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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120523

Dossier : T-1161-07

Référence : 2012 CF 552

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

SANOFI-AVENTIS CANADA INC, SCHERING CORPORATION et

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

TEVA CANADA LIMITÉE

 

 

 

défenderesse

 

            ET ENTRE

 

 

 

TEVA CANADA LIMITÉE

 

 

 

 

demanderesse reconventionnelle

 

 

et

 

 

 

 

SANOFI-AVENTIS CANADA INC, SCHERING CORPORATION et

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

 

 

 

 

défenderesses reconventionnelles

 


MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

(Motifs confidentiels de jugement prononcés le 11 mai 2012)

 

LA JUGE SNIDER

 

I.          Introduction

 

[1]               Teva Canada Limitée (Teva), la demanderesse reconventionnelle dans la présente affaire, vend une version générique du ramipril – un médicament utilisé principalement pour soigner l’hypertension – au Canada. Sanofi-Aventis Canada Inc. (Sanofi), une des défenderesses reconventionnelles dans la présente affaire, détient ou a détenu des droits de brevet se rapportant à un médicament de marque, soit ALTACE, dont le ramipril est la version générique.

 

[2]               Bien que Teva (ou les détenteurs précédents des mêmes droits) ait reçu certaines approbations réglementaires de Santé Canada en 2003, elle n’a pu amorcer la commercialisation du ramipril que le 2 mai 2007, soit la date à laquelle elle a reçu son avis de conformité (AC) de Santé Canada, conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur les MB (AC) ou le Règlement). En tout ou en partie, ce retard est attribuable aux mesures prises par Sanofi, qui a exercé ses droits aux termes du Règlement en vue d’obtenir un sursis réglementaire à la délivrance d’un AC à Teva. Cette dernière soutient que Sanofi et Sanofi-Aventis Deutschland GmbH (Sanofi Allemagne) sont responsables envers Teva pour les pertes subies par cette dernière durant la période allant du 18 juillet 2003 au 27 avril 2007, ainsi qu’il est prévu au paragraphe 8(1) du Règlement sur les MB (AC).

 

[3]               Sous réserve des questions de validité soulevées dans ses actes de procédure, Sanofi reconnaît et convient que Teva a droit à des dommages-intérêts aux termes de l’article 8. Toutefois, Sanofi conteste de nombreux éléments de la demande de Teva, entre autres : a) les dates devant servir au calcul de la perte; b) diverses hypothèses et prévisions incorporées dans l’évaluation des dommages-intérêts.

 

[4]               Sanofi a contesté la validité de l’article 8 du Règlement dans le cadre d’une audience distincte consacrée à cette question et à des questions similaires, soit le dossier T‑1357-09 (Apotex Inc c Sanofi-Aventis, Sanofi-Aventis Deutschland GmbH et Sanofi-Aventis Canada Inc). Des motifs distincts ont été rendus concernant les questions de validité (voir 2012 CF 551). De plus, aux termes d’une ordonnance de la protonotaire Milczynski, datée du 15 août 2011, toutes les demandes de Teva se rapportant à Sanofi Allemagne ont fait l’objet d’une disjonction. Par conséquent, dans les présents motifs, la Cour ne se penche ni sur la contestation de la validité de l’article 8 par Sanofi, ni sur les demandes de Teva à l’égard de Sanofi Allemagne.

 

[5]               Mon objectif principal est de déterminer l’indemnisation qu’il convient d’accorder à Teva. À la lumière de l’arrêt de la Cour d’appel dans Apotex Inc c Merck & Co, 2011 CAF 329, 425 NR 279, au paragraphe 75 [Norfloxacin (CAF)], je dois donc examiner une question hypothétique : que se serait-il passé si Sanofi n’avait pas déposé la demande d’interdiction? Autrement dit, afin de déterminer quelle part du marché du ramipril que Teva aurait accaparée si elle avait pu commercialiser son ramipril générique, je dois élaborer un monde hypothétique au cours d’une période précise du passé. En plus des questions habituelles se rapportant à l’évaluation de dommages-intérêts, une de mes tâches clés sera d’examiner diverses dispositions du Règlement sur les MB (AC). Pour mener à bien cette tâche, je me reporterai aux principes bien établis de l’interprétation des lois.

 

[6]               Dans les motifs qui suivent, j’examine les nombreuses questions soulevées dans la présente affaire. Voici trois de mes conclusions :

 

1.                  la période de responsabilité (la période en cause) ne peut s’amorcer avant la date à laquelle le sursis réglementaire prévu à l’article 6 du Règlement est entré en vigueur, et, à la lumière des faits de l’espèce, une date d’entrée en vigueur plus appropriée serait le 13 décembre 2005. Par conséquent, la période en cause va du 13 décembre 2005 au 27 avril 2007;

 

2.                  la Cour doit tenir compte de la possibilité qu’il y ait eu plus d’un nouvel arrivant sur le marché durant la période en cause, si bien qu’il est plus probable que le contraire qu’Apotex Inc. (Apotex) et un fabricant générique approuvé par Sanofi (fabricant autorisé ou FA) seraient arrivés sur le marché le ou vers le 13 décembre 2005;

 

3.                  dans l’évaluation des dommages-intérêts de Teva, il n’y a pas lieu de prendre en considération : a) la [traduction] « perte de valeur de l’entreprise » calculée en date du dernier jour de la période en cause et fondée sur les pertes de profits futurs subies par Teva; ou b) le [traduction] « dédoublement de l’entrée accélérée sur le marché ».

 

[7]               La présente cause est une de trois actions en dommages-intérêts déposées aux termes de l’article 8 contre Sanofi par des fabricants génériques relativement au ramipril. Il s’agit de la première que la Cour a instruite. L’intitulé de la deuxième action est Apotex Inc c Sanofi‑Aventis, Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH et Sanofi‑Aventis Canada Inc (dossier nT‑1357‑09). L’audition de cette deuxième action s’est déroulée devant moi après l’audition de la première action; la décision sur cette deuxième affaire a été rendue en même temps que les présents motifs. L’intitulé de la troisième action est Sanofi-Aventis Canada Inc et autres c Laboratoire Riva Inc (dossier no T-1201-08). L’audition de cette troisième action n’a pas encore eu lieu.

 

[8]               À l’annexe A, j’ai rédigé une brève présentation des nombreux témoins des faits et témoins experts qui ont comparu durant le procès, en signalant les domaines visés par leurs témoignages. Pour ce qui est des témoins experts, j’ai indiqué les questions sur lesquelles ils avaient, à mon avis, les compétences requises pour me communiquer leurs opinions d’expert. Des renvois plus détaillés aux éléments de preuve et aux témoignages fournis par les témoins se trouvent dans les sections pertinentes des présents motifs.

 

II.        Table des matières

 

[9]               Pour faciliter la lecture, voici la structure des présents motifs. J’ai indiqué le numéro de paragraphe où commence chacune des sections :


I.                   Introduction                ............................................................................... [1]

II.                Table des matières       ............................................................................... [9]

III.             Les questions en litige ............................................................................. [10]

IV.             Le contexte essentiel   ............................................................................. [12]

A.                Le cadre législatif découlant du Règlement sur les MB (AC).... [13]

B.                 Les sociétés     ............................................................................. [27]

C.                 Les brevets liés au ramipril.......................................................... [30]

D.                Les présentations réglementaires et les litiges de Teva............... [33]

V.                La période en cause    ............................................................................. [36]

A.                La période en cause peut-elle commencer avant l’imposition du sursis réglementaire de 24 mois?   [44]

B.                 Quelle est la date de début appropriée pour la période en       cause?.......................                         [61]

VI.             La taille globale du marché du ramipril................................................... [77]

VII.          La taille du marché des médicaments génériques................................... [93]

VIII.       Les volumes perdus de Teva................................................................. [107]

A.                Faut-il effectuer l’estimation en supposant que Teva serait le seul fabricant générique approuvé dans le monde hypothétique?............................................................ [113]

B.                 Faut-il effectuer l’évaluation en supposant qu’il n’y a qu’un seul monde hypothétique?      [124]

C.                 Quels autres fabricants génériques auraient pu entrer sur le   marché? .....................              [131]

(1)               Le fardeau de la preuve................................................. [132]

(2)               Apotex................................................................................................... [143]

(3)               Riva     ........................................................................... [164]

(4)               Le médicament générique autorisé................................ [172]

a)      L’inclusion d’un MGA dans le monde hypothétique [176]

b)      La décision de lancer un MGA............................... [185]

c)      Le moment du lancement du MGA........................ [196]

d)     Les volumes perdus de Teva................................... [209]

IX.             Les profits perdus nets de Teva............................................................ [221]

A.                La requête en radiation présentée par Sanofi............................ [225]

(1)               La perte de valeur de l’entreprise.................................. [241]

(2)               Le rajustement lié à la deuxième entrée accélérée sur le marché...................             [250]

(3)               Conclusion sur la perte de valeur de l’entreprise et sur la deuxième entrée accélérée sur le marché .......................................................................... [254]

B.                 Le prix durant la période en cause ........................................... [255]

C.                 Les dépenses de commercialisation........................................... [269]

D.                Le prix de l’ingrédient pharmaceutique actif ........................... [277]

E.                 Les pertes indirectes................................................................. [283]

(1)               La perte de profits sur les ventes d’autres produits             de Teva .... [284]

(2)               La perte de profits indirects.......................................... [288]

F.                  Les intérêts avant jugement....................................................... [295]

G.                Les indications HOPE............................................................... [301]

X.                Conclusion                  ........................................................................... [323]

 

Annexe A – Liste des témoins

 


III.       Les questions en litige

 

 

[10]           En termes généraux, l’évaluation des dommages-intérêts de Teva comporte cinq étapes :

 

1.                  établir la durée de la période en cause;

 

2.                  établir la taille globale du marché du ramipril durant la période en cause (le marché du ramipril);

 

3.                  établir la part de marché que Sanofi aurait maintenue et la part qu’auraient obtenue les fabricants génériques durant la période en cause (le marché des médicaments génériques);

 

4.                  établir la part du marché des médicaments génériques que Teva aurait obtenue (les volumes perdus de Teva);

 

5.                  chiffrer les préjudices subis par Teva pour ce qui est des volumes perdus de Teva durant la période en cause (les profits perdus nets de Teva).

 

[11]           Pour mener à bien ces étapes en l’espèce, je dois examiner un certain nombre de questions sur lesquelles les parties sont en désaccord. Il s’agit des questions suivantes :

 

1.                  Quelle est la période appropriée pour laquelle une seconde personne peut demander la réparation de ses pertes aux termes de l’article 8 du Règlement? Étant donné que les parties conviennent que la période en cause se termine le 27 avril 2007, les questions encore en litige relativement à la période en cause sont les suivantes :

 

a)      la période en cause peut-elle commencer le jour où la seconde personne aurait reçu son AC, même si cela était survenu avant la signification de l’avis d’allégation et l’imposition du sursis réglementaire prévu au Règlement?

 

b)      À la lumière des faits de l’espèce, la date de début appropriée de la période en cause est-elle :

 

i)                    Le 18 juillet 2003, soit la date à laquelle Teva a reçu de Santé Canada ses numéros d’identification du médicament (DIN) pour le ramipril;

 

ii)                  Le 14 octobre 2003, soit la date à laquelle Santé Canada a achevé son examen de la présentation du médicament de Teva et a avisé cette dernière qu’un AC ne lui serait pas délivré tant que les exigences du Règlement ne seraient pas satisfaites (soit la date de « la suspension liée au brevet »; voir la pièce 9, onglet 8);

 

iii)                Le 31 octobre 2005, soit la date à laquelle Sanofi a signifié et déposé un avis de demande relativement à l’avis d’allégation signifié par Teva le 12 septembre 2005, ce qui a mené au sursis réglementaire prévu à l’alinéa 7(1)e) du Règlement;

 

iv)                ou le 13 décembre 2005, soit la date d’expiration du brevet 457, celui mis en jeu par la suspension liée au brevet énoncée au point ii) ci-dessus?

 

2.                  Quelle aurait été la taille du marché du ramipril pendant la période en cause?

 

3.                  Quelle part du marché global du ramipril durant la période en cause aurait été accaparée par les médicaments génériques?

 

4.                  Quels auraient été les volumes perdus de Teva durant la période en cause? À cette question se rattachent les questions suivantes :

 

a)      Relativement à la responsabilité de Sanofi aux termes de l’article 8, faut-il établir l’indemnisation de Teva en supposant que la seconde personne aurait été l’unique fournisseur de médicaments génériques sur le marché pendant toute la période en cause? Subsidiairement, faut-il établir la responsabilité de Sanofi en se reportant à un seul monde hypothétique englobant tous les fabricants potentiels de médicaments génériques?

 

b)      Quels autres médicaments génériques auraient probablement été mis sur le marché durant la période en cause et à quel moment? Plus précisément, est-ce que Apotex, Laboratoire Riva Inc. (Riva) et/ou Pharmascience Inc. (Pharmascience ou PMS) ou encore un fabricant autorisé auraient lancé un produit durant la période en cause?

 

c)      Quelle part du marché des médicaments génériques Teva aurait-elle accaparée durant la période en cause (autrement dit, quels sont les volumes perdus de Teva)?

 

5.                  À la lumière de mes conclusions sur les volumes perdus de Teva, quels sont les profits perdus nets de Teva, en tenant compte des points suivants :

 

a)      l’admissibilité de la preuve exposée dans le rapport du témoin expert de Teva, Mme Suzanne Loomer, concernant la [traduction] « perte de valeur de l’entreprise » et la [traduction] « deuxième entrée accélérée sur le marché », étant donné qu’il s’agit de pertes qui n’ont pas été « subie[s] au cours de la période », comme le prévoit le paragraphe 8(1) du Règlement;

 

b)      le prix du ramipril de Teva durant la période en cause, pour ce qui est des formulaires provinciaux;

 

c)      les dépenses de commercialisation (incluant les escomptes et les remises) que Teva aurait vraisemblablement versées aux pharmaciens pour qu’ils stockent le ramipril de Teva;

 

d)     le prix probable de l’ingrédient pharmaceutique actif du ramipril;

 

e)      la vraisemblance et la quantification des pertes indirectes, telles que la perte de ventes d’autres produits;

 

f)       le calcul approprié des intérêts avant jugement?

 

6.                  Une seconde personne est-elle en droit d’être indemnisée aux termes de l’article 8 du Règlement pour les ventes perdues qu’elle aurait pu effectuer à la suite de prescriptions pour des indications non approuvées?

 

IV.       Le contexte essentiel

 

[12]           Dans la présente affaire, le cadre législatif et l’ensemble de faits sont complexes. Par souci de commodité, je résume ce cadre législatif et les faits les plus pertinents (et non contestés) se rapportant à l’image de marque des parties, aux brevets de Sanofi relatifs au médicament ALTACE et aux antécédents de Teva au chapitre de la réglementation et des litiges touchant le ramipril.

 

A.        Le cadre législatif découlant du Règlement sur les MB (AC)

 

[13]           La présente action s’appuie uniquement sur l’application du Règlement sur les MB (AC). Bref, Teva a été exclue du marché pendant une certaine période à cause de mesures prises par Sanofi qui, en fin de compte, ont été jugées insoutenables. Dans la décision Apotex Inc c Merck & Co, 2008 CF 1185, [2009] 3 RCF 234 [Alendronate (CF)], aux paragraphes 35 à 51, le juge Hughes présente un exposé historique et raisonné du Règlement dans son ensemble et de l’article 8 en particulier. La décision rendue dans Alendronate (CF) a été infirmée en partie par la Cour d’appel dans Apotex Inc c Merck & Co, 2009 CAF 187, [2010] 2 RCF 389, inf. 2008 CF 1185, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2009] CSCR no 347 [Alendronate (CAF)], mais la description du Règlement sur les MB (AC) par le juge Hughes demeure utile. Au lieu de refaire cet exposé historique, je recommande au lecteur de lire les passages signalés.

 

[14]           Les dommages-intérêts subis par Teva sont d’origine législative dans la mesure où ils découlent uniquement de l’application de l’article 8 du Règlement sur les MB (AC). En l’espèce, il est plus facile de comprendre la responsabilité de Sanofi si on examine l’article 8 en le situant dans le cadre législatif dans son ensemble. Je vais présenter un bref aperçu du cadre législatif dans lequel s’inscrit la demande de Teva. Je signale l’utilité du témoignage de Mme Anne Bowes, directrice du Bureau des médicaments brevetés et de la liaison (Santé Canada), sur le fonctionnement du Règlement et sur les politiques mises en jeu par les faits de l’espèce.

 

[15]           Avant qu’une société pharmaceutique puisse commercialiser un médicament sur ordonnance au Canada, elle doit se conformer aux dispositions du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 [le Règlement sur les A et D] pour obtenir un avis de conformité (AC). Aux termes de l’article C.08.002 du Règlement sur les A et D :

 (1)       Il est interdit de vendre ou d’annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

 

a)   le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle-ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle, une présentation de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel que celui-ci juge acceptable;

 

b)   le ministre a délivré au fabricant de la drogue nouvelle, en application des articles C.08.004 ou C.08.004.01, un avis de conformité relativement à la présentation;

 

(1)  No person shall sell or advertise a new drug unless

 

(a)  the manufacturer of the new drug has filed with the Minister a new drug submission, an extraordinary use new drug submission, an abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission relating to the new drug that is satisfactory to the Minister;

 

(b)  the Minister has issued, under section C.08.004 or C.08.004.01, a notice of compliance to the manufacturer of the new drug in respect of the submission;

 

 

[16]           Tel que prévu à l’alinéa C.08.002(1)a) du Règlement sur les A et D, quiconque souhaite vendre une drogue au Canada doit soumettre au ministre de la Santé (par l’entremise de Santé Canada) soit une présentation de drogue nouvelle (PDN) ou une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN). Une PDN est déposée par une société pharmaceutique novatrice, soit la « première personne », qui souhaite obtenir l’approbation de commercialiser un médicament nouveau. Par contraste et en termes très généraux, une PADN est déposée par un fabricant générique approuvé, ou une « seconde personne », qui souhaite commercialiser une version générique d’une drogue ayant déjà été approuvée. La seconde personne peut se servir d’une grande partie de l’information technique et relative à la santé et à la sécurité déposée initialement par la première personne dans le cadre de sa PDN. Autrement dit, la seconde personne peut comparer son médicament à un médicament de marque, ou y faire renvoi (Règlement sur les A et D, paragraphe C.08.002.1.(1)).

 

 

[17]           Un élément essentiel du cadre de réglementation est le « Registre des brevets ». Aux termes du Règlement sur les MB (AC), un fabricant novateur qui a déposé une PDN ou un supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN) est autorisé à soumettre une liste des brevets connexes au ministre de la Santé (le ministre) en vue de leur inclusion dans le registre des brevets (le Registre des brevets ou le Registre) (paragraphe 4(1)). Aux termes du Règlement, le ministre doit tenir un registre de tous les brevets inscrits (paragraphe 3(2)). Les paragraphes 4(2) et (3) du Règlement précisent les critères régissant l’inscription au Registre.

 

[18]           Si un brevet est inscrit au Registre des brevets, l’article 5 du Règlement sur les MB (AC) prévoit que la seconde personne, relativement à chaque brevet inscrit au Registre des brevets, doit, dans sa demande d’AC :

 

·                     déclarer qu’elle accepte que l’AC ne soit pas délivré avant l’expiration du brevet (alinéa 5(1)a));

·                     ou alléguer :

 

o        que la première personne n’est pas le titulaire ou le licencié du brevet inscrit (sous-alinéa 5(1)b)(i));

 

o        que le brevet est expiré (sous-alinéa 5(1)b)(ii));

 

o        que le brevet n’est pas valide (sous-alinéa 5(1)b)(iii));

 

o        ou que la seconde personne n’enfreindra pas le brevet inscrit (sous‑alinéa 5(1)b)(iv)).

 

La seconde personne signale son choix dans le formulaire V soumis avec sa demande. Il est admis que la seconde personne peut modifier son choix en tout temps.

 

[19]           Si la seconde personne allègue qu’un AC devrait lui être délivré malgré les brevets inscrits, elle doit signifier un avis d’allégation à la première personne (Règlement, paragraphe 5(3)). La première personne peut, dans les 45 jours qui suivent la signification de cet avis, demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC avant l’expiration du brevet visé par l’avis d’allégation (Règlement, paragraphe 6(1)). Cela déclenche un « sursis réglementaire » (aussi appelé un « sursis automatique ») qui demeure en vigueur pendant 24 mois au plus (Règlement, alinéa 7(1)e)).

 

[20]           Les circonstances précises dans lesquelles le ministre ne peut délivrer un AC sont exposées au paragraphe 7(1) du Règlement sur les MB (AC). Pour les besoins de la présente instance, je signale que le ministre ne peut délivrer un AC à une seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes :

 

·                     la date à laquelle la seconde personne se conforme à l’article 5 (alinéa 7(1)b));

 

·                     la date d’expiration de tout brevet inscrit au Registre qui ne fait pas l’objet d’une allégation (alinéa 7(1)c));

 

·                     la date qui suit de quarante-cinq jours la date de réception de la preuve de signification de l’avis d’allégation visé à l’alinéa 5(3)a) à l’égard de tout brevet ajouté au Registre (alinéa 7(1)d));

 

·                     la date qui suit de 24 mois la date de réception de la preuve de présentation de la demande visée au paragraphe 6(1) (alinéa 7(1)e));

 

·                     la date d’expiration de tout brevet faisant l’objet d’une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1) (alinéa 7(1)f)).

 

[21]           Quelle que soit l’option choisie par la seconde personne aux termes du paragraphe 5(1) du Règlement, Santé Canada procédera au traitement de la demande pour ce qui est des questions liées à la santé et à la sécurité, puis attribuera un DIN (Règlement sur les A et D, paragraphe C.01.014.2(1)). Toutefois, aucun AC ne sera délivré avant que les brevets connexes inscrits au Registre n’expirent ou qu’une décision ne soit rendue concernant la contestation des brevets au moyen du processus prévu dans le Règlement sur les MB (AC). La date à laquelle un médicament générique aurait autrement reçu son AC est la « date de la suspension liée au brevet ».

 

[22]           À cette étape, exception faite de l’achèvement de toute procédure engagée en vertu du Règlement, l’AC est prêt en vue de sa délivrance. Comme l’a affirmé Mme Bowes, [traduction] « […] l’AC lui-même, le dossier complet, est dans le classeur et attend son tour pour être envoyé ».

 

[23]           Comme il a été mentionné précédemment, la signification d’un avis de demande déclenche le sursis réglementaire. Après avoir entendu la demande, le tribunal peut trancher la demande d’interdiction présentée par le fabricant novateur de plusieurs façons. Premièrement, si le tribunal conclut qu’aucune des allégations du fabricant générique approuvé n’est fondée, il doit rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC au médicament générique (Règlement, paragraphe 6(2)). Dans ce cas, le médicament générique ne recevra pas d’AC avant l’expiration du brevet (à moins que la décision de la Cour fédérale ne soit infirmée en appel).

 

[24]           Il se peut aussi que le tribunal rejette la demande du fabricant novateur en tout ou en partie (Règlement, paragraphe 6(5)), ou que la demande soit retirée ou fasse l’objet d’un désistement par la première personne. Si une demande est rejetée, est retirée ou fait l’objet d’un désistement, le médicament générique recevra son AC presque immédiatement. Surtout, le fabricant du médicament générique pourra également se prévaloir de l’article 8 du Règlement. L’article 8 permet à un fabricant générique approuvé de poursuivre un fabricant novateur pour la période durant laquelle il a été exclu du marché à cause de la demande d’interdiction infructueuse du fabricant novateur.

 

[25]           Voici le texte intégral de l’article 8 :

(1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

 

            (i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date postérieure à celle-ci est plus appropriée,

 

(ii)        soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

 

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

 

(2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

 

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action en contrefaçon du brevet visé par la demande.

 

(4) Lorsque le tribunal enjoint à la première personne de verser à la seconde personne une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1), il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts à l’égard de cette perte.

 

      (5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

 

      (6) Le ministre ne peut être tenu pour responsable des dommages-intérêts au titre du présent article.

 (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

 

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

           

            (i) the certified date was, by the operation of An Act to amend the Patent Act and the Food and Drugs Act (The Jean Chrétien Pledge to Africa), chapter 23 of the Statutes of Canada, 2004, earlier than it would otherwise have been and therefore a date later than the certified date is more appropriate, or

 

            (ii) a date other than the certified date is more appropriate; and

 

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

 

      (2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

 

      (3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

 

      (4) If a court orders a first person to compensate a second person under subsection (1), the court may, in respect of any loss referred to in that subsection, make any order for relief by way of damages that the circumstances require.

 

      (5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

 

      (6) The Minister is not liable for damages under this section.

 

[26]           Voilà donc le contexte des présents motifs.

 

B.        Les sociétés

 

[27]           La demanderesse reconventionnelle, Teva, est une société ontarienne; elle fabrique, vend et distribue des produits pharmaceutiques. Avant le 16 février 2010, Teva était connue sous le nom de Novopharm Limitée (Novopharm). La société mère israélienne de Teva, Teva Pharmaceutical Industries (Teva Israel), a acquis Novopharm en avril 2000. Teva a fusionné avec Ratiopharm Canada Inc. et Ratiopharm Inc. (ratiopharm) le 10 août 2010.

 

[28]           Tout au long des présents motifs, le nom « Teva » sera utilisé pour désigner soit Teva ou Novopharm, à moins que le contexte n’exige une plus grande précision. Toutefois, le produit ramipril de Teva sera appelé « Novo-ramipril », étant donné qu’il s’agissait du nom initial de ce produit.

 

[29]           La défenderesse reconventionnelle, Sanofi, est une société québécoise; elle fabrique, vend et distribue des produits pharmaceutiques. Sanofi compte plusieurs sociétés remplacées, notamment Hoechst Marion Roussel Canada Inc., Rhône-Poulenc Rorer Canada Inc. et Aventis Pharma Inc. Dans les présents motifs, le nom « Sanofi » sera utilisé pour désigner Sanofi et ses sociétés remplacées, à moins que le contexte ne suggère que ce n’est pas le cas.

 

C.        Les brevets liés au ramipril

 

[30]           Sanofi détient, en tant que titulaire ou licenciée, les droits à un ensemble de brevets canadiens qui englobent des revendications se rapportant au ramipril ou à ses utilisations. Le brevet initial était le brevet canadien n1,187,087 (le brevet 087) – un brevet de produit fabriqué selon un procédé – délivré le 14 mai 1985. Le brevet 087 devait initialement expirer le 14 mai 2002, après 17 années de protection. Cherchant à prolonger la protection conférée au brevet pour le ramipril, Sanofi a obtenu un autre ensemble de brevets et a protégé ces brevets en les faisant inscrire au Registre des brevets. Selon Sanofi, ces brevets subséquents et les mesures qu’elle a prises, soit les litiges engagés en vertu du Règlement sur les MB (AC), font partie de ce qu’elle appelle [traduction] « la gestion du cycle de vie du produit ». D’autres – y compris les fabricants génériques – estiment que les brevets subséquents s’inscrivent dans une stratégie de [traduction] « renouvellement à perpétuité ».

 

[31]           Le tableau ci-dessous présente les brevets subséquents liés au ramipril ou à ses utilisations, et indique la date à laquelle chacun des brevets a été inscrit au Registre :

 

No de brevet canadien

Date de délivrance

Inscription au Registre

Objet/indications

1,246,457 (le brevet 457)

13 décembre 1988 (expiré le 13 décembre 2005)

21 février 2001

Le ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque

1,341,206 (le brevet 206)

20 mars 2001

11 avril 2001

Le produit ramipril

2,055,948 (le brevet 948)

12 novembre 2002

25 juin 2004

L’utilisation du ramipril avec un inhibiteur calcique pour prévenir et traiter la protéinurie

2,023,089 (le brevet 089)

14 janvier 2003

1er novembre 2003

L’utilisation du ramipril pour le traitement de l’hypertrophie et de l’hyperplasie cardiaques et vasculaires

2,382,549 (le brevet 549)

15 mars 2005

17 mars 2005

L’utilisation du ramipril pour la prévention des incidents cardiovasculaires.

2,382,387 (le brevet 387)

21 juin 2005

28 juin 2005

L’utilisation du ramipril pour la prévention des ACV, du diabète et/ou de l’insuffisance cardiaque congestive.

 

 

[32]           Les brevets HOPE (ainsi nommés à la suite de l’étude HOPE, soit le Heart Outcomes Prevention Evaluation Study, examinée de manière plus poussée ci-après) désignent les brevets 549 et 387.  

 

D.        Les présentations réglementaires et les litiges de Teva

 

[33]           Le tableau ci-dessus résume les mesures prises pour l’homologation du Novo-ramipril.

DATE

ÉVÉNEMENT

24 décembre 2001

Teva dépose une PADN visant les capsules de Novo-ramipril. La PADN comporte des formulaires V affirmant que Teva attendrait l’expiration des brevets 087, 206 et 457.

 

18 juillet 2003

Teva obtient les DIN pour les capsules de Novo-ramipril de 2,5, 5 et 10 mg.

 

14 octobre 2003

Teva est avisée de la « suspension liée au brevet ».

 

12 septembre 2005

Avis d’allégation no 1 – Brevet 206.

 

14 septembre 2005

Avis d’allégation no 2 – Brevets 089, 948, 549 et 387.

 

31 octobre 2005

Sanofi dépose un avis de demande relativement à l’avis d’allégation n1 (dossier T-1965-05).

2 novembre 2005

Sanofi dépose un avis de demande relativement à l’avis d’allégation no 2 (dossier T-1979-05).

13 décembre 2005

Le brevet 457 expire.

 

25 septembre 2006

La Cour fédérale rejette le dossier T-1965-05, au motif qu’il s’agit d’« un abus de procédure » (Sanofi-Aventis Canada Inc c Novopharm Limited, 2006 CF 1135, 306 FTR 56).

 

8 décembre 2006

Le ministre de la Santé avise Teva qu’elle devait faire renvoi aux brevets 089 et 948, mais pas aux brevets 549 et 387.

 

15 décembre 2006

Teva retire, sous réserve de tout droit, des sections de l’avis d’allégation no 2 se rapportant aux brevets 549 et 387.

 

27 avril 2007

La Cour d’appel fédérale rejette le dossier T-1979-05 (l’avis d’allégation no 2), au motif qu’il s’agit d’un abus de procédure (Sanofi‑Aventis Canada Inc c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, inf. 2006 CF 1547).

 

2 mai 2007

Teva reçoit un AC pour les capsules de Novo-ramipril de 2,5, 5 et 10 mg.

 

 

[34]           Pour dresser un tableau complet de la situation, il convient de noter que Teva n’était pas la seule société à contester les [traduction] « brevets perpétuellement renouvelés »; à compter de février 2003 et jusqu’en décembre 2006, Pharmascience, Riva, Apotex, Cobalt Pharmaceuticals Inc. (Cobalt) et Sandoz Canada Inc. (Sandoz) ont également présenté des avis d’allégation. Dans chaque cas, sauf l’avis d’allégation de Cobalt en août 2006, Sanofi a décidé de déposer des demandes d’interdiction aux termes du Règlement.

                                        

[35]           À la suite de la délivrance d’un AC à Teva, Sanofi a intenté une action contre Teva, soutenant que cette dernière avait enfreint le brevet 206 (dossier T-1161-07). Dans une décision datée du 29 juin 2009, la Cour a rejeté cette action ainsi qu’une demande complémentaire contre Apotex dans le dossier T-161-07, et a déclaré que le brevet 206 n’était pas valide (Sanofi‑Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CF 676, 350 FTR 165). La Cour d’appel a confirmé cette décision (Sanofi‑Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2011 CAF 300, 426 NR 196). Au moment de la rédaction des présents motifs, la demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada présentée par Sanofi est encore en instance.

 

V.        La période en cause

 

[36]           Aux termes de l’article 8, une seconde personne peut demander une indemnisation pour les pertes subies à cause de son exclusion du marché durant la période du sursis automatique (Alendronate (CF), précitée, au paragraphe 97; Alendronate (CAF), précité, au paragraphe 71). D’où l’importance cruciale de la décision de la Cour pour ce qui est d’établir les dates de début et de fin de la période de responsabilité, désignée dans les présents motifs comme étant la période en cause. Les parties conviennent que la période en cause prend fin le 27 avril 2007. Toutefois, elles ne conviennent pas de la date de début.

 

[37]           Ainsi qu’il est prévu à l’alinéa 8(1)a) du Règlement sur les MB (AC), une première personne (Sanofi) est responsable envers la seconde personne (Teva) pour les pertes subies par cette dernière durant la période :

a)         débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

 

[…]

 

(ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

(a)        beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

 

. . .

 

(ii) a date other than the certified date is more appropriate . . .

 

[38]           Dans Alendronate (CF), précitée, aux paragraphes 106 à 116, le juge Hughes a expliqué que l’article 8 confère ainsi au tribunal le pouvoir discrétionnaire de choisir une date plus appropriée pour le début de la période de responsabilité, même si la période présumée commence à la date de la suspension liée au brevet.

 

[39]           Ici, il semble que les parties conviennent que « la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré » est le 14 octobre 2003. Cette date est énoncée dans une lettre datée du 17 octobre 2003 de Santé Canada à Teva.

 

[40]           Malgré l’attestation de cette date, Sanofi et Teva me demandent toutes les deux de conclure que la période en cause a une date de début différente. Teva m’exhorte de conclure que la date de début est le 18 juillet 2003 ou, à tout le moins, le 1er août 2003 au plus tard, tandis que Sanofi affirme que la période en cause ne devrait pas commencer avant le 13 décembre 2005. À la lumière de la preuve déposée, il semble que les dates suivantes devraient être envisagées à titre de dates de début possibles :

 

1.                  le 18 juillet 2003, soit la date à laquelle Teva a reçu ses DIN pour le ramipril de Santé Canada;

 

2.                  le 14 octobre 2003, soit la date à laquelle Santé Canada a achevé son examen de la présentation du médicament de Teva et a avisé celle‑ci qu’un AC ne lui serait pas délivré tant que les exigences du Règlement ne seraient pas satisfaites;

 

3.                  le 31 octobre 2005, soit la date à laquelle Sanofi a signifié et déposé un avis de demande relativement à l’avis d’allégation signifié par Teva le 12 septembre 2005, ce qui a mené au sursis réglementaire prévu à l’alinéa 7(1)e) du Règlement;

 

4.                  le 13 décembre 2005, soit la date d’expiration du brevet 457, celui mis en jeu par la suspension liée au brevet énoncée au point 2 ci-dessus.

 

[41]           Teva soutient que, si ce n’était du Règlement, un AC lui aurait été délivré peu après le 18 juillet 2003, soit la date à laquelle elle a reçu ses DIN pour les capsules de Novo-ramipril de 2,5, 5 et 10 mg. À cette date, Teva avait satisfait à toutes les exigences cliniques et de fabrication exposées dans le Règlement sur les A et D. Comme l’a affirmé résolument M. Windross, à la réception des DIN le 18 juillet 2003, Teva aurait été [traduction] « en mode de lancement en attendant la réception de l’avis de conformité ». [Caviardé] Par conséquent, Teva affirme que le 18 juillet 2003 – ou au plus tard le 1er août 2003 – doit être la date de début envisagée par l’alinéa 8(1)a) du Règlement. De plus, Teva soutient que la période devant servir au calcul des dommages-intérêts devrait commencer à la date attestée par le ministre, soit le 14 octobre 2003. Elle soutient qu’elle aurait été en mesure d’entrer sur le marché, à n’importe laquelle de ces dates, si ce n’était du Règlement.

 

[42]           Je n’ai aucun motif de douter des affirmations de Teva selon lesquelles elle aurait été en mesure de lancer la vente des capsules de Novo-ramipril de 2,5, 5 et 10 mg le ou vers le 1er août 2003. Toutefois, la question est de savoir s’il s’agit de la date appropriée pour l’évaluation des dommages-intérêts aux termes du Règlement sur les MB (AC). En particulier, il faut examiner les arguments de Teva à la lumière du fait que, en date de la suspension liée au brevet, Teva avait convenu, par son choix dans le formulaire V, d’attendre l’expiration du brevet 457. De plus, le sursis réglementaire n’est entré en vigueur que le 31 octobre 2005, lorsque Sanofi a déposé le premier de ses deux avis de demande en réponse aux avis d’allégation de Teva.

 

[43]           Ainsi, la présente affaire nous met en présence d’une situation inhabituelle où la date attestée, ou la date de la « suspension liée au brevet », précède le début du sursis réglementaire. Par conséquent, la première sous-question se rapportant à la date de début est de savoir si la période en cause peut commencer avant le sursis réglementaire.

 

A.        La période en cause peut-elle commencer avant l’imposition du sursis réglementaire de 24 mois?

 

[44]           Pour trancher la question de savoir si la période en cause peut commencer avant l’imposition du sursis réglementaire de 24 mois, je dois interpréter les dispositions pertinentes du Règlement. Une fois que j’aurai tranché cette première question, la question suivante sera d’établir la date de début appropriée pour la période.

 

 

[45]           L’argument de Teva en faveur d’une date qui précède à la fois la date attestée et le début du sursis réglementaire repose sur son assertion selon laquelle la date de début doit être fixée « en l’absence du présent règlement ». Selon elle, cette formulation a pour effet [traduction] « que les pertes de la seconde personne doivent être évaluées en tenant compte du fait qu’elle était prête à entrer sur le marché dès l’achèvement de l’examen de sa présentation au chapitre de l’innocuité ». Plus précisément, Teva affirme que cette formulation signifie [traduction] « la date à laquelle la satisfaction des exigences de la Loi sur les aliments et drogues aurait entraîné la délivrance de l’AC à la seconde personne ». Selon Teva, des facteurs tels que l’existence de brevets au Registre des brevets, les formulaires V et les dates de signification des avis d’allégation sont [traduction] « dépourvus de pertinence » dans un monde où il n’y a pas de Règlement sur les MB (AC). Teva soutient que, en l’absence du Règlement, le ministre aurait eu une « obligation légale » de délivrer l’AC en date du 18 juillet 2003 (voir Abbott Laboratories Ltd c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 622, 57 CPR (4th) 450, au paragraphe 11; Apotex Inc c Canada (Procureur général) (1993), [1994] 1 CF 742, [1993] ACF no 1098 (CA)).

 

[46]           Teva présente plusieurs arguments à l’appui de son affirmation selon laquelle toutes les facettes des dommages-intérêts découlant de l’article 8 doivent être calculées « en l’absence du […] [R]èglement ». En résumé, elle signale que les dispositions 8(1)a), 8(2) et 8(4) renvoient toutes au paragraphe 8(1), et que Sanofi a entrepris ses démarches en sachant parfaitement que Teva avait obtenu l’approbation en juillet 2003, si bien que Sanofi a sciemment accepté une [traduction] « boîte noire de responsabilité ». Teva souligne également que l’article 8 doit avoir un effet dissuasif et allègue que les arguments de Sanofi [traduction] « mélangent » des événements réels avec le monde hypothétique.

 

[47]           Teva rejette expressément l’argument selon lequel la période de responsabilité ne peut pas commencer avant l’entrée en vigueur du sursis réglementaire, au motif qu’une telle position exigerait [traduction] « une réécriture radicale et une interprétation large » inacceptables du Règlement. Selon Teva, le législateur a clairement choisi de ne pas formuler l’alinéa 8(1)a) de façon à préciser que la responsabilité commence à la date attestée ou, si elle est postérieure, à la date de début de la demande d’interdiction. Tout en reconnaissant qu’une demande est nécessaire, Teva soutient qu’elle [traduction] « n’est pas déterminante pour l’établissement de la date de début ».

 

[48]           Essentiellement, l’argument de Teva repose sur une interprétation erronée de l’expression « en l’absence du présent règlement », qui sépare à tort l’article 8 du reste du Règlement. Pour les motifs exposés ci-dessous, les arguments de Teva doivent être rejetés.

 

[49]           Premièrement, l’affirmation de Teva selon laquelle il faut établir la date de début « en l’absence du présent règlement » exagère l’effet de cette expression dans l’alinéa 8(1)a). Ainsi que l’a affirmé la Cour d’appel dans Alendronate (CAF), précité, au paragraphe 83 :

Les termes de l’article 8 doivent être lus dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical, en harmonie avec l’esprit du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), avec son objet et avec l’intention du législateur (arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42 (CanLII), 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 29 et 30, appliqué dans l’arrêt Biolyse, précité, au paragraphe 43). S’il s’agit de règlements, l’objet de la loi habilitante doit également être pris en considération (Biolyse, précité, au paragraphe 47).

 

[50]           L’expression « en l’absence du présent règlement » figure seulement à l’alinéa 8(1)a) et suit immédiatement l’expression « à laquelle un avis de conformité aurait été délivré ». En tenant compte du sens ordinaire et grammatical des mots, l’expression « en l’absence du présent règlement » modifie uniquement la date attestée. Bien que Teva signale que les paragraphes 8(2) et (4) renvoient tous les deux au paragraphe 8(1), il convient de noter que l’expression « en l’absence du présent règlement » ne figure pas dans ces paragraphes. De plus, elle ne figure pas dans le paragraphe 8(5), qui expose les facteurs que la Cour peut prendre en considération pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder à la seconde personne.

 

[51]           L’arrêt Norfloxacin (CAF), précité, appuie la proposition selon laquelle il convient de limiter l’effet des mots « en l’absence du présent règlement » à la date attestée. Dans cet arrêt, au paragraphe 75, la Cour d’appel a formulé ainsi la question posée par l’article 8 : « que se serait-il passé si Merck n’avait pas déposé la demande d’interdiction? » [Non souligné dans l’original.] La Cour d’appel n’a pas formulé la question dans le sens suivant : « que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu de Règlement? » Par conséquent, l’expression « en l’absence du présent règlement » à l’alinéa 8(1)a) renvoie logiquement à l’hypothèse de l’absence d’une ordonnance d’interdiction aux termes de l’article 6, et non à l’absence du Règlement sur les MB (AC) dans son ensemble.

 

[52]           Si l’interprétation de Teva était acceptée, elle séparerait artificiellement l’article 8 du reste du Règlement. Bien que Teva signale avec raison que le Règlement ne précise pas de manière explicite que la période de responsabilité commence le jour où la première personne amorce une demande d’interdiction, il s’agit, selon l’argumentation de Sanofi, de la conséquence nécessaire du fait que le paragraphe 8(1) établit qu’une demande d’interdiction est une condition préalable à la réparation. Le paragraphe 8(1) renvoie expressément au sursis réglementaire en fondant la responsabilité de la première personne sur le retrait, l’abandon ou le rejet de la demande d’interdiction « présentée aux termes du paragraphe 6(1) » [non souligné dans l’original] ou sur l’annulation de l’ordonnance d’interdiction. Ainsi qu’il est signalé précédemment, aux termes du paragraphe 6(1), une première personne qui a reçu signification d’un avis d’allégation peut demander à un tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC avant l’expiration du brevet visé par l’avis d’allégation. C’est cette demande présentée par la première personne qui empêche le ministre de délivrer un AC à la seconde personne (Règlement, alinéa 7(1)e)). Par conséquent, contrairement à la suggestion de Teva, limiter la responsabilité de la première personne à une période postérieure au début du sursis réglementaire n’exigerait pas [traduction] « une réécriture radicale et une interprétation large » du Règlement, car l’article 8(1) fait déjà référence au sursis réglementaire.

 

[53]           Cette interprétation de l’article 8 est conforme à l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Alendronate (CAF). Pour décider si le juge Hughes avait commis une erreur en concluant qu’il avait compétence pour instruire la demande d’Apotex aux termes de l’article 8, la Cour d’appel a noté que l’article 8 assure une réparation en matière de brevets, conformément au paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, en « autorisant la seconde personne à être indemnisée pour les pertes issues de la suspension automatique déclenchée par la première personne, dans le cas où cette dernière échoue dans sa tentative de faire valoir ses droits de brevet » (Alendronate (CAF), précité, au paragraphe 71 [non souligné dans l’original]). De même, dans son examen de la validité constitutionnelle de l’article 8, la Cour d’appel a affirmé, au paragraphe 66 de cet arrêt, que « l’attribution de dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 découle logiquement de la procédure d’interdiction visée à l’article 6 ». Par conséquent, la période de responsabilité est clairement liée à l’application du sursis automatique.

 

[54]           Cette conclusion est également étayée par les résumés de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) déposés avec les versions de 1993, de 1998 et de 2006 du Règlement. Dans sa description de l’impact prévu du Règlement, le REIR 1993 signalait que, même si le Règlement peut avoir pour effet de retarder indûment la mise en marché de certains produits génériques (par exemple, lorsqu’on constate par la suite que les brevets n’étaient pas valides ou que le médicament générique n’est pas une contrefaçon), « le nombre de ces retards et les coûts qui s’y rattachent devraient être peu élevés parce que le breveté sera conscient qu’il est responsable des dommages causés par ces délais » (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, (1993) Gazette du Canada partie II 1387, à la page 1388 [REIR 1993] [non souligné dans l’original]). Ainsi, le REIR 1993 établit clairement un lien entre les dommages-intérêts accordés à la seconde personne et l’imposition du sursis.

 

[55]           Il y a une affirmation similaire dans le REIR 1998. Ce document indique que certaines modifications apportées au Règlement précisaient « les circonstances où des dommages-intérêts pourront être accordés à un fabricant afin de le dédommager des pertes subies à cause du report de la mise en marché de son médicament générique » (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, (1998) Gazette du Canada partie II 1055, à la page 1056 [non souligné dans l’original]). Le REIR 2006 établit également un lien entre la responsabilité de la première personne et l’application du sursis, en expliquant que les modifications apportées à l’article 8 visent « à préciser davantage les éléments dont le tribunal peut tenir compte au moment de calculer la période de retard dont l’innovateur peut être tenu responsable » et à « supprimer les profits de l’ensemble de la réparation que le tribunal peut ordonner pour dédommager le fabricant générique pour ce retard » (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, (2006) Gazette du Canada partie II 1503, à la page 1521 [REIR 2006] [non souligné dans l’original]).

 

[56]           Bien que Teva renvoie à Alendronate (CF) à l’appui de sa thèse selon laquelle la signification d’un avis d’allégation est [traduction] « totalement sans rapport » avec la date de début, Teva a tort de se fonder sur ce précédent. Plus précisément, Teva fait référence au paragraphe 106, où le juge Hughes a affirmé que « [r]ien ne donne à penser que le ministre savait, ou même aurait dû savoir, la date de signification de l’avis d’allégation […] » Toutefois, dans Alendronate (CF), il s’agissait de décider si une autre date était plus appropriée aux termes de l’alinéa 8(1)a), étant donné qu’Apotex avait prétendument retardé la signification de son avis d’allégation pendant 66 jours. Le juge Hughes a rejeté l’argument de Merck, au motif que rien ne permettait de conclure que la date de la signification de l’avis d’allégation d’Apotex avait eu une incidence sur l’envoi par le ministre de la lettre de suspension liée au brevet (Alendronate (CF), précitée, aux paragraphes 112 à 116). La question de savoir si la période de responsabilité pouvait commencer avant le sursis réglementaire n’a pas été soulevée dans Alendronate (CF), parce que, à la lumière des faits communiqués au juge Hughes, l’avis d’allégation avait été envoyé et la procédure d’interdiction avait été amorcée près d’un an avant la date de la suspension liée au brevet imposée à Apotex (voir Alendronate (CF), précitée, au paragraphe 5). La question à trancher en l’espèce n’est pas simplement de savoir si la lettre de suspension liée au brevet aurait été envoyée à une autre date; il s’agit plutôt de savoir si la période de responsabilité peut commencer avant le sursis réglementaire.

 

[57]           De même, j’estime peu convaincante l’affirmation de Teva selon laquelle il est [traduction] « inéquitable » d’associer la causalité avec le début du sursis, parce que [traduction] « Sanofi a bénéficié de l’inscription des brevets au Registre des brevets pendant une période beaucoup plus longue ». L’objectif même des dommages-intérêts, aux termes de l’article 8, est d’indemniser la seconde personne pour les « pertes issues de la suspension automatique » (Alendronate (CAF), précité, au paragraphe 71). Il importe peu si, tel que le prétend Teva, Sanofi aurait amorcé ses démarches contre Teva quelle que soit la date choisie par cette dernière pour envoyer ses avis d’allégation.

 

[58]           Même si l’interprétation de l’article 8 avancée par Teva était acceptée, les principes ordinaires en matière de dommages-intérêts empêcheraient la seconde personne d’être indemnisée pour une perte subie avant le début du sursis réglementaire. Premièrement, aucun geste de la part de Sanofi ne peut être perçu comme ayant « causé » un préjudice à Teva durant cette période. Bien que Teva accuse Sanofi de tenter à tort [traduction] « d’associer la causalité avec le début de ses démarches aux termes du Règlement », Teva ne signale aucun autre geste de Sanofi qui aurait pu causer les pertes prétendues de Teva avant le début du sursis. Le seul argument de Teva semble être que Sanofi a bénéficié de l’inscription de brevets successifs au Registre des brevets. Toutefois, Teva n’établit aucun lien précis entre cette façon d’agir et ses pertes prétendues. Cela est insuffisant pour démontrer un lien de causalité.

 

[59]           De plus, Sanofi soutient avec raison que toute perte subie par la seconde personne avant la signification d’un avis d’allégation est imprévisible, parce que, à ce moment-là, la première personne ne sait rien de la présentation du médicament de la seconde personne, à cause de sa confidentialité. Il ressort clairement de la preuve que les PADN et les mesures subséquentes de Santé Canada (telles que la délivrance de DIN et l’envoi de lettres de suspension liée au brevet) sont confidentielles. D’après le témoignage de Mme Bowes, les PADN ne sont pas divulguées habituellement, à l’exception de certaines sections divulguées conformément à des ordonnances rendues en vertu du Règlement et de monographies de produit devenues publiques. Ainsi, avant la signification de l’avis d’allégation, Sanofi ne savait rien des intentions de Teva. Si Sanofi avait commis, durant cette période, des gestes qui pouvaient déclencher sa responsabilité, Sanofi n’aurait pas eu la possibilité de modifier sa conduite de façon à réduire ou à éviter sa responsabilité. Le fait que Sanofi savait, à compter de la date où elle a reçu le premier avis d’allégation de Teva, que cette dernière avait obtenu une approbation en juillet 2003, ne suffit pas. Il serait encore fondamentalement injuste de tenir Sanofi responsable de toute perte subie par Teva, alors que Sanofi ne pouvait rien faire pour atténuer sa responsabilité.

 

[60]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je rejette l’interprétation avancée par Teva de l’alinéa 8(1)a) et de l’effet de l’expression « en l’absence du présent règlement » sur la date de début. Ayant lu les termes de l’article 8 dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit du Règlement sur les MB (AC), l’objet de ce Règlement et l’intention du législateur, je conclus que la période de responsabilité ne peut pas commencer avant l’imposition du sursis réglementaire.

 

B.        Quelle est la date de début appropriée pour la période en cause?

 

[61]           Étant donné que j’ai conclu que la période en cause ne peut pas commencer avant la date du sursis réglementaire imposé en vertu du Règlement, la question est de savoir si, à la lumière des faits de l’espèce, la date « la plus appropriée » est : a) le 31 octobre 2005, soit le début du sursis réglementaire, ou b) le 13 décembre 2005, soit la date de l’expiration du brevet 457.

 

[62]           Sanofi soutient que le 13 décembre 2005, soit la date de l’expiration du brevet 457, est la date de début appropriée. À l’appui de sa position, Sanofi met en avant les faits se rapportant aux choix de Teva dans sa démarche en vue d’obtenir l’approbation réglementaire de son ramipril.

 

[63]           Comme cela a déjà été mentionné, Teva a déposé sa PADN pour le Novo-ramipril le 24 décembre 2001. Dans le formulaire V faisant partie de cette documentation, Teva a indiqué qu’elle attendrait l’expiration des brevets 087, 206 et 457 avant la mise en marché. D’après le formulaire V présenté au ministre, Teva n’avait aucune intention de mettre son ramipril sur le marché avant l’expiration de plusieurs des brevets connexes. Cette situation n’a pas changé avant le 12 et le 14 septembre 2005, quand Teva a déposé ses avis d’allégation visant le ramipril. Toutefois, même à ce moment-là, Teva n’a pas allégué que le brevet 457 n’était pas valide ou que son médicament générique ne contrefaisait pas ce brevet.

 

[64]           J’admets que la modification d’un formulaire V est une modification de nature administrative. Il est clair que Teva aurait pu modifier son formulaire V et signifier ensuite un avis d’allégation visant le brevet 457. Toutefois, elle n’a pas procédé ainsi.

 

[65]           J’admets également les témoignages des témoins des faits de Teva – en particulier, ceux de M. Fishman, de M. Windross et du Dr Denike – qui ont parlé de la combativité de Teva (qui s’appelait Novopharm à l’époque), en ou vers 2003, relativement à l’acquisition des droits liés à de nouveaux médicaments. Ils ont parlé en particulier de l’intérêt qu’avait la société pour le ramipril. Toutefois, leurs témoignages sonnent un peu faux, étant donné que la société avait indiqué précédemment, dans chaque formulaire administratif (son formulaire V et ses avis d’allégation initiaux), qu’elle attendrait l’expiration du brevet 457. Tout simplement, Teva a omis de prendre une des mesures les plus fondamentales – un avis d’allégation visant le brevet 457 – en vue d’obtenir le droit de commercialiser le ramipril.

 

[66]           À mon avis, les gestes de Teva cadrent mieux avec la décision d’attendre l’expiration du brevet 457 avant de lancer le Novo-ramipril.

 

[67]           En ne modifiant pas son formulaire V et en ne contestant jamais le brevet 457, Teva a implicitement convenu de s’accommoder des décisions rendues relativement aux contestations du brevet 457 déposées par les autres sociétés (plus précisément Apotex et Riva). Deux de ces décisions sont très pertinentes en l’espèce.

 

[68]           La première décision avait trait à l’avis d’allégation signifié par Apotex en août 2003, qui soutenait que son médicament ne contrefaisait pas le brevet 457. Dans une décision datée du 11 octobre 2005, la juge Simpson a statué que l’allégation d’Apotex selon laquelle son médicament n’était pas une contrefaçon du brevet 457 n’était pas fondée et a rendu une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC pour le ramipril à Apotex avant l’expiration du brevet 457 (Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1381, 281 FTR 233 [Apotex]). Apotex a d’abord interjeté appel de cette décision (dossier de la Cour d’appel nA‑494‑05), mais a ensuite abandonné cet appel le 13 octobre 2006. En résumé, d’après la preuve dont je dispose, Apotex était visée par une ordonnance de la Cour qui interdisait au ministre de la Santé de délivrer un AC à Apotex avant le 13 décembre 2005.

 

[69]           Le 9 juin 2004, Riva a signifié un avis d’allégation soutenant, entre autres, que le brevet 457 n’était pas valide. Dans une décision en date du 17 mai 2007, le juge Harrington a statué sur la procédure se rapportant aux avis d’allégation de Riva (Sanofi-Aventis Inc c Laboratoire Riva Inc, 2007 CF 532, 315 FTR 59 [Riva]). Cette décision a été rendue après l’expiration du brevet 457. Le juge Harrington a rejeté la demande de Sanofi visant le brevet 206, mais a refusé, malgré la demande de Riva, de rendre une décision concernant le brevet 457 (Riva, précitée, aux paragraphes 105 et 106).

 

[70]           En résumé, Apotex et Riva étaient déterminées à contester directement le brevet 457. Pour ce qui est d’Apotex, le résultat fut une ordonnance d’interdiction qui l’a empêchée de commercialiser son médicament avant l’expiration du brevet 457. La contestation de Riva visait également le brevet 206 et n’a pas été tranchée avant l’expiration du brevet 457.

 

[71]           Une autre façon d’analyser la situation consiste à examiner la conduite de Teva dans un scénario hypothétique où il n’y aurait pas de Règlement sur les MB (AC) – la totalité du Règlement n’existerait pas. Dans ce monde hypothétique, il y aurait des brevets. Les droits et obligations associés à ces brevets seraient régis par la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4. Les brevets sont présumés valides. Face à un brevet en vigueur, un tiers souhaitant utiliser le brevet dispose d’un certain nombre de choix; les cinq suivants me viennent à l’esprit :

 

1.                  le tiers peut utiliser le produit ou procédé breveté et attendre les conséquences d’une action en contrefaçon;

 

2.                  il peut négocier un contrat de licence avec le titulaire du brevet;

 

3.                  il peut intenter une action en invalidation;

 

4.                  il peut attendre l’expiration des brevets;

 

5.                  il peut attendre qu’une autre partie parvienne à invalider le brevet en question.

 

[72]           Bien que la preuve indique que Teva tentait énergiquement de mettre de nouveaux produits sur le marché en 2003, je ne dispose d’aucune preuve qu’elle aurait lancé le ramipril malgré la validité du brevet 457. Rien ne laisse supposer que Teva avait obtenu un avis juridique concernant la validité du brevet 457. Nous savons que Teva n’a jamais tenté de négocier un contrat de licence; de plus, elle n’a jamais intenté d’action en invalidation visant le brevet 457. À la lumière des faits, il me semble que, étant donné que le brevet 457 allait expirer dans un avenir assez rapproché, soit le 13 décembre 2005, il est plus probable que le contraire que Teva était disposée à attendre et à entrer sur le marché une fois que le brevet 457 serait expiré. Il se peut aussi que Teva attendait qu’une autre partie conteste le brevet 457 avec succès. D’une manière ou de l’autre, Teva ne serait pas entrée sur le marché avant le 13 décembre 2005.

 

[73]           Le Dr Denike, qui a témoigné pour le compte de Teva, a participé étroitement à toutes les facettes de la stratégie de Teva en matière de litiges en 2002, à l’époque où la société examinait si elle était en mesure de lancer le ramipril. L’échange ci-dessous est très révélateur de la stratégie de Teva en matière de litiges relatifs aux brevets :

[traduction]

 

LE TÉMOIN : […] Nous savons que, une fois qu’un autre fabricant générique a intenté une action, la pratique que j’adoptais quand je travaillais là et qui est demeurée en vigueur après mon départ, était que, vu que quelqu’un d’autre avait déjà amorcé le litige, il vaut mieux attendre, se renseigner sur ce qui arrive et réagir à ce qui arrive, parce qu’ils vont permettre aux autres fabricants génériques d’aller de l’avant de toute façon. Alors, si l’action intentée par le premier fabricant générique est rejetée, je pourrai adopter une autre stratégie, parce que je pensais que j’allais bénéficier de l’autorisation en même temps, alors il n’y avait aucune raison de lancer une poursuite tout de suite. Il vaut mieux attendre en retrait, obtenir l’information gratuite à ma disposition et réagir ensuite.

 

LA JUGE SNIDER : Selon ce scénario, vous ne seriez pas les premiers, mais un fabricant parmi d’autres?

 

LE TÉMOIN : Un parmi d’autres. Les premiers ou dans le groupe des premiers.

 

LA JUGE SNIDER : Et cela était suffisant?

 

LE TÉMOIN : Dans le groupe des premiers – être les premiers était toujours le saint Graal. Mais figurer parmi les premiers faisait partie des attentes et était toujours le premier objectif. Si on ne peut pas être les premiers, il faut s’assurer d’être dans le groupe des premiers.

 

LA JUGE SNIDER : Alors, en restant en retrait, Novopharm reconnaissait, dans un contexte hypothétique, étant donné que vous n’étiez pas là à l’époque, mais en général, d’après votre expérience quand vous étiez là, en restant en retrait, vous reconnaissiez que, bien, si on ne peut être les premiers, autant figurer parmi les premiers?

 

LE TÉMOIN : Être dans le groupe des premiers.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[74]           Teva a avancé de nombreuses raisons pour avoir indiqué initialement dans son formulaire V qu’elle attendrait l’expiration du brevet 457. Toutefois, en fin de compte, elle a pris une décision d’affaires. Les décisions d’affaires comportent des conséquences. Teva a choisi de rester sur la touche pendant que d’autres ont tenté – en vain – d’entrer sur le marché malgré le brevet 457. Alors que Teva aurait pu modifier son formulaire V, elle ne l’a pas fait. Elle aurait pu contester le brevet 457 aux termes du Règlement sur les MB (AC) ou en intentant une action en invalidation, mais elle ne l’a pas fait.

 

[75]           Par conséquent, je conclus que la date de début appropriée, pour les besoins de l’article 8 du Règlement, est la date de l’expiration du brevet 457 – soit le 13 décembre 2005.

 

[76]           En fait, même si j’avais conclu qu’il est possible, aux termes du Règlement, que la période de responsabilité commence avant l’imposition du sursis réglementaire, j’aurais tout de même conclu que, à la lumière de la preuve déposée, la date appropriée pour le début de la période en cause est le 13 décembre 2005.

 

VI.       La taille globale du marché du ramipril

 

[77]           Ayant tranché que la période en cause va du 13 décembre 2005 au 27 avril 2007, la prochaine étape consiste à apprécier la taille totale du marché du ramipril durant cette période hypothétique. Autrement dit, je dois estimer le nombre total de capsules de ramipril qu’auraient vendues tous les fabricants durant la période en cause. Ce chiffre représente le marché du ramipril. Pour mener à bien cette tâche, j’ai eu l’assistance de deux économistes, le Dr Anis (pour le compte de Teva) et le Dr Carbone (pour le compte de Sanofi). Ces deux experts ont préparé des estimations de la taille du marché du ramipril, en employant des techniques de modélisation très différentes. De plus, j’ai pu me reporter au témoignage du Dr Cockburn dont le mandat était, selon moi, de s’en tenir à critiquer l’opinion d’expert du Dr Anis. Le Dr Cockburn n’a présenté aucune estimation de son propre cru.

 

[78]           Chacun de leur côté, le Dr Anis et le Dr Carbone avaient pour mandat d’apprécier le marché total du ramipril en fonction d’un certain nombre de scénarios. Chacun a examiné un scénario qui correspond étroitement à la période en cause allant du 13 décembre 2005 au 27 avril 2007. Plus précisément :

 

·                     le scénario 5(ii) du Dr Anis prévoit que [traduction] « Teva Canada est entrée sur le marché en même temps qu’Apotex et un autre fabricant générique approuvé » pour la période allant [traduction] « de décembre 2005 au 2 mai 2007 » (pièce 47, au paragraphe 65);

 

·                     le scénario 5 du Dr Carbone prévoit l’entrée simultanée sur le marché des médicaments génériques de Teva, d’Apotex et d’un fabricant autorisé le 13 décembre 2005, avant l’entrée de PMS et de Riva (pièce 86, vol. 1, aux paragraphes 128 et 129). Le Dr Carbone calcule la taille de ce marché hypothétique jusqu’au 27 avril 2007.

 

[79]           Je fais remarquer que la définition, par le Dr Anis, du scénario 5(ii) diffère du monde hypothétique décrit dans les présents motifs de deux façons. Premièrement, la période d’appréciation choisie par le Dr Anis semble être un peu plus longue que la période en cause. Deuxièmement, le Dr Anis semble indiquer que le troisième fabricant générique (en plus de Teva et d’Apotex) n’est pas un fabricant autorisé (j’aborderai la question de la rivalité au sein du marché des médicaments génériques dans la partie VIII. C, ci-dessous). Malgré ces deux différences, il semble s’agir du scénario qui correspond le plus étroitement au monde hypothétique auquel je me reporte dans les présents motifs et, par conséquent, il est le meilleur scénario dont je dispose aux fins de la comparaison avec les résultats du Dr Carbone.  

 

[80]           Les experts ont abouti à des estimations différentes de la taille totale du marché du ramipril dans le monde hypothétique. Ces différences découlent de leurs conclusions divergentes quant à l’effet de l’arrêt de la promotion du ramipril par Sanofi après l’entrée sur le marché des fabricants génériques (aussi appelée la « générification » du marché). Dans leurs analyses respectives, le Dr Anis et le Dr Carbone ont supposé que Sanofi cesserait tous ses efforts publicitaires dès la générification du ramipril (pièce 47, au paragraphe 113; pièce 86, vol. 1, aux paragraphes 67 à 70). À mon avis, il s’agit d’une hypothèse raisonnable.

 

[81]           Dans son analyse, le Dr Anis suppose que la cessation de la publicité n’aurait pas eu d’effet significatif sur la taille du marché du ramipril. Ainsi, le Dr Anis conclut que la quantité totale de ramipril vendue dans le monde hypothétique aurait été pareille à la quantité de ramipril effectivement vendue durant la période en cause (pièce 47, annexe K, à 11). Par conséquent, pour calculer la taille du marché du ramipril, le Dr Anis utilise les données réelles sur les ventes mensuelles de tous les produits du ramipril durant la période en cause.

 

[82]           Pour tester son hypothèse, le Dr Anis a réalisé une [traduction] « analyse de sensibilité » en construisant deux modèles de régression (modèles S1 et S2) pour estimer l’effet de la publicité sur la taille du marché du ramipril. À l’aide de ces modèles, le Dr Anis a conclu que la cessation de la promotion n’était pas un facteur statistiquement significatif pour l’appréciation de la taille du marché du ramipril (pièce 47, annexe K, à 12).

 

[83]           En revanche, le Dr Carbone suppose que les décisions de Sanofi au chapitre de la publicité auraient un effet sur le marché du ramipril. À l’appui de cette hypothèse, il signale que le marché réel du ramipril a en fait diminué à la suite de la générification (pièce 86, vol. 1, au paragraphe 68).

 

[84]           Se fondant sur son hypothèse selon laquelle la réduction des activités publicitaires a un effet significatif, le Dr Carbone utilise une technique de prévision en série chronologique pour apprécier l’impact de l’entrée des médicaments génériques sur le marché du ramipril. Cette technique comporte quatre étapes :

 

·                     Étape I : le Dr Carbone utilise des données du marché pour la période qui précède l’inscription effective du ramipril générique aux formulaires afin de prévoir la taille du marché du ramipril après la date de l’inscription aux formulaires, en supposant qu’aucun médicament générique n’entrerait sur le marché.

 

·                     Étape II : le Dr Carbone soustrait les ventes prévues de ramipril après la date de l’inscription aux formulaires (c’est-à-dire la quantité prévue à l’étape I) des ventes effectives de ramipril après la date de l’inscription aux formulaires. Il divise ensuite cette différence par les ventes prévues. Son calcul produit une série de [traduction] « pourcentages d’impact » qui représentent l’impact de la concurrence des médicaments génériques sur la taille du marché du ramipril (voir la pièce 86, vol. 1, au tableau 7). Le Dr Carbone affirme que la concurrence des médicaments génériques réduit la taille du marché du ramipril avec le temps pour toutes les formulations, sauf les comprimés de 1,25 mg (pièce 86, vol. 1, au paragraphe 66).

 

·                     Étape III : le Dr Carbone construit un [traduction] « modèle d’impact » à l’aide d’un processus appelé le « modèle de diffusion de Bass ». Cette technique permet d’apprécier l’évolution des ventes de ramipril avec le temps, en fonction de la réaction de la demande aux facteurs qui agissent sur la diffusion du produit, tels que la publicité, la couverture médiatique et le bouche-à-oreille des clients qui utilisent déjà le produit (le modèle d’impact) (pièce 86, vol. 1, à l’annexe J). Le modèle d’impact sert à prévoir la tendance linéaire (négative) de la taille du marché du ramipril en fonction des pourcentages d’impact calculés à l’étape II.

 

·                     Étape IV : le Dr Carbone soustrait les valeurs générées par le modèle d’impact de la taille du marché du ramipril (sans la concurrence des médicaments génériques) prévue à l’étape I. Le résultat est la taille prévue totale du marché du ramipril durant la période en cause.

 

[85]           Il importe de signaler que, même si les modèles utilisés respectivement par le Dr Anis et le Dr Carbone étaient différents (l’un « économétrique » et l’autre de « prévision en série chronologique »), il s’agit d’une distinction qui ne s’applique pas à cette facette de leur analyse. La raison est que le Dr Anis n’utilise pas un modèle économétrique pour prévoir la taille du marché du ramipril. Il présume plutôt que la cessation des efforts promotionnels n’aurait aucun effet sur la taille globale du marché et il se sert de son modèle pour tester cette hypothèse. Par conséquent, à cette étape de l’analyse, il n’y a pas de conflit entre la méthode de « prévision en série chronologique » et la méthode « économétrique » utilisées par les experts. Je dois plutôt répondre à la question suivante : à la lumière de la preuve déposée, est-il raisonnable de supposer que la décision de Sanofi de cesser la promotion d’ALTACE après la générification aurait une incidence sur la demande pour le médicament?

 

[86]           Le Dr Carbone a critiqué la conclusion du Dr Anis selon laquelle l’entrée sur le marché des médicaments génériques n’aurait aucune incidence sur la taille du marché du ramipril. Il a soutenu que le modèle économétrique du Dr Anis n’avait aucune valeur statistique, parce qu’il n’incluait pas suffisamment d’observations (points de données) pour faire des prévisions exactes. À l’appui de son argument, le Dr Carbone a souligné que le modèle du Dr Anis ne permettait pas de prévoir l’impact connu de l’étude HOPE sur les ventes de ramipril (pièce 87, au paragraphe 44).

 

[87]           Le Dr Cockburn a également critiqué la conclusion du Dr Anis sur ce point. En particulier, il a critiqué le Dr Anis pour ne pas avoir inclus dans son modèle des facteurs tels que la disponibilité d’autres traitements; de plus, il a réitéré la préoccupation du Dr Carbone selon laquelle l’ensemble de données du Dr Anis n’était pas suffisamment étendu pour produire des prévisions fiables. En outre, le Dr Cockburn a noté que le Dr Anis ne tenait pas compte de l’effet persistant de la publicité et qu’il n’expliquait pas comment il établissait un prix moyen pour des produits rivaux (pièce 158, aux paragraphes 59 à 62).

 

[88]           En réponse à ces critiques, le Dr Anis a avancé l’observation pragmatique voulant que les estimations de la taille du marché du ramipril, établies par lui-même et par le Dr Carbone, comportaient des différences [traduction] « minimes et peu significatives » (pièce 48, au paragraphe 19). Le Dr Anis chiffre ces différences relativement au scénario 5 du Dr Carbone, dans le tableau 2 de son rapport en réplique (reproduit ci-dessous), et illustre ces différences dans les figures 2.1 à 2.18. Pour toutes les années, la différence en termes de pourcentage entre la taille du marché du ramipril prévue par le Dr Anis et celle prévue par le Dr Carbone varie de 0,58 p. 100 à 3,2 p. 100, selon la formulation (toutefois, ces différences sont plus élevées certaines années) :

 

[traduction]

 

Tableau 2. Comparaison – marché total du ramipril selon le scénario 5 du Dr Carbone

Teneur

Année

Anis

IMS CDH EU

Carbone

Sortie usine

Pourcentage :

Anis/Carbone

Différence en pourcentage

2,5 mg

2005 (déc.)

    5 828 610

    6 228 461

  93,60 %

- 6,60 %

 

2006

  67 361 500

  71 647 787

  94,00 %

- 6,20 %

 

2007 (janv.-avril)

  24 605 630

  23 099 000

106,50 %

6, 30 %

 

Total

  97 795 740

100 975 248

  96,85 %

- 3,20 %

5 mg

2005 (déc.)

  10 861 350

  11 732 696

  92,60 %

- 7,70 %

 

2006

126 245 990

132 748 325

  95,10 %

- 5,00 %

 

2007 (janv.-avril)

  45 898 420

  43 696 315

105,00 %

4,90 %

 

Total

183 005 760

188 177 336

  97,25 %

- 2,79 %

10 mg

2005 (déc.)

  18 628 400

  20 003 022

  93,10 %

- 7,10 %

 

2006

223 164 400

227 084 419

  98,30 %

- 1,70 %

 

2007 (janv.-avril)

  78 306 430

  74 882 010

104,60 %

4,50 %

 

Total

320 099 230

321 969 451

  99,42 %

- 0,58 %

*         La différence en pourcentage est calculée au moyen de la formule suivante : 100 x (Anis IMS CDH EU – Carbone Sortie usine)/moyenne (Anis IMS CDH EU, Carbone Sortie usine).

 

 

[89]           Bien que ces différences soient relativement faibles, j’estime que les critiques de la méthode du Dr Anis sont valides et mettent en doute le pouvoir explicatif de ses modèles économétriques S1 et S2. Toutes choses étant égales par ailleurs, la fiabilité d’un modèle économétrique augmente avec le nombre d’observations incluses dans l’ensemble de données. Les modèles qui testent une hypothèse ou une supposition sur la base d’un nombre restreint d’observations sont statistiquement moins fiables que ceux élaborés au moyen d’un grand nombre d’observations. D’un point de vue méthodologique, il semble que les modèles du Dr Anis ne contiennent tout simplement pas assez d’information pour tirer la conclusion que l’arrêt ou la réduction des efforts publicitaires n’aurait aucune incidence sur la taille du marché du ramipril dans le monde hypothétique.

 

[90]           J’admets également l’observation du Dr Carbone selon laquelle la demande réelle pour le ramipril a, en fait, diminué après l’entrée sur le marché des médicaments génériques. Dans la mesure où cette observation est exacte, elle appuie la conclusion du Dr Carbone selon laquelle la décision de Sanofi de cesser ses efforts publicitaires aurait également entraîné une réduction de la taille du marché du ramipril dans le monde hypothétique.

 

[91]           Je ne suis pas en mesure de tirer de conclusions précises concernant la validité comparative de la méthode de prévision en série chronologique utilisée par le Dr Carbone pour prévoir la taille du marché du ramipril. Le Dr Anis n’avance pas de critiques précises de cette méthode à la présente étape de l’analyse. Je peux seulement conclure que la méthode du Dr Carbone semble offrir un moyen de tenir compte de l’effet de la générification sur la taille du marché du ramipril, en supposant qu’un tel effet se serait produit dans le monde hypothétique et qu’il peut être estimé à l’aide des données tirées des ventes de ramipril observées. Pour ce motif, je suis disposée à admettre, à titre d’estimation raisonnable, la taille du marché du ramipril durant la période en cause estimée par le Dr Carbone en vertu de son scénario 5.

 

[92]           Le tableau ci-dessous indique le nombre total de capsules de ramipril (les formulations contenant 10, 5 et 2,5 mg) calculées à l’aide des prévisions du Dr Carbone, selon son scénario 5 (pièce 88, à l’annexe supplémentaire S). Ce chiffre représente la taille totale du marché du ramipril :

Nombre total de comprimés, scénario 5 du Dr Carbone

 

 

Décembre 2005 à avril 2007

Taille totale du marché du ramipril

611 122 083

 

 

VII.     Taille du marché des médicaments génériques

 

[93]           Ayant déterminé la taille totale du marché du ramipril durant la période en cause, la prochaine étape consiste à établir la taille du marché des médicaments génériques. Pour ce faire, je dois calculer le pourcentage du marché du ramipril que les nouveaux médicaments génériques auraient accaparé. L’acquisition d’une part du marché du ramipril par les fabricants génériques est désignée sous le nom de « pénétration du marché »; du point de vue du fabricant novateur, il s’agit d’une « érosion du marché ». Dans les deux cas, il s’agit de décider comment ALTACE et les versions génériques du ramipril se seraient partagé le marché du ramipril.

 

[94]           Encore une fois, je fais appel à l’assistance des économistes, le Dr Anis et le Dr Carbone. Une fois de plus, je me reporte au scénario 5(ii) du Dr Anis et au scénario 5 du Dr Carbone, qui correspondent à peu près à la période en cause.

 

[95]           À cette étape de l’analyse, les experts ont adopté des démarches très différentes. Le Dr Anis a présumé que la courbe d’érosion de l’ALTACE pourrait être formulée à l’aide de la courbe d’érosion moyenne des médicaments faisant partie du quart supérieur de tous les marchés. Par contraste, le Dr Carbone a estimé la courbe d’érosion de l’ALTACE à l’aide d’un modèle de prévision en série chronologique. Encore une fois, je conclus que la différence entre les experts ne découle pas de la différence entre le modèle économétrique et le modèle de prévision en série chronologique, étant donné que le Dr Anis n’a pas utilisé un modèle économétrique pour son analyse. Par conséquent, je dois trouver un autre critère pour déterminer laquelle de ces démarches serait utile (le cas échéant) pour déterminer la taille du marché des médicaments génériques.

 

[96]           Le Dr Carbone a formulé plusieurs critiques à l’endroit de la méthode utilisée par le Dr Anis pour élaborer et choisir la courbe d’érosion appropriée. Les voici :

 

1.                  le Dr Anis a mal calculé ses courbes d’érosion par quartile moyennes en utilisant les ventes en dollars après la générification (pièce 87, aux paragraphes 27 et 28);

 

2.                  il aurait fallu estimer séparément les courbes d’érosion des provinces individuelles, étant donné que les provinces inscrivent les médicaments à leur formulaire à des dates différentes et qu’on a constaté des différences dans les taux d’érosion des produits cardiovasculaires entre les provinces (pièce 87, au paragraphe 18);

 

3.                  les courbes d’érosion fondées sur les données de la Vérification des achats et des hôpitaux du Canada (CDH) tendront à surestimer le taux d’érosion au début de la période après l’entrée sur le marché des médicaments génériques, parce qu’elles ne tiennent pas compte de l’inventaire accumulé après la date d’inscription au formulaire (pièce 87, au paragraphe 21);

 

4.                  la démarche du Dr Anis manque de transparence, parce qu’il est impossible de lier les courbes d’érosion moyennes aux données sous-jacentes. Le Dr Anis ne fournit pas de taux d’érosion précis (seulement des courbes graphiques) et il semble avoir choisi la courbe d’érosion moyenne au Q4 en se fondant uniquement sur une évaluation visuelle subjective;

 

5.                  la méthode du Dr Anis ne tient pas compte de facteurs additionnels qui pourraient avoir une incidence sur le taux d’érosion de l’ALTACE;

 

6.                  le taux d’érosion au Q4 n’est pas une [traduction] « estimation prudente » du taux d’érosion de l’ALTACE, comme le prétend le Dr Anis – particulièrement pour le Québec, où la courbe observée pour l’ALTACE est supérieure à la courbe Q4 moyenne pour les 24 premiers mois après l’entrée initiale sur le marché des médicaments génériques.

 

[97]           Durant son témoignage, le Dr Anis a indiqué que la première critique du Dr Carbone repose sur une mauvaise compréhension de sa méthode. Voici son explication :

[traduction]

 

Nous avons examiné les ventes de chacune des molécules faisant partie de mon échantillon, et, en fonction de l’ampleur des ventes, les sociétés ou fabricants ont été classés dans différents quartiles, selon la taille; c’est ainsi que j’ai établi les ventes avant la générification. Ensuite, les courbes d’érosion ont été établies sur la base des unités matérielles; cela n’a rien à avoir avec les ventes en dollars ou l’addition des volumes de vente.

 

[98]           La troisième critique a trait à l’utilisation par le Dr Anis des données CDH. Pour situer cette question dans son contexte, signalons que les deux experts ont préparé leurs rapports à l’aide de données fournies par IMS, une société indépendante qui recueille et fournit des données sur l’achat de médicaments obtenues dans le cadre de vérifications. Deux de ces vérifications sont la vérification canadienne de CompuScript et la vérification CDH. Le Dr Anis a expliqué que la vérification CompuScript mesure le nombre de prescriptions exécutées par les pharmacies canadiennes de détail. De son côté, la vérification CDH fournit la valeur monétaire et le volume d’unités de produits pharmaceutiques et diagnostiques achetés par les pharmacies de détail et les hôpitaux canadiens. Selon le témoignage du Dr Anis, les transactions apparaîtront dans la base de données CDH dès que le médicament est expédié au grossiste ou au pharmacien; elles apparaîtront dans la base de données CompuScript seulement après l’exécution d’une prescription.

 

[99]           En réponse à la critique du Dr Carbone, le Dr Anis soutient que l’ensemble de données CDH est pertinent parce que [traduction] « il faut considérer que le processus d’érosion s’amorce dès que le produit générique est disponible » et qu’aucun rajustement n’est requis pour tenir compte du facteur de [traduction] « l’inventaire ». Il soutient que la transaction pertinente aux fins du calcul des dommages-intérêts en l’espèce est celle entre Teva et le fournisseur. Exception faite de cette question, le Dr Anis ne formule aucune autre critique de la méthode de prévision en série chronologique employée par le Dr Carbone pour estimer la taille du marché des médicaments génériques.

 

[100]       En ce qui a trait à la cinquième critique, le Dr Anis a affirmé qu’il ne pensait pas que des éléments tels que la catégorie thérapeutique, le type de produit ou la réglementation provinciale avaient un impact sur son calcul du taux d’érosion moyen.

 

[101]       Ainsi que l’a signalé le Dr Carbone, étant donné que le Dr Anis n’a pas fourni les taux d’érosion réels ayant servi au calcul de sa courbe d’érosion Q4 moyenne, il n’est pas possible de quantifier dans quelle mesure les méthodes des experts entraînent des prévisions différentes concernant la taille du marché des médicaments génériques. Faute de ce genre de comparaison quantitative, il est difficile de tirer des conclusions fiables quant à l’importance des autres critiques du Dr Carbone.

 

[102]       À la lumière des explications du Dr Anis, il ne semble pas y avoir de lacunes importantes dans sa méthode de calcul des courbes d’érosion par quartile moyennes. Toutefois, je note que le Dr Anis n’a pas fourni d’explication rigoureuse pour justifier son choix en ce qui concerne la courbe Q4. Le Dr Anis avance l’hypothèse que les médicaments dont les volumes de vente sont relativement importants avant l’entrée sur le marché des versions génériques attireront une plus grande concurrence en raison de leur plus grand potentiel de rentabilité. Par conséquent, il s’attend à ce que, plus la taille du marché est grande avant l’entrée sur le marché des médicaments génériques, plus l’érosion des ventes subie par les médicaments de marque soit [traduction] « rapide » et [traduction] « profonde » (pièce 47, aux paragraphes 82 et 88). Le Dr Anis aurait vraisemblablement pu élaborer un modèle économétrique pour tester cette hypothèse, en utilisant une démarche similaire à celle qu’il a utilisée pour estimer la taille du marché du ramipril. Aucun modèle de ce genre n’a été présenté; de plus, le Dr Anis n’a avancé aucune explication pour justifier ce choix.

 

[103]       Malheureusement, je ne suis pas en mesure de tirer de conclusions précises concernant la validité de la méthode de prévision en série chronologique utilisée par le Dr Carbone, à part le fait qu’admettre l’affirmation du Dr Anis, selon laquelle les données CDH sont plus appropriées, signifierait que les prévisions du Dr Carbone sous-estiment peut-être la taille du marché des médicaments génériques. La seule observation que je puisse faire est que l’utilisation par le Dr Carbone de cette méthode de prévision cadre bien avec la méthodologie qu’il avait adoptée pour estimer la taille du marché du ramipril, tandis que le Dr Anis a apparemment choisi de recourir à des méthodologies différentes à chacune de ces étapes.

 

[104]       Je préfère donc, dans une légère mesure, l’analyse du Dr Carbone et, en conséquence, les résultats obtenus par celui‑ci relativement à la taille du marché des médicaments génériques.

 

[105]       Le tableau ci-dessous présente les estimations du Dr Carbone visant le marché du ramipril et le marché des médicaments génériques (pièce 88, à l’annexe supplémentaire S) :

Nombre total de comprimés, scénario 5 du Dr Carbone

 

 

Décembre 2005 à avril 2007

Taille totale du marché du ramipril

611 122 083

Taille totale du marché des produits génériques

374 092 845

 

[106]       Ayant tiré cette conclusion, je peux passer aux deux questions qui restent – la part du marché des médicaments génériques de Teva (c’est-à-dire, les volumes perdus de Teva) et le calcul de ses pertes durant la période en cause (c’est-à-dire, les profits perdus nets de Teva).

 

VIII.    Les volumes perdus de Teva

 

[107]       La prochaine étape de l’analyse consiste à déterminer la part du marché des médicaments génériques que Teva aurait obtenue.

 

[108]       Tout d’abord, je note que Sanofi ne soutient pas que Teva n’aurait pas été en mesure de produire des quantités suffisantes de ramipril pour approvisionner la part de marché qu’elle aurait acquise dans le monde hypothétique. Il ressort clairement de la preuve déposée que Teva aurait eu les moyens d’obtenir des quantités suffisantes de l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) et des ingrédients incipients, et aurait eu la capacité de fabrication requise pour répondre à la demande du marché tout au long de la période en cause.

 

[109]       Après avoir conclu que Teva aurait pu approvisionner l’ensemble du marché des médicaments génériques, la question est de savoir si celle-ci se serait emparée de tout ce marché. Avant de quantifier la part du marché des médicaments génériques de Teva, je dois régler certaines questions préliminaires se rapportant à la composition du marché des médicaments génériques.

 

[110]       Teva soutient que, tant sur le plan du droit que sur celui des principes, elle devrait être considérée comme étant le seul fabricant d’une version générique du ramipril durant la période en cause. Même si je décide que d’autres produits génériques auraient pu entrer sur le marché, Teva m’exhorte à ne pas tenir compte des interventions hypothétiques des autres fabricants génériques durant la période en cause.

 

[111]       Par contre, Sanofi affirme que le monde hypothétique devrait inclure d’autres fabricants génériques. En fait, la position de Sanofi est qu’il ne peut y avoir qu’un seul monde hypothétique qui doit s’appliquer à tous les plaideurs potentiels aux termes de l’article 8. À la lumière des faits de l’espèce, Sanofi soutient qu’il est probable qu’Apotex et un fabricant autorisé seraient entrés sur le marché en même temps que Teva le 13 décembre 2005.

 

[112]       Je vais examiner les arguments des parties à tour de rôle, car ils soulèvent des sous‑questions distinctes. Je vais ensuite déterminer le volume de capsules de ramipril que Teva aurait vendu, en fonction de toute concurrence dans le monde hypothétique.

 

A.        Faut-il effectuer l’estimation en supposant que Teva serait le seul fabricant générique approuvé dans le monde hypothétique?

 

[113]       Teva avance plusieurs arguments à l’appui de sa position selon laquelle l’article 8 n’exige pas la prise en considération des actions d’autres fabricants génériques. En résumé, Teva fait valoir : que l’article 8 a trait à un différend exclusif entre une première et une seconde personne aux termes de l’article 6; que l’inclusion d’autres fabricants génériques dans l’analyse aurait pour effet de limiter injustement la responsabilité de Sanofi; que la prise en considération des actions de tiers permettrait à Sanofi de [traduction] « choisir les éléments de preuve qui lui conviennent ». Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que les arguments de Teva sont peu convaincants. Il faut évaluer les dommages-intérêts de Teva en tenant compte de la concurrence qui aurait existé au sein du marché des médicaments génériques.

 

[114]       En ce qui concerne son premier argument, Teva soutient que le Règlement est un code complet et que l’article 8 découle d’un différend exclusif entre une première et une seconde personne. Il s’ensuit, selon Teva, qu’il faut quantifier les pertes de la seconde personne sur cette même base [traduction] « exclusive » et qu’il n’est [traduction] « ni juste, ni raisonnable d’examiner tous les fabricants génériques aux termes de l’article 8 […] lorsque l’article 6 restreint le monde à la première et à seconde personne ». Teva soutient également que [traduction] « il serait manifestement impraticable de procéder autrement », car il faudrait modéliser de multiples scénarios et la quantité de documents à communiquer serait énorme. D’après Teva, la tâche de recréer un marché hypothétique est tellement complexe que le législateur aurait prévu expressément une telle conséquence si tel avait été son intention.

 

[115]       Dans cet argument, Teva amalgame la cause d’action et le redressement. En particulier, la position de Teva exagère l’effet de l’article 6, qui décrit le droit qu’a la première personne de demander une ordonnance d’interdiction. L’article 6 ne définit pas les facteurs que la Cour peut prendre en considération dans son évaluation des dommages-intérêts auxquels la seconde personne pourrait avoir droit aux termes de l’article 8.

 

[116]       L’interprétation de l’article 8 avancée par Teva néglige également la formulation claire du paragraphe 8(5), qui précise que pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder à la seconde personne, « le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin ». La concurrence au sein du marché des médicaments génériques est manifestement un facteur pertinent pour l’indemnisation de la seconde personne. Bien que le Règlement soit, comme le soutient Teva, un « code complet » (Apotex Inc c Syntex Pharmaceuticals International Ltd, 2005 CAF 424, [2006] 3 RCF 318, et Merck Frosst Canada Inc c. Apotex Inc, [1997] 2 CF 561, [1997] ACF no 149 (CA)), la Cour d’appel a statué que le paragraphe 8(5) confère au tribunal « un large pouvoir discrétionnaire » lui permettant de prendre en considération plusieurs facteurs lorsqu’il évalue le montant de l’indemnité à verser à la seconde personne (Apotex Inc c Merck & Co, 2011 CAF 364, [2011] ACF no 1865, aux paragraphes 37 et 38). La prise en considération de la part du marché que les sociétés rivales auraient acquise est un facteur pertinent dans le cadre d’une demande relative à l’article 8, tout comme elle l’est dans le cadre d’une demande de dommages-intérêts. Cela découle des principes généraux régissant l’attribution de dommages-intérêts, dont l’objectif est de placer le demandeur qui a obtenu gain de cause dans la situation où il se retrouverait si ce n’était de l’acte répréhensible du défendeur.

 

[117]       Même si, comme le suggère Teva, le calcul aux termes de l’article 8 serait un peu plus simple si le tribunal ignorait les autres fabricants génériques, la question fondamentale demeurerait la même : Teva serait encore tenue de faire la preuve de ses ventes perdues. Surtout, [traduction] « la simplification et l’économie procédurales » ne sont pas des fins en soi. Ces principes ne figurent pas à l’article 8 et, de toute manière, ne peuvent pas écarter l’obligation du tribunal d’établir le montant de l’indemnisation correspondant à la perte subie par Teva durant la période de responsabilité. Au paragraphe 89 de l’arrêt Alendronate (CAF), précité, la Cour d’appel a fait remarquer que « l’indemnité pour la perte résultant de la suspension automatique doit être calculée par rapport à la perte subie par la seconde personne en raison de la suspension ». Sanofi a raison de souligner que les dommages-intérêts aux termes de l’article 8 doivent cadrer autant avec la situation réelle qu’avec le principe selon lequel les dommages-intérêts aux termes de l’article 8 sont de nature compensatoire.

 

[118]       Bien que Teva ait également raison d’affirmer que chaque cause doit être tranchée à la lumière des faits qui lui sont propres, ce principe n’exclut pas la prise en considération des autres fabricants génériques. Les conclusions tirées par un tribunal concernant la part de marché que chaque produit générique aurait acquise dans le monde hypothétique doivent l’être à la lumière des faits se rapportant à chaque cause; ces conclusions dépendront de la preuve que chaque partie est en mesure de rassembler. La prise en considération de la conduite des autres fabricants génériques n’oblige pas le tribunal à importer des conclusions tirées dans une première procédure dans des actions subséquentes.

 

[119]       Le deuxième argument de Teva – à savoir que la responsabilité de Sanofi serait [traduction] « plafonnée de manière inappropriée » si le tribunal tenait compte d’autres fabricants de produits génétiques – est également peu convaincant. L’essentiel de cet argument semble être le fait que la responsabilité totale de Sanofi aux termes de l’article 8 est inférieure à ses profits. Selon Teva, inclure les autres fabricants de produits génétiques dans l’analyse liée à l’article 8 aurait pour effet de réduire davantage les dommages-intérêts accordés à chacun de ces fabricants, car ils [traduction] « se retrouveraient dans une situation où ils auraient à se battre pour des dommages-intérêts dont le montant cumulatif serait nettement inférieur aux profits que Sanofi a vraiment réalisés ».

 

[120]       Bien que l’argument de Teva puisse avoir certains attraits du point de vue de la politique publique, il comporte une méprise fondamentale concernant la nature des dommages-intérêts aux termes de l’article 8. Le paragraphe 8(1) prévoit que la première personne est responsable envers la seconde personne de « toute perte subie au cours de la période [de responsabilité] ». Il n’y a pas de critère selon lequel la responsabilité totale de Sanofi doit être proche des profits qu’elle a réalisés grâce à la vente d’ALTACE durant la période du sursis. De plus, il est bien établi que l’article 8 ne prévoit pas la restitution à la seconde personne des profits réalisés par la première personne (Alendronate (CAF), précité, aux paragraphes 89 à 91; Apotex Inc c Eli Lilly Canada Inc, 2011 CAF 358, 426 NR 173, au paragraphe 23). L’argument de Teva est un moyen détourné d’obtenir une forme de restitution de profits et, par conséquent, il doit être rejeté.

 

[121]       Enfin, Teva soutient que le tribunal devrait refuser l’argument de Sanofi selon lequel d’autres produits génériques seraient entrés sur le marché durant la période de responsabilité, parce que [traduction] « après avoir abusé du Règlement, renouvelé à maintes reprises son monopole, puis bloqué et retardé l’entrée de Teva sur le marché, il ne faudrait pas permettre à Sanofi de choisir les éléments de preuve qui lui conviennent relativement aux tiers et de créer son propre monde hypothétique idéal dans le but de réduire les dommages-intérêts auxquels Teva a droit aux termes de l’article 8 ». Les règles ordinaires de la preuve et les normes de preuve répondent à cette préoccupation.

 

[122]       En ce qui concerne ma conclusion que l’article 8 exige la prise en considération des rivaux génériques dans le monde hypothétique, je signale que cette approche est conforme à la décision des tribunaux britanniques dans Les Laboratoires Servier and another c Apotex Inc and others, [2008] EWHC 2347 (Ch) (QL), [2008] All ER (D) 79 (Oct), inf. pour d’autres motifs par [2010] EWCA Civ 279, [2010] All ER (D) 238 (Nov) [Servier]. Cette affaire découlait du brevet de Servier visant le perindopril et avait trait à l’application d’un engagement réciproque en matière de dommages-intérêts. Servier avait obtenu une injonction provisoire interdisant à Apotex de vendre le perindopril dans l’attente du procès, tout en permettant à cette dernière de remplir les commandes fermes déjà passées. Par la suite, le tribunal a conclu que le brevet de Servier n’était pas valide et a annulé l’injonction. La décision portait sur la quantification des pertes d’Apotex. En exposant les principes juridiques applicables, le tribunal a noté au paragraphe 5(e) que [traduction] « les profits qu’Apotex aurait réalisés, en saisissant l’occasion de commercialiser une version générique du perindopril, auraient varié en partie, en fonction des actions hypothétiques de tiers (les autres fabricants qui auraient pu accéder au marché) et en partie en fonction des mesures prises par Servier en réponse à cette concurrence ».

 

[123]       Par conséquent, pour évaluer la part du marché des médicaments génériques que Teva aurait acquise, je tiendrai compte de la part du marché que les autres fabricants génériques auraient acquise dans le monde hypothétique.

 

B.        Faut-il effectuer l’évaluation en supposant qu’il n’y a qu’un seul monde hypothétique?

 

[124]       Non seulement Sanofi réfute l’interprétation du Règlement avancée par Teva selon laquelle il faut prendre en considération [traduction] « un seul fabricant générique », mais elle affirme en outre qu’il ne peut y avoir qu’un monde hypothétique qui s’applique à toutes les demandes relatives à l’article 8 se rapportant au ramipril. Selon Sanofi, ce serait une aubaine inespérée pour une seconde personne si tous les autres fabricants génériques n’étaient pas pris en considération. D’après Sanofi, faute d’une conclusion unique concernant le marché général des produits génériques dans le monde hypothétique, les dommages-intérêts n’auraient [traduction] « aucun rapport avec le marché réel qui comporte plusieurs fabricants génériques » et seraient [traduction] « proportionnels au nombre d’acteurs au sein du marché ». Sur ce dernier point, Sanofi apporte des précisions additionnelles en expliquant que [traduction] « [s]’il y [avait] 10 nouveaux arrivants génériques sur le marché, on pourrait avoir 10 parties soutenant qu’elles auraient été l’unique fabricant générique ». Sanofi soutient qu’il est contraire au sens commun de considérer chaque fabricant comme étant le fabricant unique et qu’une telle approche engendrerait une situation où [traduction] « il serait plus avantageux [pour les fabricants génériques] d’intenter des poursuites aux termes du Règlement que de vendre leurs médicaments sur le marché concurrentiel ». Selon Sanofi, une telle situation irait à l’encontre de l’objectif du Règlement qui, de l’avis de Sanofi, [traduction] « est censé encourager la concurrence par les fabricants génériques ». Enfin, Sanofi fait valoir qu’une telle interprétation serait [traduction] « totalement incompatible avec la réalité et totalement incompatible avec la nature compensatoire de l’article 8 ».

 

[125]       Bien que je convienne avec Sanofi que le monde hypothétique doit tenir compte de la présence de concurrents potentiels, je ne souscris pas entièrement à la position qu’elle avance. Autrement dit, je rejette la demande de Sanofi m’exhortant à établir un seul monde hypothétique qui s’appliquerait à la présente affaire et à toute autre cause se rapportant à la générification du ramipril.

 

[126]       L’évaluation des dommages-intérêts peut et doit se faire à la lumière des faits se rapportant à chaque cause. Dans la mesure où il y a des éléments communs qui ont une incidence sur la quantification des dommages-intérêts, il est plus probable que le contraire que ces éléments se présenteront durant le procès.

 

[127]       L’argument de Sanofi comporte une lacune grave : la preuve dans une affaire peut amener le tribunal à établir une période en cause qui diffère de celle établie dans une autre affaire. Cela aurait des répercussions sur de nombreux éléments de l’évaluation des dommages‑intérêts. Par exemple, en l’espèce, j’ai conclu que Teva serait entrée sur le marché le 13 décembre 2005. À la suite de cette conclusion, certains éléments qui entreront en jeu relativement à l’entrée possible sur le marché d’un fabricant générique autorisé diffèrent des éléments qui seraient entrés en jeu si j’avais conclu qu’une autre date d’entrée était plus appropriée. Dans la décision connexe Apotex (dossier nT-1357-09), j’ai conclu qu’une période en cause différente était appropriée; or, des considérations différentes découlent de cette conclusion. Par conséquent, si j’admettais la position de Sanofi, il faudrait que je fasse abstraction de la preuve, soit dans l’affaire Apotex, soit dans la présente. Un tel résultat est insoutenable.

 

[128]       Je souscris à l’avis de Sanofi selon lequel le Règlement sur les MB (AC) prévoit un monde qui [traduction] « comporte plusieurs fabricants génériques ». Toutefois, je ne conviens pas avec Sanofi que le tribunal doit élaborer un seul [traduction] « monde » qui convienne à chacune des causes pouvant être intentées aux termes de l’article 8. De par leur nature même, les dommages-intérêts aux termes de l’article 8 sont hypothétiques. Il s’ensuit qu’il faudra recourir à des estimations et élaborer un marché qui ne sera pas parfait. Ainsi que l’a souligné lord Shaw dans Watson, Laidlaw & Co Ld c Pott, Cassels, and Williamson (1914), 31 RPC 104, à la page 118 (HL) :

[traduction]

 

La restitution au moyen de l’indemnisation s’accomplit donc dans une large mesure en ayant recours à une bonne imagination et en maniant les outils de défrichage.

 

[129]       En ce qui a trait au ramipril, Sanofi a nommé seulement Teva, Apotex et Riva à titre de participantes dans le monde hypothétique. Je suis convaincue que les dommages-intérêts découlant de ces trois actions ne seront pas grandement – et peut-être aucunement – supérieurs aux dommages-intérêts qui auraient été accordés si les trois causes avaient été fusionnées et si un seul monde hypothétique avait été établi. Étant donné que Sanofi est la défenderesse dans les trois causes, elle est bien au fait des dommages-intérêts totaux qui sont demandés. Si ce montant ouvrait de réelles perspectives que la responsabilité totale de Sanofi dépasse les limites du raisonnable, Sanofi pourrait demander au tribunal d’envisager un rajustement aux termes du paragraphe 8(5).

 

[130]       Une situation où les craintes de Sanofi seraient justifiées dans une certaine mesure est envisageable. Ce n’est certainement pas le cas en l’espèce.

 

C.        Quels autres fabricants génériques auraient pu entrer sur le marché?

 

[131]       Ayant conclu qu’il convient d’inclure d’autres fabricants génériques dans le monde hypothétique, la prochaine tâche consiste à établir quels fabricants génériques seraient entrés sur le marché durant la période en cause et à quel moment. Avant d’examiner les nouveaux arrivants individuels, je dois aborder quelques désaccords concernant le fardeau.

 

(1)        Le fardeau de la preuve

 

[132]       Selon Teva, elle a le fardeau de démontrer ses pertes, mais cette démonstration consiste uniquement à prouver qu’elle avait la capacité d’approvisionner le marché dans son ensemble durant la période en cause. Teva soutient qu’elle n’est pas tenue de prouver [traduction] « l’inexistence d’un fait » ou [traduction] « que personne d’autre ne lui aurait enlevé ses ventes ». Selon Teva, [traduction] « il incombe manifestement à Sanofi de réfuter que Teva a droit à la restitution de toutes ses pertes ». En particulier, Teva affirme que Sanofi doit s’acquitter du fardeau d’établir les gestes que Riva, Pharmascience et Apotex auraient posés dans le monde hypothétique. Teva avance que Sanofi devrait avoir à prouver les points suivants : les dates précises d’entrée sur le marché, la capacité de fabrication, l’approvisionnement relatif à l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA), la production ininterrompue, la volonté de procéder à un lancement à risque, l’effet de la concurrence ainsi que l’attestation que chaque fabricant générique aurait commercialisé son produit avec la formulation approuvée – autrement dit, [traduction] « les mêmes choses […] que Teva a dû prouver pour justifier sa demande de dommages-intérêts et ses pertes ».

 

[133]       Teva cite Norfloxacin (CAF) à l’appui de la thèse selon laquelle un demandeur a le fardeau de prouver ce qui serait probablement survenu dans le monde hypothétique, mais soutient que Teva ne peut avoir le fardeau de [traduction] « convoquer […] chacun des fabricants qui auraient pu accéder au marché et prouver qu’ils n’auraient pas lancé de produit ». De plus, Teva établit une analogie avec le fardeau de preuve se rapportant à la comptabilisation des profits : Teva serait tenue de prouver qu’elle aurait probablement obtenu les ventes alléguées, tandis que Sanofi aurait à prouver qu’il y a des motifs de réduire ces chiffres.

 

[134]       De plus, Teva soutient que [traduction] « ayant bénéficié des interdictions automatiques, il serait juste que Sanofi ait le fardeau de faire une démonstration convaincante de tout facteur disculpatoire qu’elle souhaite soumettre à l’examen du tribunal ».

 

[135]       Sanofi rejette l’affirmation de Teva selon laquelle il incombe à Sanofi de prouver que d’autres fabricants génériques auraient accédé au marché, soutenant plutôt que Teva doit prouver qu’elle aurait été le seul fabricant générique et qu’elle aurait obtenu les ventes alléguées. De plus, Sanofi cite Eli Lilly and Company c Apotex Inc, 2009 CF 991, aux paragraphes 762, 771 à 841 et 859, conf. par 2010 CAF 240, 409 NR 173, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2010] CSCR n434, à l’appui de la thèse selon laquelle un demandeur a le fardeau [traduction] « d’établir qu’il a bel et bien subi des dommages, et non pas de simplement avancer qu’il "aurait pu" en subir ». 

 

[136]       Il est bien établi que, dans un procès, il existe un fardeau de persuasion (ou fardeau ultime) et un fardeau de présentation. Dans Hoffmann-La Roche Ltée c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 205 NR 331 (CA), 70 CPR (3d) 206, au paragraphe 8(3), la Cour d’appel a indiqué ce qui suit :

Cette charge [principale], appelée dans les poursuites civiles le « fardeau de persuasion », oblige le poursuivant à prouver sa cause selon la norme de preuve en matière civile. En revanche, le « fardeau de présentation de la preuve » désigne l’obligation de soulever une question et signifie que la partie doit s’assurer qu’il y a au dossier suffisamment d’éléments de preuve de l’existence ou de l’inexistence d’un fait ou d’une question pour satisfaire au critère préliminaire au sujet de ce fait ou de cette question.

 

 

[137]       Au cours d’un procès, le fardeau de persuasion ne se déplace pas, contrairement au fardeau de présentation qui, lui, se déplace. Dès qu’il y a [traduction] « une preuve prima facie ou la présomption de la véracité d’une allégation, qui doit par conséquent être considérée comme étant vraie, faute d’éléments de preuve additionnels », le fardeau de présentation passe au défendeur qui doit [traduction] « présenter des éléments de preuve en réponse à la preuve prima facie » (Ontario Equitable Life and Accident Insurance Co c Baker, [1926] SCR 297, aux pages 308 et 309 [Baker]). À la fin des débats, le tribunal doit apprécier la totalité de la preuve présentée par les deux parties (Baker, précité).

 

[138]       Il n’est pas possible que Teva ait le fardeau de convoquer chacun des fabricants qui auraient pu accéder au marché et de prouver qu’ils n’auraient pas lancé de produit. À cet égard, la position de Teva ressemble beaucoup à celle du défendeur dans Rainbow Industrial Caterers Ltd c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 3 RCS 3, [1991] ACS no 67. Dans cette affaire ayant trait à une action en responsabilité délictuelle, Rainbow réclamait des dommages-intérêts de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) pour, entre autres, avoir fait par négligence une déclaration inexacte concernant un contrat de service d’alimentation. Le CN soutenait que la perte alléguée n’était pas entièrement attribuable au CN, puisque Rainbow aurait conclu d’autres contrats. Sur la question du fardeau, la Cour suprême a affirmé ce qui suit :

Du moment qu’il établit la perte occasionnée par le marché en question, le demandeur s’acquitte du fardeau de la preuve qui lui incombe relativement aux dommages‑intérêts. Le défendeur qui allègue que le demandeur aurait conclu un marché à des conditions différentes soulève une nouvelle question qui oblige le tribunal à s’interroger sur ce qui se serait produit dans une situation hypothétique. Il s’agit d’un domaine dans lequel il est généralement impossible de produire des éléments de preuve concrets. Or, à défaut d’éléments de preuve justifiant une conclusion sur cette question, est‑ce le demandeur ou bien le défendeur qui doit supporter le risque de ne pas convaincre le tribunal? Le demandeur est‑il tenu de réfuter toute proposition de nature conjecturale quant à ce qu’aurait été sa situation si le défendeur n’avait pas commis de délit civil, ou est‑ce à l’auteur du délit civil qui invoque cette situation hypothétique d’en faire la preuve?

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[139]       La Cour suprême a conclu que le fardeau incombait au CN, en formulant les observations suivantes :

L’appelante CN a fait valoir que la perte n’était pas imputable en totalité à la déclaration inexacte parce que Rainbow aurait passé un contrat différent comportant d’autres conditions, ce qui lui aurait occasionné au moins une partie de sa perte. Pour déterminer ce qu’aurait fait l’intimée en l’absence de l’acte délictuel en cause, il faut se livrer à de nombreuses conjectures et, me fondant sur les principes examinés plus haut, je ferais assumer à l’appelante le fardeau ultime de la preuve.

 

[140]       Dans le contexte d’un engagement en matière de dommages-intérêts, un défendeur ayant obtenu gain de cause a le fardeau de prouver ses pertes (voir, par exemple, Servier, précitée, au paragraphe 9). Toutefois, dans Algonquin Mercantile Corp c Dart Industries Canada Ltd (1987), [1988] 2 CF 305 (QL), [1987] ACF no 540, au paragraphe 8 (CA), la Cour d’appel fédérale a statué que, dans une situation où un demandeur débouté soulève la question de l’auto‑concurrence, il incombe au demandeur de prouver son existence :

[L]a question de l’existence de l’auto-concurrence s’étant posée à la suite des allégations de la demanderesse, c’est celle-ci qui devait en établir l’existence, et il n’appartenait pas à la défenderesse d’établir « l’absence » d’auto-concurrence ainsi que l’a dit le juge de première instance.

 

[141]       À mon avis, compte tenu de tout ce qui précède, l’approche appropriée est la suivante : une fois que Teva a présenté une preuve prima facie attestant de ses pertes, le fardeau de présentation passe à Sanofi, qui doit présenter des éléments de preuve en réponse. Cette dernière ne peut se contenter de simplement alléguer que d’autres fabricants génériques seraient entrés sur le marché sans produire des éléments de preuve à l’appui de telles allégations.

 

[142]       En l’espèce, Teva n’a pas – initialement, du moins – le fardeau de réfuter les ventes hypothétiques des autres fabricants génériques. Toutefois, en tout temps, Teva a le fardeau ultime de démontrer ses pertes; la preuve présentée par Teva doit, en fin de compte, être appréciée en regard de toute preuve présentée par Sanofi pour attester des ventes qu’auraient effectuées les autres fabricants génériques. Dans la mesure où Sanofi parvient à s’acquitter de son fardeau de présentation en démontrant des ventes effectuées par des tiers, Teva est tenue de répondre à cette preuve afin de s’acquitter de son fardeau ultime.

 

(2)        Apotex

 

[143]       Sanofi soutient qu’Apotex aurait été un de ses concurrents dans le monde hypothétique durant toute la période en cause. Plus précisément, il semble que la thèse que privilégiait Sanofi était qu’Apotex aurait amorcé la vente du ramipril le 13 décembre 2005, une date qui coïncide avec la date d’entrée sur le marché de Teva. Cette dernière soutient que Sanofi ne s’est aucunement acquittée de son fardeau de prouver qu’Apotex était en mesure d’entrer sur le marché et qu’Apotex l’aurait fait.

 

[144]       La question de savoir si Apotex aurait accédé au marché dans le monde hypothétique comporte deux facettes. D’abord, il faut examiner le contexte réglementaire afin de déterminer s’il y avait des obstacles réglementaires qui auraient empêché Apotex d’entrer sur le marché. L’analyse de cette question mènera à une décision concernant la date possible du lancement par Apotex d’une version générique du ramipril. Ensuite, je dois examiner les considérations d’ordre pratique qui se seraient vraisemblablement manifestées au moment de cette entrée hypothétique sur le marché. Des questions telles que la capacité de production, l’accès à l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) et la motivation s’avèrent pertinentes dans le cadre de cette deuxième étape.

 

[145]       Dans le monde hypothétique que je suis en train d’élaborer en vue de statuer sur la demande de Teva, d’un point de vue réglementaire et pratique, Apotex aurait-elle été en mesure d’accéder au marché et, le cas échéant, à quel moment?

 

[146]       Nous savons que, dans le monde réel, Apotex a soumis sa PADN en vue de l’approbation de l’Apo-ramipril le 31 juillet 2003. Voici les étapes subséquentes qui ont mené à l’autorisation de commercialiser l’Apo-ramipril, d’après le résumé exposé à la pièce 143 :

DATE

ÉVÉNEMENT

31 juillet 2003

Apotex dépose une PADN visant les capsules d’Apo-ramipril.

20 juin 2003

Avis d’allégation no 1 – Brevet 206; portant le cachet postal du 5 août 2003.

23 septembre 2003

L’instruction de T-1742-03 (Avis d’allégation no 1) commence.

20 août 2003

Avis d’allégation no 1 – Brevet 457 – Absence de contrefaçon

8 octobre 2003

L’instruction de T-1851-03 (Avis d’allégation no 2) commence.

10 novembre 2003

Avis d’allégation no 3 – Brevet 457 – Validité

17 novembre 2003

Avis d’allégation no 4 – Brevet 089

29 décembre 2003

L’instruction de T-2459-03 (Avis d’allégation no 3) commence.

5 janvier 2004

L’instruction de T-11-04 (Avis d’allégation no 4) commence.

6 avril 2004

Apotex visée par une « suspension liée au brevet »

 

28 juin 2004

Avis d’allégation no 5 – Brevet 948

16 août 2004

L’instruction de T-1499-04 (Avis d’allégation no 5) commence.

20 septembre 2005

La Cour fédérale rejette T-1742-03 (Avis d’allégation no 1).

6 octobre 2005

La Cour fédérale rend une ordonnance d’interdiction jusqu’à l’expiration du brevet 457, dans T-1851-03 (Avis d’allégation no 2).

27 octobre 2005

La Cour fédérale rejette T-11-04 (Avis d’allégation no 4).

4 novembre 2005

La Cour fédérale rejette T-2459-03 (Avis d’allégation no 3).

29 novembre 2005

Avis d’allégation no 6 – Brevets 549 et 387

13 décembre 2005

Expiration du brevet 457

17 janvier 2006

L’instruction de T-87-06 (Avis d’allégation no 6) commence.

27 juin 2006

La Cour fédérale rejette T-1499-04 (Avis d’allégation no 5).

8 décembre 2006

Le ministre avise qu’Apotex n’avait pas à tenir compte des brevets 549 et 387.

12 décembre 2006

Apotex reçoit l’AC.

2 mai 2008

La Cour fédérale rejette T-87-06 (Avis d’allégation no 6), la demande étant jugée [traduction] « théorique ».

 

 

[147]       Apotex a reçu sa lettre de « suspension liée au brevet » le 26 avril 2004 (pièce 142, onglet 7). Autrement dit, en date du 26 avril 2004, Apotex savait que l’examen de sa PADN était achevé, mais qu’un AC ne lui serait pas délivré tant que les exigences du Règlement ne seraient pas satisfaites. En fin de compte, Apotex a reçu l’autorisation de vendre quatre concentrations de ramipril le 12 décembre 2006.

 

[148]       Il y avait un obstacle très sérieux qui bloquait l’accès d’Apotex sur le marché – réel ou hypothétique. Il s’agissait de l’ordonnance d’interdiction datée du 6 octobre 2005, interdisant au ministre de délivrer un AC à Apotex avant l’expiration du brevet 457 le 13 décembre 2005. Cette ordonnance découlait de la décision rendue par la juge Simpson dans Apotex, précitée, dans laquelle cette dernière a conclu que les allégations d’Apotex concernant l’absence de contrefaçon (avis d’allégation no 2) n’étaient pas fondées. Apotex a interjeté appel de la décision (voir le dossier de la Cour d’appel no A‑494‑05; pièce 142, onglet 18), mais a par la suite renoncé à l’appel le 13 octobre 2006 (pièce 142, onglet 19). Vu l’ordonnance d’interdiction, Apotex n’aurait pas amorcé la vente de l’Apo-ramipril avant le 13 décembre 2005, soit la date d’expiration du brevet 457.

 

[149]       En date du 13 décembre 2005, trois autres actions relatives à un AC intentées par Sanofi avaient déjà été rejetées :

 

·                     la Cour a rejeté l’avis de demande no 1, visant le brevet 206, dans une décision datée du 20 septembre 2005, soit le dossier T-1742-03 (Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1283, 278 FTR 1);

 

·                     la Cour a rejeté l’avis de demande no 4, visant le brevet 089, dans une décision datée du 27 octobre 2005, soit le dossier T-11-04 (Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1461, 283 FTR 1);

 

·                     la Cour a rejeté l’avis de demande no 3, contestant la validité du brevet 457, dans une décision datée du 4 novembre 2005, soit le dossier T‑2459-03 (Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1504, 283 FTR 171).

 

[150]       Il se peut évidemment qu’il y ait eu un lien entre le rejet par la Cour de l’avis de demande no 3 et l’ordonnance d’interdiction. Les deux avaient trait à une contestation du brevet 457. Apotex aurait peut-être pu contester l’ordonnance d’interdiction. Toutefois, dans le présent procès, ni Sanofi ni Teva ne soutiennent que l’ordonnance d’interdiction aurait été sans effet ou inexécutable en date du 4 novembre 2005. Par conséquent, à la lumière du dossier et des arguments présentés, je vais présumer que l’ordonnance d’interdiction serait demeurée en vigueur, faisant obstacle à l’entrée d’Apotex sur le marché jusqu’au 13 décembre 2005.

 

[151]       En date du 13 décembre 2005, il y avait encore deux avis d’allégation visant le brevet 948 (no 5) et les brevets 549 et 387 (no 6). L’objet du brevet 948 était l’utilisation du ramipril avec un inhibiteur calcique pour traiter la protéinurie. Il ne s’agit pas d’une indication pour laquelle Apotex a tenté d’obtenir une approbation. De même, les brevets 549 et 387 avaient trait à l’utilisation du ramipril pour ce qu’on appelle les [traduction] « indications HOPE » (examinées de manière plus détaillée à la section IX.G, ci-dessous). Dans le monde réel, Apotex a reçu son AC lorsqu’elle a retiré les indications HOPE de sa monographie. Ni Sanofi ni Teva ne soutiennent que les avis de demande encore en cours auraient empêché Apotex d’entrer sur le marché le 13 décembre 2005.

 

[152]       Teva signale deux difficultés alléguées se rapportant à la preuve qu’Apotex aurait obtenu l’approbation de vendre son médicament générique. Selon Teva, il n’y a pas de lettre du ministre de la Santé attestant que, en l’absence du Règlement, Apotex aurait reçu son AC en avril 2004. Teva soutient que, faute d’un tel élément de preuve, rien ne permet de supposer qu’une lettre subséquente n’a pas supplanté la lettre de Santé Canada à Apotex, datée du 29 avril 2004, l’informant de la suspension liée au brevet à compter du 26 avril 2004 (pièce 142, onglet 7). À mon avis, Sanofi n’a pas à « prouver » qu’Apotex aurait reçu une lettre de certification. Je ne tente pas d’établir une date de début relativement à une demande de dommages-intérêts aux termes de l’article 8 présentée par Apotex. Je suis plutôt en train d’examiner une situation hypothétique. Une lettre de certification visant l’Apo-ramipril aurait été utile et pertinente, mais il ne s’agit pas du seul élément de preuve auquel je peux me reporter. Il est généralement admis que le ministre délivrera un AC après l’approbation de la PADN. De plus, Teva aurait pu demander au Dr Sherman, le président et directeur général d’Apotex, ou à Mme Bowes si Apotex avait reçu une lettre supplantant celle du 29 avril 2004. À la lumière du dossier, je conclus que la lettre de « suspension liée au brevet » en date du 29 avril 2004 de Santé Canada à Apotex suffit pour démontrer que cette dernière a obtenu l’approbation de vendre son médicament générique à compter du 13 décembre 2005.

 

[153]       La deuxième difficulté signalée par Teva est qu’il n’y a pas de preuve attestant que la formulation réellement vendue par Apotex est la formulation visée par la demande d’approbation en avril 2004. La monographie approuvée d’Apotex (en date du 12 décembre 2006) comporte deux numéros de présentation, soit le no 85886 et le no 91920. Selon Teva, cela signifie qu’il y a deux présentations se rapportant à cette monographie et qu’aucun élément de preuve n’a été déposé pour fournir des renseignements sur la présentation additionnelle (no 91920), notamment sur la question de savoir si elle vise une formulation différente. Par conséquent, selon Teva, Sanofi n’a même pas démontré que la commercialisation de l’Apo-ramipril par Apotex découlait de la présentation approuvée en avril 2004 (n85886). À mon avis, cet argument mélange de manière inopportune le monde réel et le scénario hypothétique que je tente d’élaborer. Je suis convaincue que, dans le monde hypothétique, Apotex aurait été en mesure de commercialiser l’Apo-ramipril au titre de l’approbation obtenue en avril 2004. La question de savoir quelle formulation a en fait été commercialisée à la fin de 2006 est tout simplement dépourvue de pertinence.

 

[154]       Pour les motifs exposés ci-dessus et à la lumière du dossier, je conclus qu’Apotex aurait probablement obtenu les approbations réglementaires requises pour commercialiser l’Apo‑ramipril à compter du 13 décembre 2005. Je vais maintenant examiner les questions d’ordre pratique.

 

[155]       Sur le plan pratique, il faut se pencher sur deux questions : Apotex aurait-elle pu obtenir des quantités suffisantes de l’IPA du ramipril? Et Apotex aurait-elle eu la capacité de production requise pour approvisionner le marché des médicaments génériques (ou au moins sa part du marché hypothétique)?

 

[156]       Teva soutient que la preuve de Sanofi est insuffisante sur les points suivants :

 

·                     Sanofi n’a présenté aucun élément de preuve identifiant la source d’approvisionnement en IPA d’Apotex ou confirmant que cette source aurait la capacité d’approvisionnement requise;

 

·                     Sanofi n’a pas prouvé qu’Apotex avait la capacité de produire les capsules d’Apo‑ramipril;

 

·                     il n’est pas clair si Apotex – advenant qu’elle était seule dans le marché, dans une situation comportant des risques – aurait lancé le ramipril de manière énergique ou même qu’elle aurait procédé à son lancement.

 

[157]       Sanofi a assigné le Dr Sherman à comparaître au présent procès. À la lumière de son témoignage, je suis convaincue qu’il est plus probable que le contraire qu’Apotex aurait été en mesure d’obtenir des quantités suffisantes de l’IPA pour combler ses besoins dans le monde hypothétique. Selon le Dr Sherman, il aurait été possible de se procurer l’IPA du ramipril durant la période en cause. Étant donné qu’il s’agit d’une analyse théorique, Sanofi n’était pas tenue d’identifier une source d’approvisionnement précise pour Apotex. À la lumière de nombreux témoignages, notamment celui d’un fournisseur d’IPA, [caviardé], qui a été convoqué par Teva, je suis convaincue qu’Apotex aurait pu se procurer l’IPA aussi facilement que Teva. De plus, logiquement, si Teva – selon ses propres affirmations – était en mesure de se procurer des quantités suffisantes de l’IPA pour approvisionner la totalité du marché, alors Apotex aurait pu obtenir des quantités suffisantes pour approvisionner une part de ce marché. Enfin, personne n’a signalé le moindre problème concernant l’approvisionnement en IPA du ramipril à la suite de l’arrivée réelle des fabricants génériques sur le marché.

 

[158]       En ce qui concerne la capacité de production, on a présenté au Dr Sherman un graphique illustrant la production annuelle dans les usines où Apotex fabrique les formes posologiques solides (pièce 142, onglet 8). Ce graphique démontre qu’Apotex aurait eu amplement la capacité de produire de grandes quantités d’Apo-ramipril durant la période en cause.

 

[159]       La dernière difficulté signalée par Teva a trait à la conduite probable d’Apotex dans le cadre d’un lancement « à risque ». Ce terme est couramment utilisé pour désigner une situation où un fabricant générique parvient à obtenir un AC aux termes du Règlement, mais court le risque d’être poursuivi pour contrefaçon de brevet s’il lance son produit. Le Dr Sherman a reconnu qu’Apotex évalue les risques liés aux brevets et prend des mesures pour minimiser son exposition aux situations « à risque » (par exemple, en fixant un prix plus élevé pour le produit (p. ex., le perindopril), en concluant des ententes avec les sociétés détenant les brevets (p. ex., l’atorvastatine), et en mettant au point des processus et des formulations non contrefaits (p. ex., l’ésoméprazole). Selon Teva, la preuve ne permet pas de conclure qu’Apotex n’aurait pas adopté de telles mesures relativement au ramipril.

 

[160]       Je n’admets pas cette « interprétation intéressée » du témoignage du Dr Sherman. Teva n’a avancé aucun élément de preuve pour mettre en doute la crédibilité du Dr Sherman. En fait, le Dr Sherman, dont le témoignage était très crédible sur ce point, a décrit l’attitude dynamique d’Apotex pour ce qui est d’accepter le risque de litiges. À la question de savoir si Apotex avait été la première société canadienne à élaborer une stratégie consistant à être [traduction] « les premiers et les seuls », le Dr Sherman a répondu ainsi :

[traduction]

 

Je pense que tous les fabricants génériques ont essentiellement la même stratégie. Il ne fait aucun doute que nous avons eu du succès parce que nous l’avons appliquée le mieux dans de nombreuses situations où nous avons accédé au marché bien avant nos concurrents qui, pour diverses raisons, n’ont pas vu certaines occasions; l’inverse s’est aussi produit.

 

 

[161]       Le seul fait qu’Apotex était disposée à multiplier les mesures contestant la validité de tous les brevets de Sanofi se rapportant au ramipril, alors que Teva se tenait à l’écart, en dit long sur la volonté d’Apotex d’assumer des risques. Entre juin 2003 et novembre 2005, Apotex a signifié six avis d’allégation visant chacun des brevets liés au ramipril. De plus, je ne suis même pas certaine que le lancement hypothétique d’Apotex le 13 décembre 2005 aurait été un lancement à risque. Comme il a déjà été mentionné, à cette date, Apotex aurait probablement surmonté tous les obstacles réglementaires à son lancement de l’Apo-ramipril.

 

[162]       Je suis convaincue que, tout au long de la période en cause, Apotex aurait été en mesure d’obtenir l’IPA du ramipril et aurait eu la capacité de produire des quantités suffisantes d’Apo‑ramipril pour approvisionner sa part hypothétique du marché. De plus, Apotex aurait probablement respecté ses obligations réglementaires et décidé de lancer son produit.

 

[163]       Tout compte fait, la preuve appuie la conclusion selon laquelle Apotex aurait été un intervenant dans le marché durant la totalité de la période en cause.

 

(3)        Riva

 

[164]       Durant le procès, plusieurs scénarios tenant compte de la participation possible de Riva dans le monde hypothétique ont été examinés. Comme pour l’analyse de la participation possible d’Apotex au marché hypothétique, il y a deux facettes à examiner en ce qui a trait à l’entrée possible de Riva sur le marché durant la période en cause. D’abord, il faut examiner le contexte réglementaire afin de déterminer s’il y avait des obstacles réglementaires qui auraient empêché Riva d’entrer sur le marché. Ensuite, il faut examiner les considérations d’ordre pratique qui se seraient vraisemblablement manifestées en date de l’entrée hypothétique sur le marché. Des questions telles que la capacité de production, l’accès à l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) et la motivation s’avèrent pertinentes dans le cadre de cette deuxième étape.

 

[165]       Toutefois, à la lumière de la preuve déposée, Riva n’aurait pas pu obtenir un AC pour son ramipril durant la période en cause. Par conséquent, même si Riva avait pu conclure des ententes en vue de commercialiser le ramipril dans certaines régions ou dans l’ensemble du Canada, il ne lui aurait pas été possible d’accéder au marché durant la période en cause, en raison d’un obstacle réglementaire ou juridique.

 

[166]       Le 8 juin 2004, Riva a soumis à Santé Canada sa PADN visant des capsules de ramipril ayant des concentrations de 2,5, 5 et 10 mg (pièce 115, onglet 74).

 

[167]       Le 21 juin 2004, Santé Canada a avisé Riva que l’examen de sa présentation était achevé et que l’AC ne lui serait pas délivré tant que les exigences du Règlement sur les MB (AC) ne seraient pas satisfaites. À l’époque, bien qu’elles n’étaient pas énumérées dans la lettre, ces exigences incluaient le règlement des questions liées aux brevets inscrits au Registre. Riva devait également surmonter un deuxième – et en fin de compte plus sérieux – obstacle du fait que sa présentation faisait renvoi à la présentation du pms-ramipril par Pharmascience. Ainsi, Riva a soumis une PADN de renvoi qui était à peu près identique aux présentations originales de Pharmascience (pièce 115, onglet 74). La présentation de Riva comportait également une copie de la lettre de Pharmascience autorisant l’utilisation de ses données dans le cadre de la demande de Riva. De plus, Riva a demandé que de nouveaux DIN soient assignés à ses produits (pièce 115, onglet 74).

 

[168]       Selon le témoignage de Mme Bowes, aux termes de la politique et de l’avis de Santé Canada, Riva ne pouvait obtenir un AC pour le ramipril avant que Pharmascience n’obtienne le sien. Dans une lettre datée du 24 avril 2007 (pièce 115, onglet 66), Santé Canada a avisé Riva de cet obstacle réglementaire :

[traduction]

 

[N]ous signalons que, étant donné que la présentation de Riva fait un renvoi à une autre présentation, un AC ne sera pas délivré à Riva tant que la présentation visant le pms-ramipril à laquelle Riva a fait un renvoi n’aura pas reçu son AC, conformément à la politique de Santé Canada intitulée « Dépôt des présentations supplémentaires de drogues nouvelles, suppléments à une présentation abrégée de drogue nouvelle, des modifications à déclaration obligatoire et des présentations de drogues nouvelles de renvoi ».

 

[169]       Le 24 mai 2007, Riva a déposé une demande de contrôle judiciaire visant le refus de Santé Canada (pièce 115, onglet 67; dossier de la Cour T-896-07). Par la suite, Santé Canada est revenue sur sa position et, dans une lettre en date du 21 juin 2007 (pièce 115, onglet 69), a avisé Riva de ce qui suit :

[traduction]

 

Santé Canada n’est plus d’avis que le ministère ne peut délivrer un avis de conformité à Riva tant que la présentation de Pharmascience à laquelle fait renvoi le produit de Riva n’aura pas, elle‑même, été approuvée. Par conséquent, si Riva a gain de cause dans la procédure d’interdiction en cours dans le dossier T-127-07, et si Riva respecte toutes ses obligations aux termes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), elle pourra recevoir un avis de conformité, peu importe si la présentation de Pharmascience est jugée conforme ou non au Règlement et peu importe si Pharmascience reçoit ou non un avis de conformité.

 

[170]       La demande de contrôle judiciaire a fait l’objet d’un désistement. Toutefois, le fait demeure que, malgré toute procédure découlant d’un avis d’allégation aux termes du Règlement, Riva n’aurait pas pu accéder au marché du ramipril avant que Santé Canada ne modifie sa position concernant la PADN de renvoi présentée par Riva. Au plus tôt, Riva aurait pu obtenir un AC le 21 juin 2007, soit après la fin de la période en cause dans la présente affaire. Ni Sanofi ni Teva n’ont soumis des éléments de preuve ou des observations pour faire valoir que Riva aurait pu accéder au marché durant la période en cause.

 

[171]       À la lumière des faits de l’espèce, je conclus que Riva n’aurait pas été un intervenant dans le marché générique hypothétique durant la période en cause.

 

(4)        Le médicament générique autorisé

 

[172]       Il y avait un désaccord entre les parties sur la question de savoir si une version générique autorisée du ramipril aurait accédé au marché dans le monde hypothétique et à quel moment.

 

[173]       Selon de nombreux témoins, le terme « médicament générique autorisé », ou « MGA », renvoie à un médicament qui est fabriqué par une société pharmaceutique novatrice – en l’espèce, Sanofi – mais qui est vendu par une société générique sous un nom générique. Bien que la composition d’un médicament générique autorisé soit identique au médicament original, le MGA a son propre DIN. Les médicaments génériques autorisés obtiennent l’approbation réglementaire en soumettant une PDN administrative au lieu d’une PADN. Aucune étude de bioéquivalence n’est requise, car le médicament générique autorisé est fabriqué par la société novatrice. Ainsi, le processus d’approbation des médicaments génériques autorisés est plus rapide. Mme Friedman a expliqué que les ententes visant les médicaments génériques autorisés permettent aux sociétés novatrices de participer à la fois au marché des médicaments de marque et à celui des médicaments génériques, car la société novatrice vend deux produits distincts, mais identiques.

 

[174]       Dans un marché touché par la générification, l’introduction d’un MGA permet au fabricant de médicaments d’origine de récupérer une part du marché qu’il a perdue aux fabricants génériques. Il est évident qu’un fabricant de médicaments d’origine n’introduira pas de produit générique sur le marché à moins qu’un fabricant non autorisé (un « vrai » fabricant générique) ne lance un produit sur le marché. Autrement, le MGA n’aurait pour seul concurrent que le médicament d’origine.

 

[175]       Lorsque la générification du marché du ramipril a finalement commencé à la fin de 2006, le premier arrivant sur ce marché était ratiopharm, qui agissait comme fabricant autorisé par Sanofi. Prévoyant l’entrée sur le marché d’un concurrent générique, Sanofi avait conclu une entente avec ratiopharm permettant à cette dernière de se servir de la documentation réglementaire déposée par Sanofi pour obtenir un AC avant les autres fabricants génériques. Est‑ce que Sanofi aurait agi de la même façon dans le monde hypothétique et lancé un médicament générique autorisé durant la période en cause? Teva soutient que non et Sanofi affirme que oui. Il y a trois sous-questions à examiner : a) la Cour devrait-elle tenir compte d’un MGA dans l’analyse du marché des médicaments génériques dans le monde hypothétique; b) Sanofi aurait-elle lancé un MGA; c) Sanofi aurait-elle été en mesure de lancer un MGA en date du 13 décembre 2005?

 

a)         L’inclusion d’un MGA dans le monde hypothétique

 

[176]       Teva soutient, en premier lieu, que la Cour ne devrait pas tenir compte d’un MGA dans l’analyse de l’indemnisation, parce que :

 

1.                  les arguments favorables à une telle inclusion sont intéressés et, la plupart du temps, ne s’appuient pas sur des éléments de preuve;

 

2.                  Sanofi [traduction] « a inscrit des brevets de manière belliqueuse » et [traduction] « a présenté des demandes à la Cour fédérale, malgré le fait qu’elle n’avait aucune chance d’obtenir gain de cause », si bien qu’il serait inéquitable de réduire les dommages-intérêts de Teva en tenant compte d’un MGA;

 

3.                  cela aurait pour effet de réduire les dommages-intérêts de Teva;

 

4.                  l’argument favorable à l’inclusion d’un MGA est [traduction] « contraire à l’objet et à l’intention du Règlement ».

 

[177]       La principale réponse de Sanofi à ces arguments semble être qu’il ressort de la preuve que l’affirmation de Sanofi n’est pas intéressée, parce que cette dernière envisageait vraiment de lancer un MGA dans le but d’atténuer ses pertes. Ainsi, Sanofi semble reconnaître la possibilité qu’un argument favorable à l’inclusion d’un MGA puisse servir de [traduction] « moyen de se protéger contre une responsabilité ».

 

[178]       Comme nous le verrons ci-après, la preuve en l’espèce indique qu’il est plus probable que le contraire que Sanofi aurait lancé un MGA dans le monde hypothétique. Par conséquent, le premier argument de Teva ne s’applique pas aux faits de l’espèce, même s’il pourrait s’avérer pertinent dans une cause future. La pertinence possible de l’argument est confirmée par le témoignage du Dr Sherman concernant ce qu’il décrit comme étant la nature anticoncurrentielle des MGA. En particulier, le Dr Sherman a affirmé que les MGA sont injustes pour deux raisons. Premièrement, les MGA permettent aux fabricants novateurs de réduire les profits potentiels d’un fabricant générique (et les dommages-intérêts aux termes de l’article 8) et, ainsi, de dissuader les fabricants génériques d’investir dans certains produits. Deuxièment, le bas prix d’un MGA est rendu possible par les ventes à prix élevé que le fabricant novateur continue de faire, ainsi que par les subventions à caractère fiscal dont les fabricants novateurs bénéficient en déclarant la perte subie en vendant un MGA à un prix inférieur au coût, perte déduite des bénéfices réalisés grâce aux ventes à prix plus élevé de son propre produit. Le Dr Sherman a également affirmé que les fabricants de MGA bénéficient d’un avantage financier du fait qu’ils n’ont pas à recourir aux tribunaux ou à effectuer de la recherche et du développement, et ne sont pas exposés au risque de poursuites pour contrefaçon de brevet. Dans une cause future où la preuve sera différente, de telles considérations pourraient s’avérer pertinentes dans le cadre d’une analyse aux termes du paragraphe 8(5) du Règlement. Je reconnais que je souscris à certaines des préoccupations soulevées par le Dr Sherman. Toutefois, dans la présente affaire, il ressort de la preuve que Sanofi aurait en fait lancé un MGA dans le monde hypothétique. De plus, il n’y a aucun obstacle juridique qui empêche Sanofi de procéder ainsi.

 

[179]       Le deuxième point avancé par Teva – à savoir qu’il serait inéquitable de réduire les dommages-intérêts de Teva en raison de la vente d’un MGA, étant donné que Sanofi [traduction] « a inscrit des brevets de manière belliqueuse » et [traduction] « a présenté des demandes à la Cour fédérale, malgré le fait qu’elle n’avait aucune chance d’obtenir gain de cause » – est dépourvu de pertinence. Il en est ainsi, parce qu’il n’y pas de lien apparent entre la possibilité qu’a Sanofi de soutenir qu’elle aurait lancé un MGA et sa conduite alléguée dans le cadre d’autres procédures. Teva a tort de qualifier de privilège la possibilité qu’a Sanofi de présenter un argument favorable à l’inclusion d’un MGA.

 

[180]       Les troisième et quatrième points de Teva peuvent être examinés ensemble. Il ne fait aucun doute que l’inclusion d’un MGA dans le monde hypothétique a pour effet de réduire les dommages-intérêts accordés à la seconde personne. Toutefois, je ne suis pas convaincue que l’article 8 exclut la prise en considération d’un MGA lors de l’évaluation des pertes subies par la seconde personne.

 

[181]       Ainsi que l’a souligné Sanofi, le Règlement, dans son ensemble, tient compte de l’existence de MGA. Aux termes du paragraphe 7(3), un fabricant de médicaments génériques peut obtenir un AC avec le consentement de la première personne. Un fabricant autorisé est un fabricant qui entre sur le marché avec le consentement de la première personne.

 

[182]       Par le passé, les fabricants de médicaments génériques ont soulevé l’allégation d’injustices causées par les MGA. Le REIR 2006, précité, à la page 1525, renferme les observations suivantes :

Enfin, certains fabricants de médicaments génériques ont fait valoir avec insistance que le gouvernement devrait introduire des mesures dans ces modifications afin de pallier ce qu’ils perçoivent comme une diminution des incitatifs à l’expansion du marché au sein de leur industrie. Plus précisément, ils craignent le fait que les innovateurs concluent un nombre croissant d’ententes d’octroi de licences avec des fabricants de médicaments génériques consentants (appelés « médicaments génériques autorisés ») dans le but de devancer leurs véritables concurrents fabriquant des médicaments génériques et conserver une part du marché après l’expiration des brevets. Cette pratique, que l’on dit de plus en plus courante aux États-Unis, fait actuellement l’objet d’une étude réalisée par le Federal Trade Commission américain (commission fédérale de la concurrence des États-Unis). Bien que le gouvernement soit d’avis qu’il n’y a pas suffisamment d’information concernant l’impact de cette pratique sur la dynamique des marchés afin d’appuyer une action réglementaire à l’heure actuelle, il étudiera cette question de plus près en réponse à ces préoccupations.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

À l’époque, le gouverneur en conseil savait que les MGA suscitaient des questions et a choisi de ne pas apporter de modifications visant à exclure les MGA lors de l’analyse des demandes relatives à l’article 8. Faute d’une disposition réglementaire claire, je ne peux tout simplement pas exclure le MGA de l’analyse des demandes relatives à l’article 8, comme m’y exhorte Teva.

 

[183]       Les dommages-intérêts aux termes de l’article 8 indemnisent une seconde personne pour les pertes subies par cette dernière à cause du sursis automatique (Alendronate (CAF), précité, au paragraphe 71). Autrement dit, on me demande d’évaluer les dommages-intérêts en partant de la situation hypothétique où la demande d’interdiction n’aurait pas été déposée (Norfloxacin (CAF), précité, au paragraphe 75). L’exclusion d’un MGA dans une cause où la preuve démontre qu’un MGA aurait accédé au marché aurait pour effet d’augmenter artificiellement l’indemnisation de Teva aux termes de l’article 8. Il en est ainsi parce que, dans une telle situation, non seulement Teva aurait été en mesure de lancer son produit, mais rien n’aurait empêché le lancement d’un MGA par Sanofi. Il s’ensuit que, en excluant le MGA du monde hypothétique, les dommages-intérêts de Teva seraient supérieurs aux recettes qu’elle aurait réalisées si Sanofi n’avait pas déposé une demande d’interdiction.

 

[184]       En somme, je partage les préoccupations exprimées par Teva. Néanmoins, je ne vois aucun moyen légitime d’exclure l’existence d’un MGA du marché hypothétique (lorsque l’existence du MGA est établie par les faits). Il s’agit d’une décision qui revient au gouverneur en conseil.

 

b)         La décision de lancer un MGA

 

[185]       La prochaine question est de savoir s’il est plus probable que le contraire que Sanofi aurait décidé de lancer un médicament générique autorisé dans le monde hypothétique.

 

[186]       Il y a un certain nombre de facteurs qui m’amènent à conclure que Sanofi aurait décidé de lancer un MGA en même temps que le lancement hypothétique de Teva et d’Apotex en décembre 2005, soit le début de la période en cause.

 

[187]       M. Gravel a témoigné de manière très crédible au sujet de l’approche de Sanofi en ce qui a trait aux MGA. Il a reconnu que Sanofi ne lançait pas un MGA pour tous ses produits à la suite de la générification du marché, et a expliqué que Sanofi examinait un certain nombre de facteurs avant de décider s’il y a lieu de lancer un médicament générique autorisé. [Caviardé]

 

[188]       Un des facteurs les plus importants pour déterminer si Sanofi aurait décidé de lancer un MGA est l’importance de l’ALTACE pour Sanofi. Selon le témoignage de M. Gravel, après la publication de l’étude HOPE, les ventes d’ALTACE [traduction] « ont augmenté considérablement d’une année à l’autre et l’ALTACE est devenu le premier produit au Canada ». Il a également affirmé que, à un moment donné, l’ALTACE était le plus important produit de Sanofi.

 

 

[189]       Un deuxième facteur qui milite pour le lancement d’un MGA en 2005 est le fait que, dans le monde réel, Sanofi a autorisé la commercialisation du ramipril par ratiopharm en 2006.

 

[190]       Teva signale un certain nombre de cas de [traduction] « médicaments à grosses molécules » où Sanofi n’a pas lancé de MGA. Toutefois, M. Gravel a expliqué que, dans les situations où Sanofi a déjà un partenaire qui n’est pas un fabricant générique (par exemple, Bristol-Myers Squibb est son partenaire en ce qui concerne le PLAVIX), elle doit tenir compte du fait qu’elle partagera ses profits à la fois avec les fabricants de MGA et avec son partenaire. En contre-interrogatoire, M. Gravel a reconnu que Sanofi n’avait pas lancé de MGA après la générification de plusieurs de ses produits, mais a soutenu que ces décisions avaient été prises, parce que le MGA n’aurait pas été rentable pour Sanofi. En ce qui concerne le PLAVIX, Mme Decelles a convenu que, même lorsqu’il s’agit de médicaments à très grosses molécules, il peut y avoir des obstacles ou des considérations d’ordre commercial qui poussent Sanofi à renoncer à l’atténuation des pertes dont elle aurait bénéficié grâce à un MGA. [Caviardé] Le fait que Sanofi n’a pas lancé de MGA pour un médicament qu’elle vendait dans le cadre d’une entente de partenariat ne m’amène pas à conclure que Sanofi aurait pris la même décision relativement à l’ALTACE.

 

[191]       L’argument de Teva selon lequel les MGA ne représentaient qu’une faible part du chiffre d’affaires de Sanofi et qu’ils lui avaient permis de toucher des profits de moins de 10 millions de dollars en 2004 était en grande partie non pertinent. Ce qui importe, c’est de déterminer si Sanofi aurait lancé un MGA pour le ramipril.

 

[192]       Il ressort clairement de la preuve que Sanofi envisageait depuis au moins 1999 l’entrée possible des médicaments génériques sur le marché et le lancement d’une version générique autorisée du ramipril, à cause de l’expiration prochaine du brevet 087 en mai 2002. Selon le témoignage de M. Leprince, en réponse à l’expiration du brevet 087, Sanofi avait envisagé les mêmes options qu’elle avait envisagées relativement à de nombreux autres brevets et la [traduction] « démarche habituelle » consistait à autoriser une société appelée Altimed de commercialiser un MGA deux ou trois mois avant l’expiration du brevet. À ce sujet, M. Leprince a commenté un document envisageant l’entrée des médicaments génériques sur le marché au milieu de 2002. Bien que le document commenté par M. Leprince ne comportait aucune modélisation de l’introduction d’un MGA, il est clair que Sanofi a envisagé la possibilité.

 

[193]       Selon le témoignage de M. Leprince, bien que la délivrance du brevet 206 en 2001 ait repoussé la menace de la générification du marché pendant un certain temps, cette menace a refait surface en 2003, lorsque Pharmascience a déposé un avis d’allégation, suivi d’Apotex peu après. Sanofi souligne également avoir pris connaissance, le 16 avril 2003, de la demande de brevet du Dr Sherman visant une formulation du ramipril. Cette demande aurait mis en garde Sanofi contre la possibilité d’une offensive d’Apotex contre l’ALTACE (pièce 97, onglet 59).

 

[194]       De même, M. Gravel a témoigné que Sanofi envisageait la possibilité d’accéder au marché générique du ramipril lorsqu’il a amorcé ses fonctions relatives à l’ALTACE, à la fin de 1999 et au début de 2000.

 

[195]       À la lumière de ces éléments de preuve, je suis convaincue qu’il est plus probable que le contraire que Sanofi aurait décidé de lancer un MGA durant la période en cause pour répondre à l’entrée d’Apotex et de Teva sur le marché des médicaments génériques.

 

c)         Le moment du lancement du MGA

 

[196]       La prochaine question est de savoir si Sanofi aurait été prête à lancer un MGA en même temps que l’entrée sur le marché de Teva et d’Apotex le 13 décembre 2005. Quand Sanofi aurait-elle eu connaissance que l’entrée des médicaments génériques sur le marché était imminente? Sanofi aurait-elle été en mesure de trouver un partenaire dans le monde hypothétique? Sanofi et son partenaire générique auraient-ils été en mesure de prendre les dispositions nécessaires à temps pour un lancement le 13 décembre 2005?

 

[197]       En ce qui concerne le moment où Sanofi aurait eu connaissance que Teva ou Apotex allaient bientôt entrer sur le marché des médicaments génériques, il y a un certain nombre de facteurs en jeu. Sanofi aurait su que l’ordonnance d’interdiction qui empêchait Apotex d’accéder au marché allait expirer le 13 décembre 2005. De plus, le 20 septembre 2005 et le 27 octobre 2005, la Cour fédérale a rejeté deux avis de demande présentés par Sanofi en réponse à des avis d’allégation d’Apotex. Les seuls obstacles qu’il y avait encore pour bloquer l’entrée d’Apotex sur le marché avaient trait à trois brevets d’utilisation; Sanofi était sûrement consciente de la faiblesse de sa position, fondée sur ces brevets. Elle était également au courant de la demande de brevet présentée par le Dr Sherman. Sanofi aurait disposé d’une période d’environ trois mois pour préparer le lancement d’un MGA le 13 décembre 2005.

 

[198]       Selon Teva, il est peu probable que ratiopharm aurait accepté de s’associer à Sanofi pour le lancement d’un MGA. La première lacune de l’argument de Teva est qu’il vise la générification du marché en 2003; il se peut que la situation ait été très différente vers l’automne de 2005. Il ressort de la preuve que Sanofi aurait probablement été en mesure de trouver un partenaire pour lancer un MGA entre septembre et décembre de 2005 – si ratiopharm avait refusé, un autre fabricant générique aurait alors accepté. D’après le Dr Denike et d’autres témoins, la possibilité de s’associer à Sanofi pour lancer une version générique du ramipril aurait suscité un vif intérêt. Selon le témoignage de M. Gravel, [caviardé] et [caviardé] ont communiqué avec Sanofi relativement au ramipril en 2005. Mme Decelles a affirmé que [caviardé] et [caviardé] avaient communiqué avec elle en 2006 au sujet d’une entente visant une version générique autorisée du ramipril. Sanofi a également envisagé la possibilité de s’associer à [caviardé] pour le lancement d’un MGA. De plus, M. Gravel a souligné que les fabricants génériques auraient été intéressés, parce que le ramipril aurait été le plus important médicament à faire l’objet d’une générification. Même si M. Gravel a reconnu que les fabricants génériques [traduction] « ne se valent pas tous pour ce qui est de savoir lequel serait le meilleur partenaire pour [Sanofi] » [caviardé], il est plus probable que le contraire que Sanofi aurait trouvé un partenaire acceptable parmi [caviardé], d’autant plus que cette dernière société figurait dans la liste des partenaires possibles dans une des analyses de Sanofi. De plus, Mme Decelles a affirmé que Sanofi avait également envisagé une association avec [caviardé].

 

[199]       La dernière question est de savoir s’il aurait été possible de prendre toutes les dispositions requises pour lancer un MGA en décembre 2005. À mon avis, il est plus probable que le contraire que Sanofi aurait pu lancer un MGA en même temps que le lancement d’une version générique non autorisée par Teva et Apotex le 13 décembre 2005. Sanofi aurait disposé d’environ trois mois, à compter du rejet de son premier avis de demande le 20 septembre 2005, pour se préparer au lancement des versions génériques d’Apotex et de Teva le 13 décembre. Il ressort de la preuve que Sanofi aurait probablement été en mesure de préparer le lancement d’un MGA dans un tel délai.

 

[200]       Teva signale avec raison que la négociation de l’entente réelle entre Sanofi et ratiopharm a nécessité [caviardé]. Il semble que Sanofi et ratiopharm aient discuté pour la première fois de la possibilité d’un MGA en [caviardé], et au plus tard en [caviardé]. L’entente de principe a été conclue en [caviardé] et la lettre d’intention a été signée en [caviardé]. L’entente finale n’a été conclue que le [caviardé].

 

[201]       Toutefois, Sanofi soutient de manière convaincante qu’il y aurait eu plusieurs façons d’accélérer le processus. Selon les témoignages de M. Gravel et de Mme Decelles, la longueur des négociations entre Sanofi et ratiopharm était attribuable à l’absence de contraintes de temps dans le monde réel. Mme Decelles a affirmé qu’il aurait été possible d’accélérer les négociations en [caviardé], ce qui aurait permis à Sanofi d’aller de l’avant avec certaines facettes opérationnelles, telles que le renvoi au médicament original.

 

[202]       Motivée par l’entrée des médicaments génériques sur le marché dans deux ou trois mois, il est plus probable que le contraire que Sanofi n’aurait ménagé aucun effort pour achever une entente avec un fabricant générique en vue de lancer une version générique le 13 décembre 2005.

 

[203]       Je suis également convaincue que Sanofi aurait été en mesure d’obtenir une approbation réglementaire à temps pour respecter la date de lancement du 13 décembre 2005. Selon le témoignage de Mme Mancino, depuis 2001, les exigences réglementaires se rapportant à un MGA sont essentiellement les suivantes : une présentation administrative qui comprend une copie des formulaires administratifs, tels que le formulaire HBP 30-11, la monographie du produit, une copie des étiquettes de l’emballage, une lettre d’autorisation du fabricant novateur consentant à ce que le fabricant générique fasse référence à la documentation du fabricant novateur dans le cadre de sa demande ainsi qu’une lettre de consentement visant la fabrication, la construction et la vente du produit novateur.

 

[204]       De plus, Mme Mancino a affirmé que, bien que Santé Canada dispose de 45 jours pour mener à bien l’examen d’une présentation administrative, elle a constaté que de tels examens prennent habituellement 30 jours seulement. De même, M. Woloschuk a témoigné que la délivrance d’un AC prend en moyenne 30 jours quand il s’agit d’une présentation de renvoi. De plus, selon le témoignage de Mme Decelles, dans le monde réel, [caviardé].

 

[205]       La production comporte des étapes additionnelles – telles que l’étiquetage et la préparation du produit. Il aurait été possible de mener à bien ces étapes rapidement. [Caviardé]

 

[206]       Selon Teva, pour être en mesure de lancer un MGA, il aurait peut-être également fallu que Sanofi se plie au processus interne d’approbation des investissements financiers (AIF), [caviardé]. [Caviardé]. Il n’est pas clair si le processus d’AIF aurait été requis dans le cas où Sanofi aurait amorcé les négociations relatives à un MGA en septembre ou octobre de 2005. Toutefois, même si un processus d’AIF était requis, le bon sens m’indique que l’approbation des décideurs à l’extérieur du pays concernant le médicament le plus important et le plus rentable de Sanofi aurait été presque immédiate.

 

[207]       [Caviardé], d’autres éléments de preuve démontrent que Sanofi aurait pu lancer un MGA dans un délai plus court si la situation était urgente. À mon avis, les dispositions requises pour accéder au marché avec un MGA auraient nécessité plus que les [caviardé] jours avancés par Sanofi, mais probablement moins que les trois mois dont disposait Sanofi.

 

[208]       En conclusion sur ce point, je suis convaincue qu’il est plus probable que le contraire que Sanofi aurait décidé de lancer un MGA, aurait trouvé un partenaire et aurait été en mesure de lancer une version générique autorisée du ramipril le ou vers le 13 décembre 2005.

 

D.        Les volumes perdus de Teva

 

[209]       Pour les motifs exposés ci-dessus, j’ai conclu que le marché des médicaments génériques durant la période en cause aurait été composé de Teva, d’Apotex et d’un fabricant autorisé, qui seraient tous entrés sur le marché le 13 décembre 2005. Ma prochaine tâche consiste à déterminer comment ces trois concurrents se seraient partagé le marché des médicaments génériques. Pour m’assister, je me reporte aux économistes qui ont formulé des avis sur cette question – les Drs Carbone et Anis.

 

[210]       Il y a des différences importantes entre les résultats du Dr Carbone et ceux du Dr Anis, et chacun a fait l’objet de nombreuses critiques. Toutefois, bon nombre des différences ayant trait à la répartition du marché des médicaments génériques sont mineures lorsqu’on retient le scénario approprié. Ainsi qu’il est signalé aux paragraphes 78 et 79 ci-dessus, les scénarios les plus pertinents aux fins de la comparaison sont le scénario 5(ii) du Dr Anis et le scénario 5 du Dr Carbone. Je vais maintenant examiner l’analyse faite par chaque expert de son scénario approprié.

 

[211]       La démarche du Dr Anis consiste à construire un modèle économétrique comportant des facteurs explicatifs en vue d’estimer la part de marché de Teva. Bien que la méthodologie utilisée ne soit pas divulguée explicitement dans le rapport, le Dr Anis semble se fonder sur son modèle no 3 pour effectuer cette tâche dans le scénario 5(ii). Il construit son modèle no 3 à l’aide de données tirées de marchés réels comportant trois arrivants simultanés, en limitant ces données aux périodes avant l’arrivée d’un quatrième fabricant générique. Le Dr Anis restreint davantage l’ensemble de données de son modèle no 3 aux marchés où Apotex et Teva figuraient tous les deux parmi les premiers arrivants. Ces critères mènent à un ensemble de données qui englobe six formulations de trois molécules (pièce 47, annexe K, à la page 7).

 

[212]       Le Dr Anis utilise son modèle no 3 pour prévoir la part de marché des fabricants génériques dans les marchés où il y a trois premiers arrivants (la part de marché étant la [traduction] « variable indépendante »). Il signale qu’il utilise deux types de [traduction] « variables explicatives » dans ce modèle : (1) l’identité de chaque fabricant générique; (2) pour chacun de ces fabricants génériques, la question de savoir s’il est un fabricant autorisé ou pas. Une variable explicative est censée expliquer une partie de la variation de la variable indépendante d’une observation à l’autre. Autrement dit, pour tenter d’expliquer les différences observées dans les parts de marché obtenues par les fabricants génériques dans différents marchés, le Dr Anis tient compte de l’identité du fabricant générique et du fait que le fabricant générique est ou n’est pas un fabricant autorisé. Par exemple, certains fabricants génériques peuvent avoir un avantage concurrentiel sur les autres fabricants génériques et, par conséquent, tendent à accaparer une plus grande part du marché. Le modèle du Dr Anis est conçu de manière à tester ce type d’hypothèse et à relever la tendance et l’ampleur de tout effet statistiquement significatif.

 

[213]       Le modèle no 3 du Dr Anis prévoit que, lorsqu’il y a trois arrivants simultanés dans le marché des médicaments génériques pour une molécule et une formulation données, la part de marché de Teva sera en moyenne de 33 p. 100, soit environ le tiers. Comme l’a expliqué le Dr Anis :

[traduction]

 

Le résultat intéressant issu du modèle no 3 était le suivant : dans les situations où Teva Canada se trouvait dans des marchés qui comptaient trois fabricants génériques (Teva Canada, Apotex et un autre fabricant générique) ayant accédé au marché en même temps et où il s’agissait de trois fabricants génériques, Teva Canada obtenait en moyenne une part [du marché générique] de 33 p. 100.

 

(Pièce 47, au paragraphe 96 [non souligné dans l’original])

 

[214]       Le Dr Carbone ne construit pas de modèle pour estimer la part du marché des médicaments génériques de Teva. Il applique plutôt une [traduction] « règle des proportions égales » pour déterminer [traduction] « la répartition entre de multiples fabricants génériques accédant au même marché en même temps » (pièce 86, vol. 1, au paragraphe 99). Par conséquent, le Dr Carbone suppose une répartition égale des parts de marché lorsque les concurrents entrent sur le marché simultanément. La principale raison pour laquelle il a réparti le marché des médicaments génériques en parts égales est qu’il n’a pas accès aux données sur les escomptes et les remises qui pourraient, en fin de compte, avoir des effets importants sur l’aptitude d’un fabricant générique particulier à rivaliser. Même si la démarche du Dr Carbone semble, de manière générale, assez arbitraire, les faits de l’espèce appuient sa conclusion.

 

[215]       Dans le marché générique hypothétique qui, d’après mes conclusions, est probable, l’hypothèse du Dr Carbone concernant la répartition en [traduction] « proportions égales » a pour effet d’attribuer à Teva une part du marché générique de 33,3 p. 100, à peu près identique à l’estimation de 33 p. 100 avancée par le Dr Anis. Ainsi, les Drs Anis et Carbone génèrent à peu près les mêmes prévisions pour ce qui est de la part du marché des médicaments génériques que Teva obtiendrait. Par conséquent, il ne semble pas y avoir de désaccord sur cette question entre ces deux experts.

 

[216]       Il y a eu de nombreux témoignages au sujet de l’aptitude d’un fabricant autorisé à rivaliser au sein du marché des médicaments génériques. Toutefois, la preuve présentée était anecdotique et incomplète. En ce qui a trait à Teva et à Apotex, rien ne permet de conclure que, si elles accédaient à un marché en même temps, l’une aurait un avantage concurrentiel sur l’autre.

 

[217]       À la lumière des avis du Dr Carbone et du Dr Anis, je suis disposée à conclure que, dans le monde hypothétique, Teva, Apotex et le fabricant autorisé auraient partagé le marché des médicaments génériques de façon égale. Autrement dit, j’accepte les résultats de l’analyse du Dr Carbone.

 

[218]       Dans le calcul des volumes perdus de Teva, je dois effectuer un rajustement des stocks. Voici comment M. Hamilton a expliqué ce point (pièce 163, annexe 5.4, à la note de bas de page 3) :

[traduction]

 

À ma connaissance, les résultats prévisionnels fournis dans le [rapport du Dr Carbone] ont été obtenus sur la base des données de l’IMS EUTRx, qui reflètent les prescriptions de médicaments de Teva remplies par les pharmaciens plutôt que les ventes de médicaments de Teva aux grossistes et aux pharmaciens. Mon analyse des profits perdus de Teva repose sur les ventes perdues de Teva et, par conséquent, j’ai dû rajuster les résultats prévisionnels de manière à tenir compte du délai entre le moment où Teva réalise une vente et le moment où un pharmacien remplit une prescription de capsules de Teva-Ramipril. Selon mon estimation, après avoir comparé les ventes réelles de Teva-Ramipril à la suite de son lancement avec les données d’IMS pour la même période, ce délai est d’environ deux mois en moyenne. Par conséquent, mon rajustement a pour effet d’inclure deux mois additionnels de ventes de capsule, soit les deux premiers mois qui suivent la période de sursis prenant fin le 27 avril 2007, comme le prévoit le [rapport du Dr Carbone].

 

[219]       En appliquant le rajustement des stocks prôné par M. Hamilton à l’estimation de la part de marché de Teva selon le Dr Carbone, je conclus que Teva aurait vendu 147 092 478 capsules durant la période en cause.

 

[220]       Je note que, d’après l’annexe 5.1 des annexes finales des rapports de M. Hamilton, les ventes perdues de Teva se chiffrent à 147 092 476 capsules (pièce 163, onglet 5, à la page 1), soit deux capsules de moins par rapport à mon calcul. Il semble que cette différence soit attribuable au fait qu’il y avait un écart de quelques capsules entre les totaux mensuels utilisés par M. Hamilton dans son rapport et les estimations utilisées par le Dr Carbone dans son annexe S. Je ne connais pas les raisons de cet écart, mais je note qu’il s’agit d’un écart très faible et je ne vois aucun inconvénient à utiliser le résultat de M. Hamilton. Ainsi, j’arrive à la quantification suivante de la part du marché des médicaments génériques que Teva aurait obtenue durant la période en cause :

 

Décembre 2005 - avril 2007

Rajustement des stocks

Ventes de ramipril dans le monde hypothétique

Taille totale du marché du ramipril

611 122 083

 

 

Taille totale du marché générique

374 092 845

 

 

Ventes perdues de Teva

124 697 615

22 394 864

147 092 476

 

IX.       Les profits perdus nets de Teva

 

[221]       La dernière étape consiste à quantifier les pertes de Teva. Délaissant les économistes, je me tourne maintenant vers les experts qui ont fourni de l’information sur l’établissement des prix et les formulaires pharmaceutiques ainsi que vers les experts-comptables qui ont calculé les dommages-intérêts finaux. De façon générale, le calcul des profits perdus relativement à la vente du ramipril se fait en multipliant le volume de ventes perdues par le prix et en soustrayant ensuite les dépenses.

 

[222]       Les experts-comptables s’entendent dans une large mesure sur bon nombre des dépenses, lorsqu’on se penche sur les scénarios les plus proches du monde hypothétique. Il s’agit du scénario 7 de Mme Loomer, qui suppose que Teva accède au marché avec Apotex et un autre fabricant générique pour la période allant de décembre 2005 au 2 mai 2007, et du scénario 5 de M. Hamilton, qui va du 13 décembre 2005 au 27 avril 2007 et qui suppose que Teva, Apotex et un fabricant générique autorisé entrent sur le marché le 13 décembre 2005.

 

[223]       Ainsi qu’il est signalé aux paragraphes 11(5) et 11(6) ci-dessus, à la fin du procès, les seuls points de désaccord qui persistaient étaient les suivants :

 

a)      la pertinence et l’admissibilité de certaines sections des rapports de Mme Loomer ayant trait à la [traduction] « perte de valeur de l’entreprise » et à la [traduction] « deuxième entrée accélérée sur le marché » de Teva – Sanofi a présenté une requête en vue de faire radier ces passages et ma décision sur cette requête est exposée dans les présents motifs;

 

b)      le prix du ramipril de Teva durant la période en cause, pour ce qui est des formulaires provinciaux;

 

c)      les dépenses de commercialisation (incluant les escomptes et les remises) que Teva aurait vraisemblablement versées aux pharmaciens pour qu’ils stockent le ramipril de Teva;

 

d)     le prix probable de l’API;

 

e)      la vraisemblance et la quantification des pertes indirectes, telles que la perte de ventes d’autres produits;

 

f)       le calcul approprié des intérêts avant jugement;

 

g)      la réparation se rapportant aux prescriptions pour des indications non approuvées, plus précisément les indications HOPE.

 

[224]       Je vais examiner chacun de ces points à tour de rôle.

 

A.        La requête en radiation présentée par Sanofi

 

[225]       Teva soutient qu’elle est en droit d’être indemnisée pour toute perte en capital qu’elle a subie durant la période en cause. Elle fait valoir que [traduction] « la perte de valeur de l’entreprise » est une perte en capital recouvrable. Pour assister la Cour, Mme Loomer a décrit et quantifié cette perte prétendue.

 

[226]       Sanofi s’oppose à l’inclusion de ce montant dans les dommages-intérêts de Teva, soutenant que [traduction] « la perte de valeur de l’entreprise » avancée par Teva n’est rien d’autre qu’une réclamation à peine voilée pour des profits futurs. Selon Sanofi, la jurisprudence établit que Teva n’est pas en droit de présenter des demandes pour des pertes subies en dehors de la période en cause, si bien que la Cour devrait refuser d’accorder les montants en question.

 

[227]       Durant le procès, avant que je n’entende le témoignage de Mme Loomer, Sanofi a présenté une requête en vue de faire radier certaines sections de deux rapports de Mme Suzanne C. Loomer, soit son rapport d’expert en preuve principale et son rapport en réplique. Voici les passages contestés :

 

1.                  du rapport d’expert en preuve principale : les passages ayant trait à la [traduction] « perte de valeur de l’entreprise » contenus dans les paragraphes 230 à 310, dans l’annexe E, dans la colonne intitulée [traduction] « pertes de valeur de l’entreprise » dans le tableau au paragraphe 28, dans l’annexe 1 et dans les sections connexes du graphique à l’annexe 2, ainsi que dans les sections connexes de toutes les annexes;

 

2.                  du rapport en réplique :

 

·                     les passages ayant trait à la [traduction] « perte de valeur de l’entreprise », soit les paragraphes 57 à 73 et 88 à 91, l’annexe E et l’annexe B, les annexes A1 et E3, la rangée du tableau au paragraphe 76 intitulée [traduction] « Perte de valeur de l’entreprise » et la colonne du tableau au paragraphe 96 intitulée [traduction] « Perte de valeur de l’entreprise », ainsi que toutes les annexes connexes;

 

·                     les passages ayant trait à [traduction] « l’entrée accélérée sur le marché », soit les paragraphes 45 à 49, 77d), 83 à 85 et 90 (la deuxième phrase), les annexes 2 et 3, l’annexe B, l’annexe E5, et la rangée du tableau au paragraphe 50 intitulée [traduction] « Rajustement lié à la deuxième entrée accélérée sur le marché », ainsi que toutes les annexes connexes.

 

[228]       Après avoir entendu les observations orales des parties, j’ai noté que je n’avais pas encore, à cette étape-là du procès, entendu Mme Loomer présenter son témoignage ou, surtout, répondre à des questions en contre-interrogatoire. De plus, je n’ai pas eu l’occasion d’entendre les témoignages de M. Hamilton ou de Mme Frederick, qui ont tous les deux abordé diverses facettes des rapports de Mme Loomer. De plus, on m’a avisée que Sanofi avait déjà préparé et soumis le rapport de Mme Frederick en réplique à Mme Loomer et que M. Hamilton serait disposé à aborder des sections de la preuve contestée, atténuant ainsi le préjudice à Sanofi. À cette étape‑là du procès, je ne me sentais pas en mesure de statuer sur l’admissibilité de la preuve et j’ai avisé les parties que je rendrais ma décision plus tard. Durant la présentation de leurs conclusions finales, les deux parties ont avancé des observations additionnelles sur cette question.

 

[229]       Pour les motifs qui suivent, je vais radier les passages contestés et ne pas tenir compte des réclamations de Teva se rapportant à [traduction] « la perte de valeur de l’entreprise » ou à [traduction] « la deuxième entrée accélérée sur le marché ».

 

[230]       L’argument de Sanofi contre les passages ayant trait à [traduction] « la perte de valeur de l’entreprise », passages qui se trouvent dans les deux rapports de Mme Loomer, est que ces déclarations ou opinions sont sans rapport avec les actes de procédure et constituent un abus de procédure en raison : a) de la radiation des éléments faisant référence à « la perte permanente de parts de marché » de la demande reconventionnelle de Teva (voir Sanofi-Aventis Canada Inc c Teva Canada Ltd, 2010 CF 1210, 377 FTR 293, conf. par 2011 CAF 149, 420 NR 115, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2011] CSCR n326 [Sanofi 2010]); b) de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Alendronate (CA), précité.

 

[231]       En ce qui a trait aux passages de Mme Loomer visant [traduction] « l’entrée accélérée sur le marché », passages qui se trouvent dans son rapport en réplique, Sanofi soutient que ces passages souffrent de la même lacune que les passages ayant trait à [traduction] « la perte de valeur de l’entreprise » et, de plus, ne constituent pas une contre-preuve acceptable.

 

[232]       Dans sa réponse à cette requête, Teva soutient que les passages contestés ont rapport aux paragraphes 76 h1)(ix), 143D et 143G de ses actes de procédure. De plus, Teva, se conformant aux restrictions imposées par la Cour d’appel dans les arrêts Alendronate (CAF) et Sanofi 2010, soutient avoir pris soin de limiter sa demande aux dommages-intérêts subis durant la période en cause prenant fin le 27 avril 2007.

 

[233]       Les parties sont bien au fait que l’admissibilité de la preuve d’expert est régie à la fois par l’article 279 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et par la common law.

 

[234]       La Cour suprême a énoncé les principes de common law régissant l’admissibilité de la preuve d’expert dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, à la page 20, [1994] ACS no 36 [Mohan]. En plus des facteurs bien établis exposés dans Mohan, à savoir la pertinence, la nécessité d’aider le juge des faits, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert, la jurisprudence nous enseigne qu’un tribunal doit apprécier ces facteurs par rapport à des facteurs faisant contrepoids, soit le délai, le préjudice et la confusion qui peuvent en résulter (voir, par exemple, R c J-LJ, 2000 CSC 51, [2000] 2 RCS 600, au paragraphe 47). Même dans une situation où la preuve s’avère pertinente, le juge de première instance peut l’exclure s’il estime que sa valeur probante est moindre que son effet préjudiciable. Il ne fait aucun doute que des questions telles que la conduite efficace du procès et le préjudice causé à l’autre partie sont des considérations pertinentes dans le cadre de l’appréciation de l’admissibilité.

 

[235]       Sanofi soulève un deuxième point concernant les passages qui se trouvent dans le rapport en réplique de Mme Loomer : ils ne constituent pas une contre-preuve acceptable. Dans Halford c Seed Hawk Inc, 2003 CFPI 141, 24 CPR (4th) 220, le juge Pelletier a fait un exposé très utile de certains principes de base régissant l’admissibilité de la contre-preuve. Un des principes de première importance pour les besoins de la présente requête, c’est l’exigence énoncée par le juge Pelletier selon laquelle la preuve que l’on veut présenter doit être pertinente à l’égard de la question en litige.

 

[236]       Dans la présente requête, Sanofi ne conteste pas la qualification de Mme Loomer à titre d’experte; de plus, Sanofi ne soutient pas qu’une règle d’exclusion s’applique en l’espèce. En outre, je suis disposée à admettre que, si la preuve était admissible en vertu de quelque autre principe, elle m’aiderait dans le cadre du présent procès.

 

[237]       Il reste donc la pertinence à titre de critère décisif. La pertinence est une exigence minimale pour tout élément de preuve. Sanofi 2010 et Alendronate (CAF), précités, ont défini les limites de ce qui est pertinent dans la détermination des dommages-intérêts aux termes de l’article 8.

 

[238]       Dans l’arrêt Alendronate (CAF), la Cour d’appel s’est penchée sur la portée d’une demande relative à l’article 8 du Règlement sur les MB (AC). Dans cette affaire, Apotex avait soutenu que, aux termes de l’article 8 du Règlement, elle avait droit à des dommages‑intérêts relativement « à la perte de ventes et à la perte permanente d’une part de marché » (voir Alendronate (CF), précitée, au paragraphe 118 [non souligné dans l’original]). La Cour d’appel a statué que l’article 8 ne prévoit pas de dommages-intérêts pour les « pertes futures », telles que la diminution de la part de marché attribuable à l’entrée plus tardive sur le marché des médicaments génériques. It convient de reproduire la section décisive de cet arrêt, aux paragraphes 99 à 102 :

[99]      Selon l’analyse du juge de la Cour fédérale, les pertes réclamées par Apotex ont été causées au cours de cette période, qui correspond au moment où Apotex a été empêchée d’entrer sur le marché et d’obtenir la part de marché qu’elle aurait eu autrement, selon sa demande. Personne ne conteste ce raisonnement. La question est de savoir si la baisse des ventes survenant dans les années futures du fait de cette diminution de la part de marché tombe dans la portée de l’article 8. Le juge de la Cour fédérale, en autorisant l’instruction de la demande relative aux pertes allant « au‑delà du 26 mai 2005 », a répondu par l’affirmative à la question.

 

[100]    Quand on prend en considération les larges pouvoirs que confère l’article 55.2(4) de la Loi sur les brevets, il apparaît clair que l’évaluation de l’indemnité qui peut être accordée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil. Il est clair également que dans le cadre de l’objet du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et de l’équilibre que cherche à établir la Loi sur les brevets, le gouverneur en conseil pouvait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, fixer l’indemnisation à l’intérieur d’une fourchette.

 

[101]    En l’espèce, nous avons l’avantage de savoir qu’en 1998 le gouverneur en conseil s’est penché sur la question et qu’il a choisi de limiter l’évaluation des pertes faisant l’objet d’une indemnisation par voie de dommages-intérêts aux pertes subies au cours de la période. Cela ne pose aucune question de principe. Le gouverneur en conseil aurait pu étendre l’évaluation des pertes aux pertes qui ont été causées au cours de la période, sans égard au moment où elles sont subies. Cependant, il ne l’a pas fait.

 

[102]    Il faut donner effet à l’intention clairement exprimée du gouverneur en conseil. L’indemnisation des pertes pour les années futures est donc exclue puisqu’on ne peut pas dire que ces pertes ont été subies au cours de la période. Il s’ensuit, par exemple, que le droit d’Apotex à des dommages‑intérêts pour la perte de ventes résultant de la baisse alléguée de sa part de marché doit être limité aux ventes dont on peut établir qu’elles ont été perdues au cours de la période. Pour que les pertes fassent l’objet d’une indemnité, il faut établir qu’elles sont survenues au cours de la période. Par conséquent, je conclus que l’appel devrait être accueilli sur ce point précis.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[239]       À la suite de cet arrêt, dans le contexte du litige dont je suis saisie, la requête de Sanofi en vue de faire radier certaines sections des actes de procédures de Teva a été accueillie (voir Sanofi 2010). Dans Sanofi 2010, précité, la Cour d’appel fédérale a confirmé les décisions d’un protonotaire et d’un juge de la présente cour visant la radiation des parties des actes de procédure où Teva demandait des dommages-intérêts pour « la perte permanente de parts de marché ». Dans un arrêt très succinct, la Cour d’appel a suivi Alendronate (CAF) et confirmé la décision favorable à la radiation des sections contestées.

 

[240]       Dans sa requête relative à l’admissibilité de la preuve, Sanofi s’oppose à ce que le tribunal tienne compte de [traduction] « la perte de valeur de l’entreprise » et du [traduction] « rajustement lié à la deuxième entrée accélérée sur le marché ».

 

(1)        La perte de valeur de l’entreprise

 

[241]       Pour trancher cette question, il est essentiel de bien qualifier la perte de valeur de l’entreprise calculée par Mme Loomer. Si les pertes revendiquées ont été subies au cours des années subséquentes, bien qu’elles aient été causées durant la période en cause, elles ne sont pas recouvrables.

 

[242]       Dans la section contestée de son rapport d’expert en preuve principale, Mme Loomer effectue des calculs pour déterminer [traduction] « la perte de valeur de l’entreprise » subie par Teva en date du 27 avril 2007. Un exemple des avis exprimés par Mme Loomer se trouve au paragraphe 236 :

[traduction]

 

Si la défenderesse n’avait pas pris les mesures alléguées, la valeur de l’entreprise de Teva Canada en date de l’évaluation aurait été plus élevée que sa valeur réelle à cette date si les flux d’encaisse futurs prévus de Teva Canada en date de l’évaluation avaient été plus élevés.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[243]       Au paragraphe 238, Mme Loomer reconnaît avoir tenu compte de [traduction] « la mesure dans laquelle les pertes auraient vraisemblablement continué après la fin de la période en cause » [non souligné dans l’original]. Au paragraphe 238a), elle décrit [traduction] « les pertes de profits liés au ramipril ». Ces deux concepts (ainsi que d’autres dans les passages contestés) ont trait à des pertes qu’il convient de décrire comme étant des pertes futures. Toutefois, tout au long de ses rapports, Mme Loomer prend soin de lier ces questions à la date du 27 avril 2007. La question à laquelle je dois répondre est la suivante : à la lumière des arrêts Sanofi 2010 et Alendronate (CAF), y a-t-il des motifs légitimes d’inclure [traduction] « la perte de valeur de l’entreprise » dans le calcul des dommages-intérêts? Je conclus que non.

 

[244]       En termes simples, le calcul effectué par Mme Loomer est un calcul des pertes de profits futurs. Je ne vois pas comment, si on lui avait demandé de quantifier les pertes de profits futurs, elle aurait effectué ses calculs autrement. À mon avis, bien que Mme Loomer capitalise ces profits perdus en date de la dernière journée de la période en cause, il ne s’ensuit pas qu’il conviendrait de modifier la qualification de ces montants.

 

[245]       Teva soutient que, en utilisant la date d’évaluation du 27 avril 2007, sa réclamation vise une perte subie durant la période en cause. Cet argument ne permet pas d’écarter le fait que la perte correspond à des pertes qui ne surviennent qu’après le 27 avril 2007. Il ne fait aucun doute que les pertes réclamées – peu importe la façon dont on les désigne – sont visées par les exceptions exposées dans Alendronate (CAF) et ne sont pas recouvrables.

 

[246]       M. Hamilton et Mme Frederick ont tous les deux abordé la qualification de la perte de valeur de l’entreprise. Mme Frederick a décrit les pertes alléguées comme étant [traduction] « la réduction de la valeur de Teva, établie en fonction de ses pertes de profits futurs à partir du 27 avril 2007 et se poursuivant de manière indéfinie » (pièce 140, au paragraphe 37). M. Hamilton a décrit les calculs de Mme Loomer de la manière suivante (pièce 162, au paragraphe 141) et a donc conclu que ces pertes ne devaient pas être incluses dans le calcul des pertes de Teva durant la période en cause :

[traduction]

 

[D]ans le rapport Loomer, l’estimation de la perte de valeur de l’entreprise est calculée en fonction de la valeur actuelle des pertes futures estimées de Teva liées au Teva-Ramipril après le 27 avril 2007. Par conséquent, dans son estimation des pertes de Teva, le rapport Loomer tenait compte de pertes subies après la période de sursis (c’est-à-dire après le 27 avril 2007).

 

[247]       J’admets la qualification avancée par M. Hamilton et Mme Frederick. La réclamation visant [traduction] « la perte de valeur de l’entreprise » est une réclamation visant des profits futurs; il ne s’agit pas d’une perte recouvrable aux termes de l’article 8.

 

[248]       Je suis consciente que, en l’espèce, Teva a soutenu avoir subi un préjudice en raison de [traduction] « [l]a réduction de la valeur globale de l’entreprise attribuable au fait que le ramipril générique de Teva a été tenu à l’écart du marché » (septième défense et demande reconventionnelle modifiée, au paragraphe 76h1)(ix)). Sanofi n’a pas demandé que cette déclaration soit radiée, bien qu’elle ait demandé, avec succès, la radiation d’autres paragraphes faisant référence à de futurs profits (voir Sanofi 2010, précité). Le fait que Sanofi n’a pas demandé la radiation du paragraphe 76h1)(ix) ne signifie pas que ce paragraphe dans les actes de procédure et les éléments de preuve qui s’y rapportent deviennent pertinents dans le cadre de la demande relative à l’article 8. Le problème avec cet argument de Teva est qu’il fait fi de la réalité que Sanofi ne pouvait pas savoir de quelle manière Teva prévoyait [traduction] « prouver » la perte de valeur de l’entreprise. Il est tout à fait possible que, si Sanofi avait compris la portée de cette déclaration, elle aurait demandé sa radiation. Avant que Sanofi (et la Cour) ait la chance d’examiner la preuve à l’appui de cette réclamation, celle‑ci était susceptible de nombreuses interprétations. C’est seulement après avoir pris connaissance du rapport d’expert de Mme Loomer à la lumière de l’ensemble de la preuve qu’il était possible de comprendre pleinement le sens de cette demande.

 

[249]       Teva soutient également que l’arrêt Alendronate (CAF) peut être écarté à titre de précédent, dans la mesure où la perte de valeur de l’entreprise n’a pas été invoquée dans cette cause. Apotex a plutôt soutenu avoir subi la perte de ventes et la perte permanente de parts de marché, et il est clair que ces pertes étaient survenues après la période en cause. Par conséquent, selon Teva, le seul principe qui puisse être tiré de l’arrêt de la Cour d’appel est qu’une seconde personne ne peut demander d’être indemnisée pour la perte de profits futurs et la perte permanente de parts du marché. Il s’agit exactement de la lacune dont souffre la preuve de Teva : il s’agit d’une réclamation pour la perte de ventes futures ou la perte permanente de parts du marché, peu importe la formulation dans les actes de procédure. Le principe exposé dans Alendronate (CAF) s’applique directement.

 

(2)        Le rajustement lié à la deuxième entrée accélérée sur le marché

 

[250]       Le deuxième élément de la requête de Sanofi a trait au [traduction] « rajustement lié à la deuxième entrée accélérée sur le marché », qui a été avancé pour la première fois dans le rapport en réplique de Mme Loomer. Au paragraphe 83 de ce rapport, elle décrit ainsi ce concept :

[traduction]

 

Dans les déclarations Hamilton et Loomer, les ventes perdues de ramipril durant la période en cause tiennent compte d’une entrée accélérée sur le marché où le volume de production passe de zéro à un niveau soutenu (le rythme annualisé). Cette même entrée accélérée sur le marché s’est produite lorsque Teva a réellement accédé au marché en 2007. Si Teva avait généré les volumes perdus de ramipril, elle n’aurait pas eu à traverser deux périodes d’entrée accélérée sur le marché. Par conséquent, il faut supprimer la deuxième entrée accélérée sur le marché.

 

[251]       En termes généraux, tel que je la comprends, l’expression [traduction] « entrée accélérée sur le marché » renvoie au délai requis pour qu’un fabricant de médicaments, une fois qu’il a obtenu l’approbation initiale de son médicament, atteigne son niveau de ventes final. Il faut un certain temps pour négocier des ententes avec les pharmacies et les distributeurs, pour inscrire un médicament sur les formulaires et pour livrer le produit aux pharmacies. Dans le monde hypothétique, M. Hamilton et Mme Loomer fondent leurs analyses sur une période d’entrée accélérée sur le marché d’environ deux mois à compter du 13 décembre 2005. Dans le monde réel, une fois que Teva a accédé au marché à la fin d’avril 2007, son entrée accélérée sur le marché s’est déroulée [traduction] « pour de vrai ». Selon les calculs de Mme Loomer, il a fallu à Teva environ 14 mois pour atteindre un niveau de ventes soutenu. Teva, appuyée par Mme Loomer, soutient que cette deuxième entrée accélérée sur le marché n’aurait pas eu lieu si elle avait pu accéder au marché en l’absence du Règlement.

 

[252]       La perte réclamée par Teva est la différence entre les ventes que Teva aurait réalisées si elle avait déjà atteint son niveau de ventes soutenu le 27 avril 2007 et ses ventes réelles durant la période de 14 mois où elle a effectué son entrée accélérée sur le marché. Initialement, Mme Loomer avait chiffré le rajustement lié à la deuxième entrée accélérée sur le marché à 5,6 millions de dollars. À la lumière de la correction apportée par M. Hamilton, il semble que ce montant – s’il s’avère recouvrable – s’élèverait à 2,067 millions de dollars.

 

[253]       Bien qu’il soit possible de qualifier la deuxième période d’entrée accélérée sur le marché comme étant une perte subie par Teva, il s’agit d’une perte survenue après la période en cause. Encore une fois, Teva se bute contre la conclusion claire et sans équivoque rendue dans Alendronate (CAF).

 

 

 (3) Conclusion sur la perte de valeur de l’entreprise et sur la deuxième entrée accélérée sur le marché

 

[254]       Comme dans l’arrêt Alendronate (CAF), [traduction] « la perte de valeur de l’entreprise » et [traduction] « la deuxième période d’entrée accélérée sur le marché » ont été causées au cours de la période en question, puisqu’il s’agit de la période au cours de laquelle Apotex a été empêchée d’entrer sur le marché et d’obtenir la part de marché qu’elle aurait eu autrement, selon sa demande. Néanmoins, à la lumière de l’arrêt de la Cour d’appel, je dois conclure que Teva n’est pas en droit de faire une réclamation à l’égard de ces pertes. Il s’ensuit que les passages contestés du rapport en preuve principale et du rapport en réplique de Mme Loomer ne satisfont pas au critère de la pertinence, étant sans rapport avec la question en litige. La requête de Sanofi est accueillie et les sections contestées des rapports de Mme Loomer sont radiées. Par conséquent, aucun montant ne sera attribué en guise d’indemnisation pour la deuxième période d’entrée accélérée sur le marché ou la perte de valeur de l’entreprise.

 

B.        Le prix durant la période en cause

 

[255]       Pour calculer les pertes brutes de Teva durant la période en cause, M. Hamilton et Mme Loomer ont multiplié les volumes perdus de Teva par le prix pondéré moyen du Novo‑ramipril durant la période en cause. Le produit de cette multiplication (les volumes estimés multipliés par le prix de vente) correspond aux ventes brutes perdues estimées. Il semble que les écarts entre leurs conclusions soient attribuables aux données d’entrée fournies par M. Palmer (à M. Hamilton) et par Mme Bacovsky (à Mme Loomer).

 

[256]       Une quantification des volumes perdus de Teva est exposée au paragraphe 220, ci-dessus.

 

[257]       Les parties conviennent que, dans un scénario comptant plusieurs fabricants génériques durant la période en cause, le prix moyen du ramipril générique se chiffrerait à 63 p. 100 du prix du médicament de marque pendant la période du 13 décembre 2005 à décembre 2006. En juin 2006, l’Ontario a adopté le projet de loi 102, Loi sur un régime de médicaments transparent pour les patients, 2session, 38e législature, Ontario, 2006 [projet de loi 102]. En vertu de cette loi, qui est entrée en vigueur à la fin de 2006, le prix d’un médicament générique ne devait pas dépasser 50 p. 100 du prix du médicament de marque.

 

[258]       Mme Loomer a effectué les calculs requis dans ses rapports. Suivant les directives reçues, elle a présumé que le prix s’élevait à 63 p. 100 du prix de l’ALTACE durant toute période où Teva était en concurrence avec d’autres fabricants génériques.

 

[259]       Mme Loomer a calculé un [traduction] « prix moyen pondéré par unité » pour chaque dosage, puis a multiplié le prix moyen pondéré par les volumes perdus totaux pour chaque dosage afin d’arriver aux pertes de recettes brutes (voir pièce 28, volume 1, au paragraphe 82). Mme Loomer a conclu que, selon son scénario 7 (plusieurs fabricants génériques, de décembre 2005 au 2 mai 2007), le prix de vente brut moyen pondéré par unité aurait été de 0,59 $ (pièce 29, volume 1, à l’annexe 1).

 

[260]       M. Hamilton, aux termes de son scénario 5 (plusieurs fabricants génériques, du 13 décembre 2005 au 27 avril 2007), a établi un prix de vente brut moyen pondéré de 0,56 $.

 

[261]       Dans sa déclaration en réplique (pièce 162, au paragraphe 42a)), M. Hamilton a soutenu que les calculs du prix moyen pondéré de Mme Loomer contenaient deux erreurs. Une seule de ces erreurs a une incidence sur le scénario 7 de Mme Loomer (trois fabricants génériques qui entrent simultanément sur le marché en décembre 2005) :

[traduction]

 

Mme Loomer a surestimé le prix moyen pondéré durant la période allant du 1er août au 30 novembre 2006. Cela a entraîné une surestimation de la pondération assignée au prix des médicaments non couverts par le PMO [Programme de médicaments de l’Ontario], tels qu’ils sont indiqués à l’annexe B7 du rapport Loomer. Il aurait fallu réduire la pondération assignée au prix des médicaments non couverts par le PMO de 16,2 p. 100 afin de tenir compte de la pondération assignée au prix du PMO. Cette erreur mène à un prix moyen pondéré total de 116,2 p. 100, au lieu de 100 p. 100, pour la période d’août à novembre 2006.

 

[262]       D’après M. Hamilton, les prix de Mme Loomer en 2006 étaient plus élevés qu’en 2005 à cause de cette erreur, [traduction] « qui a entraîné un prix plus élevé d’environ 0,04 $ en 2006 » (pièce 162, au paragraphe 41c)). Lorsqu’on insère le prix corrigé pour 2006 dans les calculs, il en résulte un rajustement à la baisse du prix moyen pondéré global établi par Mme Loomer.

 

[263]       Mme Loomer n’a pas soumis de réplique concernant ces erreurs alléguées. Il est significatif que Mme Loomer ait noté que ses prix [traduction] « concordent dans une large mesure avec ceux de M. Hamilton » et que [traduction] « les prix ne sont pas la source de la différence globale ». Par conséquent, sous réserve de la discussion ci-après des prix en vigueur au Québec, j’admets les calculs de M. Hamilton pour ce qui est d’établir le prix moyen pondéré global pour la période en cause.

 

[264]       Durant sa plaidoirie, Teva a affirmé qu’il y avait des divergences d’avis concernant le moment où le projet de loi 102 de l’Ontario est entré en vigueur. En particulier, elle affirme que certains éléments indiquent qu’il n’y a pas eu de baisses de prix avant le début de 2007. Toutefois, Teva n’a pas fondé ses estimations sur cette position, car sa propre experte (Mme Loomer) a signalé qu’on lui avait demandé de présumer que Teva aurait établi ses prix à 50 p. 100 du prix du médicament de marque pour les ventes au PMO après le 1er octobre 2006, et qu’elle croyait que la réglementation ontarienne avait été mise en œuvre [traduction] « le ou vers le 1er octobre 2006 » (pièce 28, volume 1, au paragraphe 72d), note de bas de page 18).

 

[265]       En ce qui a trait aux prix en vigueur au Québec, M. Hamilton a expliqué que Mme Loomer avait présumé que les prix au Québec étaient passés à 50 p. 100 du prix du médicament de marque après avril 2007, tandis que M. Hamilton a supposé que le changement était survenu le 1er avril 2007. M. Hamilton a noté que, étant donné que la comptabilisation prend fin le 27 avril, la différence n’était que d’un mois.

 

[266]       Bien que l’opinion de M. Hamilton trouve un certain appui dans le rapport de M. Palmer, il est peu probable que le prix du ramipril de Teva au Québec aurait été réduit avant la fin de la période en cause. Dans son rapport, M. Palmer a expliqué que la politique québécoise du prix de vente garanti (la règle du BAP-15) faisait en sorte que les changements de prix n’entraient habituellement pas en vigueur avant la prochaine mise à jour de la Liste des médicaments de la province. D’après M. Palmer, la mise à jour qui a suivi l’entrée en vigueur du projet de loi 102 de l’Ontario en octobre 2006 n’est survenue qu’en avril 2007 (pièce 62, volume 1, au paragraphe 90). Toutefois, il est déroutant que M. Palmer ait également signalé que, en réponse à la nouvelle loi ontarienne, le Québec a modifié sa politique d’établissement des prix en juin 2007 seulement (pièce 62, volume 1, au paragraphe 90). De plus, il a témoigné qu’il avait fallu [traduction] « quelques années » pour que les prix au Québec soient alignés sur ceux en Ontario, et que des mesures transitoires étaient en place durant cette période. Bien que M. Palmer ait affirmé que [traduction] « il avait été question de rembourser [le Québec] » pour les prix plus élevés durant la période de transition, il n’en a pas eu connaissance directement.

 

[267]       Dans l’ensemble, le témoignage de M. Palmer laisse entendre qu’il est plus probable que le contraire que les prix au Québec n’ont changé qu’après la période en cause, car il est clair que l’application de la règle BAP-15 entraînait un certain décalage, et M. Palmer a lui-même affirmé qu’il avait fallu attendre deux ans pour que les prix se rajustent. Il n’y a pas de preuve confirmant la proposition de M. Palmer selon laquelle les montants excédentaires touchés à cause des prix plus élevés avaient été remboursés.

 

[268]       Dans l’ensemble, je me retrouve devant un dossier de preuve assez confus relativement à cette question importante. Toutefois, il semble que, dans ses calculs, M. Palmer aurait dû tenir compte d’un prix plus élevé au Québec pendant la période en cause. Il s’ensuit que, pour corriger cette lacune, il faudrait rajuster à la hausse le prix moyen pondéré global de M. Hamilton, qui est de 0,56 $ l’unité. À cause des autres problèmes mineurs liés aux calculs de Mme Loomer, il convient d’appliquer la hausse à l’analyse et aux calculs de M. Hamilton.

 

C.        Les dépenses de commercialisation

 

[269]       Les parties ne s’entendent pas sur le niveau approprié de « dépenses de commercialisation » qu’il convient de soustraire des profits de Teva à titre de charges d’exploitation. Durant le présent procès, j’ai entendu de nombreux témoignages au sujet de ce que l’on appelle « les dépenses de commercialisation ». Celles-ci englobent les remises accordées aux pharmaciens et les remises de distribution accordées aux grossistes. Pour les besoins de la présente partie de la décision, je n’ai pas tenu compte des éléments tels que les « marchandises gratuites » et les escomptes pour paiement rapide; il ne semble pas y avoir de litige concernant l’évaluation des montants connexes.

 

[270]        Le calcul des dommages-intérêts de Teva doit tenir compte des dépenses de commercialisation qui auraient été engagées durant la période en cause. Plus les dépenses de commercialisation sont élevées, moins les profits réalisés par Teva sont élevés et moins les dommages-intérêts accordés sont élevés. Dans leurs calculs des dommages-intérêts, M. Hamilton et Mme Loomer ont reçu la directive d’inclure les dépenses de commercialisation dans le scénario prévoyant un seul fabricant générique de ramipril et dans celui prévoyant d’autres concurrents génériques durant la période en cause. Étant donné que j’ai conclu que Teva aurait eu des concurrents dans le marché hypothétique, je peux ignorer les calculs de chaque expert se rapportant au scénario à un seul fabricant générique et me concentrer sur le niveau des dépenses de commercialisation dans un marché comptant plusieurs fabricants.

 

[271]       Il n’est pas contesté que les dépenses de commercialisation d’un fabricant sont beaucoup plus élevées lorsqu’il vend un produit dans un marché qui compte plusieurs fabricants génériques. La raison est simple : dans un tel marché, une entreprise fait face à une concurrence très vive dans ses efforts pour convaincre les pharmaciens et les grossistes à stocker sa version du produit générique.

 

[272]       Dans son rapport (voir la pièce 28, volume 1, au paragraphe 88ff), Mme Loomer a décrit la méthode qu’elle a utilisée pour calculer un niveau approprié de dépenses de commercialisation. Elle fournit une description générale des dépenses de commercialisation, que je trouve très utile :

[traduction]

 

89.  De façon générale, les dépenses de commercialisation sont des remises sur le prix inscrit au formulaire accordées aux pharmacies et aux grossistes. Le montant des dépenses de commercialisation varie selon le client. Teva tient compte de divers facteurs afin de déterminer le montant des dépenses de commercialisation à offrir à un client, [caviardé].

 

90.  Ces remises se rangent habituellement dans plusieurs catégories, mais je les désignerai collectivement sous le nom de « dépenses de commercialisation » dans le présent rapport. [caviardé]

 

[273]       Mme Loomer a examiné de nombreux documents de Teva rendant compte de la totalité des dépenses de commercialisation encourues par Teva de 2002 à 2010 sur tous ses produits et elle a fondé ses opinions sur ces chiffres. Relativement à un marché comptant plusieurs fabricants, elle a adopté la démarche suivante (décrite à la pièce 28, volume 1, au paragraphe 98) :

 

1.                  multiplier les pertes de ventes brutes du ramipril par l’escompte pour paiement rapide [caviardé], puis multiplier le résultat par le taux de participation pour tous les produits de Teva pendant l’exercice financier;

 

2.                  multiplier les pertes de ventes brutes du ramipril à chaque date d’augmentation par la remise de distribution [caviardé], puis multiplier ce résultat par la proportion des ventes totales que Teva a faites aux grossistes pour tous les produits de Teva au cours de l’exercice financier;

 

3.                  multiplier les pertes de ventes brutes du ramipril par le taux des dépenses de commercialisation pour toutes les autres remises dont le taux de dépenses de commercialisation correspond aux taux moyens associés aux produits dans un marché comportant plusieurs fabricants;

 

4.                  selon l’annexe B23 du rapport de Mme Loomer, les dépenses de commercialisation pour les années incluses dans la période en cause se chiffraient ainsi : [caviardé] en 2005; [caviardé] en 2006 et [caviardé] en 2007.

 

[274]       M. Hamilton a reçu la directive de supposer un taux de dépenses de commercialisation de [caviardé] pour un marché comptant un seul fabricant générique et de [caviardé] pour un marché comptant plusieurs fabricants génériques (pièce 161, volume 1, au paragraphe 51). Pour vérifier si ces hypothèses étaient raisonnables, il les a comparées avec les dépenses de commercialisation réelles de Teva pour tous les produits de 2003 à 2007 (pièce 161, volume 1, au paragraphe 52), arrivant aux résultats suivants : [caviardé]. Il a également examiné le rapport de Mme Loomer. De l’avis de M. Hamilton, le pourcentage des dépenses de commercialisation réelles de Teva se rapportant à ses ventes de ramipril entre 1999 et le 31 juillet 2008 était de [caviardé]. Se fondant sur cet examen, il a conclu que [caviardé] était raisonnable dans un environnement concurrentiel. Il s’agit d’un taux plus élevé que les taux avancés par Mme Loomer pour les années en question.

 

[275]       Dans l’évaluation faite par M. Hamilton du caractère raisonnable des dépenses de commercialisation, je mets en doute la pertinence d’inclure les dernières années. Dans leurs témoignages, M. Fishman, le Dr Sherman, Mme Decelles et M. Doug Sommerville, qui est le vice‑président du marketing et des ventes, ont tous affirmé que les taux des dépenses de commercialisation avaient augmenté au cours des dernières années. À la lumière de ces témoignages, l’inclusion de données pour les années subséquentes à 2007 pourrait fausser le niveau des dépenses de commercialisation, en le rehaussant.

 

[276]       Je conclus qu’un niveau de [caviardé] pour l’ensemble de la période en cause est une approximation raisonnable des dépenses de commercialisation qui auraient été encourues.

 

D.        Le prix de l’ingrédient pharmaceutique actif

 

[277]        Le calcul des dommages-intérêts de Teva doit tenir compte du coût des matières utilisées pour produire le Novo-ramipril durant la période en cause. En termes simples, plus le coût des matières était élevé, moins Teva aurait réalisé de profits, et moins les dommages-intérêts accordés seront élevés. Un des points de désaccord entre M. Hamilton et Mme Loomer était le coût auquel Teva aurait pu obtenir l’IPA du ramipril durant la période en cause. M. Hamilton a expliqué son hypothèse concernant le prix de l’IPA de la manière suivante (pièce 161, volume 1, au paragraphe 72) :

[traduction]

 

J’ai présumé que le prix moyen pondéré payé par Teva pour [l’IPA du] ramipril en 2006 et en 2007 est représentatif du prix que Teva aurait payé de 2003 à 2007. Étant donné que les factures du ramipril étaient en devises américaines, pour estimer le coût du ramipril au cours de chacune des années, j’ai appliqué le taux de change moyen des devises américaines et canadiennes pour les années respectives.

 

[278]       Au paragraphe 78 de son rapport (pièce 161, volume 1), M. Hamilton a affirmé que, pour ce qui est du coût pondéré du ramipril pour Teva en 2006 et en 2007, il avait utilisé un coût de [caviardé]. Il a également reconnu que s’il avait utilisé un coût d’IPA de [caviardé], il aurait fallu réduire le coût additionnel des ventes (et par conséquent, augmenter la perte des profits additionnels) de [caviardé].

 

[279]       Mme Loomer a avancé deux prix de l’IPA : [caviardé] si Teva était le seul fabricant générique dans le marché et [caviardé] si le marché comptait de multiples fabricants (pièce 28, volume 1, au paragraphe 138c)) :

[Caviardé.]

 

En contre-interrogatoire, Mme Loomer a reconnu ne pas avoir fait de recherches indépendantes sur le marché de l’IPA du ramipril durant la période en cause.

 

[280]       Teva soutient que M. Hamilton a arbitrairement choisi des achats en 2006 et en 2007, ce qui a eu pour effet de gonfler le prix de l’IPA. Teva signale que l’inclusion des années 2007 et 2008 – comme l’a fait Mme Loomer – entraîne un prix moyen de l’IPA qui est moins élevé.

 

[281]       À mon avis, l’inclusion par M. Hamilton des années 2006 et 2007 n’est pas « arbitraire ». En 2006 et 2007, Teva rivalisait avec d’autres fabricants génériques, comme elle l’aurait fait dans le marché hypothétique. La baisse de prix à la fin de 2007 semble être liée à l’expansion mondiale des ventes du ramipril, y compris l’arrivée de fabricants génériques dans le marché américain du ramipril [caviardé]. Il s’agit d’un événement qui ne se serait pas produit dans notre monde hypothétique. Par conséquent, il était raisonnable de la part de M. Hamilton de fonder son estimation du coût de l’IPA sur l’expérience concrète de Teva en 2006 et en 2007, car cette période ressemble davantage à l’environnement concurrentiel qui aurait prévalu dans le monde hypothétique.

 

[282]       Je préfère la démarche de M. Hamilton pour ce qui est de l’établissement du prix de l’IPA et j’admets son coût estimé de [caviardé] tout au long de la période en cause.

 

E.         Les pertes indirectes

 

[283]       Teva soutient qu’elle est en droit de réclamer une réparation pour certaines pertes indirectes. En particulier, elle soutient qu’il faudrait l’indemniser pour les profits perdus sur les ventes d’autres produits qu’elle aurait pu fabriquer et pour la perte de rendement des capitaux propres. Mme Loomer a inclus ces deux montants dans ses calculs.

 

(1)        La perte de profits sur les ventes d’autres produits de Teva

 

[284]       Dans son témoignage, M. Sommerville a décrit la perte de profits sur les ventes d’autres produits de Teva. Selon lui, le fait d’accéder à un marché en premier confère à Teva un avantage lui permettant de générer des ventes et des profits additionnels. Je n’ai aucun motif de douter de cette affirmation; cela relève du sens commun. Toutefois, même en présumant qu’il a raison et qu’il serait possible de quantifier le montant connexe, le problème est que, dans le monde hypothétique que j’ai construit, Teva n’accède pas au marché en premier. Par conséquent, à la lumière de la preuve déposée, il n’y a pas de fondement à cet élément de la demande de dommages-intérêts.

 

[285]       Bien que Mme Loomer avance un montant relatif à cette perte alléguée, son rapport ne décrit cette perte que dans le contexte d’un marché ne comptant qu’un fabricant générique de ramipril, soit Teva. Elle n’explique pas comment cette perte pourrait survenir dans un monde comptant plusieurs fabricants génériques.

 

[286]       Même si j’admettais un monde hypothétique où Teva serait seule sur le marché, je ne dispose de rien de plus que les vagues affirmations de M. Sommerville concernant l’avantage qui permettrait à Teva de générer des ventes additionnelles sur le marché. Avant que je n’accorde des millions de dollars en dommages-intérêts, il faudrait me présenter quelque chose de plus concret et de plus mesurable.

 

[287]       La réclamation visant la perte de profits sur les ventes d’autres produits de Teva est rejetée.

 

(2)        La perte de profits indirects

 

[288]       Dans son rapport en réplique, Mme Loomer décrit ainsi [traduction] « la perte de profits indirects » (pièce 29, volume 1, au paragraphe 51) :

[traduction]

 

Si le tribunal conclut que, n’eût été les actes allégués de la défenderesse, Teva aurait accédé au marché et commencé à vendre le ramipril durant la période en cause, alors Teva s’est vue privée de la possibilité d’utiliser et de réinvestir les profits dont elle aurait disposé durant la période en cause et jusqu’à la date du procès.

 

[289]       M. Dan Youtoff et M. Fishman ont témoigné que les recettes de la vente du Novo‑ramipril durant la période en cause auraient été mobilisées en vue d’accroître la valeur de Teva, par exemple, en investissant dans la recherche et le développement ainsi que dans le contentieux.

 

[290]       Je souscris à l’avis de Sanofi selon lequel ce chef de dommages-intérêts n’est pas recouvrable, parce que les pertes alléguées sont des conjectures et présentent un lien de connexité insuffisant.

 

[291]       Comme l’a affirmé Sanofi :

[traduction]

 

Ce chef de dommages est analogue à celui exposé dans Kienzle c Stringer [(1981), 35 OR (2d) 85, aux paragraphes 19 à 24 (CA)], ayant trait à l’occasion manquée de jouir de la valeur accrue d’une seconde transaction immobilière. Dans cette affaire, le demandeur poursuivait l’avocat défendeur pour avoir certifié de manière négligente que le demandeur détenait un titre valable sur la première propriété. Le demandeur a procédé à l’achat d’une deuxième propriété, conditionnel à la vente de la première propriété. À cause du vice dans le titre, le demandeur n’a pu conclure la vente de la première propriété et l’achat de la deuxième. Le demandeur a réclamé des dommages-intérêts pour la perte de profits sur la valeur accrue de la deuxième propriété. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté la demande, concluant qu’une telle perte présentait un lien de connexité insuffisant.

 

[292]       De plus, il n’y a tout simplement pas de preuve au dossier, exception faite des simples affirmations de M. Fishman et de M. Youtoff, attestant que Teva aurait effectué de tels investissements. À la lumière des faits de l’espèce, la réclamation ne peut être accueillie, parce qu’elle est trop vague et qu’elle n’est pas suffisamment étayée. Dans son rapport en réplique, M. Hamilton a observé ce qui suit (pièce 162, au paragraphe 130) :

 

[traduction]

 

Teva n’a pas signalé ou présenté de documents justificatifs se rapportant aux occasions d’affaires précises que Teva n’avait pas été en mesure d’entreprendre durant la période en cause en raison de la perte de profits sur la vente du Teva-Ramipril et d’autres produits.

 

[293]       Enfin, à ce chapitre, l’attribution d’intérêts avant jugement est la méthode acceptée d’indemniser un demandeur pour ce genre de perte. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt VK Mason Construction Ltd c Banque de Nouvelle-Écosse, [1985] 1 RCS 271, à la page 286, [1985] ACS no 12, « [l]a Cour a recours à l’intérêt pour indemniser […] relativement à la possibilité perdue d’investir cet argent » (voir aussi Seaboard Life Insurance Co c Bank of Montreal, 2002 BCCA 192, 166 BCAC 64, aux paragraphes 89 à 91). À moins qu’un demandeur ne présente une preuve claire et ne reposant pas sur des conjectures d’une occasion manquée dont la valeur serait supérieure aux intérêts payables sur les ventes perdues, il me semble que les intérêts constituent le seul recours dont dispose ce demandeur.

 

[294]       En somme, la réclamation visant la perte de profits indirects est rejetée.

 

F.         Les intérêts avant jugement

 

[295]       Bien que les deux parties conviennent que Teva a droit à des intérêts avant jugement, elles ne s’entendent pas sur la méthodologie devant servir au calcul de ces intérêts. Teva soutient qu’il faut calculer les intérêts avant jugement selon la méthode utilisée par Mme Loomer, pour ce qui est de la durée et du taux.

 

[296]       Mme Loomer a calculé les intérêts seulement à partir de la fin de la période en cause, expliquant ainsi sa démarche :

[traduction]

 

Q.        Ensuite, il y a la perte de profits indirects et les intérêts avant jugement, pouvez-vous nous donner quelques explications?

 

R.        Dans mon rapport, le calcul comporte deux composantes. Je calcule la perte de profits [indirects] durant la période en cause, puis je calcule les intérêts avant jugement sur cette perte à partir de la fin de la période en cause jusqu’à aujourd’hui.

 

M. Hamilton assimile la perte de profits indirects aux intérêts avant jugement tout au long de la période en cause et jusqu’à… je pense qu’août 2011 était sa date de fin.

 

[297]       Comme il a été mentionné précédemment (voir le paragraphe 294), j’ai rejeté la réclamation de Teva visant la perte de profits indirects, au motif que les intérêts avant jugement servaient à indemniser Teva pour sa perte de profits indirects (selon la description de Mme Loomer). Par conséquent, il convient d’inclure les intérêts avant jugement de Teva à partir du début de la période en cause jusqu’à la date du jugement.

 

[298]       Mme Loomer a calculé les intérêts avant jugement à l’aide d’un seul taux fixe, soit celui en vigueur le 1er mai 2007 aux termes de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, LRO 1990, c C43 [la Loi sur les tribunaux judiciaires].

 

[299]       M. Hamilton a calculé les intérêts avant jugement à partir du 13 décembre 2005. Toutefois, Sanofi lui a demandé de calculer les intérêts avant jugement [traduction] « en se fondant sur les taux trimestriels en vigueur selon la Loi sur les tribunaux judiciaires, à compter de la date à laquelle (selon les allégations de Teva) débutaient les pertes de Teva jusqu’au 31 août 2011 – les intérêts étant simples » (pièce 161, volume 1, au paragraphe 125). Autrement dit, le taux d’intérêt utilisé dans les calculs de M. Hamilton variait d’un trimestre à l’autre. M. Hamilton a reconnu que, habituellement, [traduction] « on choisit le taux en vigueur au moment où la cause d’action s’est produite et on l’applique à l’ensemble de la période ». Il s’agit de la formule privilégiée.

 

[300]       Je conclus qu’il faut calculer les intérêts avant jugement à partir du 13 décembre 2005, au taux en vigueur aux termes de la Loi sur les tribunaux judiciaires ce jour-là.

 

G.        Les indications HOPE

 

[301]       Sanofi soutient que la « perte » dont la réparation est prévue à l’article 8 du Règlement sur les MB (AC) n’inclut pas les ventes associées à une indication ou utilisation non approuvée. Ainsi, soutient Sanofi, le calcul des dommages-intérêts accordés à Teva devrait inclure [traduction] « un rajustement important à la baisse » pour tenir compte des ventes du Novo‑ramipril qui auraient été attribuables aux indications HOPE.

 

[302]       Une des dernières étapes du processus d’approbation d’un médicament est la finalisation de la monographie. La monographie sert, en partie, à exposer les utilisations ou indications prévues du médicament. L’AC est délivré en fonction de la monographie. De temps à autre, il y a des négociations entre Santé Canada et un fabricant générique concernant les indications approuvées. Nous savons que Teva a modifié sa monographie projetée en août 2005 afin d’en retirer ce qu’on appelle les indications HOPE. Dans son témoignage, M. Windross a parlé d’une monographie visant le Novo-ramipril révisée le 26 août 2005 et a convenu que, à l’époque, Teva avait décidé de présenter des allégations et de ne pas tenter d’obtenir d’approbation pour les indications HOPE. Dans notre monde hypothétique, il est probable que la version finale de la monographie de Teva, en date du 13 décembre 2005, aurait fait référence uniquement à l’hypertension. Autrement dit, en date du 13 décembre 2005, Teva aurait probablement lancé son Novo-ramipril sans faire de référence à l’utilisation du ramipril pour traiter la protéinurie (brevet 948) ou pour les indications HOPE (brevets 549 et 387). Comme nous le savons, Sanofi a fait inscrire ces brevets sur le Registre des brevets.

 

[303]       Dans ses actes de procédure, Sanofi soutient que Teva n’a pas droit à des dommages‑intérêts, parce que [traduction] « le ramipril de Teva n’est approuvé que pour le traitement de l’hypertension » (cinquième réponse et défense reconventionnelle modifiée de Sanofi-Aventis Canada Inc. et de Sanofi-Aventis Deutschland GmbH, aux paragraphes 62 et 76). Dans sa réplique, Teva admet cette allégation (troisième réponse reconventionnelle, au paragraphe 3).

 

[304]       Au moyen d’une ordonnance datée de 25 novembre 2011, la Cour a rejeté un appel interjeté contre une ordonnance du protonotaire Aalto, décision dans laquelle ce dernier avait rejeté une requête de Sanofi qui souhaitait modifier ses actes de procédure de manière à inclure des renvois spécifiques aux indications HOPE. Dans l’exposé des motifs de l’ordonnance, j’ai indiqué que rien n’empêchait Sanofi de présenter son argument juridique selon lequel l’article 8 ne prévoit pas le recouvrement de dommages-intérêts à la suite de la perte de ventes d’un produit générique pour une indication non approuvée.

 

[305]       À la lumière de la preuve et des arguments qui m’ont été présentés durant le présent procès, il est clair que les indications HOPE constituent le contexte factuel de l’argument avancé par Sanofi.

 

[306]       Trois cliniciens ont été appelés à témoigner à titre d’experts. Les témoignages des Drs Lin, Clark et Brophy se sont avérés très utiles pour la compréhension des indications HOPE, des médicaments servant à traiter et à prévenir les incidents cardiovasculaires, et des pratiques des médecins en matière de prescription de médicaments.

 

[307]       Selon les experts et les témoins, l’étude HOPE était une étude dirigée par des chercheurs canadiens, apparemment lancée avec la participation de la société remplacée par Sanofi, Hoechst Marion Roussell Canada Inc. L’étude portait sur le rôle du ramipril chez les patients courant un risque élevé d’incidents cardiovasculaires, mais qui ne présentent pas de dysfonction ventriculaire gauche ou d’insuffisance cardiaque (pièce 153, onglet 4 : les chercheurs de l’étude HOPE (Heart Outcomes Prevention Evaluation), « Effects of an Angiotensin-Converting-Enzyme Inhibitor, Ramipril, on Cardiovascular Events in High-Risk Patients » (20 janvier 2000) 342:3 NEJM 145, à la page 145 [NEJM]). Les chercheurs ont conclu que le ramipril avait [traduction] « des effets bénéfiques chez un large éventail de patients ne présentant aucun signe de dysfonction systolique ventriculaire gauche ou d’insuffisance cardiaque qui courent un risque élevé d’incidents cardiovasculaires » (NEJM, précité, à la page 150). En particulier, ils ont signalé que [traduction] « le traitement au moyen du ramipril a réduit les taux de décès, d’infarctus du myocarde, d’accident cérébrovasculaire, de revascularisation coronarienne, d’arrêt cardiaque et d’insuffisance cardiaque, ainsi que le risque de complications liées au diabète et le risque de diabète lui-même » (NEJM, précité, à 150). Ainsi, on en est venu à associer les [traduction] « indications HOPE » aux profils des patients chez qui l’étude HOPE a démontré une protection vasculaire.

 

[308]       Les résultats de l’étude HOPE ont d’abord été présentés en août 1999 à la réunion de la Société européenne de cardiologie à Barcelone, puis exposés dans un article paru dans l’édition du 20 janvier 2000 du New England Journal of Medicine (pièce 153, note de bas de page 4 et onglet 4). Selon M. Gravel, à partir de ce moment, les ventes de l’ALTACE ont augmenté de façon assez spectaculaire.

 

[309]       Ainsi qu’il est indiqué dans le tableau au paragraphe 31 des présents motifs, lorsque les brevets HOPE ont été accordés et que Sanofi a fait inscrire deux brevets au Registre, Sanofi a protégé tout renvoi à l’utilisation de l’ALTACE pour les indications HOPE jusqu’en 2005. Entre-temps, le taux d’augmentation des ventes de l’ALTACE est retombé au taux constaté avant la publication de l’étude HOPE.

 

[310]       Bien que les parties aient débattu à quel moment l’étude HOPE a eu une incidence sur les ventes de ramipril, il est plus probable que le contraire que certaines ventes du ramipril durant la période en cause auraient été liées aux indications HOPE. La question est de savoir si Teva est en droit d’être indemnisée relativement à ces ventes.

 

[311]       Sanofi soutient que Teva n’est pas en droit d’être indemnisée pour les ventes de ramipril, durant la période en cause, qui auraient découlé des indications HOPE. La raison, soutient Sanofi, est que Teva n’a pas contesté les brevets HOPE, ayant plutôt choisi de retirer ces indications de sa monographie en août 2005 et de retirer les sections de son avis d’allégation ayant trait aux brevets HOPE le 15 décembre 2006. Par conséquent, fait valoir Sanofi, Teva n’aurait eu aucun droit de vendre du Novo-ramipril en rapport avec les indications HOPE durant la période en cause et, par conséquent, ne peut pas aujourd’hui réclamer d’indemnisation pour de telles ventes.

 

[312]       Bien que l’argument de Sanofi soit logiquement séduisant, il n’est pas étayé par les faits (ni – à mon avis – par le droit), qui mettent en lumière que la vente de médicaments génériques pour des indications non approuvées ou [traduction] « non indiquées sur l’étiquette » peut avoir lieu et a lieu de manière légale. Il y a un certain nombre d’arguments qui réfutent la position de Sanofi :

 

·                     le fait que les fabricants génériques ne font pas la promotion de médicaments en leur associant des indications précises;

 

·                     le fait que la prescription à des fins autres que l’usage approuvé et la substitution ont lieu;

 

·                     le fait que, dans le monde réel, Sanofi n’a pas contesté l’inscription du Novo‑ramipril à titre de produit entièrement interchangeable avec l’ALTACE;

 

·                     le fait que Sanofi avait la possibilité d’intenter une action pour contrefaçon de brevet relativement aux brevets HOPE.

 

Je vais examiner ces arguments à tour de rôle.

 

[313]       Premièrement, je note que les fabricants génériques ne font pas la promotion de leurs produits en leur associant des indications précises, mais les vendent à titre de produits pharmaceutiques. La position de Teva est appuyée par le témoignage du Dr Sherman, qui a affirmé que le retrait des indications HOPE de la monographie d’Apotex [traduction] « n’avait aucune importance, parce que, de toute manière, nous ne faisons pas la promotion d’un produit en fonction d’une indication ». Le Dr Sherman a expliqué qu’Apotex ne faisait pas la promotion de ses produits auprès des médecins, si bien que les indications dans sa monographie n’avaient pas d’importance sur le plan commercial.

 

[314]       Deuxièmement, les Drs Lin et Clark ont tous les deux témoigné qu’ils donnent des prescriptions à des fins autres que celles exposées dans la monographie. En fait, selon le Dr Lin, il est courant que les médecins généralistes prescrivent des produits à des fins non approuvées en se basant sur les publications médicales, les séminaires de formation médicale continue et l’avis des spécialistes. De même, le Dr Clark a signalé que les néphrologues lisent rarement les monographies, qui [traduction] « peuvent être entachées de parti pris », et se renseignent plutôt en consultant les publications. Selon le Dr Lin, la prescription à des fins autres que l’utilisation approuvée est une pratique admise (pièce 153, aux paragraphes 46‑48). Il ne semble y avoir rien [traduction] d’« illégal » dans la prescription à des fins autres que l’utilisation approuvée.

 

[315]       En faisant référence au ramipril en particulier, le Dr Lin a signalé que les médecins généralistes présument généralement que le ramipril générique est équivalent en tous points à l’ALTACE sur le plan thérapeutique et que, par conséquent, le ramipril générique peut être prescrit pour les mêmes usages que l’ALTACE. Autre fait significatif, le Dr Lin a affirmé qu’il n’ajoute pas la mention [traduction] « pas de substitutions » sur les prescriptions d’ALTACE, parce qu’il croit que, de toute manière, les pharmaciens vont remettre au patient une version générique du médicament.

 

[316]       Par contre, le Dr Brophy a affirmé que, pour les indications HOPE, il prescrirait l’ALTACE au lieu d’une version générique, parce que l’indication associée au médicament générique est le traitement de l’hypertension. De plus, il a affirmé que, sur son lieu de travail, la plupart des pharmaciens remettent de l’ALTACE si la prescription indique « ALTACE » et que [traduction] « il arrive parfois qu’on écrive [traduction] “pas de substitution” sur la prescription ».

 

[317]       Le témoignage du Dr Brophy semble contredire les autres éléments de preuve à ma disposition. Il semble qu’un grand nombre de médecins auraient prescrit le ramipril générique pour les indications HOPE durant la période en cause, même si ces indications ne figuraient pas dans la monographie du médicament générique. Bien que je n’aie pas entendu de témoignage de la part de pharmaciens aux points de service, je suis disposée à admettre que la substitution constitue la pratique la plus courante chez les pharmaciens, même lorsque le médecin prescripteur a écrit ALTACE sur sa prescription. Comme l’a souligné le Dr Lin, de toute manière, en raison des politiques visant la substitution obligatoire des médicaments génériques, on aurait probablement abouti au même résultat.

 

[318]       Bien que Sanofi soutienne qu’elle se serait opposée à l’inscription du ramipril de Teva à titre de médicament entièrement interchangeable avec l’ALTACE, cette position n’est pas étayée par la preuve se rapportant aux actions de Sanofi dans le monde réel. Plus précisément, je n’ai pas de preuve attestant que, au moment du lancement véritable du Novo‑ramipril en 2007, Sanofi s'est opposée à l’inscription du ramipril de Teva à titre de médicament entièrement interchangeable. Il est également révélateur que Sanofi n’ait pas exigé de la part de son fabricant autorisé qu’il obtienne une inscription limitée pour son médicament.

 

[319]       Par conséquent, il est plus probable que le contraire que Teva aurait été en mesure d’effectuer des ventes se rapportant aux indications HOPE durant la période en cause, sans opposition de Sanofi. Il s’ensuit que les ventes se rapportant uniquement aux indications HOPE que Teva aurait réalisées durant la période en cause sont des ventes perdues que Teva aurait réalisées si Sanofi n’avait pas demandé l’ordonnance d’interdiction, et qu’il s’agit de pertes pour lesquelles Teva est en droit d’être indemnisée aux termes de l’article 8.

 

[320]       Contrairement aux affirmations de Sanofi, cela ne mène pas à un résultat [traduction] « absurde » ou [traduction] « non souhaité » en permettant à une seconde personne de contourner le Règlement, dont l’objectif selon Sanofi est d’empêcher la contrefaçon des brevets inscrits. Il en est ainsi parce que, comme le signale Teva, les fabricants génériques ne font pas la promotion de leurs médicaments génériques en leur associant des utilisations précises, mais les vendent à titre de produits pharmaceutiques, et les brevets HOPE ne sont pas en cause dans la présente affaire. Si Sanofi croit que Teva contrefait les brevets HOPE ou incite à la contrefaçon de ces brevets, alors Sanofi a une cause d’action aux termes de la Loi sur les brevets. À cet égard, je note que, depuis que Teva et d’autres fabricants génériques ont commencé à vendre des versions génériques du ramipril, Sanofi – qui a l’habitude des litiges – n’a pas intenté d’action contre ces fabricants pour contrefaçon des brevets HOPE.

 

[321]       Même si Sanofi avait raison et que l’article 8 n’autorisait pas l’indemnisation d’une seconde personne pour les ventes se rapportant à un usage non approuvé, les faits de l’espèce ne justifieraient pas la réduction des dommages-intérêts de Teva. Celle‑ci souligne avec raison qu’il serait impossible de déterminer combien de patients ont reçu une prescription pour le ramipril uniquement en rapport avec les indications HOPE, sans accéder à leurs dossiers médicaux confidentiels. Cette position est appuyée par les témoignages des Drs Lin et Brophy, qui ont affirmé qu’il serait très difficile de répartir les patients de manière précise en identifiant ceux qui prenaient le ramipril pour les indications HOPE, pour l’hypertension, pour une dysfonction ventriculaire ou pour une combinaison de ces usages, sans accéder à leurs dossiers confidentiels.

 

[322]       Par conséquent, je conclus que rien n’exclut que Teva soit indemnisée pour les pertes associées aux indications HOPE. Il ne s’ensuit pas qu’une seconde personne est toujours en droit d’être indemnisée pour des indications non approuvées. Dans le cadre d’une autre demande relative à l’article 8, un ensemble de faits différents pourrait entraîner une conclusion différente ou un rajustement à la baisse des dommages-intérêts accordés à la seconde personne au titre de l’article 8(5) du Règlement. Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

X.        Conclusion

 

[323]       Pour conclure, j’aimerais formuler une observation générale. Ainsi que je l’ai mentionné au début des présents motifs, immédiatement après l’instruction du présent procès, j’ai instruit une affaire connexe dans le dossier de la Cour no T‑1357‑09. Il y a évidemment de nombreuses similitudes entre les deux affaires. Toutefois, chacune de ces affaires a été instruite séparément, sur la base d’un dossier différent. Je tiens à assurer les parties et les lecteurs que ma décision dans chaque affaire reposait entièrement sur les arguments présentés et la preuve à ma disposition dans l’affaire en question.

 

[324]       Ayant examiné toutes les questions dont je suis saisie, je suis très déçue de ne pas être en mesure de fixer le montant des dommages-intérêts. Toutefois, j’ai bon espoir que Sanofi et Teva, avec l’assistance compétente de leurs avocats et experts, sauront s’entendre rapidement sur le montant final que Sanofi doit verser à Teva sur la base des présents motifs de jugement. En fait, durant le procès, les avocats des deux parties m’ont assurée à de nombreuses reprises de leur volonté de collaborer à cet égard.

 

[325]       En résumé, voici les principales conclusions que j’ai tirées à la lumière du dossier :

 

1.                  la période en cause pour la détermination des profits perdus de Teva commence le 13 décembre 2005 et prend fin le 27 avril 2007;

 

2.                  le marché du ramipril durant la période en cause se serait élevé à 611 122 083 capsules;

 

3.                  le marché des médicaments génériques durant la période en cause se serait élevé à 374 092 845 capsules;

 

4.                  Teva serait entrée sur le marché en même temps qu’un fabricant générique autorisé et Apotex, chacun obtenant une part égale du marché des médicaments génériques. Par conséquent, les volumes perdus de Teva se chiffrent à 147 092 478 capsules;

 

5.                  en ce qui concerne les profits perdus nets de Teva :

 

·                     la preuve se rapportant à la perte de valeur de l’entreprise et à la période de la deuxième entrée accélérée sur le marché est exclue;

 

·                     exception faite d’un rajustement pour tenir compte des prix en vigueur au Québec (comme il a été expliqué précédemment), le prix moyen pondéré global qu’il convient d’appliquer est celui établi par M. Hamilton, soit 0,56 $ l’unité;

 

·                     le montant à soustraire pour les dépenses de commercialisation doit être calculé sur la base de [caviardé] pour l’ensemble de la période en cause;

 

·                     le prix de l’IPA qu’il convient d’appliquer est de [caviardé];

 

·                     aucune indemnisation n’est accordée pour les profits perdus sur les ventes d’autres produits;

 

·                     aucun rajustement n’est apporté pour la perte de profits indirects;

 

·                     aucun rajustement n’est apporté pour tenir compte des indications non approuvées.

 

6.                  Les intérêts avant jugement doivent être calculés à compter du 13 décembre 2005, au taux en vigueur à cette date aux termes de la Loi sur les tribunaux judiciaires.

 

[326]       De plus, il y a la question des dépens. J’espère que les parties pourront s’entendre sur les dépens. Si elles ne parviennent pas à une entente sur les dépens d’ici le 15 juin 2012, elles pourront soumettre des observations à la Cour, ces observations devant compter au maximum dix pages. Les parties disposeront ensuite de 15 jours pour soumettre leurs réponses à ses observations, si elles le souhaitent – ces réponses devront compter au maximum cinq pages.

 

[327]       J’aimerais exprimer ma gratitude aux avocats pour leur diligence, leur compétence et leur professionnalisme tout au long de l’examen des questions préalables à l’instruction et de l’instruction du procès lui-même. Merci.

 

POST-SCRIPTUM

 

[1]               Les motifs confidentiels de jugement ont été communiqués aux parties le 11 mai 2012. En leur communiquant ces motifs confidentiels, la Cour a demandé aux parties de lui indiquer les sections des motifs et du jugement qu’elles souhaitaient soustraire de la version publique de ces motifs. La présente constitue une version caviardée des motifs confidentiels de jugement, dont quelques éléments ont été soustraits.

 

[2]               De manière générale, les instances judiciaires devraient être ouvertes et accessibles. Ce principe général s’applique évidemment à tous les motifs de jugement et jugements rendus par la Cour. J’admets qu’il puisse y avoir une exception lorsque, pour l’une ou l’autre des parties, la publication de renseignements commerciaux de nature délicate comporte des risques qui l’emportent sur l’intérêt qu’a le public d’avoir accès à ces renseignements. Toutefois, il est important que la version caviardée des motifs permette au lecteur de comprendre le contexte et, par conséquent, le raisonnement de la Cour.

 

[3]               Les demandes de Sanofi étaient raisonnables à ce chapitre; j’ai accepté que tous les passages demandés soient caviardés des motifs publics.

 

[4]               Teva a demandé des caviardages plus importants, en indiquant seulement qu’elle souhaitait [traduction] « maintenir la confidentialité de ses renseignements, dont la totalité est protégée aux termes de l’ordonnance conservatoire [datée du 21 octobre 2010] ». Je fais d’abord remarquer qu’il n’avait jamais été prévu que l’ordonnance conservatoire maintienne un voile de silence pour toujours. Teva ne tente pas d’expliquer pourquoi certains renseignements demeurent sensibles sur le plan commercial ou pourquoi leur publication serait préjudiciable.

 

[5]               Néanmoins, j’ai examiné chacun des caviardage proposés par Teva. Pour chaque caviardage proposé que je suis prête à approuver, je suis convaincue que les risques encourus par une des parties à la suite de la publication de renseignements commerciaux de nature délicate l’emportent sur l’intérêt qu’a le public d’avoir accès à ces renseignements. Les passages caviardés comprennent des éléments de preuve se rapportant à des questions telles que les niveaux des dépenses de commercialisation ou le prix de l’IPA. Je crois que, malgré ces caviardages, le lecteur sera en mesure de comprendre la nature de la preuve et le raisonnement suivi pour aboutir à telle ou telle conclusion. Les caviardages proposés que j’ai rejetés ont trait à des renseignements de nature historique ou générale ou qui font partie intégrante de mon raisonnement. De toute manière, je ne suis pas convaincue que la divulgation de ces renseignements causerait à Teva un préjudice qui soit plus important que l’intérêt public justifiant que ces sections des motifs et du jugement se retrouvent dans le domaine public.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Motifs publics – 23 mai 2012

Motifs confidentiels – 11 mai 2012

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


Annexe A – Liste des témoins

 

I.          Liste des témoins

 

A.        Les témoins des faits de la demanderesse

 

(1)        M. Barry Fishman

 

M. Barry Fishman est président et chef de la direction chez Teva Canada. Il a abordé plusieurs sujets, dont la position de Teva dans le marché pharmaceutique générique au Canada et la nature de ce marché; [traduction] « l’avantage du précurseur »; les mesures que Teva aurait prises dans divers scénarios hypothétiques; l’expérience concrète de Teva en ce qui a trait au ramipril et à d’autres molécules importantes.

 

(2)        M. Dan Youtoff

 

M. Dan Youtoff est comptable agréé et directeur principal de la comptabilité générale chez Teva. Il a témoigné concernant les états financiers de Teva et l’effet probable du lancement du ramipril en 2003 sur les finances de Teva; les relations financières de Teva avec Teva Israël; les dépenses de commercialisation.

 

(3)        M. Brad Laviolette

 

M. Brad Laviolette est directeur principal du service des finances chez Teva (Amérique du Nord), pour ce qui est des activités techniques. Il a témoigné concernant la capacité de Teva; les coûts de production; la source et le prix de l’IPA pour le Novo-ramipril.

 

(4)        M. David Windross

 

M. David Windross était président des affaires gouvernementales et professionnelles chez Teva en 2000 et était également responsable des affaires réglementaires de 2001 à 2006. Il a témoigné concernant le développement du Novo-ramipril; les processus liés à la présentation d’une drogue nouvelle ou à l’inscription sur les formulaires; les indications du Novo-ramipril; les mesures que Teva aurait prises si elle avait obtenu un AC en 2003.

 

(5)        M. Doug Sommerville

 

M. Doug Sommerville est vice-président du marketing et des ventes chez Teva. Il a abordé les points suivants : l’importance des médicaments qui ne sont produits que par un fabricant; la réputation et les finances de Teva; le lancement réel du Novo-ramipril et les pertes découlant du report de l’entrée de Teva sur le marché; le marché des médicaments génériques, y compris les remises et l’inscription sur les formulaires; le modèle d’affaires de Teva.

 

 

 


(6)        Dr John Kane Denike

 

Le Dr John Kane Denike était gestionnaire du service des brevets chez Teva de 2000 à 2002, date à laquelle il s’est joint à ratiopharm, où il a occupé le poste de directeur du service des brevets, des questions juridiques et des affaires réglementaire jusqu’en 2007. Il a témoigné concernant la stratégie commerciale de Teva; la stratégie réelle de l’entreprise relativement au ramipril ainsi que les mesures qu’elle aurait prises si elle avait obtenu un AC en 2002; les fabricants génériques autorisés, y compris l’expérience de ratiopharm à titre de fabricant générique autorisé du ramipril; les présentations se rapportant à l’inscription sur les formulaires.

 

(7)        [Caviardé]

 

[Caviardé] est directeur de la division de l’IPA (Amérique du Nord) chez [caviardé] et chargé de compte assigné à Teva. [Caviardé] a témoigné concernant les prix auxquels [caviardé] a vendu le ramipril à Teva; le prix qui aurait été en vigueur dans le monde hypothétique; les facteurs qui ont eu une incidence sur les prix. De plus, [caviardé] a abordé la capacité qu’avait [caviardé] d’approvisionner Teva en ramipril et la nature de l’IPA du ramipril.

 

B.        Les témoins experts de la demanderesse

 

(1)        Dr William Foster Clark

 

La Cour a reconnu l’expertise du Dr William Foster Clark à titre de clinicien en néphrologie et de professeur de médecine ayant des connaissances spécialisées dans le domaine de la néphrologie et dans l’utilisation de produits pharmaceutiques. Le Dr Clark a abordé de nombreux sujets, dont les utilisations du ramipril, notamment en rapport avec les indications HOPE et le traitement de la protéinurie; la prescription de médicaments à des fins autres que l’usage approuvé; le traitement de l’hypertension.

 

(2)        Dr James M. Brophy

 

La Cour a reconnu l’expertise du Dr James M. Brophy à titre de professeur de médecine et d’épidémiologie, et de cardiologue ayant des connaissances spécialisées dans les domaines de la cardiologie clinique, de l’épidémiologie cardiovasculaire, de la pharmaco‑épidémiologie et de la sécurité des médicaments, et de l’évaluation des technologies de la santé. Le Dr Brophy a fourni des avis sur les indications HOPE et les pratiques de prescription se rapportant à ces indications, ainsi que sur les utilisations les plus courantes du ramipril.

 

(3)        Mme Karen Friedman

 

La Cour a reconnu l’expertise de Mme Karen Friedman à titre de consultante de l’industrie pharmaceutique ayant des connaissances spécialisées dans le domaine des affaires réglementaires pharmaceutiques au Canada. Mme Friedman a donné son avis pour ce qui est de relever les produits de Sanofi qui, à la suite de leur générification après 2000, auraient pu avoir un MGA correspondant.

 

(4)        Mme Suzanne C. Loomer

 

La Cour a reconnu l’expertise de Mme Suzanne C. Loomer à titre de comptable agréée et d’évaluatrice d’entreprise agréée ayant des connaissances spécialisées dans le domaine de l’évaluation d’entreprises et la quantification des dommages-intérêts. Mme Loomer a donné son avis sur la quantification des pertes de Teva.

 

(5)        Mme Rosemary Bacovsky

 

La Cour a reconnu l’expertise de Mme Rosemary Bacovsky à titre de consultante de l’industrie pharmaceutique et de pharmacienne ayant des connaissances spécialisées concernant l’inscription sur les formulaires, l’accès au marché, les politiques de remboursement et les régimes d’établissement des prix au sein du marché pharmaceutique canadien. Mme Bacovsky a abordé les régimes provinciaux d’assurance-médicaments, le processus d’inscription sur les formulaires ainsi que les régimes provinciaux d’établissement des prix et d’interchangeabilité.

 

(6)        Dr Aslam H. Anis

 

La Cour a reconnu l’expertise du Dr Aslam H. Anis à titre d’économiste ayant des connaissances spécialisées concernant les marchés des produits pharmaceutiques au Canada. Le Dr Anis a donné son avis sur l’avantage du précurseur; les courbes d’érosion; la croissance du marché du ramipril dans le monde hypothétique; la différence entre l’élaboration de modèles économétriques et la prévision en série chronologique; l’impact de l’étude HOPE; la part de marché de Teva dans divers scénarios hypothétiques.

 

C.        Les témoins des faits de la défenderesse

 

(1)        M. Jean-François Leprince

 

M. Jean-François Leprince était président et directeur général de Hoechst Marion Roussel Canada Inc. (Hoechst) de 1998 jusqu’au début de 2000. À la suite de la transition de Hoechst à Aventis Pharma Inc. (Aventis), il est demeuré à la présidence jusqu’à la fin de 2004. Après l’acquisition d’Aventis par Sanofi, M. Leprince est resté en place à titre de conseiller et de consultant auprès du nouveau directeur général de l’entreprise jusqu’en 2005. M. Leprince a témoigné concernant : l’approche de Sanofi relativement à l’ALTACE depuis 1998; les mesures que Sanofi avait envisagées ou aurait hypothétiquement prises en réponse à la générification du marché du ramipril à divers moments, notamment en ce qui concerne le lancement d’un médicament générique autorisé et la promotion de l’ALTACE.

 

(2)        M. Benoit Gravel

 

M. Benoit Gravel est vice-président des ventes chez Sanofi. Il s’est initialement joint à une des sociétés remplacées par Sanofi en 1987. M. Gravel a été affecté au dossier du ramipril en 2000, à titre de vice-président des affaires commerciales, et a été responsable du marketing et des ventes de l’ALTACE jusqu’en 2005. Il a témoigné concernant la réaction de Sanofi à la possibilité de l’entrée de médicaments génériques sur le marché du ramipril ainsi que les mesures que Sanofi aurait prises en vue de préparer la générification du marché dans le monde hypothétique; le lancement d’une version générique autorisée du ramipril; la promotion de l’ALTACE dans le monde réel et le monde hypothétique. M. Gravel a également abordé l’approche de Sanofi en ce qui concerne les divers brevets du ramipril ainsi que les mesures prises par Sanofi relativement aux indications HOPE.

 

(3)        Mme Anne Bowes

 

Mme Anne Bowes est directrice du Bureau des médicaments brevetés et de la liaison, ainsi que directrice intérimaire de la Division des politiques sur les présentations et les renseignements. Elle a témoigné concernant le processus lié aux présentations de drogue nouvelle et aux AC, ainsi que les présentations soumises par les divers fournisseurs de ramipril générique.

 

(4)        M. Olivier St. Denis

 

M. Olivier St. Denis est vice-président du développement de l’entreprise chez Riva. Il a abordé de nombreux sujets, notamment les suivants : les indications associées au ramipril de Riva; l’accord de licence réciproque entre Riva et Pharmascience; les mesures que Riva aurait prises si elle avait eu accès au marché en 2004; la présence de Riva à l’extérieur du Québec.

 

(5)        Mme Franca Mancino

 

Mme Franca Mancino est directrice chez Sanofi et est responsable des affaires réglementaires et de la pharmacovigilance. Elle est à l’emploi de Sanofi ou de ses sociétés remplacées depuis 1993. Mme Mancino a témoigné concernant son rôle dans les activités réglementaires ayant trait à l’ALTACE; les médicaments génériques autorisés; les indications associées à l’ALTACE; les brevets de Sanofi se rapportant à l’ALTACE.

 

(6)        Dr David Goodman

 

Le Dr David Goodman est président et directeur général de Pharmascience. Il a abordé de nombreuses questions, dont : les mesures que Pharmascience aurait prises si Riva avait obtenu un AC en 2004 ou si Pharmascience avait été le seul fabricant générique du ramipril; l’accord de licence réciproque de Pharmascience avec Riva; la capacité de Pharmascience d’approvisionner le marché canadien du ramipril à compter de 2004; le prix de l’IPA et d’autres ingrédients du ramipril.

 

(7)        Mme Manon Decelles

 

Mme Manon Decelles est directrice du développement de l’entreprise et des acquisitions chez Sanofi. Elle a participé au lancement d’une version générique autorisée de l’ALTACE et a décrit son travail à cet égard, ainsi que la pratique de Sanofi en ce qui a trait aux médicaments génériques autorisés.

 

(8)        M. Bob Woloschuk

 

M. Bob Woloschuk était vice-président du développement de l’entreprise chez ratiopharm du début de 2003 jusqu’en août 2010, puis a travaillé pour Teva dans un rôle d’intégration jusqu’en octobre 2010. Il a décrit les raisons pour lesquelles ratiopharm a accepté de devenir le fabricant générique autorisé du ramipril; l’entente entre son entreprise et Sanofi; le lancement de son produit; les modifications subséquentes apportées à l’entente. M. Woloschuk a également abordé la rentabilité des médicaments génériques autorisés, y compris le ramipril de ratiopharm, ainsi que les dépenses de commercialisation dans le marché du ramipril générique.

 

(9)        M. Brent Fraser

 

M. Brent Fraser dirige les services des programmes de médicaments aux Programmes publics des médicaments de l’Ontario, au ministère de la Santé de l’Ontario. Il occupe ce poste depuis 2005, s’étant joint au ministère en 1997. De 2002 à 2005, M. Fraser était directeur adjoint de la coordination des services pharmaceutiques, puis directeur du Secrétariat du régime de médicaments. Dans son témoignage, il a abordé les régimes de l’Ontario en ce qui a trait au formulaire, à l’établissement des prix, à l’interchangeabilité, au remboursement et à la présentation de drogues nouvelles. M. Fraser a également abordé la réglementation des remises et des allocations professionnelles.

 

(10)      Dr Bernard Charles Sherman

 

Le Dr Bernard Charles Sherman est président et directeur général d’Apotex et des sociétés apparentées. Il a témoigné concernant les présentations réglementaires d’Apotex, les dates d’inscription aux formulaires et les litiges se rapportant au ramipril; l’impact sur les prix du report de l’inscription sur les formulaires; la monographie de l’Apo-ramipril. Le Dr Sherman a également abordé la capacité de production d’Apotex; les ventes de l’Apo-ramipril; les mesures qu’Apotex aurait prises si elle avait reçu son AC le 26 avril 2004; la demande de brevet qu’il a présentée visant le ramipril. De plus, le Dr Sherman a décrit le marché des médicaments génériques; les médicaments génériques autorisés; les dépenses de commercialisation et le prix des produits dans un marché ne comptant qu’un seul fabricant; les pertes de ventes d’autres produits et la perte de réputation. Il a aussi témoigné au sujet des dates de lancement de Teva et d’Apotex dans les scénarios hypothétiques.

 

D.        Les témoins experts de la défenderesse

 

(1)        M. W. Neil Palmer

 

La Cour a reconnu l’expertise de M. W. Neil Palmer à titre de consultant de l’industrie pharmaceutique ayant des connaissances spécialisées relativement à l’inscription sur les formulaires, à l’accès aux marchés, aux politiques de remboursement et aux régimes d’établissement des prix dans le marché pharmaceutique canadien. Le rapport d’expert en preuve principale de M. Palmer et sa déclaration en réplique ont été acceptés tels quels. Dans son témoignage, M. Palmer a donné ses avis sur le marché réel du ramipril après la générification; les dates auxquelles divers fabricants génériques du ramipril auraient obtenu l’inscription de leur produit sur les formulaires; les prix auxquels le ramipril des fabricants génériques aurait été vendu dans divers scénarios hypothétiques.

 

(2)        Dr Robert C. Carbone

 

La Cour a reconnu l’expertise du Dr Robert C. Carbone à titre de consultant de l’industrie pharmaceutique ayant des connaissances spécialisées relativement aux méthodes prévisionnelles, à l’analyse de données, à l’économie quantitative et à la prévision des marchés pharmaceutiques. Les rapports du Dr Carbone ont été acceptés tels quels. Dans son témoignage, le Dr Carbone a donné des avis concernant l’impact de la générification sur le marché du ramipril; les courbes d’érosion; la différence entre la prévision en série chronologique et l’élaboration de modèles économétriques; la répartition des parts de marché dans les scénarios hypothétiques; les données EUTRx équivalentes selon la méthode sortie usine pour chaque fabricant générique et pour Sanofi dans un monde hypothétique.

 

(3)        Mme Paula Frederick

 

La Cour a reconnu l’expertise de Mme Paula Frederick à titre de comptable agréée et d’évaluatrice d’entreprise agréée ayant des connaissances spécialisées dans le domaine de l’évaluation d’entreprises et la quantification des dommages-intérêts. Mme Frederick a donné son avis sur le calcul de la perte de valeur de l’entreprise et sur plusieurs autres facettes des calculs de Mme Loomer.

 

(4)        Dr Peter James Lin

 

La Cour a reconnu l’expertise du Dr Peter James Lin à titre de médecin et d’administrateur au Centre canadien de recherche en cardiologie, ayant des connaissances spécialisées dans le domaine de la médecine familiale ou générale, y compris le traitement des maladies cardiovasculaires. La Cour a accepté tel quel le rapport du Dr Lin. Le Dr Lin a témoigné concernant l’effet de l’étude HOPE; ses pratiques de prescription en ce qui a trait au ramipril; les indications associées au Novo-ramipril.

 

(5)        Dr Iain M. Cockburn

 

La Cour a reconnu l’expertise du Dr Iain M. Cockburn à titre d’économiste ayant des connaissances spécialisées dans le domaine des marchés pharmaceutiques. La Cour a accepté tels quels les rapports du Dr Cockburn. Dans son témoignage, le Dr Cockburn a donné son avis sur le marché pharmaceutique, y compris les régimes provinciaux d’établissement des prix. Il a également abordé l’estimation des parts de marché du Dr Anis et les prévisions du Dr Carbone.

 

(6)        M. Ross Hamilton

 

            La Cour a reconnu l’expertise de M. Ross Hamilton à titre de comptable agréé ayant des connaissances spécialisées se rapportant à la juricomptabilité et à la quantification des dommages-intérêts. La Cour a accepté tels quels les rapports de M. Hamilton. M. Hamilton a donné son avis sur la quantification des pertes de Teva, notamment en comparaison avec l’analyse de Mme Loomer.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1161-07

 

INTITULÉ :                                      SANOFI-AVENTIS CANADA INC, SCHERING CORPORATION ET SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH c TEVA CANADA LIMITÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Les 16, 17, 18, 19 et 20 janvier 2012;

les 23, 24, 25, 26 et 27 janvier 2012; les 30 et 31 janvier 2012; et les 1er, 2 et 6 février 2012

 

MOTIFS PUBLICS

DU JUGEMENT :                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 23 MAI 2012

 

COMPARUTIONS :

 

M. Gunars A. Gaikis

M. J. Sheldon Hamilton

M. Andrew Mandlsohn

M. Jordan D. Scopa

M. Jeremy E. Want

M. Daniel S. Davies

 

POUR LES DEMANDERESSES/

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

M. Jonathan Stainsby

M. Mark Davis

M. Ben Wallwork

M. Bill Mayo

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES/

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

Heenan Blaikie LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

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