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Date : 20120515

Dossier : IMM‑7883‑11

Référence : 2012 CF 583

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

KAM FAH NG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) et de l’alinéa 72(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d’une décision en date du 6 octobre 2011 par laquelle un agent principal (l’agent) a refusé la demande de résidence permanente du demandeur (la décision). Cette décision était fondée sur la conclusion de l’agent suivant laquelle il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier de dispenser le demandeur de son obligation de présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger.

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision de l’agent ainsi que le renvoi de sa demande à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour qu’elle soit réexaminée par un autre agent.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur, Kam Fah Ng, est un citoyen de la Malaisie qui vit actuellement au Canada. Il soutient qu’en tant qu’homosexuel séropositif, il appartient à un groupe social d’hommes ciblés comme victimes éventuelles de persécution en Malaisie.

 

[4]               Le demandeur a grandi en Malaisie. En 1993, il a visité la Thaïlande avec un groupe d’amis. Le lendemain d’une soirée de fête, le demandeur s’est réveillé avec une prostituée dans son lit. Il a par la suite découvert que ses amis avaient engagé cette femme pour lui offrir un cadeau d’anniversaire. C’était sa première expérience sexuelle. Cette expérience l’a traumatisé et il a commencé à passer plus de temps dans des bars gais à boire pour surmonter la douleur psychologique.

 

[5]               En 1996, le demandeur s’est rendu à Singapour à la recherche d’un meilleur emploi. Il a entre autres postulé pour un emploi pour lequel il devait subir un examen médical et notamment un test de dépistage du VIH. Il a alors découvert qu’il était séropositif. Il attribue son infection à la nuit qu’il a passée avec la prostituée en 1993. Craignant d’être expulsé de Singapour, il est rentré en Malaisie et y a repris son emploi. Toutefois, en Malaisie, les employeurs commençaient à exiger de plus en plus fréquemment de leurs employés qu’ils subissent des tests de dépistage du VIH et, en raison de la discrimination dont étaient victimes les personnes séropositives en Malaisie, le demandeur a quitté son emploi en juin 1998.

 

[6]               En décembre 1998, le demandeur est venu au Canada pour ne plus vivre avec la peur d’être ciblé comme personne séropositive en Malaisie. Après l’expiration de son visa de visiteur, il est demeuré au Canada parce qu’il craignait de se faire poser des questions à son retour en Malaisie. Il ignorait qu’il lui était possible de présenter une demande d’asile fondée sur sa séropositivité.

 

[7]               En 2007, le demandeur est tombé malade et a été hospitalisé. Ne pouvant plus travailler, il est devenu un sans‑abri. Il a été dirigé vers le réseau SIDA de Hamilton pour y obtenir des services et du soutien. Un travailleur social l’a encouragé à consulter un avocat au sujet de son statut d’immigrant. En raison de la barrière de la langue, on a suggéré au demandeur de consulter l’Asian Community AIDS Services (ACAS). Cet organisme l’a mis en rapport avec un avocat spécialisé en immigration qui a accepté de le représenter et de l’aider à soumettre sa demande d’asile. Il a par la suite été dirigé vers la Clinique d’aide juridique sur le VIH et le sida de l’Ontario (HALCO), où son avocat actuel l’a aidé à déposer une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire le 7 avril 2009. Lors de ses premières rencontres avec l’avocat spécialisé en immigration et avec son avocat actuel, le demandeur n’a pas divulgué son orientation sexuelle parce qu’il avait honte.

 

[8]               Le 18 janvier 2010, CIC a exigé du demandeur qu’il dépose les autres éléments de preuve qu’il souhaitait faire examiner dans le cadre de l’examen de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. L’avocat du demandeur a déposé des observations écrites et des éléments de preuve à l’appui le 15 février 2010.Toutefois, comme le demandeur avait encore du mal à accepter son orientation sexuelle, aucun élément de preuve n’a été déposé sur l’homophobie.

 

[9]               L’audience relative à la demande d’asile du demandeur a eu lieu le 6 avril 2010. Tout juste avant l’ouverture de l’audience, le demandeur a révélé son orientation sexuelle à son avocat.

 

[10]           La demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire du demandeur a été refusée le 1er septembre 2010. Il a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Le défendeur a acquiescé à la demande et accepté de réexaminer la demande.

 

[11]           En mai 2011, le demandeur a soumis des éléments de preuve complémentaires à l’appui de sa demande de réexamen de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, incluant des éléments de preuve relatifs à l’homophobie en Malaisie.

 

Décision de l’agent

 

[12]           L’agent a rendu sa décision le 6 octobre 2011. Il a estimé que le cas du demandeur ne justifiait pas l’octroi d’une dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

[13]           Les motifs de la décision de l’agent sont exposés dans le formulaire de décision dans lequel sont articulées les raisons d’ordre humanitaire. L’agent a d’abord résumé les antécédents du demandeur, y compris les événements qui l’avaient incité à quitter la Malaisie et ceux qui s’étaient produits depuis son arrivée au Canada.

 

[14]           L’agent a ensuite relevé les faits pertinents concernant l’établissement du demandeur au Canada. Il a fait observer que, pendant la plus grande partie de son séjour au Canada (13 ans), le demandeur n’avait pas eu de statut d’immigrant valide. L’agent a également fait observer que le demandeur n’occupait pas d’emploi pour lequel ses compétences étaient uniques au Canada ou encore qu’il possédait des compétences ou une formation spéciales qui seraient perdues, au point où il subirait des difficultés excessives s’il devait retourner en Malaisie.

 

[15]           L’agent a fait observer que le demandeur était au courant de sa séropositivité au moment de son arrivée au Canada. Il n’a toutefois demandé de l’aide médicale qu’après être tombé gravement malade en 2007. Même s’il lui était loisible de retourner en Malaisie pour obtenir des médicaments gratuits pour le VIH, il n’en a rien fait. L’agent a par conséquent conclu que la prolongation de son séjour au Canada n’était pas une situation qui était indépendante de la volonté du demandeur. Dans sa décision, il a également fait observer qu’il existait en Malaisie de nombreuses ONG prêtes à offrir de l’aide au demandeur.

 

[16]           Sur la question des risques et des conditions difficiles en Malaisie, l’agent a pris acte des observations du demandeur suivant lesquelles il ne serait pas en mesure de payer ses médicaments, que ses renseignements médicaux personnels seraient divulgués à d’éventuels employeurs, aux membres de sa famille et à d’autres personnes et qu’il serait persécuté, voire incarcéré en raison de son orientation sexuelle s’il devait retourner en Malaisie. Pris collectivement, ces facteurs représentaient des difficultés indues ou injustifiées. L’agent a également pris acte de lettres émanant du docteur Kamarulzaman, du Malaysian AIDS Council, et des Services de santé de Hamilton qui appuyaient les arguments du demandeur.

 

[17]           L’agent a ensuite résumé les renseignements contenus dans certains des éléments de preuve documentaire portant sur le VIH/SIDA dans les pays en voie de développement. L’agent a cité un article dans lequel l’auteur expliquait qu’en règle générale, les pays en voie de développement imposent des droits de douane ou des tarifs et des droits à l’importation sur certains médicaments essentiels et autres produits pharmaceutiques. L’agent a toutefois conclu que le fait que des droits équivalant à 0 % étaient prélevés sur les médicaments servant au traitement aux antirétroviraux en Malaisie démontrait que ce pays était sérieux dans sa lutte contre le VIH/SIDA.

 

[18]           L’agent a également fait observer qu’un autre article signalait que des programmes avaient été adoptés en vue de réduire la transmission du VIH, de proposer des thérapies aux consommateurs de drogues, d’offrir des tests de dépistage du VIH libres et anonymes et de distribuer des condoms. Toutefois, la réprobation sociale, la discrimination et les lois punitives constituaient des obstacles à la mise en œuvre efficace de ces programmes. L’agent a conclu que l’infection au VIH/SIDA était très répandue en Malaisie et que ce pays luttait pour enrayer cette maladie. L’agent a conclu que, bien que la situation reste difficile, la Malaisie avait pris des mesures concrètes pour lutter contre le VIH/SIDA.

 

[19]           Sur la question de l’orientation sexuelle, l’agent a tout d’abord cité des éléments de preuve documentaire indiquant que certaines lois étaient sporadiquement appliquées et que les tabous religieux et culturels étaient largement répandus. L’agent a ensuite pris acte des observations formulées par le demandeur au sujet de son orientation sexuelle. Le demandeur avait contracté le VIH à l’occasion d’une relation hétérosexuelle; dans sa première demande d’asile, il avait affirmé qu’il était hétérosexuel; lors de l’audience relative à sa demande d’asile, il avait expliqué qu’il était bisexuel et qu’il n’avait aucune intention de fréquenter qui que ce soit à l’avenir; dans sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, il avait affirmé qu’il était homosexuel et espérait avoir une relation sérieuse avec un homme un jour. Même si la Section de la protection des réfugiés avait conclu que le demandeur n’était pas homosexuel, l’agent a accepté qu’il était homosexuel et séropositif.

 

[20]           L’agent a ensuite reconnu que les personnes homosexuelles atteintes du VIH/SIDA étaient victimes de réprobation sociale et de discrimination. L’agent a toutefois conclu que ce type de préjudice existait également au Canada. L’agent a estimé que, même si les personnes homosexuelles et séropositives sont mieux traitées au Canada qu’en Malaisie, le problème est universel. Par conséquent, tout en reconnaissant que le demandeur serait probablement confronté à des difficultés s’il devait retourner en Malaisie, l’agent a conclu que sa situation personnelle faisait en sorte que les difficultés auxquelles il serait confronté ne seraient pas inusitées, injustifiées ou excessives. L’agent a par conséquent refusé la demande de résidence permanente du demandeur.

 

Questions en litige

 

[21]           Le demandeur soumet la question suivante :

            La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?

 

[22]           Je formulerais la question de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en refusant la demande présentée par le demandeur sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire?

 

Observations écrites du demandeur

 

[23]           Le demandeur affirme que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable. Dans le cas qui nous occupe, la décision de l’agent était, selon le demandeur, déraisonnable pour les deux raisons suivantes :

            1.         Pour apprécier les difficultés auxquelles le demandeur serait confronté du fait de son orientation sexuelle, l’agent a commis une erreur en ignorant la plupart des éléments de preuve relatifs à l’homophobie en Malaisie;

            2.         Pour apprécier les difficultés auxquelles le demandeur serait exposé en raison de sa séropositivité, l’agent a commis une erreur en retenant les éléments de preuve généraux portant sur les mesures prises par la Malaisie pour lutter contre le VIH/SIDA plutôt que ceux plus précis concernant la situation du demandeur.

 

[24]           Sur la première question, le demandeur affirme que, bien qu’il ait accepté qu’il est homosexuel, l’agent a commis une erreur en concluant qu’en Malaisie, l’homophobie ne créait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agent n’a pas examiné les éléments de preuve documentaire provenant de l’Université de Toronto qui faisaient ressortir la discrimination dont sont victimes les homosexuels en Malaisie. Comme les violations des droits de la personne auxquelles sont exposés les lesbiennes, les gais, les bisexuels et les transgenres (LGBT) en Malaisie constituaient un élément clé de l’argument du demandeur au sujet des difficultés auxquelles il serait confronté en Malaisie, l’agent avait l’obligation d’expliquer la raison pour laquelle il ne croyait pas que les violations des droits de la personne en question n’étaient pas suffisantes pour pouvoir être considérées comme des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[25]           Le demandeur relève également la comparaison que l’agent a faite entre la situation qui existe en Malaisie et celle du Canada. Il demande toutefois à notre Cour de prendre connaissance d’office du fait que les descentes de police, l’extorsion et le harcèlement de la collectivité LGBT sont chose du passé au Canada et que les médias canadiens ne font pas l’objet de censure sur les questions relatives aux LGBT. La comparaison que l’agent a faite entre la situation au Canada et celle qui existe en Malaisie donne à penser qu’il n’a pas bien saisi l’oppression dont sont victimes les membres de la collectivité LGBT en Malaisie.

 

[26]           Sur la seconde question, le demandeur affirme que l’agent a commis une erreur en se fondant sur des éléments de preuve relatifs à la situation en Malaisie sans tenir suffisamment compte de sa situation personnelle telle qu’exposée par le docteur Kamarulzaman dans sa lettre. Le demandeur relève notamment le coût de ces médicaments sans lesquels sa maladie risquerait de passer au stade du SIDA, en plus de ses problèmes psychologiques, de son manque d’instruction et du fait qu’il ne peut compter sur l’appui de sa famille. Au lieu de se concentrer sur la situation personnelle du demandeur, l’agent s’en est tenu presque exclusivement aux tentatives générales faites par le gouvernement malaisien pour lutter contre le VIH. L’agent a commis une erreur en concluant que les mesures d’ordre général prises par la Malaisie étaient suffisantes pour contredire l’avis du docteur Kamarulzaman. De même, l’agent a ignoré des éléments de preuve qui reprenaient les préoccupations formulées par le docteur Kamarulzaman au sujet des difficultés auxquelles sont confrontées les personnes séropositives en Malaisie dans le domaine de l’emploi et des soins de santé.

 

Observations écrites du défendeur

 

[27]           Le défendeur fait valoir que la norme de contrôle applicable aux décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable. La norme déférente du caractère raisonnable reconnaît que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise. Une décision est raisonnable dès lors qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Le défendeur affirme que, dans le cas d’une décision relative à une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, la gamme des issues raisonnables est plus large en raison de l’existence de l’élément hautement discrétionnaire que comporte la décision de l’agent, ce qui commande un degré élevé de déférence.

 

[28]           Le défendeur affirme que, dans sa jurisprudence récente, la Cour suprême du Canada a précisé qu’il n’est pas nécessaire que les motifs soient détaillés ou parfaits et qu’elle a expliqué que la juridiction de révision devait d’abord tenter de compléter les motifs du tribunal administratif avant de les écarter. De plus, le caractère suffisant des motifs ne constitue pas un motif indépendant permettant d’annuler une décision. Ainsi, une décision est raisonnable dès lors que les motifs invoqués à son appui sont suffisamment clairs quant aux raisons pour lesquelles son auteur est arrivé à sa conclusion et que cette conclusion appartient aux issues acceptables.

 

[29]           Le défendeur affirme que l’agent a de toute évidence tenu compte des observations formulées par le demandeur au sujet des difficultés auxquelles il serait exposé s’il devait retourner en Malaisie en tant qu’homosexuel séropositif. Le défendeur affirme qu’au vu de l’ensemble du dossier, la décision de l’agent appartient aux issues possibles acceptables.

 

 

[30]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle applicable à une question particulière dont est saisie la cour, la juridiction de révision peut adopter cette même norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[31]           Il est de jurisprudence constante que les conclusions tirées par un agent d’immigration en réponse à une demande de résidence permanente présentée au Canada sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713, au paragraphe 18; Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1193, [2009] ACF no 1489 au paragraphe 14; et De Leiva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717, [2010] ACF no 868, au paragraphe 13).

 

[32]           Lorsqu’elle contrôle la décision de l’agent en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si l’agent a tiré une conclusion qui n’était pas transparente, justifiable et intelligible, et qui n’appartenait pas aux issues acceptables au regard de la preuve dont il disposait (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). La juridiction de révision ne peut substituer à la décision l’issue qui serait à son avis préférable, pas plus qu’il n’entre dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (voir l’arrêt Khosa, précité, aux paragraphes 59 et 61).

 

 

[33]           Question 2

            L’agent a‑t‑il commis une erreur en refusant la demande présentée par le demandeur sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire?

            Dans la présente demande, les arguments du demandeur sont essentiellement axés sur la façon dont l’agent a donné suite aux éléments de preuve présentés au sujet de l’homophobie en Malaisie et sur le fait que l’agent a retenu les éléments de preuve concernant les efforts déployés par la Malaisie pour lutter contre le VIH/SIDA plutôt que ceux portant plus précisément sur la situation du demandeur. En revanche, pour affirmer que la décision de l’agent est raisonnable, le défendeur se fonde d’abord et avant tout sur le degré important de déférence dont il convient de faire preuve envers une décision relative à une demande fondée sur les raisons d’ordre humanitaire dans le cadre d’un contrôle judiciaire ainsi que sur la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada en ce qui concerne le caractère suffisant des motifs.

 

[34]           Dans sa décision, l’agent aborde d’abord la question de l’établissement du demandeur au Canada. Il relève que, comme le demandeur était au courant qu’il était séropositif lorsqu’il est arrivé au Canada, de nombreuses options s’offraient à lui, [traduction] « y compris de retourner en Malaisie et d’y recevoir sans frais des médicaments contre le VIH ». Dans sa lettre, le docteur Kamarulzaman affirme dans les termes les plus nets qu’il est possible d’obtenir sans frais en Malaisie une thérapie aux antirétroviraux hautement actifs, un « traitement de première intention ». Toutefois, le demandeur fait présentement l’objet d’un traitement de deuxième intention (Kivexa et Kaltra), qui n’est pas offert gratuitement en Malaisie. L’affirmation de l’agent donne par conséquent à penser que le demandeur n’aurait eu besoin que d’un traitement de première intention s’il était retourné plus tôt en Malaisie. Or, le dossier ne renferme aucun élément de preuve appuyant pareille conclusion. Le seul élément de preuve dont disposait l’agent était que le demandeur avait besoin d’un traitement de seconde intention qu’il ne pouvait obtenir gratuitement en Malaisie. L’agent a par conséquent commis une erreur en minimisant les difficultés auxquelles le demandeur serait confronté s’il devait retourner en Malaisie et devait payer pour se faire soigner pour le VIH.

 

[35]           Pour ce qui est des risques auxquels le demandeur serait exposé s’il devait retourner en Malaisie, l’agent a reconnu que le pays luttait pour éradiquer le VIH/SIDA, et a admis que la réprobation sociale, la discrimination et les lois punitives sur l’homosexualité faisaient obstacle à la mise en œuvre efficace des programmes relatifs au VIH. L’agent a toutefois relaté la progression des observations formulées par le demandeur au sujet de son orientation sexuelle dans ses demandes d’immigration. Malgré le fait que l’agent a finalement conclu que le demandeur était homosexuel, l’examen qu’il a fait des observations antérieures du demandeur semble avoir influencé la conclusion à laquelle il est arrivé. Avant de finalement rejeter la demande présentée par le demandeur, l’agent a également cité certains éléments de preuve concernant la réprobation sociale et la discrimination dont les personnes séropositives font l’objet au Canada. Reconnaissant que la situation était de loin meilleure au Canada, l’agent a néanmoins conclu qu’il s’agissait d’un problème d’envergure internationale et que, par conséquent, les difficultés auxquelles le demandeur serait exposé s’il devait retourner en Malaisie n’étaient pas inusitées, injustifiées ou excessives.

 

[36]           Cette évaluation est problématique, et ce, pour plusieurs raisons. Ainsi que le demandeur l’a mentionné, l’agent s’est surtout fondé sur certains éléments de preuve portant sur la situation en Malaisie sans examiner en détail la situation personnelle du demandeur, et notamment les observations formulées par le docteur Kamarulzaman qui faisaient ressortir les difficultés qu’entraîneraient pour le demandeur l’obligation de payer pour ses soins médicaux, en raison de sa faible scolarité et de son expérience pratique de travail, ainsi que les problèmes psychologiques associés à la prolongation de son séjour à l’étranger, à l’absence de soutien familial et à la réprobation sociale et à la discrimination dont font l’objet les hommes homosexuels en Malaisie.

 

[37]           Il est de jurisprudence constante que, lorsqu’ils examinent une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, les agents d’immigration doivent apprécier et soupeser les facteurs pertinents, eu égard à la situation personnelle de chaque demandeur (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] ACF no 457, aux paragraphes 11, 15, 16 et 17; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 RCS 3, au paragraphe 34; Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 409, [2009] ACF no 543, au paragraphe 11). Dans le cas qui nous occupe, l’agent ne s’est de toute évidence pas acquitté de cette obligation, étant donné qu’il s’est fondé principalement sur les éléments de preuve relatifs à la situation en Malaisie sans tenir suffisamment compte de la situation personnelle du demandeur qui était exposée dans la preuve dont il disposait.

 

[38]           Enfin, j’estime également que l’agent a commis une erreur en comparant la situation de la Malaisie avec celle du Canada. Cette comparaison semble être axée sur la réprobation sociale et la discrimination générale. Ce faisant, l’agent n’a pas tenu suffisamment compte des éléments de preuve versés au dossier portant sur les mesures prises par l’État contre les homosexuels en Malaisie, notamment le recours à des lois sur la moralité, ainsi que les descentes policières et le harcèlement policier. Ces éléments ont pour effet d’élever le degré de difficulté auxquelles le demandeur serait confronté s’il devait retourner en Malaisie à un niveau beaucoup plus élevé qu’ici au Canada, ce qui, pourrait‑on soutenir, fait en sorte qu’on ne peut comparer la situation qui existe dans ces deux pays.

 

[39]           En un mot, il est bien établi qu’il n’appartient pas à notre Cour de soupeser de nouveau les facteurs et les éléments de preuve pertinents dont les agents tiennent dûment compte pour rendre leurs décisions hautement discrétionnaires. Toutefois, en l’espèce, l’agent a tiré des conclusions qui n’étaient pas appuyées par la preuve dans son ensemble. L’agent n’a pas tenu suffisamment compte de la situation particulière du demandeur. En ce qui concerne la possibilité de se procurer en Malaisie des médicaments pour le VIH et les similitudes existant entre la réprobation sociale et la discrimination auxquelles sont exposés les homosexuels séropositifs au Canada et en Malaisie, l’agent a également tiré des conclusions qui n’étaient pas appuyées par les éléments de preuve portés à sa connaissance. L’agent a par conséquent mal évalué les difficultés auxquelles le demandeur serait confronté en Malaisie en tant qu’homme homosexuel séropositif. Je suis par conséquent d’avis de faire droit à la présente demande et de renvoyer la décision pour qu’elle soit examinée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

 

[40]           Aucune des parties n’a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, annule la décision de l’agent et renvoie l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

 

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

 

[. . .]

 

b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

 

. . .

 

(b) subject to paragraph 169(f), notice of the application shall be served on the other party and the application shall be filed in the Registry of the Federal Court (“the Court”) within 15 days, in the case of a matter arising in Canada, or within 60 days, in the case of a matter arising outside Canada, after the day on which the applicant is notified of or otherwise becomes aware of the matter;

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑7883‑11

 

INTITULÉ :                                      KAM FAH NG

 

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Norquay

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Clinique d’aide juridique sur le VIH et le sida de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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