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Date : 20120518

Dossier : IMM-6918-11

Référence : 2012 CF 613

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2012

En présence de madame la juge Henegan

 

 

ENTRE :

 

GENET DEMISSIE TESEMA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Genet Demissie Tesema (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Par cette décision, en date du 1er septembre 2011, la Commission a conclu que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger aux termes, respectivement, de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

[2]               La demanderesse est arrivée au Canada en février 2010 pour rendre visite à sa fille qui était enceinte. Elle est arrivée au Canada munie d’un visa de visiteur. En avril 2010, elle reçut, d’une autre fille vivant en Éthiopie, un appel lui faisant savoir que son mari avait été emprisonné et que son fils avait disparu.

 

[3]               Le 8 avril 2010, la demanderesse déposa une demande d’asile. À l’époque où sa cause a été entendue par la Commission, son fils avait été retrouvé en Afrique du Sud, mais son mari était encore en prison, n’ayant, depuis sa mise en détention, été ni formellement inculpé, ni présenté en justice.

 

[4]               La demanderesse est de citoyenneté éthiopienne. Elle invoque, à l’appui de sa demande d’asile, la crainte d’être persécutée en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier, en l’occurrence son adhésion en Éthiopie, au parti politique Kinijit, son appui, toujours en Éthiopie, au Parti d’unité pour la démocratie et la justice (UDJ), ainsi que son appartenance, au Canada, à l’association Human Rights and Democracy (UHRD). Le parti Kinijit, le parti UDJ et l’UHRD s’opposent au Front révolutionnaire démocratique du peuple éthiopien (FRDPE), parti au pouvoir en Éthiopie.

 

[5]               C’est le 21 mai 2010 que la demanderesse a adhéré, au Canada, à l’UHRD. Cette organisation est donnée pour une organisation militante offrant aux réfugiés éthiopiens les moyens de manifester leur opposition à l’actuel gouvernement d’Éthiopie.

 

[6]               La Commission a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse, n’étant pas convaincue que la demanderesse avait effectivement participé à des activités politiques d’une certaine envergure, et qu’elle avait éprouvé, en raison de l’activité politique limitée qui avait été la sienne, des problèmes importants avec les autorités éthiopiennes. La Commission a relevé l’absence de preuves quant au fait que le mari de la demanderesse aurait été arrêté en raison de ses activités ou convictions politiques, ajoutant que ses enfants n’ont pas éprouvé de difficultés en Éthiopie. La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas de fortes convictions politiques et qu’elle avait, au Canada, adhéré à l’UHRD afin d’étayer sa demande d’asile.

 

[7]               La demanderesse conteste la décision de la Commission, faisant valoir en cela plusieurs motifs. Elle affirme, d’abord, que la Commission a commis une erreur en ne lui offrant pas la possibilité de répondre aux doutes qu’elle éprouvait au sujet de sa crédibilité. Elle fonde son argument sur des considérations d’équité procédurale, question qui, en matière de contrôle judiciaire, relève de la norme de la décision correcte. Elle fait par ailleurs valoir que la Commission est parvenue à des conclusions déraisonnables quant à ce qu’elle affirmait au sujet de deux périodes de détention qui lui auraient été imposées par les autorités éthiopiennes.

 

[8]               La demanderesse conteste la conclusion à laquelle est parvenue la Commission lorsque celle-ci estime qu’elle n’a guère eu, en Éthiopie, d’activité politique, et lorsqu’elle considère que si la demanderesse a adhéré à l’UHRD lorsqu’elle est arrivée au Canada c’était pour étayer sa demande d’asile. Selon la demanderesse, la Commission ne lui a pas donné la possibilité de répondre aux doutes qu’elle entretenait concernant ses convictions politiques et l’activité politique qu’elle aurait menée en Éthiopie. Elle fait également valoir que, pour minimiser l’importance de son appartenance à l’UHRD, la Commission s’est fondée sur des connaissances spécialisées qui auraient dû lui être communiquées et auxquelles elle aurait dû, en outre, avoir la possibilité de répondre. Cela n’ayant pas été le cas, il y aurait eu en l’occurrence une violation de l’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[9]               La demanderesse fait en outre valoir l’insuffisance des motifs exposés par la Commission, soutenant que la question de cette insuffisance est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[10]           La demanderesse soutient, par ailleurs, que la Commission, à tort, n’a pas procédé à l’analyse qu’appelle le paragraphe 97(1) de la Loi, afin de décider si elle avait, au sens de cette disposition, la qualité de personne à protéger.

 

[11]           Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) soutient pour sa part que la demanderesse a induit la Cour en erreur quant à la nature de ses activités en Éthiopie, au sein du Kinijit. Le défendeur relève que dans l’affidavit que la demanderesse a produit à l’appui de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, elle se présente comme ayant été « membre » de ce parti en 2005, précisant que la demanderesse et son mari n’avaient été que des « partisans » de l’UDJ, parti ayant succédé au Kinijit. Selon le défendeur, cela va à l’encontre de ce que la demanderesse avait indiqué dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), et du témoignage qu’elle a livré devant la Commission.

 

[12]           Tant dans son FRP que dans sa demande d’asile, formulée par écrit, la demanderesse se présente comme membre de l’UDJ. Elle l’a affirmé à nouveau lors de l’audience en procédure accélérée devant un agent de protection des réfugiés (APR). À l’audience devant la Commission, cependant, la demanderesse s’est présentée comme une « partisane » de l’UDJ. Selon le défendeur, en donnant une description inexacte de son statut, description qu’elle a réitérée dans son mémoire en réplique, la demanderesse a induit la Cour en erreur, cela justifiant à lui seul le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

 

[13]           La première question à examiner est celle de la norme de contrôle applicable en l’espèce. En matière d’équité procédurale, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision correcte; voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43. La question de savoir si la décision est suffisamment motivée est comprise dans la question de savoir si les motifs de la Commission étaient raisonnables, et doit être examinée au regard de la norme de la décision raisonnable; voir l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 R.C.S. 708 [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union]. J’entends d’abord me pencher sur les reproches formulés quant à l’équité procédurale, c’est-à-dire le fait que, selon la demanderesse, on ne lui ait pas donné la possibilité de répondre aux doutes que la Commission éprouvait quant à sa crédibilité.

 

[14]           Pour alléguer qu’on ne lui a pas permis de répondre aux doutes concernant sa crédibilité, la demanderesse fait valoir que la Commission a estimé qu’elle n’avait présenté, au sujet de ses convictions politiques, aucune preuve crédible démontrant que celles-ci étaient effectivement de nature à justifier une demande d’asile au titre de l’article 96 de la Loi. Les arguments avancés par la demanderesse sur ce point allèguent moins une violation de l’équité procédurale qu’ils ne reprochent à la Commission de ne pas lui avoir fourni l’occasion de répondre aux doutes que lui inspirait sa crédibilité.

 

[15]           Selon moi, les arguments avancés par la demanderesse à cet égard ne sont pas fondés. Il est de droit constant que c’est au demandeur qui sollicite l’asile, soit en tant que réfugié au sens de la Convention, soit en tant que personne à protéger, qu’il appartient d’établir le bien-fondé de sa cause; voir Kovacs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 FCR 455, au paragraphe 33.

 

[16]           Or, en l’occurrence, la demanderesse a pu se faire entendre. Elle a pu faire valoir ses arguments. La Commission n’était, à l’audience, aucunement tenue, de lui dire qu’elle éprouvait des doutes quant à sa crédibilité. L’argument avancé sur ce point doit donc être rejeté.

 

[17]           La demanderesse affirme en outre qu’en ne motivant pas suffisamment sa décision, la Commission a manqué à l’équité procédurale. Cet argument ne saurait être retenu. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, au paragraphe 22, la Cour suprême du Canada a précisé qu’on ne saurait, dans la mesure où la décision est motivée, faire valoir l’insuffisance des motifs exposés.

 

[18]           En ce qui concerne, maintenant, les autres arguments avancés par la demanderesse, elle conteste, semble-t-il, les conclusions auxquelles la Commission est parvenue pour décider qu’elle n’était exposée à aucun risque en raison de ses opinions et de son appartenance politiques. La Commission a estimé que la demanderesse n’était pas crédible. Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité de la demanderesse sont contrôlables selon la norme du caractère raisonnable; voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4 et Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17.

 

[19]           Après examen des éléments de preuve contenus dans le dossier certifié du tribunal, y compris le témoignage livré devant la Commission par la demanderesse, je ne suis pas convaincue que la conclusion à laquelle la conclusion est parvenue sur la question de la crédibilité soit déraisonnable. La demanderesse a pu bénéficier d’une audition accélérée de sa cause devant un APR. On lui a fait savoir, lorsque sa demande devait faire l’objet d’une audience devant la Commission, que sa crédibilité était en cause. Il appartenait à la demanderesse de présenter les preuves permettant de démontrer le bien-fondé de sa demande. La Commission a jugé peu crédible le témoignage de la demanderesse concernant son appartenance politique. Au vu des preuves contenues dans le dossier certifié du tribunal, je ne suis pas convaincue que la Commission, en aboutissant à cette conclusion, ait commis une erreur susceptible de contrôle

 

[20]           Enfin, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en ne procédant pas, en ce qui concerne sa demande d’asile, à l’analyse indépendante qu’appelle le paragraphe 97(1) de la Loi. Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il affirme que la Commission n’était pas tenue de procéder à une analyse distincte dans la mesure où l’évaluation de la crédibilité de la demanderesse au regard tant de l’article 96, que du paragraphe 97(1) de la Loi, reposait sur les mêmes éléments de preuve; voir Soleimanian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1660, aux paragraphes 22 et 24.

 

[21]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. La demanderesse n’a pas démontré que la Commission a manqué à l’équité procédurale, ou commis une erreur susceptible de révision. Toutefois, outre le rejet de la présente demande, il y a lieu pour moi de dire quelque chose sur l’argument avancé par le défendeur sur la question de la mauvaise foi.

 

[22]           À l’audience, j’ai fait savoir que le défendeur n’avait pas, selon moi, démontré que la demanderesse ou son avocate avaient induit la Cour en erreur, soit par les documents déposés dans le cadre de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, soit dans le mémoire en réplique de la demanderesse. Selon moi, l’argument avancé à cet égard par l’avocat du défendeur revêt un caractère foncièrement technique et ne me paraît pas fondé.

 

[23]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6918-11

 

INTITULÉ :                                      GENET DEMISSIE TESEMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 mai 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 18 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Bradley Bechard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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