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Date : 20120326

Dossier : IMM‑5777‑11

Référence : 2012 CF 358

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

MUHAMMED RABIU ABDUL RAHMANI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR] à l’égard d’une décision rendue le 4 août 2011 par la Section d’appel de l’Immigration [SAI]. La SAI a rejeté l’appel interjeté par le demandeur de la décision d’un gestionnaire du programme d’immigration [le gestionnaire] d’interdire de territoire, en vertu du paragraphe 40(1) de la LIPR, le fils du demandeur, dont la demande de résidence permanente à titre d’enfant à charge était parrainée par le demandeur, parce que celui‑ci avait donné une fausse date de naissance.

 

I.          Le contexte

[2]               Le demandeur, M. Muhammed Rabiu Abdul Rahmani, est un citoyen canadien de 56 ans qui a fui le Ghana en tant que réfugié en 1987.

 

[3]               Le demandeur a déposé, au mois de mai 2008, une demande de parrainage au titre « du regroupement familial », afin d’obtenir la résidence permanente pour son fils, Abdul Kadiri Mohammed Abdul Rahman [M. Rahman]. Pour être admissible, M. Rahman devait satisfaire à la définition d’« enfant à charge » énoncée à l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [LIPR], et, comme il ne satisfaisait pas aux autres critères prévus à l’article 2, M. Rahman devait avoir moins de 22 ans pour être admissible.

 

[4]               M. Rahman a déclaré qu’il était né le 10 octobre 1986, date qui lui aurait permis d’être admissible à titre d’enfant à charge. Cette date de naissance a également été corroborée par sa copie certifiée d’inscription au registre des naissances et son passeport (dossier du demandeur [DD] aux pages 45 et 53), tous deux délivrés avant la demande de résidence permanente, les 18 avril et 3 décembre 2007 respectivement. Cependant, comme le certificat de naissance a été délivré un peu plus d’un mois seulement avant la date limite pour la présentation de la demande au CTD‑Mississauga et que la date de naissance dans le passeport reposait sur le même document, l’agent d’immigration qui étudiait le dossier a estimé que ces documents ne constituaient pas des preuves concluantes de l’âge du demandeur.

 

[5]               L’agent a interrogé M. Rahman le 14  mai 2009 et des questions ont été soulevées quant à sa carte d’identité d’électeur. Comme M. Rahman a reçu sa première carte d’identité d’électeur en 2003, l’agent en a conclu qu’il avait 18 ans cette année‑là et qu’il était donc né en 1985. L’agent a poursuivi son enquête et a inscrit ce qui suit dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [les notes du STIDI] (dossier du procès [DP], à la page 24 [traduction] : « Ai examiné le registre d’admission de l’école intermédiaire Independence Avenue « 2 » le 5 juin 2009. Ai trouvé le dossier de Bashiru Kadiri avec son année de naissance : 1985. Dossier remis à KS, en date d’aujourd’hui. »

 

[6]               Après avoir examiné la demande ainsi que les documents justificatifs, l’agent a informé M. Rahman et le demandeur de ce qui suit dans une lettre exposant ses préoccupations (DD à la page 42) : [traduction] « Je crois que vous avez présenté un certificat de naissance obtenu de manière irrégulière. La carte d’identité d’électeur et votre déclaration de résultats du WAEC ont été vérifiées et elles sont authentiques. Selon nos vérifications votre date de naissance est le 16 janvier 1985 et non le 10 octobre 1986 comme vous le prétendez. »

 

[7]               On a donné à M. Rahman la possibilité de répondre à la lettre dans les 30 jours suivant sa réception, mais il ne l’a pas fait. Le demandeur a répondu ce qui suit dans une lettre datée du 9 juillet 2009 (DD, à la page 41) : [traduction] « Veuillez noter que la date de naissance que j’ai donnée, le 10 octobre 1986, est la bonne. L’erreur est la mienne. » Jugeant que cette réponse ne mettait pas fin à ses préoccupations et soupçonnant M. Rahman d’avoir fait une fausse déclaration, l’agent a transmis le dossier au gestionnaire pour qu’il évalue la demande au regard de la fausse déclaration conformément à l’article 40 de la LIPR.

 

[8]               Le gestionnaire a examiné la preuve contradictoire et a décrit la preuve selon laquelle M. Rahman était né en 1985 comme suit dans les notes du STIDI (DP, à la page 25 :

 

[traduction]

[M. Rahman] a présenté un certificat de scolarité de base de l’« Independence Avenue « 2 » Basic School ». Ce certificat porte le numéro 10105824 et indique le nom complet du demandeur : soit Mohammed Rabiu Kadiri Abdul. Ce document a été examiné, de même que le registre d’admission de l’établissement, vers le 8 juin 2009, et l’authenticité du document a été confirmée.

 

Ce document ne contient pas d’autres détails personnels, mais, comme il a été présenté par le demandeur, je suis convaincu que ce document le concerne. Le bureau du registraire de cet établissement a confirmé que leurs dossiers indiquaient que le demandeur est né en 1985.

 

En conséquence, une lettre d’équité, datée du 11 novembre 2009, a été envoyée à M. Rahman pour l’informer qu’il avait donné une date de naissance erronée et que, selon la prépondérance des probabilités, il était né en fait en 1985. La lettre précisait que cette conclusion reposait sur les renseignements contradictoires relevés dans l’extrait précité des notes du STIDI. Il y était en outre expliqué ce qui suit (DD, à la page 39) :

 

[traduction] Après avoir pris connaissance de ces renseignements contradictoires, je suis convaincu que vous êtes né en 1985. J’estime que l’enregistrement de la naissance tellement d’années après votre naissance constitue une preuve intéressée et que cet enregistrement a été fait pour donner l’impression que vous n’aviez pas 22 ans au moment de la date limite pour la présentation de votre demande de parrainage. D’autres documents justificatifs, comme votre passeport, ont été délivrés après la date de cet enregistrement de la naissance. Vous n’avez pas fourni d’autres preuves convaincantes présentant une date antérieure à celle de l’enregistrement de votre naissance pour étayer votre prétendue date de naissance. Je suis convaincu que les documents scolaires que possède le registre dont il est fait état ci‑dessus reflètent de manière exacte l’année de votre naissance.

 

[9]               Invité à fournir des explications, M. Rahman a rédigé une lettre datée du 6 janvier 2010 (DD, à la page 37). Il y explique la contradiction de la manière suivante : [traduction] « […] en ce qui concerne le doute au sujet de la date de ma naissance qui, selon ce qui ressort de votre enquête auprès de l’école que j’ai fréquentée, est 1985, M./Mme, c’était l’erreur de mon grand‑père qui prenait soin de moi et qui a donné cette date (1985), mais mon père m’a dit un jour, il y a plusieurs années, que je suis né en 1986 ». M. Rahman a également joint une photocopie d’une [traduction] « carte originale de pesées » relative à l’historique de sa santé d’enfant après la naissance (DD, aux pages 48 à 50). M. Rahman a fait remarquer que cette preuve, dont la date était antérieure à l’inscription au registre des naissances faite le 18 avril 2007, indiquait également que la date de sa naissance était le 10 octobre 1986.

 

[10]           Le gestionnaire a noté, dans le STIDI, qu’il avait soigneusement examiné la réponse de M. Rahman et la preuve à l’appui. En ce qui concerne la carte de pesées présentée, le gestionnaire a noté que l’encre utilisée dans le document était constante dans tout le document en dépit du fait que le document était censé avoir été rempli sur une période couvrant plusieurs années. Le gestionnaire fait également remarquer que l’année 1998 n’apparaît pas dans le tableau et il en conclut que, après avoir procédé à un examen attentif, il n’était pas convaincu que le document constituait une preuve fiable de l’âge véritable de M. Rahman. En conséquence, après avoir soigneusement examiné les renseignements au dossier, il était convaincu que M. Rahman était né en 1985 et qu’il avait fait une fausse déclaration importante quant à la date de sa naissance (DP, à la page 26). Une lettre de refus reflétant les notes a été envoyée le 4 mars 2010. Le demandeur a interjeté appel de cette décision à la SAI et une audience a été tenue le 29 juillet 2011, à laquelle le demandeur s’est présenté sans conseil.

 

II.        La décision contestée

[11]           Dans ses motifs, la SAI a pris acte du témoignage du demandeur selon lequel son fils était né le 10 octobre 1986. Le demandeur avait également eu l’intention d’appeler à témoigner quatre membres de sa famille au Ghana. Après avoir joint l’ex‑belle‑sœur du demandeur ainsi que la tante maternelle de M. Rahman, qui ont déclaré que M. Rahman était né le 10 octobre 1986, l’avocat du ministre était disposé à reconnaître que tous les témoins déclareraient que M. Rahman était né à cette date. En conséquence, la SAI a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’appeler d’autres témoins.

 

[12]           En ce qui concerne l’original du certificat de naissance, le demandeur a expliqué que son épouse, de laquelle il s’était divorcé parce qu’elle ne voulait pas le suivre au Canada, s’était remariée et installée au Nigéria et avait ainsi laissé son fils au Ghana, en emportant des documents importants, dont l’original du certificat de naissance de son fils. À la question de savoir s’il avait tenté de joindre son ex‑épouse pour obtenir le document, le demandeur « a répondu qu’il ne l’avait pas fait étant donné qu’elle s’était remariée et était partie vivre dans un autre pays, et qu’il ne voulait pas l’ennuyer avec cette histoire » (motifs de la SAI, au paragraphe 6). La transcription de l’audience révèle une réponse manifestement beaucoup plus nuancée (DP, à la page 148) : [traduction] « C’est un autre problème que j’ai avec elle, parce qu’elle est plutôt différente, elle a changé complètement à cause de moi et je ne voulais pas la déranger, parce que, là où elle est, elle est mariée avec un autre homme, quelqu’un d’autre […] je n’ai plus de rapport avec elle depuis qu’elle a laissé mon fils à la maison avec ma famille. Je ne communique plus avec elle. »

 

[13]           La SAI a également relevé que, lorsque l’avocat du ministre lui a demandé pourquoi il avait demandé un nouveau certificat de naissance plutôt que d’obtenir une copie de l’original, le demandeur a répondu qu’en raison de la bureaucratie au Ghana, où le traitement de telles demandes peut être très long, il a pensé qu’il serait plus rapide de demander un nouveau certificat.

 

[14]           Dans son analyse contenue dans cinq paragraphes, la SAI a conclu que le demandeur avait gardé de bonnes relations avec la famille de son ex‑épouse puisqu’il avait été en mesure d’appeler comme témoins la sœur de son ex‑épouse et un frère de celle‑ci. En conséquence, la SAI a trouvé curieux que le demandeur n’ait pas essayé de joindre son ex‑épouse afin d’obtenir l’original du certificat de naissance.

 

[15]           La SAI a aussi fait remarquer que le demandeur avait présenté sa demande de résidence permanente le 6 octobre 2008 et que, si le demandeur était vraiment né le 10 octobre 1986, cette demande aurait été présentée quatre jours seulement avant son 22e anniversaire. En conséquence, la SAI croyait que le demandeur avait utilisé une fausse date de naissance de son fils afin de pouvoir le parrainer en tant qu’enfant à charge avant l’âge limite légalement prescrit, ce qui expliquait la présentation de documents indiquant qu’il était né le 10 octobre 1986. La SAI a estimé qu’il s’agissait d’une tentative délibérée pour tromper les autorités d’immigration et non d’une erreur, comme le prétendait le demandeur.

 

[16]           La SAI a conclu que le demandeur avait eu plusieurs années pour obtenir une copie originale du certificat de naissance, mais qu’il ne l’avait pas fait et que cela ne pouvait s’expliquer par l’analphabétisme de sa famille au Ghana. Le demandeur et M. Rahman ont fait une fausse déclaration en inscrivant une fausse date de naissance dans les demandes de résidence permanente de M. Rahman à titre d’enfant à charge. Après avoir examiné l’ensemble des faits et des éléments de preuve relatifs à l’affaire, la SAI a conclu que le rejet fondé sur une fausse déclaration était valide en droit et que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait, celui de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

III.       Les positions des parties

[17]           Le demandeur conteste la décision de la SAI pour trois motifs distincts. Premièrement, il soutient que la SAI n’a pas identifié ou apprécié correctement les éléments de preuve indiquant que M. Rahman était né en 1985 et, qu’en même temps, il n’a pas tenu compte du témoignage des témoins et des éléments de preuve qui démontraient qu’il était né en 1986. Deuxièmement, il relève plusieurs conclusions de fait erronées auxquelles la SAI est parvenue en ce qui a trait à la date de dépôt de la demande, à la date de délivrance du certificat de naissance et aux conjectures douteuses quant à l’absence de l’original du certificat de naissance et à sa relation actuelle avec son ex‑épouse. Troisièmement, le demandeur fait valoir que les motifs donnés par la SAI n’étaient pas suffisants, car ils n’étaient pas formulés de manière adéquate, qu’ils comportaient plusieurs conclusions de fait erronées et que la preuve pertinente n’y était pas analysée.

 

[18]           Rappelant que la SAI avait accès aux notes du STIDI et à tous les documents pertinents examinés par l’agent des visas, le défendeur rejette la thèse selon laquelle la SAI n’a pas pris en compte toute la preuve présentée. Il fait état de deux sources de preuve dans le dossier qui indiquent que M. Rahman est né en 1985 ou auparavant et il met en question l’authenticité de toute la preuve présentée qui démontrait qu’il était né en 1986. Le défendeur fait aussi remarquer que M. Rahman et le demandeur avaient eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas et du gestionnaire, mais qu’ils n’ont pas fourni des documents et/ou explications suffisants. Au lieu de cela, le demandeur prie maintenant la Cour d’apprécier les faits de nouveau, mais le défendeur fait valoir qu’il n’incombe pas à la Cour de remettre en question le poids attribué aux divers facteurs examinés.

 

IV.       La question en litige

1.      La SAI a‑t‑elle commis une erreur susceptible de révision en concluant que le demandeur avait fait une fausse déclaration quant à la date de naissance de M. Rahman?

 

V.        La norme de contrôle

[19]           Les parties conviennent que les conclusions de la SAI relatives à une fausse déclaration sont de nature purement factuelle et qu’elles appellent un degré élevé de déférence. En conséquence, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La Cour ne peut substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue, mais doit plutôt déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Il pourrait peut‑être exister une issue plus raisonnable, mais, dans la mesure où la décision cadre bien avec les principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, la Cour ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa), 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]).

 

[20]           Avant de continuer, je réitérerais qu’il n’incombe pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des faits ou de revoir les décisions de l’agent ou du gestionnaire. En gardant à l’esprit le processus de prise de décision et les motifs de la SAI, la Cour doit plutôt déterminer si le résultat auquel la SAI est parvenue respecte les critères énoncés par la Cour suprême dans les arrêts Dunsmuir et dans Khosa, précités.

 

VI.       Analyse

[21]           Dans ses motifs succincts exposés en cinq pages, la SAI cite la décision prise par le gestionnaire, détermine que la question en litige consiste à savoir si le demandeur a fait une fausse déclaration quant à la date de la naissance de M. Rahman, résume le témoignage livré par le demandeur à l’audience ainsi que les observations écrites des deux parties, puis procède à une analyse en cinq paragraphes avant de conclure que le rejet fondé sur la fausse déclaration est valide en droit.

 

[22]           Au premier paragraphe de son analyse, la SAI fait l’observation suivante (motifs de la SAI, au paragraphe 11) :

 

Selon le nouveau certificat de naissance, [M. Rahman] est né le 10 octobre 2006. L’agent des visas a souligné que le certificat de fin de scolarité indique qu’il est né en 1985. [Le demandeur], qui a répondu à la lettre d’équité en matière de procédure envoyée par l’agent des visas, a expliqué qu’il avait fait une erreur et que la bonne date de naissance est le 10 octobre 2006. [Non souligné dans l’original.]

 

Ce passage contient manifestement deux erreurs flagrantes. Selon son nouveau certificat de naissance, M. Rahman est né en 1986 et non en 2006 et cela était la même date donnée par le demandeur dans sa réponse. De plus, la SAI fait référence à un « certificat de fin de scolarité », mais il n’y a aucun tel document au dossier, ni aucune mention d’un tel certificat dans les notes du STIDI. Quoiqu’il soit possible que la SAI ait voulu écrire 1986 et qu’elle ait fait référence au [traduction] « registre d’admission » mentionné par l’agent dans les notes du STIDI, de telles erreurs flagrantes à propos des faits et des éléments de preuve qui touchent le cœur même de la question en litige soulèvent des doutes sérieux quant à la qualité de l’analyse de la SAI.

 

[23]           Dans le paragraphe suivant, la SAI se demande pourquoi le demandeur n’a pas obtenu de son ex‑épouse au Nigéria l’original du certificat de naissance de son fils et se livre à des conjectures quant à la qualité de la relation du demandeur avec son ancienne belle‑famille. La SAI indique également que le demandeur a parrainé son fils en 2008, mais que, seulement alors, il « […] s’est rendu compte qu’il n’avait pas la documentation nécessaire pour prouver que son fils pouvait être parrainé […] » et que c’est alors qu’il a obtenu un nouveau certificat de naissance plutôt que de demander à son ex‑épouse l’original ou d’obtenir une copie certifiée conforme de l’original (motifs de la SAI, au paragraphe 12). La SAI a commis ici une nouvelle erreur grave quant à l’ordre des événements. Le nouveau certificat de naissance a été délivré le 18 août 2007, soit plus d’un an avant la présentation de la demande, et non après. Cette erreur de fait flagrante est clairement pertinente pour la question qui fait l’objet du litige.

 

[24]           Le paragraphe suivant, dont on peut soutenir qu’il contient les « principaux éléments » de l’analyse de la SAI, est rédigé comme suit (motifs de la SAI, au paragraphe 13) :

 

En ce qui concerne les motifs de refus fondés sur la présentation erronée d’un fait important, la preuve documentaire versée au dossier indique que [M. Rahman] a présenté une demande de résidence permanente le 6 octobre 2008. Si le [M. Rahman] est bel et bien né le 6 octobre 1986, alors cette demande aurait été présentée seulement quatre jours avant son 22e anniversaire. Le tribunal est d’avis que [M. Rahman] a menti sur la date de naissance du demandeur afin de pouvoir parrainer celui‑ci à titre d’enfant à charge ayant moins de 22 ans. Ainsi, des documents ont été présentés pour certifier que [M. Rahman] est né le 10 octobre 1986.

 

L’essentiel du raisonnement sur lequel la SAI fonde sa conclusion générale semble donc être que les documents dans lesquels la date de naissance inscrite est le 10 octobre 1986 ont été présentés parce que le demandeur a utilisé une fausse date afin que son fils soit admissible en vue de l’obtention de la résidence. La SAI saute à cette conclusion en s’appuyant sur le fait que la demande a été présentée le 6 octobre 2008, quatre jours seulement avant le 22e anniversaire de naissance de M. Rahman.

 

[25]           Même en faisant abstraction du fait que la SAI donne encore une mauvaise date de naissance (donnant en fait ainsi trois fois sur quatre une mauvaise date dans son analyse), j’estime que le raisonnement douteux de la SAI est encore affaibli par une nouvelle conclusion de fait erronée. Quoiqu’il soit bel et bien possible que le bureau d’Accra ait reçu la demande de M. Rahman le 6 octobre 2008, cette date n’est pas en fait déterminante pour la demande de résidence. Le demandeur avait plutôt présenté la demande au mois de mai 2008 et la date limite était le 26 mai 2008, comme cela est indiqué dans les notes du STIDI (DP, à la page 50) et dans la lettre d’équité (DD, à la page 24). La SAI a par conséquent commis une erreur en concluant que la demande avait été présentée seulement quatre jours avant l’anniversaire du demandeur, ce qui a entraîné la fausse nécessité d’expliquer la prétendue tentative de déclarer une fausse date de naissance. S’appuyant sur le raisonnement susmentionné, la SAI a conclu qu’il semblait y avoir eu une tentative délibérée de tromper les autorités d’immigration et que le demandeur aurait dû simplement présenter le certificat de naissance original, comme si toute la décision reposait sur l’omission du demandeur de fournir ce document.

 

[26]           Enfin, je remarque que de nouveaux éléments de preuve ont été présentés à la SAI. Quatre témoins apparentés au demandeur étaient disposés à témoigner que le demandeur était né en 1986. Après le premier appel, l’avocat du ministre a admis que les autres témoins diraient la même chose. La SAI n’a pas fait de commentaire particulier sur ces nouveaux éléments de preuve. Comme il s’agit d’un processus de novo et que ces nouveaux éléments de preuve étayent pleinement les observations du demandeur, il aurait dû en être question dans l’analyse.

 

[27]           Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F‑7, confère à la Cour le pouvoir d’annuler la décision de la SAI et de renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue lorsqu’elle est convaincue, en application de l’alinéa 18.1(4)d) de la même loi, que la SAI a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Pour satisfaire à cette exigence, la conclusion doit être véritablement erronée et avoir été tirée sans tenir compte de la preuve et la décision doit être fondée sur la conclusion erronée. (Rohm and Haas Canada Ltd c Canada (Tribunal anti‑dumping) (1978), 22 NR 175, au paragraphe 5, [1978] ACF 522 (CA)). Comme il est manifeste que la SAI est parvenue à ses conclusions de fait erronées sans tenir compte de la preuve au dossier et qu’elle a fondé sa décision définitive sur ces conclusions, la Cour estime qu’il est satisfait à l’exigence. De plus, en conséquence des nombreuses erreurs flagrantes de la SAI, la Cour ne peut pas conclure que la décision cadre bien avec le principe de la justification (arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59) ou qu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » [non souligné dans l’original] (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[28]           Enfin, quoique la SAI ait indiqué dans ses motifs que la fausse déclaration se limitait à deux années et qu’elle ne constituait donc pas un obstacle permanent à la demande, en réalité le demandeur ne pourra évidemment pas présenter une nouvelle demande pour parrainer son fils à titre d’« enfant à charge » et donc en tant que membre de sa famille en vertu des dispositions de la LIPR relatives « au regroupement familial » ou à la « réunification » des familles. La conclusion selon laquelle le demandeur était né en 1985 avait donc des répercussions importantes sur les possibilités de réunification de la famille et la SAI n’aurait pas dû l’écarter avec autant de facilité. La question méritait d’être considérée de manière appropriée par la SAI, mais il ressort qu’elle ne l’a pas fait vu son raisonnement et son appréciation des faits clairement erronés.

 

[29]           Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que le dossier est renvoyé à un tribunal différemment constitué de la SAI pour qu’une nouvelle audience soit tenue. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5777‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  MUHAMMED RABIU ABDUL RAHMANI c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 22 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 26 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andréa de Rocquiny

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jocelyne Murphy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andréa de Rocquiny

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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