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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120518


Dossier : IMM-5314-11

Référence : 2012 CF 606

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

BEATA KIS

LAURA BARDI

JOZSEF BARDI

CINTIA BARDI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 14 juillet 2011. La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

 

I.          Les faits

 

[2]               La demanderesse principale (Beata Kis) et ses enfants (Laura Bardi, Jozsef Bardi et Cintia Bardi) sont des citoyens hongrois. Ils ont déposé des demandes d’asile au Canada le 27 avril 2010, craignant d’être persécutés en raison de leur appartenance à l’ethnie rome.

 

[3]               La demanderesse principale a évoqué ses expériences antérieures ainsi que celles de ses enfants qui avaient été l’objet de moqueries et s’étaient fait traiter de noms péjoratifs à l’école. À l’époque où elle vivait avec le père de ses enfants de 1994 à 2003, la demanderesse principale a affirmé que la police s’arrêtait et les harcelait.

 

[4]               Entre autres incidents, la demanderesse principale a décrit une bagarre avec un vendeur à cause de quelque friandise. Le vendeur l’avait agressée et avait appelé la police, qui avait finalement accusé la demanderesse d’avoir commis l’agression. À la suite de cet incident, la demanderesse principale avait comparu en cour, mais, plutôt que de la déclarer coupable, la cour l’avait avertie que cela ne devait pas se reproduire.

 

[5]               La demanderesse principale a également tenté d’obtenir une pension alimentaire pour enfants du père de ses enfants après que celui-ci l’eut quittée en 2003. Des membres de la famille du père ont menacé la demanderesse, ont appelé les services de protection de l’enfance et ont attaqué la demanderesse en 2008.

 

II.        La décision visée par le présent contrôle

 

[6]               La Commission a admis que la demanderesse principale et ses enfants avaient éprouvé certaines difficultés dans le passé et avaient été harcelés à cause de leur appartenance à l’ethnie rome. Compte tenu toutefois des efforts déployés par la Hongrie pour corriger la discrimination historique décrite dans les éléments de preuve documentaire, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante. La Commission a résumé ses conclusions comme suit :

Il est reconnu que la Hongrie a eu des difficultés par le passé à lutter contre la discrimination et le racisme envers les Roms. Cependant, j’accepte la preuve documentaire présentée ci‑dessus, qui laisse entendre que, bien qu’elle ne soit pas parfaite, la protection de l’État offerte en Hongrie est adéquate et que la Hongrie fait des efforts sérieux et véritables pour éradiquer le problème du racisme contre les Roms.

 

III.       La question en litige

 

[7]               La seule question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la protection de l’État.

 

IV.       La norme de contrôle

 

[8]               La norme de contrôle appropriée en l’espèce est celle de la décision raisonnable (voir Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, [2008] ACF no 771, aux paragraphes 11 à 13). L’intervention de la Cour n’est pas justifiée à moins que la décision ne s’accorde pas avec les principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité ou qu’elle n’appartienne pas aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

[9]               Les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve et en n’appliquant pas le critère approprié en ce qui concerne la protection de l’État.

 

[10]           Ils insistent pour dire que la Commission a omis de tenir compte d’éléments de preuve concernant des attaques contre les Roms en Hongrie. En particulier, elle a négligé de faire mention deux rapports récents qui traitaient d’attaques racistes.

 

[11]           Je dois souligner que la Commission est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait, sauf preuve contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF)). Il n’y a aucune obligation de mentionner tout un chacun des éléments de preuve documentaire (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (CAF)).

 

[12]           La Commission a soupesé les éléments de preuve documentaire relatifs à la protection de l’État reconnaissant la discrimination historique contre les Roms en Hongrie mais pondérant cela avec les mesures prises pour régler ces problèmes, comme l’imposition de restrictions aux activités de certains groupes et la formation des policiers pour changer les attitudes à l’égard des minorités. Le défaut de faire mention de deux rapports précis ne rend pas la conclusion tirée déraisonnable dans les circonstances.

 

[13]           Je ne retiens pas non plus la prétention des demandeurs selon laquelle la Commission n’a pas appliqué le critère approprié en ce qui concerne la protection de l’État.

 

[14]           Les demandeurs invoquent les décisions Bledy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, [2011] CarswellNat 625 et Hercegi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250, [2012] ACF no 273, au soutien de leur prétention selon laquelle la Commission a trop insisté sur les efforts déployés par la Hongrie pour protéger les Roms.

 

[15]           La demanderesse principale est tenue de présenter une preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption selon laquelle la protection de l’État est adéquate (voir Flores Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 94, 2008 CarswellNat 605 au paragraphe 38). Le fardeau de preuve à cet égard est plus exigeant dans le cas d’un État démocratique, comme c’est le cas de la Hongrie (voir Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] ACF no 584, au paragraphe 57).

 

[16]           Dans la décision Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, [2011] ACF no 840, aux paragraphes 25 et 26, j’ai souligné que le critère approprié n’est pas en soi celui de l’efficacité mais plutôt celui du caractère adéquat, conformément à l’arrêt Carillo, précité. Le juge Sean Harrington a laissé entendre la même chose dans la décision Banya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 313, [2011] ACF no 393, aux paragraphes 12 à 16, tout comme le juge Paul Crampton dans la décision Cervenakova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1281, [2010] ACF no 1591, au paragraphe 87. Il est bien établi qu’« [i]l ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation » (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF no 1189 (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (CAF)).

 

[17]           En l’espèce, la Commission a procédé à une évaluation raisonnable de divers programmes instaurés pour s’attaquer aux défis auxquels les Roms continuent de faire face en Hongrie avant de conclure que ces programmes représentaient des « efforts sérieux et véritables » et que la protection de l’État était adéquate.

 

[18]           Les demandeurs soutiennent en outre que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a examiné la protection de l’État isolément de la possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés. Ils invoquent la décision Jimenez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 727, [2010] ACF no 879 au paragraphe 17, dans laquelle il a été reproché à la Commission de ne pas avoir tenu compte de la situation d’un demandeur d’asile pour orienter l’analyse relative à la protection de l’État.

 

[19]           Bien que la Commission n’ait pas procédé comme tel à une analyse de la crainte subjective en l’espèce, elle a tout de même effectué un examen relativement détaillé de la situation des demandeurs avant d’examiner la question de la protection de l’État. Cette évaluation s’est avérée suffisante pour statuer sur la demande d’asile. Le désaccord des demandeurs avec le poids accordé à leurs situations personnelles dans ce contexte ne justifie pas une application stricte de la décision Jimenez, précitée, ni ne constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[20]           La Commission a agi de manière raisonnable lorsqu’elle a estimé que le caractère adéquat de la protection de l’État était la question déterminante et lorsque, après avoir soupesé les éléments de preuve comme il lui était loisible de le faire, elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi, en conformité avec l’arrêt Carillo, précité, à réfuter, au moyen d’une preuve claire et convaincante, la présomption relative aux conditions actuelles en Hongrie.

 

VI.       Conclusion

 

[21]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

«D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5314-11

 

INTITULÉ :                                      BEATA KIS ET AL c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 19 MARS 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 18 MAI 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maureen Silcoff

 

POUR LES DEMANDEURS

Sybil Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maureen Silcoff

Silcoff, Shacter

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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