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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20111212


Dossier : IMM-2510-11

Référence : 2011 CF 1452

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

AIDA LUZ PORTILLO ROMERO

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

  • [1] La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue du contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 23 mars 2011 (la décision), par laquelle la SPR a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse en qualité de réfugiée au sens de la Convention visée à l’article 96 ou de personne à protéger visée à l’article 97 de la Loi.

FAITS

  • [2] La demanderesse est citoyenne du Salvador. Elle a cinq enfants (trois fils et deux filles) qui vivent tous au Canada. La demanderesse vit actuellement à Toronto avec son fils Francisco.

  • [3] Au Salvador, les trois fils de la demanderesse, Francisco, Roberto et Leo, sont copropriétaires d’un restaurant. Aux mois de mars et avril 2006, ils ont reçu des menaces de mort liées à des demandes d’extorsion que le gang de rue des Maras ou la police salvadorienne leur avait faites. Roberto et Leo ont fui le Salvador le 1er mai 2006. Francisco a quitté le Salvador le 24 mars 2007. Les trois frères ont demandé l’asile au Canada. La SPR a entendu leurs demandes conjointement et, le 28 mars 2008, leur a accordé le statut de réfugiés.

  • [4] La demanderesse craint que les personnes qui ont extorqué et menacé ses fils se mettent à sa recherche pour qu’elle rembourse les dettes de ses fils. Elle s’est rendue aux États-Unis d’Amérique (É.-U.) et est retournée au Salvador à cinq reprises, ses premiers déplacements ayant précédé le départ de ses fils du Salvador pour le Canada, aux dates suivantes :

    1. du 4 octobre 2004 au 27 mars 2005;

    2. du 2 octobre 2005 au 5 mars 2006;

    3. du 22 octobre 2006 au 18 mars 2007;

    4. du 13 avril 2008 au 19 juin 2008;

    5. du 14 février 2009 au 6 juillet 2009.

 

  • [5] La demanderesse s’est sentie menacée plusieurs fois après son retour au Salvador en 2009. Le 9 décembre 2009, un homme l’a appelée chez elle pour demander à parler à Roberto. Lorsqu’elle lui a dit que Roberto était absent, il a demandé à parler à Francisco ou à Leo; elle lui a dit qu’ils étaient absents aussi, et l’homme a raccroché. Le 12 décembre 2009, pendant que la demanderesse arrosait des plantes à l’extérieur de sa maison, elle a vu arriver une auto dans laquelle deux hommes prenaient place. Elle était effrayée et est rentrée dans la maison. Les hommes ont garé l’auto devant sa maison et y sont restés quelques minutes avant de s’en aller.

  • [6] Le 14 décembre 2009, pendant que la demanderesse était dans sa maison, elle a entendu quelqu’un frapper à sa porte de garage. En regardant dehors, elle a aperçu deux hommes qui avaient garé leur auto devant sa maison. Elle n’a pas répondu à la porte. Les hommes ont fini par s’en aller. Le 17 décembre 2009, la demanderesse a reçu un autre appel. L’homme ne s’est pas nommé, mais a demandé à parler à Roberto. Elle lui a dit que Roberto était absent; il a donc demandé à parler à ses autres fils. Lorsque la demanderesse a informé l’homme qu’ils étaient absents, il lui a dit qu’elle devrait payer les dettes de ses fils.

  • [7] La demanderesse a rempli le formulaire IMM 5611, avec l’aide d’un interprète, à son arrivée au Canada. Le formulaire indique ce qui suit en réponse à la question « Pourquoi demandez‑vous l’asile au Canada? » :

[Traduction]

Le 17 décembre 2009, j’ai reçu un appel téléphonique, « Madame, Roberto est-il à la maison? », j’ai demandé qui parlait, « Et vos autres enfants? », non, j’aimerais savoir qui parle, il a dit « écoutez, Madame, vous allez payer pour tout, vos dettes et celles de vos enfants ». C’est ma vie qui est menacée par ce type de menaces.

 

  • [8] La demanderesse a écrit dans son FRP que l’homme qui a appelé avait [traduction] « devrais payer les dettes de mes fils, sinon ils me tueraient ». À l’audience, la demanderesse a déclaré [Traduction] « [L’homme qui a appelé] m’a dit, la mère, vous allez payer tout ce qui concerne la dette de vos dettes; sinon, nous vous tuerons ».

  • [9] Après cet appel téléphonique, la demanderesse a téléphoné à son frère, qui lui a dit qu’elle devait porter plainte à la police pour qu’il y ait un dossier de ce qui s’était passé. La demanderesse affirme qu’elle ne voulait pas le faire parce qu’elle croyait que la police avait participé aux actes d’extorsion et aux menaces contre elle et ses fils. Le 18 décembre 2009, elle s’est toutefois rendue au poste de police avec son frère et a déposé une plainte concernant l’appel téléphonique auprès de la Policia National Civil, la police nationale civile.

  • [10] Après avoir déposé une plainte auprès de la police, la demanderesse a quitté le Salvador le 11 janvier 2010 pour se rendre aux É.-U., où elle a atterri Atlanta, en Géorgie. Elle s’est rendue ce jour-là à Buffalo, dans l’État de New York, et est venue au Canada le 14 janvier 2010. La demanderesse a demandé l’asile le 14 janvier 2010.

  • [11] La SPR a entendu la demande d’asile de la demanderesse le 17 mars 2011. Étaient présents à l’audience la demanderesse, son avocat, un agent de protection des réfugiés, un interprète et le commissaire de la SPR. Avant le début de l’audience, l’avocat de la demanderesse s’est entretenu avec le commissaire. L’avocat avait donné avis de son intention de citer Roberto comme témoin pour établir le bien-fondé de la demande présentée par la demanderesse; la SPR a toutefois souligné que l’exposé circonstancié fourni par Roberto dans son FRP semblait contredire celui de la demanderesse. Roberto avait déclaré que les personnes qui l’avaient extorqué étaient membres du gang de rue des Maras, alors que la demanderesse avait déclaré dans son FRP que les personnes qui avaient extorqué ses enfants étaient des policiers. La SPR a déclaré que Roberto courrait le risque que sa demande d’asile soit annulée s’il témoignait et que la SPR estimait que son témoignage était contradictoire. L’avocat a décidé de ne pas citer Roberto comme témoin.

  • [12] Après l’audience, la SPR a rendu sa décision le 23 mars 2011 et a donné avis à la demanderesse le 28 mars 2011.

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

  • [13] La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention visée à l’article 96 de la Loi ni de personne à protéger visée à l’article 97. Elle a conclu que le récit de la demanderesse n’était pas crédible et qu’il n’y avait aucun élément de preuve convaincant selon lequel les menaces dont elle avait été victime avaient atteint le niveau de la persécution. Elle a aussi conclu qu’aucun élément de preuve convaincant ne permettait d’établir un risque de préjudice en vertu de l’article 97 de la Loi.

Allégations

  • [14] La SPR a commencé par examiner les allégations de la demanderesse. Elle a souligné qu’elle avait déclaré à l’audience qu’elle s’était rendue quatre fois aux É.-U. parce qu’elle avait peur, et que des inconnus avaient communiqué avec elle après son dernier retour au Salvador. La SPR a aussi souligné l’appel téléphonique durant lequel on lui avait demandé de l’argent et le fait qu’elle avait déposé une plainte auprès de la police.

  Crédibilité

 

  • [15] La SPR a déclaré que la seule question déterminante était celle de la crédibilité. Elle a jugé non crédibles les allégations de la demanderesse selon lesquelles elle avait été menacée au Salvador et des personnes au Salvador cherchaient à lui causer un préjudice.

Agents de persécution

  • [16] Lorsque la demanderesse a témoigné de vive voix, elle a allégué qu’elle craignait la police du Salvador parce que des policiers avaient extorqué ses fils. Elle a déclaré à l’audience : [traduction] « je ne les ai pas vus, [mes fils] me l’ont dit ». Elle a aussi déclaré que nul autre que la police n’avait menacé ses fils. La SPR a déclaré que, lorsqu’elle s’est vu demander si ses fils avaient déjà sollicité l’aide de l’armée ou de la police avant leur départ du Salvador, elle a répondu par la négative avant de changer sa réponse pour dire qu’elle ne le savait pas. Lorsque la SPR lui a aussi demandé si elle était au courant de la plainte déposée par son fils Roberto auprès de la police, elle a répondu par l’affirmative. La SPR a conclu qu’il existait une contradiction entre ses déclarations selon lesquelles elle ne savait pas si ses fils avaient fait quelque dénonciation, mais elle était au courant de la plainte que son fils avait déposée auprès de la police. La SPR a déclaré que la demanderesse n’a pas expliqué la déclaration.

  • [17] La SPR a aussi souligné qu’elle avait examiné à l’audience la plainte déposée par Roberto auprès de la police nationale civile. Elle a cité l’extrait ci-après de la plainte, qui figure à la page 116 du dossier certifié du tribunal (DCT) :

[Traduction]

[…] quatre personnes semblant appartenir à un gang et portant des tatouages qui correspondent aux Maras ou à la Mara 18 sont arrivées et ont brandi des armes [en caractères gras dans la décision]

 

  • [18] Il n’y avait aucune mention dans cette plainte d’une quelconque participation de la police; les seules personnes qui étaient soupçonnées d’avoir participé aux menaces proférées contre Roberto étaient des membres des Maras. À l’audience, la demanderesse était incapable d’expliquer la raison pour laquelle ses fils lui diraient que la police les extorquait, alors que Roberto avait dit à la police qu’il s’agissait des Maras.

  • [19] La SPR a aussi souligné que la demanderesse avait fourni une lettre de son neveu selon laquelle des inconnus avaient extorqué ses fils. La SPR a conclu qu’elle n’était saisie d’aucun élément de preuve convaincant selon lequel la police avait participé aux actes d’extorsion dont ses fils avaient été victimes.

  • [20] La SPR a ensuite examiné les menaces alléguées par la demanderesse. Elle a souligné le témoignage de la demanderesse selon lequel l’homme qui a fait l’appel téléphonique du 9 décembre 2009 ne s’était pas nommé et n’avait proféré aucune menace avant de raccrocher. En ce qui concerne l’incident du 12 décembre 2009, la SPR a souligné que la demanderesse avait témoigné que les hommes qui étaient venus à sa porte ne lui avaient pas parlé et ne lui avaient proféré aucune menace. Elle n’était pas certaine non plus qu’ils la recherchaient. La SPR a affirmé que, lors de l’incident du 14 décembre 2009, les hommes qui étaient allés chez la demanderesse avaient frappé à sa porte et étaient repartis après qu’elle n’eût pas répondu à la porte. La SPR a aussi souligné qu’elle avait reçu l’appel, le 17 décembre 2009, d’un homme qui refusait de se nommer et qui, avait-elle déclaré, avait menacé de la tuer si elle ne payait pas l’argent que lui devaient ses fils.

  • [21] La SPR a déclaré qu’aucune personne impliquée dans ces incidents n’avait été nommée, et qu’à aucun moment la demanderesse n’avait été menacée par quiconque avait dit être un policier ou portait un uniforme de policier. Elle a conclu que sa demande d’asile n’avait rien à voir avec la police du Salvador.

  • [22] Même si la demanderesse craignait la police, elle est allée au poste de police pour déposer une plainte quelques jours après avoir été menacée. La SPR a aussi souligné que la plainte qu’elle avait déposée ne mentionnait pas qu’elle avait été menacée par la police et indiquait seulement qu’elle avait eu deux appels et deux visites de la part d’inconnus. Lorsque la demanderesse d’asile a été questionnée quant à la raison pour laquelle elle s’était rendue au poste de police pour porter plainte si elle était menacée par la police, elle a répondu que son frère l’avait forcée à se rendre au poste de police pour documenter ce qui s’était produit. Elle a aussi témoigné qu’elle n’avait pas dit au policier qu’elle soupçonnait la police de l’avoir menacée.

  • [23] La SPR a conclu qu’il était invraisemblable qu’une femme âgée vivant seule, qui croyait que ses trois fils avaient été contraints de quitter le pays parce qu’ils auraient été victimes d’actes d’extorsion de la part de policiers et qui croyait que des policiers allaient la tuer, se rende à un poste de police et porte plainte auprès de cette même police. Elle a fait remarquer que la Cour d’appel fédérale, dans Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 481, a confirmé les conclusions auxquelles la SPR était parvenue de façon raisonnable en s’appuyant sur les invraisemblances, le bon sens et la raison. De plus, la SPR peut rejeter un témoignage s’il ne concorde pas avec les probabilités de l’ensemble de l’affaire, même si ce témoignage n’est pas contredit.

  • [24] La SPR a aussi affirmé que la plainte déposée par la demanderesse auprès de la police semblait inutile : malgré le fait que la demanderesse craignait la police parce qu’elle croyait que la police l’extorquait, elle est allée porter plainte à la police. Elle n’a pas mentionné qu’elle soupçonnait la police. À l’audience, elle a témoigné qu’elle avait déposé la plainte pour qu’il y ait un dossier de ce qui s’était passé. La SPR a affirmé que la plainte n’avait servi à rien parce que la demanderesse avait témoigné ne pas avoir informé le policier l’ayant consignée qu’elle croyait que la police était impliquée. La SPR a conclu que ces actes étaient invraisemblables.

  • [25] La SPR a conclu qu’elle n’était saisie d’aucun élément de preuve convaincant concernant la participation de la police et réitéré sa conclusion selon laquelle la police n’était pas impliquée.

Retard et fait de s’être réclamé à nouveau de la protection de l’État

  • [26] La SPR a souligné le témoignage de la demanderesse selon lequel elle craignait que les personnes qui avaient menacé ses enfants se mettent à sa recherche. Elle a déclaré qu’elle était allée aux É.-U. à plusieurs reprises parce qu’elle avait peur. Lorsqu’elle allait aux É.-U., elle avait l’habitude d’obtenir un visa de six mois, d’y demeurer pour presque toute la durée du visa et de retourner ensuite au Salvador. Elle demandait alors un autre visa et suivait le même processus.

  • [27] La SPR n’a pas retenu l’argument de la demanderesse selon lequel elle ne craignait pas vraiment pour sa sécurité avant l’appel téléphonique du 17 décembre 2009. La demanderesse avait témoigné et écrit dans son FRP qu’elle avait quitté le Salvador parce qu’elle avait peur, mais elle y est pourtant retournée plusieurs fois après la fuite de ses fils.

  • [28] Bien que la demanderesse se soit rendue aux É.-U. après la fuite de ses fils, la demanderesse n’a pas demandé l’asile sur place. La SPR a déclaré que cela démontrait qu’elle n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée au Salvador. En renvoyant à Caballero c Canada, [1993] ACF no 483, elle a souligné que la Cour d’appel fédérale a déjà confirmé la thèse de la SPR selon laquelle le fait de se réclamer à nouveau de la protection de l’État constitue un élément défavorable justifiant le rejet d’une demande d’asile.

  • [29] La SPR a conclu que la demande présentée par la demanderesse en vertu de l’article 96 de la Loi devait être rejetée parce qu’elle ne pouvait pas démontrer une crainte justifiée d’être persécutée.

Risque présumé de subir un préjudice

  • [30] La SPR a souligné les événements suivants :

    1. L’appel téléphonique du 9 décembre 2009, lors duquel quelqu’un a appelé, mais n’a proféré aucune menace avant de raccrocher;

    2. L’incident du 12 décembre 2009, lors duquel deux hommes étaient assis dans une auto garée devant sa maison, puis sont partis;

    3. L’incident du 14 décembre 2009, lors duquel les mêmes hommes ont frappé à sa porte, puis sont partis lorsque la demanderesse n’a pas répondu à la porte.

 

  • [31] La SPR a conclu qu’aucun de ces événements ne démontrait que la demanderesse était exposée à un risque de préjudice. Même si elle croyait qu’ils démontraient que la police tentait de la tuer, ce n’est qu’une simple hypothèse.

  • [32] La SPR a aussi examiné l’appel téléphonique du 17 décembre 2009 et déclaré que, la première fois que la demanderesse a décrit l’appel, dans le formulaire IMM 5611, elle a écrit que la personne au téléphone avait dit [traduction] « écoutez, Madame, vous allez payer pour tout, vos dettes et celles de vos enfants ». La SPR a affirmé qu’il n’y a aucune mention de menaces de mort dans cette déclaration. La demanderesse a écrit dans l’exposé circonstancié de son FRP, rempli trois semaines plus tard : [Traduction] « Il a ensuite dit que je devrais payer les dettes de mes fils, sinon ils me tueraient, puis il a raccroché ». La SPR a aussi cité la déclaration que la plainte déposée par la demanderesse auprès de la police le 18 décembre 2009, qui était rédigée ainsi : [traduction] « écoutez, Madame, vous allez aussi payer pour les [choses] qui concernent vos enfants, puis il a raccroché ». [Ajout dans la traduction]

  • [33] À l’audience, la SPR a demandé à la demanderesse d’expliquer la raison pour laquelle les menaces de mort n’étaient pas mentionnées dans le rapport de police. Elle a témoigné qu’elle avait mentionné l’omission au policier qui a rédigé le rapport, mais il avait refusé de la modifier parce qu’il était déjà déposé. Lorsqu’on lui a demandé la raison pour laquelle elle avait signé un rapport incomplet, elle a répondu qu’elle l’a fait parce qu’il [traduction] « il s’agi [ssait] des autorités ». Elle a aussi témoigné que ni elle ni son frère, qui l’avait accompagnée au poste de police, n’avait pas signalé à un supérieur le fait que le rapport était incomplet. De plus, lorsque la SPR a demandé à la demanderesse d’expliquer la raison pour laquelle il n’était pas mentionné dans son FRP que le rapport de police était incomplet, elle a répondu qu’elle avait oublié.

  • [34] La SPR a rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait reçu des menaces de mort. Elle a conclu qu’elle n’avait pas mentionné les menaces dans son formulaire IMM 5611 et ne les avait pas signalées aux autorités du Salvador. La SPR a conclu qu’elle avait formulé une nouvelle allégation à l’audience selon laquelle la police n’avait pas rempli correctement le rapport. La SPR a rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait oublié que le rapport n’était pas bien rempli. Elle a affirmé que, dans Aragon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 144, la Cour fédérale a appuyé la Commission lorsque celle‑ci a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité dans le cas où une nouvelle allégation est formulée pour la première fois à l’audience, sans qu’aucune explication raisonnable ne soit fournie. Il s’agissait d’un élément essentiel de la revendication de la demanderesse; il n’était donc pas raisonnable qu’elle ait oublié ce renseignement. La SPR a conclu qu’aucune menace n’avait été proférée contre la demanderesse.

  • [35] La SPR a aussi souligné que la demanderesse avait fui le Salvador peu après l’appel téléphonique du 17 décembre 2009. Elle n’est pas retournée voir les policiers au poste de police pour savoir si l’enquête avait progressé. En mentionnant Montemayor Romero c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2008 CF 977, la SPR a conclu qu’aucun renseignement ne permettait de croire que la police n’aurait pas enquêté sur l’allégation de la demanderesse. Elle a aussi affirmé que rien ne permettait de croire que la police nationale civile n’aurait pas enquêté sur sa plainte.

  • [36] La SPR se fonde aussi sur la décision que j’ai rendue dans Barbu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1251, pour affirmer que des agressions mineures, comme des appels téléphoniques, qui ne sont pas de réelles menaces de mort ne peuvent appuyer une demande d’asile en vertu de l’article 97. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait subi aucun risque réel de préjudice.

Conclusion

  • [37] La SPR a affirmé qu’il incombe aux demandeurs d’établir le bien-fondé de leur demande d’asile et conclu que la demanderesse n’avait pas établi le bien-fondé de la sienne. Elle a affirmé qu’il n’y avait aucun élément de preuve convaincant de persécution ou de risque de préjudice, mise à part la plainte que la demanderesse avait déposée auprès de la police nationale civile. La SPR a aussi conclu que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible en ce qui concerne les aspects importants de la demande d’asile et que le récit comportait des divergences qui n’avaient pas été expliquées. La demanderesse n’avait pas établi qu’il était plus probable que le contraire qu’elle soit exposée à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumise à la torture si elle devait retourner au Salvador. En l’absence d’un fondement crédible à un tel risque, elle n’a pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

  • [38] Les dispositions ci-après de la Loi s’appliquent aux présentes procédures :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

[...]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

QUESTIONS EN LITIGE

  • [39] La demanderesse soulève les questions suivantes :

    1. La conclusion de la SPR selon laquelle elle n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée est-elle raisonnable?

    2. La SPR a-t-elle manqué à son droit à l’équité procédurale en ne lui permettant pas de fournir une réponse?

    3. La conclusion de la SPR quant à la crédibilité était-elle raisonnable?

    4. La SPR a-t-elle tiré une conclusion quant à la protection de l’État?

    5. Les conclusions de la SPR concernant la protection de l’État, s’il en est, étaient-elles raisonnables?

NORME DE CONTRÔLE

  • [40] La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question en particulier soumise à la cour de révision est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que dans le cas où cette démarche se révèle infructueuse que la cour procède à une analyse des quatre facteurs qui sont compris dans l’analyse relative à la norme de contrôle.

  • [41] Dans Mendoza Cornejo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 261, le juge Michael Kelen a conclu, au paragraphe 17, la norme de contrôle servant à déterminer si un demandeur a établi une crainte subjective de persécution est celle de la décision raisonnable. Le juge John O’Keefe, dans Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 585, a conclu aussi, au paragraphe 24, que la norme de contrôle applicable à ce type de question est celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à la première question en litige.

  • [42] Dans Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a conclu que les conclusions relatives à la crédibilité au cœur même des conclusions de fait de la SPR et doivent donc être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. De plus, dans Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1586, le juge O’Keefe a conclu, au paragraphe 23, que la norme de contrôle applicable aux conclusions sur la crédibilité était celle de la décision manifestement déraisonnable. De plus, dans Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable aux conclusions sur la crédibilité est celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à la troisième question en litige.

  • [43] Le juge Leonard Mandamin a conclu dans Morales Lozada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 397, au paragraphe 17, que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la question de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable. Il s’est principalement fondé sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94. Le juge Luc Martineau a conclu dans le même sens dans Turna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 202. La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à la cinquième décision.

  • [44] Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

  • [45] La possibilité de répondre aux préoccupations soulevées par le décideur est une question d’équité procédurale (voir Qureshi c Canada [Citoyenneté et Immigration], 2009 CF 1081, au paragraphe 31; Liao c Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], 2000 CanLII 16440, [2000] ACJ no 1926, au paragraphe 17; et Rukmangathan c Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], 2004 CF 284). Dans S.C.F.P. c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale. De plus, la Cour d’appel fédérale, dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, a conclu que « [l]a question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». La norme de contrôle de la décision correcte s’applique à la deuxième question en litige.

  • [46] Dans Canada (Procureur général) c Ward, 2 RCS 689, [1993] ACS no 74, la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 45, que la protection de l’État est un élément crucial lorsqu’il s’agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée. Dans Malik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1707, la juge Eleanor Dawson a conclu, au paragraphe 17, que la SPR n’a pas à examiner la protection de l’État une fois qu’elle a conclu à l’absence de crainte bien fondée d’un risque de persécution ou de préjudice. De plus, la juge Elizabeth Heneghan a conclu dans Kurtkapan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1114, au paragraphe 35, que l’omission « d’examiner si le demandeur avait démontré que sa crainte d’être persécuté » constituait une erreur de droit. C’est cette question que soulève la quatrième question en litige en l’espèce; la norme de contrôle de la décision correcte s’applique à la quatrième question.

  • [47] Comme la Cour suprême du Canada l’a conclu dans Dunsmuir (précité, au paragraphe 50) :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

ARGUMENTATION

 

La demanderesse

  La conclusion de la SPR quant à la crainte subjective était déraisonnable.

 

  • [48] La demanderesse soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle elle n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée au Salvador était déraisonnable parce que la SPR a fondé cette conclusion sur les éléments de preuve concernant ses déplacements entre les É.-U. et le Salvador. Elle affirme que la SPR a réuni des éléments distincts de sa preuve, contrairement à Reyes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 460.

  • [49] La demanderesse souligne qu’elle s’est rendue aux É.-U. pour la première fois en 2004. Elle affirme qu’elle a continué à voyager aux É.-U. après que ses fils furent menacés parce qu’elle craignait que les personnes qui les menaçaient se mettent à sa recherche. Elle n’a pas présenté de demande d’asile avant 2010 parce qu’elle ne participait pas directement aux affaires de ses fils. Ce n’est qu’après avoir été menacée le 17 décembre 2009 que la demanderesse a véritablement craint pour sa vie, fui le Salvador et demandé la protection du Canada.

  • [50] Dans Reyes, précité, le juge Donald Rennie a conclu que la SPR avait commis une erreur réunissant deux craintes distinctes dans son analyse du fait que le demandeur s’était se réclamé à nouveau de la protection. Dans cette affaire, le demandeur d’asile avait fui la Colombie pour se rendre aux É.-U. après avoir été menacé par un gang de rue. Il est retourné en Colombie par la suite, mais s’est enfui de nouveau après avoir été menacé par un second gang de rue. La SPR a conclu qu’il n’avait pas de crainte subjective du second gang de rue parce qu’il était retourné en Colombie après avoir été menacé par le premier gang de rue.

  • [51] En l’espèce, la SPR a réuni les deux craintes distinctes de la demanderesse : la crainte qui l’a menée à se rendre aux É.-U. au cours des années 2004 à 2009 et la crainte née de l’appel du 17 décembre 2009, durant lequel elle a été directement menacée. Même si Reyes, précité, concernait l’analyse de plusieurs agents de préjudice, la demanderesse affirme que ses deux craintes étaient distinctes et que la SPR n’aurait pas dû les réunir. Lorsque la demanderesse s’est rendue aux É.-U., elle n’avait qu’une crainte mineure qui n’aurait pas appuyé une demande d’asile. Une fois qu’elle eût été menacée directement, elle était exposée à un plus grand risque de préjudice et s’est donc enfuie au Canada.

  • [52] En plus de réunir les deux craintes, la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve concernant la crainte subjective de la demanderesse. Elle affirme que la SPR n’a pas tenu compte de la déclaration contenue dans son FRP selon laquelle elle s’était rendue aux É.-U. pendant la période des mois d’octobre 2004 à mars 2005 et la période des mois d’octobre 2005 à mars 2006. Ces deux déplacements ont précédé les menaces dont ses fils avaient été victimes, ce qui révèle qu’elle ne s’est pas rendue aux É.-U. seulement parce qu’elle avait peur. Elle affirme que le juge Rennie, dans Reyes, a conclu que le fait de ne pas tenir compte de déplacements faits avant une menace personnelle constituait une erreur.

  • [53] La demanderesse affirme que la conclusion de la SPR selon laquelle elle n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée était déraisonnable parce que la SPR a réuni les éléments de preuve concernant deux événements distincts et fait fi des éléments de preuve concernant ses déplacements vers les É.-U. Cette conclusion était au cœur de la conclusion de la SPR quant à la crédibilité, et la question déterminante dans la demande d’asile était celle de la crédibilité. Dans Reyes, le juge Rennie a annulé la décision et renvoyé l’affaire pour nouvel examen, après avoir conclu que la conclusion quant à la crainte subjective était erronée, mais sans commenter les autres motifs de la conclusion de la SPR quant à la crédibilité. La demanderesse affirme que le jugement Reyes signifie qu’une conclusion erronée quant à la crainte subjective qui touche la crédibilité suffit pour qu’une décision soit annulée. La SPR a tiré une conclusion erronée quant à la crainte subjective en l’espèce; la décision doit donc être annulée.

La SPR a manqué au droit de la demanderesse à l’équité procédurale

La SPR n’a pas porté les omissions perçues à l’attention de la demanderesse

 

  • [54] La SPR a manqué au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en ne portant pas à son attention à l’audience les omissions et les incohérences que la SPR avait relevées dans son témoignage et l’a ainsi privée de la possibilité d’y répondre. Elle invoque Gracielome c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 463, Malala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 94; Shaiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 149; Ananda Kumara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1172; et Martinez de la Cruz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 259 pour affirmer que la SPR ne peut tirer de conclusion défavorable quant à la crédibilité sans avoir d’abord permis au demandeur d’asile de répondre aux incohérences perçues.

  • [55] La SPR a fondé sa conclusion défavorable quant à la crédibilité en partie sur la déclaration figurant dans le formulaire IMM 5611 qui était censée rapporter les propos menaçants d’une personne qui avait appelé la demanderesse. La SPR a affirmé que cette déclaration ne comporte aucune menace de mort proférée contre la demanderesse. Étant donné que les menaces omises apparaissent par la suite dans le FIFP de la demanderesse, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. La demanderesse affirme que la SPR aurait dû la questionner au sujet de l’omission perçue de mentionner les menaces dans le formulaire IMM 5611. Le défaut de la SPR de le faire constituait une violation de son droit à l’équité procédurale. Elle affirme que son cas est semblable à celui du jugement Ananda Kumara, précité, où le juge Hughes a écrit, au paragraphe 3, que, en ne donnant pas au demandeur la possibilité d’expliquer une contradiction apparente, « [l]e commissaire a attendu que l’audience prenne fin, puis il a relevé d’apparentes contradictions et les a utilisées pour discréditer la demande des demandeurs ». Si la SPR avait porté l’omission à l’attention de la demanderesse en l’espèce, elle affirme qu’elle aurait pu souligner la mention dans le formulaire IMM 5611 des menaces de mort qu’elle avait reçues pour expliquer et clarifier l’omission perçue.

La SPR n’a pas permis à la demanderesse de répondre aux préoccupations concernant son témoignage de vive voix.

  • [56] À l’audience, la SPR a demandé à la demanderesse d’expliquer la raison pour laquelle il ne savait pas si ses fils avaient sollicité l’aide de l’armée ou de la police, alors qu’elle avait affirmé par la suite qu’elle était au courant de la plainte que son fils avait déposée auprès de la police. La SPR a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Bien, Madame, il y a quelques secondes seulement, j’ai demandé si l’un de vos fils avait déjà sollicité l’aide de l’armée ou de la police, et vous avez répondu par la négative et affirmé que vous ne saviez pas, mais vous étiez pourtant au courant de ce rapport de police. Alors, pourquoi avez-vous répondu par la négative et affirmé que vous ne saviez pas? Alors, pour être clair, saviez-vous que votre fils Roberto avait porté plainte à la police au mois de mars 2006? [voir le DCT, à la page 204]

  • [57] La demanderesse affirme que le fait de se voir demander par la SPR [Traduction] « Alors, pour être clair, saviez-vous que votre fils Roberto avait fait une déclaration à la police au mois de mars 2006? » l’a privée de la possibilité de fournir une réponse. Elle a été avisée de par cet échange que la SPR ne cherchait à savoir que si elle était au courant du rapport de police, et non pas la raison pour laquelle elle avait affirmé qu’elle ne savait pas si ses fils avaient sollicité l’aide de la police ou de l’armée.

  • [58] Bien que la SPR ait demandé à la demanderesse d’expliquer la raison pour laquelle elle ne savait pas que ses fils avaient demandé de l’aide, elle affirme que la formulation de la question l’a privée de la possibilité de répondre. Il s’agissait d’une atteinte à son droit à l’équité procédurale, puisque la SPR n’a pas porté l’incohérence perçue à son attention, bien que la SPR ait fondé sa décision sur cette incohérence.

La conclusion de la SPR quant à la crédibilité était déraisonnable

La SPR cite des éléments de preuve de manière inexacte et se fonde sur des conclusions spéculatives

 

  • [59] La demanderesse affirme aussi que la SPR a cité de manière inexacte son témoignage de vive voix lorsque la SPR a conclu qu’il n’y avait pas d’élément de preuve selon lequel la police avait participé aux menaces proférées contre la demanderesse. Dans la décision, la SPR a affirmé que, lorsqu’on avait demandé à la demanderesse si son fils avait déjà déposé une plainte auprès de la police, elle avait d’abord répondu par la négative, mais a changé sa réponse par la suite pour dire qu’elle ne le savait pas. La SPR a affirmé qu’elle n’avait pas répondu lorsqu’elle a été invitée à expliquer cette contradiction entre le fait de répondre par la négative et le fait de ne pas savoir. Il s’agit d’une déformation des éléments de preuve parce que, comme la transcription de l’audience le révèle, la demanderesse n’a pas changé sa réponse; elle a simplement affirmé : [Traduction] « Je ne sais pas pour cela ». (voir le DCT, à la p. 203)

  • [60] La SPR a aussi mal interprété les éléments de preuve lorsqu’elle a affirmé que la demanderesse « n’a [vait] pas répondu à la question, et [que] cette contradiction n’a [vait] pas été expliquée dans la décision que la demanderesse » lorsqu’elle a été invitée à expliquer la raison pour laquelle elle ne savait pas si ses fils étaient allés voir la police. La demanderesse affirme que le fait de se voir demander par la SPR [Traduction] « Alors, pour être clair, saviez-vous que votre fils Roberto avait fait une déclaration à la police au mois de mars 2006? » l’a empêchée de répondre à la première question. La SPR interprète mal les éléments de preuve parce qu’elle a conclu que la demanderesse n’avait pas répondu à la première question soit lui avoir en fait donné l’occasion d’y répondre. Si la SPR lui avait donné l’occasion de répondre à la question, elle ne serait peut-être pas parvenue à la même conclusion concernant la crédibilité.

  La conclusion de la SPR quant à la vraisemblance était déraisonnable

  • [61] La demanderesse affirme que la SPR a tiré une conclusion qui contredisait ses autres conclusions lorsqu’elle a conclu qu’il était invraisemblable qu’elle dépose une plainte au poste de police même alors qu’elle croyait que la police avait participé aux menaces proférées contre elle. Cela rend la conclusion d’invraisemblance déraisonnable. Dans Valtchev c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 FCT 776, au paragraphe 7, le juge Francis Muldoon a déclaré ce qui suit :

Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend.

  • [62] Il n’était pas manifestement invraisemblable que la demanderesse dépose une plainte auprès de la police; la SPR n’aurait donc pas dû tirer cette conclusion. La conclusion de la SPR selon laquelle il était invraisemblable qu’elle dépose une plainte auprès de la police contredit aussi sa conclusion ultérieure selon laquelle aucun renseignement ne permettait de croire que la police n’enquêterait pas sur la plainte. Il n’était pas raisonnable de la part de la SPR de conclure qu’on ne pouvait pas peut logiquement s’attendre à ce qu’elle dépose une plainte et de conclure aussi que la police aurait enquêté sur son allégation.

  • [63] Le fait de tirer une conclusion de ce genre met les demandeurs d’asile dans une position insoutenable, puisqu’il leur incombe de réfuter la présomption de protection de l’État. En jugeant la demanderesse non crédible parce qu’elle avait sollicité la protection de la police, pour ensuite conclure qu’une protection serait offerte par l’État, la SPR a fait en sorte qu’elle ne puisse pas établir le bien-fondé de sa demande d’asile. Elle affirme que la confirmation de cette conclusion dissuaderait les demandeurs d’asile éventuels de solliciter la protection de leur État parce que ces démarches pourraient par la suite être invoquées contre eux dans des procédures d’asile.

  • [64] La demanderesse affirme aussi que la conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas vraisemblable qu’elle porte plainte auprès de la police contredit d’autres conclusions tirées par la SPR. Elle contredit la conclusion de la SPR selon laquelle elle ne dirait pas à la police qu’elle croyait que des policiers étaient impliqués, et la conclusion selon laquelle elle n’avait pas signalé à un superviseur au poste de police le fait que le rapport était incomplet. Contrairement à la conclusion de la SPR, il est vraisemblable que, se croyant extorquée par des policiers, elle ne dirait pas à la police qu’elle croyait qu’ils avaient participé aux menaces proférées contre elle. La conclusion d’invraisemblance de la SPR n’est pas raisonnable.

La SPR a déformé les éléments de preuve du formulaire IMM 5611

  • [65] La SPR a fondamentalement mal compris les éléments de preuve dont elle était saisie lorsqu’elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur la déclaration faite par la demanderesse dans le formulaire IMM 5611. La SPR a affirmé que le formulaire IMM 5611 ne comportait aucune mention des menaces de mort, mais ce n’est pas le cas. Le passage pertinent du formulaire se lit ainsi :

[Traduction]

Le 17 décembre 2009, j’ai reçu un appel téléphonique, « Madame, Roberto est-il à la maison? », j’ai demandé qui parlait, « Et vos autres enfants? », non, j’aimerais savoir qui parle, il a dit « écoutez,  Madame, vous allez payer pour tout, vos dettes et celles de vos enfants ». C’est ma vie qui est menacée par ce type de menaces.

  • [66] La demanderesse affirme que la phrase [Traduction] « C’est ma vie qui est menacée par ce type de menaces » désigne les menaces de mort qu’elle a reçues durant l’appel téléphonique. La conclusion défavorable quant à la crédibilité que la SPR a tirée de cette omission perçue était déraisonnable.

  • [67] De plus, la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle était saisie et qui permettaient de croire que le formulaire ne constituait pas le récit complet de la demanderesse. Elle souligne que le formulaire comporte la directive suivante : « Veuillez répondre en quelques mots. Vous pourrez expliquer tous les faits relatifs à votre demande d’asile dans un formulaire à l’intention de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada ». Elle souligne aussi qu’il est évident que ses réponses ont été transcrites pour elle parce que le formulaire a été rempli en anglais et dactylographié, bien qu’elle n’écrive que l’espagnol. Ces éléments de preuve touchent les omissions que la SPR a perçues dans le formulaire et sur lesquelles elle a fondé sa décision quant à la crédibilité. Il se peut que le formulaire ait été transcrit ou traduit incorrectement, d’autant plus que la directive est fournie aux demandeurs d’asile dans le formulaire de répondre en quelques mots. La question déterminante dans sa demande d’asile était celle de la crédibilité; il n’était donc pas raisonnable de la part de la SPR de négliger ces éléments de preuve. La conclusion défavorable que la SPR a tirée quant à la crédibilité était déraisonnable parce qu’elle était fondée sur une mauvaise compréhension des éléments de preuve.

La SPR ne tire pas de conclusion concernant la protection de l’État

  • [68] Bien que la SPR ait mentionné la protection de l’État dans la décision, la demanderesse affirme que cette mention n’équivaut pas à une conclusion concernant la protection de l’État. La SPR ne fait qu’affirmer qu’[traduction] « aucune information ne permet de croire que la police n’aurait pas déployé d’efforts sérieux et réels en vue d’enquêter sur les allégations de la demandeure d’asile et arrêter l’auteur des actes si cette dernière avait poursuivi sa plainte avec diligence ». La SPR a affirmé que la question déterminante en l’espèce est celle de la crédibilité et n’a pas conclu qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

La conclusion de la SPR concernant la protection de l’État était déraisonnable

  • [69] La conclusion que la SPR a tirée, le cas échéant, concernant la protection de l’État était déraisonnable. Elle affirme que la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui pouvaient servir à réfuter la présomption de protection de l’État. Elle fait remarquer ce qui suit :

    1. Ses fils et elle-même croyaient que c’étaient des policiers qui les menaçaient;

    2. La somme exigée de ses fils a augmenté après qu’ils eurent allés voir la police, comme en témoigne l’exposé circonstancié du FRP de Roberto;

    3. Elle n’était au courant d’aucune démarche prise par la police pour la protéger.

 

  • [70] La demanderesse affirme aussi que la SPR n’a tenu compte d’aucun élément de preuve dont elle était saisie au sujet de la protection de l’État. Dans Vigueras Avila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, le juge Martineau a écrit : « Il ne suffit pas non plus que la Commission fasse état, dans sa décision, du fait qu’elle a considéré toute la preuve documentaire. Un simple renvoi dans la décision au Cartable national de documentation sur le Mexique, lequel comprend un nombre impressionnant de documents, n’est pas suffisant dans les circonstances » (voir le paragraphe 32). En l’espèce, la SPR ne précise même pas si elle a examiné tous les éléments de preuve; elle se contente de dire qu’aucun renseignement ne permet de croire que la police n’aurait pas enquêté sur sa plainte. Cela suppose que la SPR n’était pas au courant des éléments de preuve documentaire dont elle était saisie.

  • [71] La SPR disposait de la Réponse à une demande précise (RDP) de la CISR sur le Salvador. Cette RDP révèle que la police nationale civile n’a pas les ressources nécessaires pour protéger les citoyens et qu’elle pourrait être impliquée dans des actes de violence contre des citoyens tels que des meurtres. La SPR était aussi saisie d’un article de la Clinique internationale des droits de la personne (IHRC) de la faculté de droit de l’université Harvard intitulé No Place to Hide : Gang, State and Clandestine Violence in El Salvador. Ce rapport relève certaines faiblesses de la police nationale civile, notamment sa participation à des violations des droits de la personne. La demanderesse souligne aussi que le Salvador affiche un taux très faible taux de condamnation pour les homicides, comme le révèle l’article No Place to Hide. Elle affirme que le faible taux de condamnation révèle un degré très élevé d’impunité au Salvador. La SPR n’a pas tenu compte de cet élément de preuve documentaire; la conclusion qu’elle a tirée, quelle qu’elle soit, concernant la protection de l’État était donc déraisonnable. La décision doit être annulée pour ce motif.

Le défendeur

  • [72] Le défendeur soutient que la décision doit être maintenue. La décision est étayée par les éléments de preuve, la SPR l’a suffisamment motivée, et le prononcé de la SPR appartient aux issues possibles selon Dunsmuir.

La conclusion de la SPR concernant la crainte subjective était raisonnable.

  • [73] Le défendeur affirme que la SPR n’a pas commis l’erreur contre laquelle Reyes, précité, met en garde. Le jugement Reyes se distingue de l’espèce parce que la demanderesse a toujours eu la même crainte que les personnes qui avaient menacé ses fils lui causent aussi un préjudice. C’est cette crainte de subir un préjudice qui a mené la demanderesse à rendre plusieurs fois aux É.-U. et à s’envoler pour le Canada. La SPR n’a pas réuni une crainte entièrement nouvelle et essentiellement différente qui l’a amenée au Canada et la crainte qui était présente lorsqu’elle s’est réclamée à nouveau de la protection du Salvador.

  • [74] La SPR a rejeté la prétention faite par la demanderesse à l’audience selon laquelle elle n’a commencé à avoir peur qu’une fois qu’elle eût reçu l’appel téléphonique menaçant le 17 décembre 2009. Il était raisonnable de le faire parce qu’elle avait déclaré, tant dans son FRP qu’à l’audience, qu’elle avait quitté le Salvador parce qu’elle craignait que ceux qui avaient menacé ses fils se mettent à sa recherche. C’est cette crainte qui l’a menée à demander l’asile au Canada. Étant donné qu’elle s’était réclamée plusieurs fois de la protection du Salvador, il était aussi raisonnable de la part de la SPR de conclure qu’elle n’avait pas de crainte subjective.

Le traitement par la SPR de la plainte de Roberto à la police

  • [75] La demanderesse a déclaré que la réponse qu’elle a véritablement fournie lorsque la SPR lui a demandé si ses fils avaient sollicité l’aide de la police ou de l’armée était [Traduction] « Je ne sais pas pour cela », et qu’elle n’a pas changé sa réponse pour dire qu’elle ne savait pas après avoir répondu par la négative. Le défendeur affirme que les mots [traduction] « pour cela » ne changent pas le sens de la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle ne savait pas et que la demanderesse a changé sa réponse pour dire qu’elle ne savait pas après avoir répondu par la négative. La SPR a simplement confronté la demanderesse au fait qu’elle avait présenté à la SPR la plainte de Roberto à la police; elle révélait qu’il avait effectivement sollicité l’aide de la police. Confrontée à la présence de la plainte parmi ses éléments de preuve, elle changé sa réponse en disant qu’elle savait en fait que ses fils avaient sollicité l’aide de la police. La demanderesse n’a pas démontré que la SPR serait parvenue à autre conclusion, si elle avait compris qu’elle n’avait pas changé sa réponse en fait pour dire qu’elle ne savait pas après avoir répondu par la négative. Elle connaissait la réponse à la question de la SPR, mais n’a pas fourni une réponse honnête.

La SPR n’a pas manqué au droit de la demanderesse à l’équité procédurale.

  • [76] La SPR n’a pas manqué au droit de la demanderesse à l’équité procédurale. La demanderesse était représentée par un avocat à l’avocat et a été avisée que des incohérences relevées dans ses réponses étaient une source de préoccupation du fait de la question posée par la SPR. Bien que la SPR ait pu empêcher la demanderesse d’expliquer la raison pour laquelle elle a affirmé au départ qu’elle ne savait pas si ses fils avaient sollicité l’aide de la police ou de l’armée (mais a affirmé par la suite qu’elle le savait), son avocats aurait pu lui poser des questions pour clarifier ce point en litige. Elle a aussi eu la possibilité de faire des observations finales pour traiter de ce point en litige. Le défendeur affirme aussi que la demanderesse a reconnu avoir été avisée de la préoccupation de la SPR en écrivant dans son mémoire que [traduction] « la Commission a en fait attiré l’attention de la demanderesse sur cette préoccupation d’un point de vue technique » (voir le paragraphe 37 du mémoire des faits et du droit de la demanderesse). On ne peut blâmer la SPR pour le défaut de l’avocat de saisir l’occasion d’offrir des précisions, et la demanderesse n’a pas démontré qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.­

  • [77] Dans Tanase c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 14769, [2000] ACF no 32, le juge Muldoon a fait les observations suivantes, au paragraphe 14 :

[…] lorsque la formation ne confronte pas l’intéressé avec les prétendues contradictions ou ne lui demande pas d’explications avant de rendre une décision au sujet de la crédibilité, les motifs pour lesquels la Cour ferait preuve de retenue à l’égard de la décision de la formation sont beaucoup plus restreints puisque la formation n’est pas mieux placée que la Cour pour apprécier les contradictions. Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire que l’obligation d’équité exige que la formation informe l’intéressé dans tous les cas, même lorsque la question a peu d’importance, de la possibilité qu’elle tire une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité.

  • [78] Le défendeur affirme que le passage précédent révèle que la Cour s’est détournée d’une application systématique du principe selon lequel chaque contradiction doit être portée à l’attention d’un demandeur d’asile dans le contexte de l’équité procédurale.

La demanderesse interprète les conclusions de la SPR en dehors de leur contexte

  • [79] Le défendeur affirme que la demanderesse interprète les conclusions de la SPR en dehors de leur contexte lorsqu’elle soutient qu’elles sont incompatibles. La conclusion de la SPR selon laquelle il était invraisemblable que la demanderesse sollicite la protection de la police étant donné qu’elle croyait que des policiers l’extorquaient concernait son allégation selon laquelle les policiers étaient des agents de préjudice. La SPR a analysé la protection de l’État après avoir conclu que ses allégations contre la police n’étaient pas crédibles. La conclusion concernant la vraisemblance et celle concernant la protection de l’État étaient des éléments distincts et ne doivent pas être réunies.

  • [80] La SPR a agi de façon raisonnable lorsqu’elle a conclu que son récit concernant la plainte déposée auprès de la police était invraisemblable. Il n’est pas logique qu’une femme qui craignait les policiers recherche leur protection. Le défendeur invoque Alizadeh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 11 (CAF) et Aguebor, précité, pour affirmer que la SPR n’est pas obligée de retenir un témoignage pour la simple raison qu’il n’est pas contredit, et que la SPR peut arriver à des conclusions raisonnables en s’appuyant sur les invraisemblances, le bon sens et la raison. La SPR peut rejeter un témoignage s’il ne concorde pas avec les probabilités de l’ensemble de l’affaire.

  • [81] La SPR a conclu de façon raisonnable que la demanderesse avait reçu un appel de quelqu’un lui disant qu’elle devait de l’argent, mais qu’elle n’avait été menacée par personne ni par la police. La conclusion de la SPR selon laquelle aucun élément de preuve ne permettait de croire que la police n’aurait pas enquêté sur sa plainte avec diligence était fondée sur son témoignage selon lequel elle ne s’était nullement renseignée auprès de la police pour savoir s’il y avait eu des progrès. Malgré le des éléments de preuve documentaire révélaient l’existence de problèmes liés à la police nationale civile, ils ne concernaient pas la demanderesse, parce que les menaces qu’elle avait reçues n’avaient rien à voir avec la police. L’argument de la demanderesse selon lequel la SPR n’a pas examiné les éléments de preuve qui étaient pertinents quant à la conclusion concernant la protection de l’État n’a aucun fondement.

Il n’y avait aucune preuve de menaces de mort

  • [82] Le défendeur affirme que la SPR n’a pas déformé ou mal compris les éléments de preuve que renfermait le formulaire IMM 5611. Dans l’extrait du formulaire IMM 5611 cité par la demanderesse, les mots [Traduction] « C’est ma vie qui est menacée par ce type de menaces » ne sont pas ceux de la personne qui l’avait appelée. Ces mots font foi de l’interprétation que la demanderesse donne à cet appel, et ne constituent pas une véritable menace proférée par cette personne. Dans Derbas c Canada (Solliciteur général), [1993] ACF no 829, le juge Yvon Pinard a écrit, au paragraphe 3 :

En acceptant comme un fait la version des événements donnée par le requérant, la Commission n’était certainement pas tenue de souscrire à l’interprétation qu’il donne de ces événements. Elle devait quand même examiner si les événements, vus objectivement, sous-tendaient suffisamment une crainte de persécution fondée. À mon avis, la Commission pouvait tirer les conclusions auxquelles elle est parvenue sur la foi des éléments de preuve au dossier, et elle a appliqué le sens correct de la persécution à cet élément de preuve.

  • [83] La SPR n’était pas tenue d’accepter l’éclat que la demanderesse donnait paroles de la personne qui l’avait appelée, d’autant plus que l’exposé circonstancié de son FRP comportait une version différente de cet événement qu’il n’y avait aucune mention de quelque menace de mort que ce soit dans la plainte qu’elle avait déposée auprès de la police. La SPR pouvait rejeter l’inférence de la demanderesse.

  • [84] Le défendeur affirme que le fait que le formulaire IMM 5611 précise que les demandeurs d’asile doivent répondre en quelques mots n’explique pas la raison pour laquelle les menaces de mort ne sont pas mentionnées dans l’extrait cité par la demanderesse. Il souligne que le formulaire IMM 5611 concordait avec sa plainte à la police. Ce n’est que dans l’exposé circonstancié du FRP, rempli trois semaines après le formulaire IMM 5611, que la demanderesse a attribué les menaces de mort à la personne qui l’avait appelée. De plus, il n’est d’aucun secours pour la demanderesse de soutenir qu’une erreur de traduction ou de transcription est possible, puisque l’interprète et elle‑même ont signé la déclaration se trouvant à la fin du formulaire. Cette déclaration solennelle atteste de l’exhaustivité, de la véracité et de l’exactitude du formulaire.

  • [85] Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale non plus en ce qui concerne cette conclusion. Même si la SPR se souciait de l’absence de mention des menaces de mort dans le formulaire IMM 5611, elle a mentionné cette omission ailleurs. La SPR a affirmé à l’audience que les menaces de mort n’étaient pas mentionnées dans la plainte déposée par la demanderesse auprès de la police. De plus, il était raisonnable de la part de la SPR de rejeter l’explication de la demanderesse selon laquelle elle avait oublié de mentionner ces menaces dans son FRP. La SPR n’a pas tendu de piège à la demanderesse au sujet de cette omission; elle a plutôt porté l’omission à l’attention de la demanderesse, de sorte qu’il lui incombait d’offrir un témoignage convaincant concernant la raison pour laquelle les menaces de mort étaient mentionnées dans certains éléments de preuve et non dans d’autres. Le défendeur affirme que le jugement Castroman c Canada (Secrétariat d’État), [1994] ACF no 962, révèle l’importance de la cohérence entre le FRP et le témoignage de vive voix afin d’établir qu’une demande a un minimum de fondement.

La SPR a tiré une conclusion raisonnable concernant la protection de l’État

  • [86] Même si la conclusion de la SPR concernant la protection de l’État n’était pas au cœur de son prononcé sur la demande présentée par la demanderesse, la SPR a conclu de façon raisonnable que la demanderesse n’avait pas établi l’absence de protection de l’État au Salvador parce qu’elle ne s’était pas renseignée sur l’évolution de sa plainte et qu’elle s’était enfuie avant que la police puisse faire enquête.

  • [87] En l’espèce, la question déterminante était celle de la crédibilité, à l’égard de laquelle la SPR a tiré une conclusion raisonnable. Le défendeur invoque Ward, précité, que les demandeurs d’asile doivent prouver tant les éléments subjectifs que les éléments objectifs de leur demande. Étant donné que la demanderesse n’a pas démontré de crainte subjective d’être persécutée, sa demande doit être rejetée et il n’était pas nécessaire de procéder à l’analyse de la protection de l’État.

La réponse de la demanderesse

  • [88] La demanderesse soutient que, malgré l’argument du défendeur voulant que la Cour se soit détournée de l’application systématique du principe selon lequel les omissions doivent être portées à l’attention des demandeurs d’asile, une jurisprudence plus récente enseigne que toutes les incohérences doivent être portées à l’attention des demandeurs d’asile aux fins de commentaires conformément à l’obligation d’équité. Elle invoque Martinez de la Cruz, Ananda Kumara et Shaiq, précités.

  • [89] Bien que le défendeur ait affirmé que la SPR a rejeté l’éclat que la demanderesse a donné à sa déclaration dans le formulaire IMM 5611, elle soutient que rien ne l’indique. Il n’est pas loisible au défendeur d’imputer à la SPR des conclusions qu’elle n’a pas tirées.

Le mémoire supplémentaire du défendeur

[90]  La demanderesse a fait valoir que la SPR n’a pas tenu compte du fait qu’elle avait fait certains de ses voyages aux É.-U. avant que ses fils ne fussent menacés et que ce fait démontre qu’elle ne s’y est pas rendue seulement parce qu’elle avait peur. La demanderesse a toutefois témoigné qu’elle était allée aux É.-U. [traduction] « en raison de ce qui était arrivé à [s]es enfants ». Les éléments de preuve démontrent clairement qu’elle s’est rendue aux É.-U. parce qu’elle avait peur. Elle a aussi déclaré à l’audience qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait demander l’asile aux É.-U. et qu’elle n’avait fait aucune démarche pour savoir si elle pouvait le faire. La demanderesse ne pouvait pas savoir que la crainte qu’elle avait ne suffirait pas à établir le bien‑fondé d’une demande d’asile, parce qu’elle ne s’était pas renseignée sur cette possibilité. Elle n’a pas expliqué la raison pour laquelle elle n’a pas demandé l’asile aux É.-U., et son comportement n’est pas celui d’une personne qui craignait d’être persécutée au Salvador.

Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale

  • [91] En soutenant que la SPR a manqué à son droit à l’équité procédurale, la demanderesse ne tient pas compte du fait que la SPR a exprimé ouvertement la préoccupation qu’elle avait concernant son omission de mentionner les menaces de mort dans le formulaire IMM 5611. Le défendeur soutient que la SPR avait un motif raisonnable de s’inquiéter de l’existence de divergences entre le formulaire IMM 5611, la plainte déposée par la demanderesse auprès de la police, l’exposé circonstancié de son FRP et son témoignage. Quant à la réponse de la demanderesse à la question de la SPR à savoir si elle savait que ses fils avaient sollicité l’aide de l’armée ou de la police, elle était représentée par l’avocat de son choix, qui aurait pu lui venir en aide en clarifiant ces points en litige. La demanderesse a fourni des réponses incohérentes aux questions de la SPR sans fournir de justification raisonnable.

  • [92] Le défendeur affirme que la jurisprudence selon laquelle il n’est pas nécessaire de porter les omissions à l’attention d’un demandeur d’asile reflète toujours l’état du droit. La question de savoir si la SPR doit donner la possibilité aux demandeurs d’asile de commenter les divergences dépend des faits de chaque cas. La demanderesse, dans son cas, a eu la possibilité d’expliquer l’omission de renseignements essentiels, mais elle a simplement affirmé qu’elle avait oublié.

Il n’y avait pas de preuve que la police était impliquée

  • [93] La SPR a conclu de façon raisonnable que la police n’était pas impliquée dans les menaces proférées contre la demanderesse. Elle a affirmé clairement qu’il n’y avait aucun élément de preuve convaincant concernant l’implication de la police; cette affirmation était raisonnablement fondée sur la réponse fournie par la demanderesse au sujet de la plainte déposée par ses fils. Sa réponse manquait de franchise. Son fils avait déclaré dans sa plainte à la police qu’il avait été extorqué par des membres du gang de rue des Maras; la SPR lui a donc demandé la raison pour laquelle son fils dirait à la police qu’il était extorqué par les Maras et lui dirait ensuite que c’était la police qui l’extorquait. Elle ne pouvait pas expliquer cette incohérence; cela n’équivaut pas à un élément de preuve concernant l’implication de la police.

  • [94] Le défendeur souligne aussi que la SPR a mentionné la lettre du neveu de la demanderesse. Il n’y a aucune mention dans cette lettre d’une participation de la police aux menaces proférées contre la demandeure d’asile et ne peut constituer un élément de preuve concernant l’implication de la police. La SPR a aussi examiné les déclarations de la demanderesse selon lesquelles les personnes qui l’ont appelée ou qui se sont rendues chez elle n’ont pas affirmé être des policiers. La demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve qui permet de croire que la police avait participé dans les menaces proférées contre elle. La conclusion de la SPR selon laquelle la police n’a pas participé à ces actes était raisonnable.

Les conclusions de la SPR concernant la vraisemblable et la protection de l’État étaient raisonnables

  • [95] Le défendeur affirme que l’explication fournie par la demanderesse de la raison pour laquelle elle s’était rendue au poste de police était insensée. Elle prétendait que son frère lui avait fait déposer une plainte pour que l’incident soit documenté; il n’y a toutefois aucune mention de la participation de la police dans sa plainte. Selon son témoignage, son frère croyait que c’était une bonne idée d’aller voir les mêmes policiers qui l’avaient menacée pour porter plainte concernant les actes qu’ils avaient commis contre elle. Elle ne s’est pas adressée à un superviseur et n’a pas par ailleurs veillé à l’exactitude de la plainte qu’elle a déposée. La SPR a conclu de façon raisonnable que cela rend la plainte à la police inutile.

  • [96] Après avoir conclu que les allégations de la demanderesse concernant la participation de la police n’étaient pas crédibles, la SPR a souligné qu’elle ne s’était jamais informée des progrès de l’enquête. La SPR a aussi souligné que la demanderesse n’avait présenté aucun renseignement pour démontrer que la police ne ferait pas enquête. Cette constatation n’est pas contraire à la conclusion de la SPR selon laquelle son récit était invraisemblable. Le fait de démontrer qu’elle a déposé une plainte et ensuite quitté le pays avant que la police puisse faire enquête n’est pas suffisant pour réfuter la présomption de protection de l’État.

 

L’examen du formulaire IMM 5611 par la SPR était raisonnable

  • [97] Le défendeur affirme que la déclaration que la SPR a puisée dans le formulaire IMM 5611, à savoir [traduction] « […] écoutez, Madame, vous allez payer pour tout, vos dettes et celles de vos enfants » reflète véritablement les paroles de la personne qui a appelé la demanderesse et l’a menacée. Il était donc raisonnable de la part de la SPR de rejeter l’interprétation de la demanderesse selon laquelle cette personne menaçait sa vie.

DISCUSSION

  Iniquité procédurale : les menaces de mort

 

  • [98] La demanderesse affirme qu’il y a eu iniquité procédurale en l’espèce parce que la SPR ne l’a pas questionnée au sujet de l’omission des menaces de mort dans le formulaire IMM 5611 qu’elle avait rempli. Elle affirme que la SPR ne lui a en fait posé aucune question au sujet de ce formulaire à l’audience. Elle affirme que son cas s’apparente à Ananda Kumara, précité, où le juge Hughes a fait les observations ci-après concernant le fait que la SPR s’était fiée à des incohérences que le demandeur d’asile n’avait pas eu la possibilité d’expliquer :

Quant à la première question de savoir si les demandeurs avaient justifié leur crainte, le Commissaire a fondé sa décision sur cinq incidents qui sont mentionnés au dossier. Le commissaire a conclu que, en raison de contradiction apparente, il existait des motifs de mettre en doute la sincérité des demandeurs à l’égard de chacun des incidents et, par conséquent, leur crainte ne pouvait pas être fondée. Cependant, à aucun moment les demandeurs n’ont eu la possibilité d’expliquer les prétendues contradictions ou de clarifier la question. Le commissaire a attendu que l’audience prenne fin, puis il a relevé d’apparentes contradictions et les a utilisées pour discréditer la demande des demandeurs. Comme l’écrivait le juge Russell dans la décision Shaiq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 149, au paragraphe 77 :

 

77 Bien que la SPR ne soit pas tenue de faire part au demandeur de toutes ses réserves qui ont trait à la Loi et au règlement, l’équité procédurale exige effectivement qu’elle accorde au demandeur la possibilité d’aborder les problèmes soulevés au sujet de la crédibilité, de l’exactitude ou de l’authenticité des renseignements soumis (voir par exemple, le jugement Kuhathasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 587, au paragraphe 37. En conséquence, j’estime que la SPR aurait dû en l’espèce accorder au demandeur la possibilité d’aborder une question qui jouait un rôle essentiel en ce qui concerne la conclusion défavorable tirée quant à la crédibilité.

 

 

Dans le même registre, le juge Dubé dans l’arrêt Malala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 94 a écrit ce qui suit aux paragraphes 23 et 24 :

 

23 Ma lecture de la transcription fait ressortir que la Commission aurait dû, à l’audience, donner une meilleure occasion à la demanderesse de présenter ses commentaires ou explications quant aux contradictions perçues par la Commission dans son témoignage. De plus, il semble que dans certains cas la Commission a fait preuve d’un zèle intempestif en découvrant des contradictions là où il n’y en a pas nécessairement.

 

24 Un examen de la jurisprudence sur cette question, brièvement résumée plus haut, fait ressortir qu’il n’y a pas unanimité. La jurisprudence établit toutefois qu’en général, il y a lieu d’informer un demandeur à l’audience des contradictions perçues afin de lui permettre d’offrir les explications pertinentes. Un demandeur doit avoir l’occasion de s’expliquer pleinement quant aux incohérences perçues. Lorsque la Commission privilégie la preuve documentaire par rapport au témoignage sous serment d’un demandeur, elle doit s’expliquer à ce sujet en termes clairs.

 

 

Bien qu’il ne soit pas nécessaire de porter chaque contradiction à l’attention du demandeur, lorsque, comme en l’espèce, la décision était clairement et uniquement fondée sur cinq apparentes contradictions, celles-ci auraient dû être portées à l’attention des demandeurs. Dans chacun de ces cas, le dossier révèle que l’apparente contradiction n’a jamais été portée à l’attention des demandeurs. Quant au pot-de-vin que le frère aurait versé, le dossier révèle que le commissaire n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle le pot-de-vin a été versé non pas par le frère, mais par un intermédiaire. Quant à l’identification d’un membre de la famille éloignée, le dossier ne révèle pas, contrairement à la conclusion du commissaire, que ce membre a été identifié comme étant un membre des TLET. Quant à la raison pour laquelle les demandeurs ne pouvaient pas être retrouvés dans une petite ville, la preuve révèle qu’ils se tenaient cachés. En outre, comme nous le verrons plus loin, le commissaire a tiré des conclusions contradictoires quant à savoir s’il s’agissait d’une petite ville ou d’une grande région métropolitaine. En résumé, à la seule lecture du dossier, le commissaire aurait dû porter ces questions à l’attention des demandeurs avant de tirer des conclusions défavorables.

CF/FC

 

 

  • [99] La demanderesse affirme que son cas en est aussi un où le commissaire a attendu que l’audience prenne fin.

  • [100] Les passages de la décision qui traitent des incohérences concernant les menaces de mort figurent aux paragraphes 32 à 42 :

La demandeure d’asile aurait reçu un appel de menaces le [17 décembre] 1999.

 

Lorsqu’elle a décrit cet incident pour la première fois à Citoyenneté et Immigration Canada, la demandeure d’asile a indiqué que l’inconnu qui appelait avait dit ceci :

 

[traduction] […] écoutez madame, vous allez payer pour tout, vos dettes et celles de vos enfants.

 

Je souligne qu’aucune menace de mort n’est mentionnée dans cette déclaration.

 

Trois semaines plus tard, la demandeure d’asile a rempli la portion de l’exposé circonstancié de son FRP. À ce moment‑là, la déclaration était différente.

 

[Traduction] Il a ensuite dit que je devrais payer les dettes de mes fils, sinon ils me tueraient, puis il a raccroché.

 

Enfin, je souligne que la plainte déposée par la demandeure d’asile auprès de la police du Salvador est en partie ainsi rédigée :

 

[traduction] […] écoutez madame, vous allez aussi payer pour les [choses] qui concernent vos enfants, puis il a raccroché […]. … »

 

De plus, aucune menace de mort n’est mentionnée dans ce rapport de police.

 

La demandeure d’asile s’est vu demander d’expliquer la raison pour laquelle les menaces de mort qu’elle aurait reçues par téléphone le soir d’avant n’étaient pas mentionnées dans le rapport de police. Elle a affirmé qu’elle avait remarqué cette omission et qu’elle l’avait dit au policier, mais que celui‑ci avait répondu que le rapport avait déjà été rempli et qu’il était trop tard. Ce rapport est signé par la demandeure d’asile. Elle s’est vu demander la raison pour laquelle elle avait signé le rapport si celui‑ci était inexact. Elle a répondu qu’elle avait signé le rapport incomplet parce que [traduction] « il s’agit des autorités ». À la question de savoir si elle ou son frère avait parlé à un superviseur pour lui signaler que le rapport était incomplet avant de quitter le poste de police, la demandeure d’asile a répondu par la négative.

 

La demandeure d’asile s’est également vu demander d’expliquer la raison pour laquelle il n’était pas mentionné dans l’exposé circonstancié de son FRP que le rapport de police avait été rempli incorrectement ou que le policier avait refusé de corriger le rapport. Elle a expliqué qu’elle avait oublié.

 

Je rejette l’allégation de la demandeure d’asile selon laquelle elle a reçu des menaces de mort.

 

La demandeure d’asile n’a pas fait mention de cette allégation lorsqu’elle a fait un rapport pour la première fois à Citoyenneté et Immigration Canada, et elle ne l’a pas non plus signalée aux autorités de son propre pays. À l’audience, la demandeure d’asile a tenté de formuler une nouvelle allégation selon laquelle les policiers avaient omis erronément de mentionner les menaces de mort dans le rapport de police, mais lorsqu’elle a été invitée à expliquer la raison pour laquelle ce fait avait été omis dans son FRP, elle a répondu qu’elle avait oublié cette déclaration essentielle et importante. Je n’ajoute pas foi à cette réponse. La demandeure d’asile n’aurait reçu qu’un appel de menaces avant de quitter son pays; toutefois, elle a oublié d’indiquer dans son FRP que ce rapport de plainte avait été rempli incorrectement. La Cour fédérale a appuyé la Commission lorsque celle‑ci a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité dans le cas où une allégation essentielle, qui est au cœur de la demande d’asile, a été omise dans un FRP, est révélée pour la première fois à l’audience, et pour laquelle aucune explication n’a été fournie. J’estime qu’il n’est pas raisonnable qu’elle ait oublié un élément essentiel de la seule menace qu’elle a reçue lorsqu’elle était au Salvador.

 

J’estime que la demandeure d’asile a reçu un appel d’un inconnu qui a dit qu’elle lui devait de l’argent. J’estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucune menace de mort n’a été proférée.

 

 

  • [101] Bien que la SPR fasse remarquer que [traduction] « [l] a demandeure d’asile n’a pas fait mention de cette allégation lorsqu’elle a fait un rapport pour la première fois à Citoyenneté et Immigration Canada », la discussion de la SPR à ce sujet porte aussi sur la divergence entre les prétendues menaces de mort et la dénonciation déposée auprès de la police au Salvador. Ainsi, le défendeur affirme que, même si la SPR n’a pas attiré l’attention de la demanderesse sur la contradiction relevée entre son témoignage concernant les menaces de mort et sa déclaration dans le formulaire, la SPR [traduction] « a tout de même attiré son attention sur la même contradiction ailleurs dans ses éléments de preuve ». Plus précisément, le défendeur affirme que la SPR a attiré l’attention de la demanderesse sur le fait qu’il n’y avait aucune mention dans la plainte à la police des prétendues menaces de mort et lui a permis d’y répondre.

  • [102] Je ne crois pas que ce que le défendeur décrit réponde tout à fait à la préoccupation exprimée. Il ressort clairement de la décision que la conclusion défavorable d’extrême importance tirée quant à la crédibilité reposait sur le fait que « [l]a demandeure d’asile n’a pas fait mention de cette allégation lorsqu’elle a fait un rapport pour la première fois à Citoyenneté et Immigration Canada, et [qu’]elle ne l’a pas non plus signalée aux autorités de son propre pays ». Autrement dit, l’omission dans le formulaire IMM 5611 et l’omission dans la plainte à la police sont pertinentes et revêtent la même importance en ce qui concerne la conclusion défavorable quant à la crédibilité. L’une étaye l’autre. Nous ne savons pas quel aurait été le résultat si la demanderesse avait été avisée de la divergence qui découlait du formulaire IMM 5611, et avait eu la possibilité de fournir une explication. La SPR, si avait été satisfaite de son explication, aurait peut-être conclu qu’elle avait reçu des menaces de mort. Cela aurait eu une grande importance en ce qui concerne la décision dans son ensemble parce que la SPR aurait été obligée d’évaluer les risques, même si la demanderesse avait eu tort de croire qu’elle courait un danger de la part de la police, si quelqu’un avait menacé.

  • [103] Pour les motifs qui précèdent, et sur le fondement de la jurisprudence citée précédemment, j’estime donc qu’il était inéquitable, sur la foi des faits de l’espèce, de la part de la SPR de se fier à la déclaration faite par la demanderesse dans le formulaire IMM 5611 et à son témoignage ultérieur concernant les menaces de mort sans attirer l’attention de la demanderesse sur la divergence et lui avoir permis de fournir une explication.

  • [104] La demanderesse a soulevé de nombreuses autres questions aux fins d’examen. Étant donné l’important du témoignage concernant les menaces de mort pour la décision dans son ensemble et ma conclusion d’iniquité procédurale, cependant, il est inutile de poursuivre la discussion. Cette question nécessite un nouvel examen de la demande d’asile.

  • [105] Les avocats s’entendent pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est du même avis.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

 

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à une formation différente de la SPR pour qu’elle soit examinée de nouveau.

 

  1. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  IMM-2510-11

 

INTITULÉ :  AIDA LUZ PORTILLO ROMERO  

    – et –

 

    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

    ET DE L’IMMIGRATION   

   

    

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 24 novembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :  LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :  Le 12 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS : 

 

Me Aisling Bondy    DEMANDERESSE

   

Me Prathima Prashad  DÉFENDEUR 

 

   

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

 

Me Aisling Bondy  DEMANDERESSE

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Me Myles J. Kirvan   DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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