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Cour fédérale

 

Federal Court


                                                                                                                        Date : 20100401

Dossier : IMM-3504-09

Référence : 2010 CF 357

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2010

En présence de monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

MOHAMMAD ZILANI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, par laquelle M. Mohammad Zilani (le demandeur) demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) le 8 juin 2009 et portant le numéro de dossier SPR TA6-16369. Le tribunal a conclu dans cette décision que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, il est fait droit à la présente demande.

 

[3]               Au cours des dernières années, la Cour suprême du Canada a clairement affirmé que, lorsqu’une cour supérieure examine une décision rendue par un tribunal administratif, elle doit éviter de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du tribunal. Ce principe s’applique tout particulièrement lorsque le tribunal administratif, comme en l’espèce, a eu l’occasion d’entendre le témoignage de vive voix et est donc davantage en mesure d’évaluer la crédibilité des témoins. Lorsqu’elle contrôle des conclusions de fait tirées par un tribunal, la Cour doit faire preuve de déférence et ne doit intervenir que si les conclusions n’étaient pas raisonnables. À cet égard, la Cour doit vérifier si la décision du tribunal est suffisamment justifiée et que le processus décisionnel est transparent et intelligible. En l’espèce, la décision du tribunal n’était pas raisonnable car elle ne comportait presque aucune explication à l’appui de ses conclusions et les explications qu’elle comportait n’étaient pas conformes à la preuve au dossier.

 

 

L’historique

 

[4]               Le demandeur est un citoyen du Bangladesh et il est musulman chiite. Il prétend être persécuté par des hommes de main appartenant aux fondamentalistes sunnites en raison de ses convictions religieuses. Il est arrivé au Canada à titre d’étudiant en septembre 2005. Il est retourné au Bangladesh, en juin 2006, pour une courte visite auprès de son père malade. Il prétend que, lors de cette visite, des hommes de main appartenant à un mouvement fondamentaliste sunnite se sont rendus à la résidence de son père et ont menacé d’extorquer de l’argent à sa famille si ses membres ne devenaient pas musulmans sunnites. Il prétend de plus que ces menaces n’étaient pas des menaces en l’air : il a en effet été enlevé par ces hommes de main le 21 juin 2006 et ceux‑ci ont menacé de lui réclamer rançon s’il ne se convertissait pas.

 

[5]               Le demandeur prétend également qu’il a rencontré une Bengalaise sur un site de rencontres Internet et qu’il l’a finalement épousée. Son épouse était très jeune au moment du mariage et elle est musulmane sunnite. La famille de son épouse était très irritée par le mariage et elle a porté plainte contre lui à la police.

 

[6]               Comme des hommes de mains appartenant aux musulmans sunnites ainsi que la police étaient à sa recherche, il a décidé, au milieu de 2006, de quitter le Bangladesh pour le Canada. Il est néanmoins retourné au Bangladesh pour quelques jours entre le 1er novembre 2006 et le 5 novembre 2006 afin de rendre visite à son père malade qui avait été hospitalisé pour des traitements contre le cancer. Il prétend qu’il s’agissait d’une visite secrète au cours de laquelle il a vécu chez un ami afin que la police ou le fondamentaliste sunnite qui l’avait menacé ne puissent pas le trouver. Lors de son retour au Canada, il a présenté sa demande d’asile.

 

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[7]               La décision comprend deux pages et elle est en grande partie composée d’un résumé des prétentions du demandeur. Le principal motif de la décision est essentiellement que le tribunal a estimé que le demandeur, ainsi que son récit, n’étaient pas crédibles. Dans une analyse de quatre paragraphes, le tribunal a conclu ce qui suit :  

a)         Il n’est pas crédible que les menaces et les actes de violence, qui étaient mineurs et qui n’ont pas fait l’objet d’une enquête de la part de la police, soient motivés par le terrorisme, compte tenu de ce que le demandeur d’asile a affirmé au sujet de l’influence de l’oncle maternel qui est sunnite;

 

b)         Le fait que le demandeur d’asile a contracté un mariage mixte à la suite d’une année de fréquentation sur Internet et d’une rencontre de quelques jours en personne dépasse l’entendement, étant donné, notamment, que les parties n’avaient pas l’âge légal pour contracter mariage. Il n’est pas logique que les parents de la jeune femme ne cherchent pas à obtenir l’annulation légale d’un arrangement de ce genre, mais qu’ils poursuivent le demandeur d’asile et le menacent;

 

 

c)         Le fait que le demandeur d’asile s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection de son pays à deux (2) reprises au moins indique clairement que sa prétendue crainte n’est ni authentique ni objectivement raisonnable;

 

d)                 La preuve documentaire indique qu’il existe des tensions entre les chiites et les sunnites, mais qu’il n’y a qu’une très faible possibilité que le demandeur d’asile soit persécuté, surtout par le reste des membres de sa famille qui sont sunnites.

 

 

La norme de contrôle

[8]               Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié relativement au statut de réfugié fondées sur des questions de crédibilité et d’appréciation de la preuve est celle de la décision raisonnable : voir, p. ex., Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL), (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1153; [2008] A.C.F. no 1433 (QL), au paragraphe 4. C’est la norme que je vais appliquer en l’espèce.

 

[9]               Selon Dunsmuir (au paragraphe 47) : « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». [Non souligné dans l’original.]

 

L’analyse

 

[10]           Le tribunal a d’abord déclaré que le dossier était truffé de réponses éludées de la part du demandeur aux questions directes qui ont lui été posées. Le demandeur aurait censément commencé ses réponses par les mots « j’étais exposé à un risque » à la majorité des questions. Mais, lorsqu’on la lit attentivement, la transcription de l’audience révèle clairement que les mots « j’étais exposé à un risque » n’ont pas été utilisés par le demandeur dans le cadre de mots introductifs et, en fait, n’ont pas du tout été utilisés par le demandeur. De plus, la transcription révèle clairement que le demandeur a donné des réponses directes à presque toutes les questions qui lui ont été posées au cours de l’audience.

 

[11]           Le tribunal a de plus conclu que, compte tenu de l’influence de l’oncle du demandeur, il n’était pas plausible que la police ne réponde pas à la plainte déposée par le demandeur contre les fondamentalistes sunnites qui tentaient de lui extorquer de l’argent. Encore une fois, un examen attentif du dossier révèle que le demandeur a affirmé que son oncle était à l’aise, mais il n’a jamais affirmé qu’il était influent. En effet, le demandeur a plutôt affirmé que son oncle lui a conseillé de quitter le Bangladesh car l’application de la loi dans ce pays laissait beaucoup à désirer et qu’il était devenu la cible des fondamentalistes sunnites.

 

[12]           Le tribunal a jugé qu’il n’était pas crédible que le demandeur marie son épouse après une relation Internet, surtout qu’elle était mineure. Mais, le dossier révèle qu’un certificat de mariage confirmant le mariage a été soumis au tribunal par le demandeur. De plus, le dossier révèle que les propres documents de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié concernant les mariages arrangés et les mariages précoces au Bangladesh soulignent que « le taux des mariages précoces au Bangladesh est parmi les plus élevés au monde » et que « les mariages de mineurs sont quand même considérés comme étant valides d’un point de vue juridique […] et ils sont autorisés aux termes des lois religieuses sur la personne » (Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Direction des recherches, BGD101507.EF, Bangladesh : information sur les mariages arrangés, forcés et précoces; processus de sélection des époux et rôle du marieur; conséquences associées au refus de participer au mariage (2003‑2006) 8 août 2006). Le tribunal n’explique pas pourquoi il n’a pas tenu compte du certificat de mariage et des documents portant sur la situation dans le pays concernant les mariages de mineurs au Bangladesh.

 

[13]           Le tribunal souligne que la preuve documentaire indique qu’il existe des tensions entre les chiites et les sunnites, mais elle a conclu qu’« il n’y a qu’une très faible possibilité que le demandeur d’asile soit persécuté, surtout par le reste des membres de sa famille qui sont sunnites ». Mais, le demandeur n’a jamais prétendu qu’il était persécuté par les membres de sa famille qui étaient sunnites, mais plutôt par des fondamentalistes sunnites qui cherchaient à le convertir et les membres de sa famille qui étaient chiites, et ce, par des menaces d’extorsion. En outre, la conclusion selon laquelle le demandeur serait d’une certaine manière à l’abri de ces tentatives de conversion parce qu’une partie de sa famille était sunnite est en soi déraisonnable. Au contraire, on aurait très bien pu conclure que les fondamentalistes sunnites visaient tout particulièrement les familles de religions mixtes parce qu’il serait plus facile de les convaincre de se convertir.

 

[14]           Enfin, le tribunal a conclu que, comme le demandeur était retourné à deux reprises au Bangladesh, sa prétendue crainte n’était ni authentique ni objectivement raisonnable. Premièrement, le dossier révèle que le demandeur n’est retourné qu’une seule fois au Bangladesh après que les hommes de main lui auraient proféré des menaces. En effet, c’est au cours de son voyage au Bangladesh en juin 2006 que le demandeur, selon sa demande, a personnellement été victime de menaces d’extorsion de la part de fondamentalistes sunnites. Toutefois, il est retourné une fois après que ces menaces eurent été proférées. Le demandeur a expliqué qu’il n’est retourné qu’une seule fois, quatre jours en novembre 2006, afin de rendre visite à son père malade qui avait été hospitalisé, mais il a prétendu qu’il a ensuite pris beaucoup de précautions quant à sa sécurité personnelle : il est allé se cacher chez un ami et il allait à l’hôpital le soir.

 

[15]           Il est vrai qu’un réfugié éventuel ne peut plus demander l’asile s’il se réclame à nouveau de la protection de son pays d’origine. Toutefois, en l’espèce, le demandeur a déclaré qu’il ne s’était pas réclamé de la protection du Bangladesh, mais qu’il y était retourné en secret pour un très court séjour afin de rendre visite à son père malade. Le tribunal n’a pas examiné ces faits dans sa décision et il n’a pas expliqué pourquoi il n’y a accordé aucun poids.

 

[16]           De plus, le demandeur a produit une déclaration assermentée émanant du président du Husaini Trust à Dhaka confirmant les prétentions du demandeur ainsi qu’un article de presse faisant état que la résidence de son père avait fait l’objet d’une invasion de la part d’hommes de mains appartenant aux fondamentalistes sunnites qui étaient à sa recherche et qui cherchaient à extorquer de l’argent à sa famille. Dans sa décision, le tribunal n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas examiné ces documents, ou s’il l’a fait, pourquoi il ne leur a accordé aucune importance. Comme je l’ai souligné dans la décision Ren c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 973, [2009] A.C.F. no 1181 (QL), aux paragraphes 25 à 29, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’a pas à fournir, dans ses décisions, des explications quant à chaque élément de preuve et chaque document qui lui ont été soumis, particulièrement lorsqu’elle a des doutes sérieux quant à la crédibilité d’un demandeur. Les observations formulées par la Cour d’appel fédérale dans Sellan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381, 384 N.R. 163 vont dans le même sens. Toutefois, la conclusion relative à la crédibilité doit avoir été correctement exprimée et être conforme à la preuve. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[17]           Dans l’arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236, 15 Imm. L. R. (2d) 199, [1991] A.C.F. no 228 (QL) (C.A.F.) (Hilo), la Cour d’appel fédérale a souligné que, lorsqu’elle apprécie la crédibilité, « la Commission se trouv[e] dans l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle dout[e] de la crédibilité de l’appelant. L’évaluation (précitée) que la Commission a faite au sujet de la crédibilité de l’appelant est lacunaire parce qu’elle est exposée en termes vagues et généraux ». Je souligne que l’arrêt Hilo a été suivi de façon constante par cette cour. Il l’a d’ailleurs récemment été dans L.Y.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1167, [2009] A.C.F. no 1470 (QL), au paragraphe 21.

 

[18]           Tel que mentionné, je conclus que le principe énoncé dans l’arrêt Hilo s’applique à la décision rendue par le tribunal en l’espèce. De plus, certaines des conclusions du tribunal sont clairement incompatibles avec la preuve qui lui a été soumise, ou, à tout le moins, le tribunal n’a pas examiné pourquoi cette preuve n’a pas été prise en compte.

 

 

[19]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision ne satisfait pas à la norme de la raisonnabilité et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[20]           Le demandeur est peut‑être crédible ou non et son récit a pu ou non être inventé dans le but d’obtenir la résidence permanente au Canada. La Cour n’a pas à trancher cette question ou à formuler des observations sur celle‑ci. Par conséquent, l’affaire sera renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour décision par un autre tribunal.

 

[21]           La présente affaire ne soulève aucune question importante justifiant une certification en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et, par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

 

2.         L’affaire est renvoyée pour nouvelle audience et nouvelle décision par un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-3504-09

 

INTITULÉ :                                      MOHAMMAD ZILANI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION                                       

                                                           

                                                                       

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 1er avril 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Khatidja Moloo

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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