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Date : 20120509

Dossier: IMM-7237-11

Référence : 2012 CF 561

Montréal (Québec), le 9 mai 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

BETUEL HERNANDEZ AGUILAR

HAYDE LOBATO JORGE

ADRIADNA BRIGIT HERNANDEZ LOBATO

BRANDON BETHUEL HERNANDEZ LOBATO

 

 

partie demanderesse

 

(EX PARTE SUR LA FOI DU DOSSIER)

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

partie défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Introduction

[1]               Dans Cardinal c Directeur de L'Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, la Cour suprême du Canada a formulé le principe suivant, pertinent au présent cas :

23.       [...] L'omission d'accorder une audition équitable, qui est de l'essence même de l'obligation d'agir avec équité, ne peut jamais être considérée en elle-même sans "importance suffisante" à moins que ce ne soit à cause de son effet perçu sur le résultat ou, en d'autres mots, à cause du tort réel qu'elle a causé. Si c'est là la façon correcte de voir les implications de l'analyse adoptée par la majorité de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique sur la question d'équité dans la procédure en l'espèce, j'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition. [La Cour souligne].

 

II.  Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 7 septembre 2011, selon laquelle les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personnes à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III.  Faits

[3]               Les demandeurs, monsieur Betuel Hernandez Aguilar, sa conjointe, madame Hayde Lobato Jorge, leurs enfants, Adriadna Brigit Hernandez Lobato et Brandon Bethuel Hernandez Lobato sont citoyens du Mexique.

 

[4]               Le 31 mai 2011, les demandeurs se sont présentés, devant la SPR, sans leur avocat inscrit au dossier. Les demandeurs ont demandé un ajournement, au début de l’audience, au motif qu’ils souhaitaient retenir les services d’un nouvel avocat. La SPR a rejeté la demande de remise.

 

[5]               Devant le refus de procéder du demandeur principal, la SPR a informé ce dernier qu’elle pouvait conclure au désistement de la demande en vertu du paragraphe 168(1) de la LIPR. Le demandeur principal aurait informé la SPR de son intention de procéder et l’audience s’est poursuivie.

 

[6]               À la fin de l’audience, la SPR aurait accordé au demandeur principal l’autorisation de déposer certains documents non traduits le lendemain. Elle accordait également un délai jusqu’au 17 juin 2011 afin qu’il puisse retenir les services d’un conseiller pouvant présenter une plaidoirie et lui expliquer la preuve documentaire déposée.

 

[7]               Le 11 juin 2011, leur nouveau conseiller dépose une requête en récusation et en de novo que la SPR rejetait le 27 juin 2011. La SPR accorde un nouveau délai, soit le 29 juillet 2011, pour la production de la plaidoirie. La plaidoirie est produite le 29 juillet 2011 et est accompagnée d’une série de preuves qui seront rejetées par la SPR.

 

IV.  Décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire

[8]               Le rejet par la SPR de la demande d’ajournement des demandeurs se fonde sur le paragraphe 48(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 [Règles].

 

[9]               Dans son traitement de cette question préliminaire, la SPR détermine que le demandeur principal a fourni des informations contradictoires. Elle considère que le demandeur principal n’a pas agi raisonnablement puisqu’il a signifié à son ancien conseiller qu’il ne retenait plus ses services qu’une semaine avant l’audience. La SPR reproche donc au demandeur principal de ne pas avoir déployé des efforts pour retenir les services d’un nouveau conseiller pouvant l’assister durant son audience. La SPR a fondé sa décision sur le fait que le cas n’est pas complexe et que l’ancien conseiller du demandeur principal ne retenait pas de documents.

 

[10]           Après un rappel des faits et son traitement des questions préliminaires, la SPR conclut que les demandeurs ne sont pas crédibles en raison du dépôt de documents tardifs qui auraient dû être déposés le 1er juin 2011.

 

V.  Point en litige

[11]           Étant donné l’absence de contestation des conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR, la seule question en litige est la suivante :

La SPR a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale en refusant d’ajourner l’audience?

 

VI.  Dispositions législatives pertinentes

[12]           Les dispositions suivantes des Règles s’appliquent au présent cas :

Demande de changement de la date ou de l’heure d’une procédure

 

48.      (1) Toute partie peut demander à la Section de changer la date ou l’heure d’une procédure.

 

Forme et contenu de la demande

(2) La partie :

 

a) fait sa demande selon la règle 44, mais n’a pas à y joindre d’affidavit ou de déclaration solennelle;

 

b) indique dans sa demande au moins six dates, comprises dans la période fixée par la Section, auxquelles elle est disponible pour commencer ou poursuivre la procédure.

 

Procédure dans deux jours ouvrables ou moins

 

(3) Si la partie veut faire sa demande deux jours ouvrable ou moins avant la procédure, elle se présente à la procédure et fait sa demande oralement.

 

 

Éléments à considérer

 

(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

 

a) dans le cas où elle a fixé la date et l’heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

 

b) le moment auquel la demande a été faite;

 

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

 

 

d) les efforts qu’elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

 

e) dans le cas où la partie a besoin d’un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d’aller de l’avant en l’absence de ces renseignements sans causer une injustice;

 

f) si la partie est représentée;

 

 

g) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l’expérience de son conseil;

 

h) tout report antérieur et sa justification;

 

i) si la date et l’heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

 

j) si le fait d’accueillir la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice;

 

k) la nature et la complexité de l’affaire.

 

Obligation de se présenter aux date et heure fixées

 

(5) Sauf si elle reçoit une décision accueillant sa demande, la partie doit se présenter à la date et à l’heure qui avaient été fixées et être prête à commencer ou à poursuivre la procédure.

 

 

Désistement sans audition du demandeur d’asile

 

58.      (1) La Section peut prononcer le désistement d’une demande d’asile sans donner au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

 

a) elle n’a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d’asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

 

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d’asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

 

Possibilité de s’expliquer

 

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l’audience et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

 

 

b) dans le cas contraire, au cours d’une audience spéciale dont la Section l’a avisé par écrit.

 

Éléments à considérer

 

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d’asile à l’audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d’asile est prêt à commencer ou à poursuivre l’affaire.

 

Poursuite de l’affaire

 

 

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l’affaire sans délai.

 

Application to change the date or time of a proceeding

 

 

48.      (1) A party may make an application to the Division to change the date or time of a proceeding.

 

Form and content of application

(2) The party must

 

(a) follow rule 44, but is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration; and

 

(b) give at least six dates, within the period specified by the Division, on which the party is available to start or continue the proceeding.

 

 

 

If proceeding is two working days or less away

 

(3) If the party wants to make an application two working days or less before the proceeding, the party must appear at the proceeding and make the application orally.

 

Factors

 

(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

 

 

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

 

 

(b) when the party made the application;

 

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

 

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

 

 

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party’s arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

 

 

(f) whether the party has counsel;

 

(g) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

 

 

(h) any previous delays and the reasons for them;

 

(i) whether the date and time fixed were peremptory;

 

 

(j) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings or likely cause an injustice; and

 

(k) the nature and complexity of the matter to be heard.

Duty to appear at the proceeding

 

            (5) Unless a party receives a decision from the Division allowing the application, the party must appear for the proceeding at the date and time fixed and be ready to start or continue the proceeding.

 

Abandonment without hearing the claimant

 

58.      (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

 

(a) the Division has not received the claimant’s contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

 

 

(b) the Minister and the claimant’s counsel, if any, do not have the claimant’s contact information.

 

 

Opportunity to explain

 

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

 

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

 

Factors to consider

 

            (3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

 

Decision to start or continue the proceedings

 

            (4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.

 

VII.  Position des parties

[13]           Les demandeurs font valoir que la SPR a commis un manquement à l’équité procédurale en refusant d’ajourner l’audience du 31 mai 2011.

 

[14]           En réponse, le défendeur soutient que le droit à l’avocat n’est pas absolu et que le tribunal a agi conformément à la loi et à la jurisprudence en rejetant la demande des demandeurs.

VIII.  Analyse

[15]           La norme de contrôle de la décision correcte s’applique au présent cas (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[16]           Il est bien établi que la décision d’ajourner relève du pouvoir discrétionnaire de la SPR laquelle, dans sa décision, doit tenir compte des facteurs pertinents et des circonstances spécifiques du cas (Golbom c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 640).

 

[17]           En l’espèce, toutefois, les propos de la SPR, enjoignant le demandeur à procéder pour éviter le désistement de sa demande d’asile, démontrent une certaine pression à procéder susceptible de porter atteinte au principe de l’équité. Il semble, en effet, que l’audience se soit déroulée dans un climat peu propice au témoignage d’un revendicateur d’asile comme l’atteste l’extrait suivant du procès-verbal d’audience :

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (au demandeur)

 

-      Monsieur, vous avez juste à répondre. Vous n’êtes pas obligé d’être sur la défensive. Vous êtes sur la défensive là. Je le vois dans votre comportement. J’aimerais que vous soyiez plus relaxe, s’il vous plaît.

 

PAR LE DEMANDEUR (au commissaire président)

 

-      Mais pour moi c’est difficile. J’ai besoin l’aide d’un avocat. Moi je ne me sens pas bien pour continuer.

 

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (au demandeur)

 

-      Je ne comprends pas, monsieur. Pourquoi vous avez besoin d’un avocat? En ce moment, je vous pose des questions relativement à votre histoire. C’est ce que vous avez vécu. Pourquoi vous dites que vous ne vous sentez pas bien et que vous avez besoin d’un avocat? C’est pas compliqué. C’est des questions sur votre vécu. Pourquoi vous avez besoin d’un avocat pour répondre à ces questions là?

 

PAR LE DEMANDEUR (au commissaire président)

 

-      Parce que vous êtes en train de me dire que je suis à la défensive. Je ne suis pas comme ça. Mais de me rappeler de tout ça, ça me rend nerveux et c’est pas facile pour nous.

 

            [La Cour souligne].

 

(Dossier du tribunal [DT] à la p 359).

 

[18]           De plus, il est difficile de comprendre, d’une part, la position de la SPR relative à la complexité de l’affaire, laquelle l’a convaincue que le demandeur principal pouvait procéder sans son conseiller et, d’autre part, sa position relative au délai qui s’est écoulé depuis la date de revendication de l’asile, laquelle l’a mené à constater qu’un délai supplémentaire n’était pas souhaitable. Comme le démontre les propos suivants, la SPR, n’a pas hésité, à la fin de l’audience, à recommander au demandeur de consulter un conseiller en contradiction avec sa décision première de refuser d’ajourner :

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (au demandeur)

 

-           [...]

 

-           Alors, monsieur, ce qu’on va faire, en général lorsque moi j’ai fini mes questions, l’avocat peut poser d’autres questions s’il le veut et ensuite peut -- fait une plaidoirie. Là vous avez dit tout à l’heure que vous aviez contacté des avocats; entre autres vous avez contacté le conseiller Hoyos-Tello. Alors, je vais vous donner un délai afin que vous preniez connaissance de la documentation sur le Mexique et que si vous voulez présenter une plaidoirie, des observations dans votre cas par écrit, je vais vous donner un délai pour le faire.

 

-           Alors, vous pouvez peut-être contacter un avocat que vous avez déjà contacté ou un conseiller, lui demander si il peut vous aider là-dedans, pour vous aider à regarder la documentation et faire des plaidoiries. Donc, je vais vous donner un temps pour plaidoirie par écrit. O.k.?

 

[La Cour souligne].

(DT à la p 373).

 

[19]           En conséquence, la SPR, par ses agissements lors de l’audience, a commis un manquement à l’équité procédurale. À la lumière de cette conclusion, la Cour n’analysera pas la question de la crédibilité.

 

IX.  Conclusion

[20]           Pour les motifs précédemment mentionnés, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie et l’affaire est retournée pour redétermination par un panel autrement constitué.

 

[21]           Afin de ne pas occasionner un délai additionnel, la Cour suggère que l’audience soit fixée péremptoirement.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs soit accueillie et l’affaire soit retournée pour redétermination par un panel autrement constitué. Aucune question ne soit certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7237-11

 

INTITULÉ :                                       BETUEL HERNANDEZ AGUILAR

HAYDE LOBATO JORGE

ADRIADNA BRIGIT HERNANDEZ LOBATO

BRANDON BETHUEL HERNANDEZ LOBATO

et    MCI

 

 

EX PARTE (SUR LA FOI DU DOSSIER AVEC PLAIDOIRIES DES DEUX PARTIES) CONSIDÉRÉ À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 9 mai 2012

 

 

 

PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR :

 

 

Cristina Marinelli

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Suzon Létourneau

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cristina Marinelli

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR PARTIE DÉFENDERESSE

 

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