans le meilleur des cas, la relation qui doit nécessairement s’établir entre eux et leurs clients accusés » (par. 45).  Dans le pire des cas, ils pourraient placer les avocats en situation de conflit entre leur devoir de défendre au mieux les intérêts de leur client et celui de respecter leur engagement à l’égard des renseignements protégés, ce qui les obligerait à se retirer du dossier (par. 46).

 

  • [38] Essentiellement, je suis d’accord avec les diverses opinions que les ministres ont apportées en ce qui a trait aux quatre arguments présentés par M. Mahjoub selon lesquels on ne peut avoir confiance que les défendeurs respecteraient une ordonnance de protection rendue par la cour. L’article 6 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23, prévoit que « [s]ous la direction du ministre, le directeur est chargé de la gestion du Service et de tout ce qui s’y rattache ». Les preuves devant moi n’appuient tout simplement pas l’argument selon lequel les ministres, le SCRS ou l’ASFC contourneraient ou ignoreraient délibérément une ordonnance de la cour visant à protéger l’identité de certains témoins. Je conclus que l’ordonnance appropriée peut être élaborée dans le but de protéger l’identité des témoins anonymes. Dans les circonstances, je rejette la demande de M. Mahjoub visant à ce que le témoignage soit entendu sur une base ex parte. Une telle mesure exceptionnelle n’est pas justifiée dans les circonstances. L’employer équivaudrait à renoncer au processus accusatoire si essentiel à notre système de justice. Dans les circonstances, aucune raison valide ne justifie le fait de ne pas faire évaluer le témoignage en question par contre-interrogatoire de la façon habituelle. Je conclus que les défendeurs respecteraient une ordonnance de confidentialité et de protection minutieusement élaborée visant à protéger l’identité des témoins anonymes et à répondre à ses préoccupations en matière de sécurité personnelle.

 

  • [39] Pour les mêmes raisons, je ne suis pas disposé à autoriser le dépôt d’un affidavit à titre de preuve sans donner l’occasion aux ministres de contre-interroger le déposant.Encore une fois, je conclus que les défendeurs respecteront toute ordonnance que la cour pourrait rendre dans le but de protéger l’identité de toute personne ou de tout renseignement.

 

  • [40] Puisque la position de M. Mahjoub est sans équivoque que le témoignage en question sera produit seulement [TRADUCTION] « sans la participation des défendeurs » (transcription de l’audience du 4 avril 201 au paragraphe 123), il n’y a pas lieu d’évaluer les critères applicables relatifs à la citation des témoins anonymes formulée au paragraphe 11 ci-dessus.

 

  • [41] Compte tenu de ma décision susmentionnée, il est inutile de tenir compte de la demande d’une procédure à huis clos ni des arguments relativement au principe d’audience publique.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que :

 

  1. La demande de M. Mahjoub visant à obtenir l’autorisation de permettre à Me Madgy Salem, à Me Mohammed Abbas Suleiman ainsi qu’à Me Mohammed Hassan Abdullah de témoigner est accueillie.

 

  1. La demande de M. Mahjoub visant à obtenir l’autorisation de permettre aux témoins anonymes de témoigner sur une base ex parte est rejetée.

 

  1. La demande de M. Mahjoub visant à obtenir l’autorisation de déposer un troisième affidavit sous scellé de Jennifer Jans en l’absence des ministres est rejetée.

 

  1. La demande de M. Mahjoub visant à obtenir l’autorisation de déposer un affidavit comme témoignage sans contre-interrogatoire par les ministres est rejetée.

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  DES-7-08

 

INTITULÉ :  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

  et le ministre de la Sécurité publique c.

  Mohamed Zeki Mahjoub

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Les 3 et 4 avril 2012  

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :  Le 31 mai 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Me David Tyndale

Me Judy Michaely

Me Bernard Assan

Me Mahan Keramati

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Paul Slansky

Me Yavar Hameed

 

 

Me Anil Kapoor

POUR LE DÉFENDEUR 

 

 

 

AVOCATS SPÉCIAUX

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DEMANDEURS

Doyon & Associés Inc.

Montréal, Québec

 

Paul Slansky

Toronto, Ontario

 

 

Hameed & Farrokhzad

Ottawa, Ontario

 

David Kolinsky

Toronto, Ontario

 

 

Me Gordon Cameron

Ottawa, Ontario

 

Me Anil Kapoor

Toronto, Ontario

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVOCATS SPÉCIAUX

 

 

 

 

 

 

 

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