Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120504


Dossier : IMM-5987-11

Référence : 2012 CF 534

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

CHADI FAOUR ET AMAL FAOUR

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 12 juillet 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

Le contexte factuel

[3]               Les demandeurs — M. Chadi Faour (le demandeur principal) et sa mère, Mme Amal Faour — sont tous deux citoyens du Liban. Ils sollicitent l’asile au Canada parce que, soutiennent-ils, ils sont des « réfugiés au sens de la Convention » suivant l’article 96 de la Loi du fait de leur appartenance à un groupe social, soit celui des membres des familles Faour et Abdallah que le Hezbollah soupçonne de collaborer avec l’armée israélienne et la milice de l’armée du Liban du Sud. Ils affirment donc qu’ils risquent d’être persécutés s’ils retournent au Liban parce qu’ils ont refusé de collaborer avec le Hezbollah en donnant des informations sur les membres de leur famille.

 

[4]               Le nom du village ancestral des demandeurs est Khiam; celui-ci est situé dans le Sud du Liban, près de la frontière israélienne et dans une région que contrôle la milice de l’armée du Liban du Sud. Les membres de leur famille élargie vivent à Khiam et font partie des familles les plus nombreuses et influentes de la région. Entre 1978 et 2000, cette région a été occupée par Israël avec l’aide de la milice de l’armée du Liban du Sud. C’est donc dire que les citoyens libanais habitant la région ont souvent collaboré, de gré ou de force, avec les armées israélienne et du Sud du Liban.

 

[5]               Le demandeur principal n’a jamais vécu dans le village de Khiam. Sa mère est née à Beyrouth et a ensuite déménagé à Abu Dhabi en 1976, où le demandeur principal a vu le jour en 1977. Ils ont ensuite déménagé à Beyrouth en 1987, où ils ont vécu jusqu’à ce qu’ils arrivent au Canada et demandent l’asile.

 

[6]               Quand ils se sont installés à Beyrouth, les demandeurs ont vécu dans un appartement situé dans la banlieue sud de Haret Hreik, dans le secteur appelé « Shoura », qui est plus tard tombé sous l’emprise du Hezbollah en 1992. Ils allèguent que leurs problèmes ont commencé quand le Hezbollah a pris connaissance de leurs origines familiales. À l’été de 1997, le demandeur principal a été gardé en détention pendant plusieurs heures par le Hezbollah, et ses deux parents l’ont plus tard rejoint. Lors de cette détention, le Hezbollah a demandé aux demandeurs de collaborer et a exigé qu’ils communiquent des informations sur les membres de leur famille habitant à Khiam. Ils ont toutefois refusé de collaborer. Ils soutiennent que le Hezbollah les a ensuite harcelés de façon constante en vue d’obtenir leur aide.

 

[7]               En 2003, les demandeurs ont vendu leur appartement et se sont installés dans une autre partie de Haret Hreik, en dehors du secteur de Shoura. Ils expliquent que la vie a été relativement tranquille jusqu’au 9 mai 2006, date à laquelle le demandeur principal a été accosté, emmené contre son gré, interrogé et menacé par des membres du Hezbollah, qui lui ont ordonné de fournir des informations sur les membres de sa famille.

 

[8]               En juillet 2006, quand Israël a bombardé certaines parties de Beyrouth, les demandeurs ont abandonné leur appartement et en ont loué un autre à Hamra, un district situé au sein du secteur ouest de Beyrouth. Le logement des demandeurs était proche du domicile de Saad Al‑Hariri, le chef d’un mouvement appelé « Courant du futur ». Ils soutiennent que lorsque les combats ont diminué en août 2006 le Hezbollah a refusé qu’ils réintègrent l’appartement qu’ils occupaient auparavant à Haret Hreik, à moins qu’ils acceptent de collaborer.

 

[9]               En mai 2008, le demandeur principal a, selon les allégations, été détenu durant trois (3) jours par le Hezbollah, période au cours de laquelle il a été interrogé sur ses voisins sunnites et sur le lieu de résidence de Saad Al-Hariri. Il a aussi été blessé au bras.

 

[10]           En février 2009, le Hezbollah a gardé en détention le demandeur principal durant deux (2) jours, période au cours de laquelle il a exigé une fois de plus qu’il collabore en donnant des informations. Les demandeurs soutiennent que, plus tard, ils ont eu à plusieurs reprises à l’endroit où ils habitaient la visite de membres du Hezbollah qui voulaient qu’ils collaborent.

 

[11]           Les demandeurs ont décidé de fuir au Canada, munis de visas de visiteur. Ils sont arrivés au pays le 29 juin 2010 et ont demandé plus tard l’asile, soit le 6 août 2010.

 

[12]           La Commission a entendu la demande d’asile des demandeurs le 21 juin 2011.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[13]           Dans sa décision, la Commission a jugé que le récit des demandeurs manquait de crédibilité et de vraisemblance relativement à certaines questions déterminantes. Elle a conclu que le harcèlement dont les demandeurs avaient été victimes n’équivalait pas à de la persécution. De plus, le risque qu’ils couraient était le même risque généralisé auquel étaient exposés d’autres citoyens libanais. Enfin, selon la Commission, les demandeurs disposaient à Beyrouth d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable.

 

[14]           Premièrement, en ce qui a trait à la crédibilité du récit des demandeurs, la Commission a relevé les invraisemblances et les omissions suivantes :

 

a.       la Commission a jugé invraisemblable qu’entre 1997 et 2010 le Hezbollah ait harcelé le demandeur principal à six reprises distinctes en vue d’obtenir des informations sur les membres de sa famille à Khiam, alors qu’il n’y avait jamais vécu;

b.      la Commission a jugé invraisemblable que le Hezbollah ait exigé du demandeur principal qu’il collabore et fournisse des informations sur ses voisins sunnites ou sur ce qui se passait au domicile de Saad Al-Hariri, alors que le demandeur principal a déclaré que, le jour, il travaillait à temps plein à l’extérieur de chez lui;

c.       la Commission a jugé que le comportement des demandeurs ne concordait pas avec la crainte qu’ils alléguaient parce qu’en 2003 ils s’étaient installés dans une maison située dans la même banlieue de Beyrouth;

d.      la Commission a jugé invraisemblable que le Hezbollah ait proféré des menaces de violence physique à l’endroit des demandeurs, alors que, le 19 août 2006, la peine qu’on leur a réellement infligée a été de les empêcher d’avoir accès à leur ancien appartement;

e.       la Commission a tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur principal a déclaré ne pas se souvenir d’avoir déposé une dénonciation concernant les mauvais traitements qu’il avait subis lors de sa détention aux mains du Hezbollah au cours de l’été de 1997 jusqu’à ce que la Commission lui rappelle que ce fait était inclus dans ses documents antérieurs;

f.       la Commission a jugé invraisemblable que le demandeur principal et sa mère aient eu fort peu de communications et ignorent le numéro de téléphone ou l’adresse de leur père et époux (respectivement) âgé de soixante-cinq (65) ans, qui était resté à Beyrouth. La Commission n’a pas souscrit à l’explication des demandeurs à cet égard.

 

[15]           La Commission a également fait remarquer que, hormis une blessure au bras en mai 2008, le demandeur principal n’a subi aucune violence physique aux mains du Hezbollah. Cela a amené la Commission à conclure que les tentatives répétées du Hezbollah pour obtenir la collaboration du demandeur principal équivalaient simplement à du harcèlement et ne constituaient pas de la persécution. Par ailleurs, la Commission a conclu que la documentation que les demandeurs avaient présentée afin de démontrer le climat d’agitation politique qui régnait au Liban n’étayait pas leur prétention selon laquelle ils avaient été personnellement pris pour cible; cette documentation dénotait plutôt que les demandeurs s’exposeraient au même risque généralisé que celui auquel étaient confrontés tous les citoyens du Liban. Elle a donc jugé que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y avait aucune chance raisonnable ou possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés s’ils retournaient dans leur pays.

 

[16]           Toutefois, la Commission a fait remarquer que même si les demandeurs avaient pu établir l’existence d’une crainte fondée de persécution — ce qui n’était pas le cas — il existait une PRI viable dans les banlieues de Beyrouth autres que celle de Haret Hreik.

 

La question en litige

[17]           Selon la Cour, la seule question litigieuse en l’espèce est la suivante : les conclusions de la Commission sont-elles raisonnables?

 

Les dispositions législatives applicables

[18]           Les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui s’appliquent en l’espèce sont les suivantes :

notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

La norme de contrôle applicable

[19]           Pour ce qui est des conclusions de la Commission concernant la crédibilité, la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité (Thomas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 53, au paragraphe 12, [2012] ACF no 57; Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354, au paragraphe 26, [2009] ACF no 438; Zarza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 139, au paragraphe 16, [2011] ACF no 196).

 

[20]           Il ressort également de la jurisprudence que la même norme — la raisonnabilité — s’applique aux conclusions relatives à l’existence d’une PRI (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 926, au paragraphe 12, [2011] ACF no 1150). Dans le même ordre d’idées, la question de savoir si un demandeur court un risque de persécution et s’expose à un risque personnalisé est elle aussi susceptible de contrôle en fonction de la norme de la raisonnabilité (Sefa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1190, au paragraphe 21, [2010] ACF no 1660; Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, aux paragraphes 10 et 11, [2009] ACF no 270).

 

[21]           Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190, « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

Les arguments des parties

La position des demandeurs

[22]           Les demandeurs soutiennent que la Commission s’est contredite dans son analyse. Ils avancent également qu’elle a conclu en fait que leur demande était invraisemblable plutôt que dénuée de crédibilité, et qu’il y a une distinction importante à faire à cet égard. De plus, la Commission a commis une erreur au sujet des renseignements qui ont été mentionnés ou non dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP). En outre, elle a commis certaines erreurs de fait et n’a pas tenu compte de leur témoignage. Par ailleurs, elle a mal saisi les faits relatifs au père du demandeur principal, car il a toujours été menacé et pris pour cible par le Hezbollah.

 

[23]           Les demandeurs font également valoir que la Commission s’est trompée dans son analyse concernant la possibilité d’une PRI au Liban. Ils affirment essentiellement qu’il ressort de la preuve documentaire sur le Liban que le Hezbollah est actif sur tout le territoire du pays et, de ce fait, soutiennent-ils, [traduction] « si le Hezbollah jette son dévolu sur vous, il n’y a pas d’endroit où vivre au Liban » (mémoire des demandeurs, au paragraphe 27). Par ailleurs, ils signalent que le gouvernement libanais n’a aucune emprise sur le Hezbollah. Ils avancent également que la décision de la Commission va à l’encontre de la jurisprudence établie au sujet du Liban (Hamadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 317, [2011] ACF no 396; Soueidan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 956, [2001] ACF no 1397).

 

[24]           Troisièmement, les demandeurs allèguent que la Commission a commis une erreur en disant qu’ils ont été victimes de harcèlement plutôt que de persécution. Elle a interprété erronément ce qui constitue de la persécution et a aussi omis des éléments clés qui établissaient l’existence de cette persécution. Par ailleurs, les conclusions que la Commission a tirées étaient conjecturales et elle a entendu leur témoignage mais ne l’a pas écouté.

 

[25]           Enfin, dans leur affidavit supplémentaire et leur mémoire des arguments supplémentaire, les demandeurs mettent également en doute la compétence des commissaires actuels de la Commission ainsi que leur aptitude à trancher les affaires de demande d’asile, eu égard à de récentes statistiques concernant les résultats d’examen de plusieurs commissaires qui sont ressorties dans quelques demandes d’accès à l’information que le demandeur a présentées. Selon les demandeurs, il existe une crainte d’incompétence institutionnelle de la part de tous les commissaires et, de ce fait, la décision que la Commission a rendue en l’espèce est ultra vires.

 

La position du défendeur

[26]           En ce qui concerne la crédibilité des demandeurs, le défendeur rappelle que la Commission est mieux placée que la Cour pour en juger, car il s’agit d’une conclusion de fait. Par ailleurs, soutient-il, contrairement à ce que les demandeurs font remarquer, la Commission n’était pas obligée de déterminer si toutes leurs allégations étaient véridiques. Au lieu de cela, il lui était loisible de tirer des inférences défavorables et, en fin de compte, d’évaluer défavorablement la crédibilité en se fondant sur les incohérences et les invraisemblances du récit des demandeurs. Par ailleurs, rien n’indique que la Commission a fait abstraction du contenu de leur FPR.

 

[27]           Deuxièmement, le défendeur soutient que le harcèlement dont le demandeur principal a été victime n’équivaut pas à de la persécution. Si ce dernier craignait véritablement pour sa vie, il aurait réagi différemment aux exigences et aux menaces constantes du Hezbollah; la Commission a fait remarquer que le demandeur n’avait ni obtempéré aux exigences du Hezbollah ni tenté de se cacher. De plus, le défendeur rappelle que la seule forme de violence physique dont le demandeur principal a réellement été victime est un coup au bras, le 11 mai 2008. Cela étant, le défendeur affirme que la Commission a raisonnablement conclu que le harcèlement ou la discrimination que les demandeurs auraient subis ne constituait pas de la persécution, car ce terme a été défini comme désignant « l’infliction répétée d’actes de cruauté ou l’infliction systématique d’un châtiment au cours d’une période de temps déterminée » (Rajudeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1984] ACF no 601, 55 NR 129; Olearczyk c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1989] ACF no 322, 8 Imm LR (2d) 18; Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, [1993] ACS no 74).

 

[28]           Troisièmement, le défendeur estime que le risque que courent les demandeurs touche en fait de façon générale la population du Liban. Selon lui, il est bien établi en droit que pour être considéré comme ayant la qualité d’une personne à protéger, il faut être exposé à un risque personnalisé, et non pas à un risque auquel sont généralement confrontés les autres citoyens du pays (Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, [2008] ACF no 415; Ould c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 83, [2007] ACF no 103). C’est donc dire, d’après le défendeur, que la conclusion que la Commission a tirée sur cette question est raisonnable, car les demandeurs ont vécu la même situation que la population générale de leur pays à cause de l’agitation politique généralisée.

 

[29]           Enfin, pour ce qui est des arguments invoqués dans l’affidavit supplémentaire et le mémoire des arguments supplémentaire des demandeurs, le défendeur réplique que rien ne dénote dans leurs éléments de preuve documentaires que le commissaire en question peut être considéré comme incompétent. Les arguments des demandeurs ne sont selon lui que de simples  conjectures et ils sont en soi mal fondés, inexacts, injustifiés et absurdes.

 

Analyse

[30]           La Cour est d’avis que la question de la crédibilité des demandeurs est déterminante en l’espèce.

 

[31]           À titre de tribunal spécialisé, la Commission est en droit de tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité en présence d’incohérences et de contradictions et aussi  d’apprécier la vraisemblance d’un témoignage (voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 732, 160 NR 315 [Aguebor]; Razm c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 373, 164 FTR 140). Par ailleurs, il est important de signaler qu’il incombe au demandeur d’asile de démontrer que les inférences et les conclusions que tire la Commission sont déraisonnables. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Aguebor, précité, au paragraphe 4 : « [d]ans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire ».

 

[32]           Les demandeurs soutiennent qu’en l’espèce la Commission s’est trompée dans son analyse de la crédibilité de leur récit car elle a fait des déclarations contradictoires, elle a commis des erreurs de fait, elle mal saisi certains faits et elle n’a pas tenu compte de leur témoignage.

 

[33]           Cependant, après avoir pris en considération la preuve documentaire et le témoignage des demandeurs, la Cour se doit de conclure au caractère raisonnable de la décision. La Commission a relevé les principales omissions et invraisemblances : il était peu vraisemblable que le Hezbollah harcèle de façon constante le demandeur principal, alors que celui-ci n’avait jamais vécu à Khiam et qu’il avait affirmé à un certain nombre de reprises qu’il ne pouvait pas fournir d’informations; le comportement des demandeurs ne concordait pas avec leur crainte alléguée de persécution; lors de son témoignage, le demandeur principal n’a pas pu se souvenir d’un élément factuel clé figurant dans son exposé circonstancié.

 

[34]           De plus, la Cour ne souscrit pas aux arguments des demandeurs selon lesquels la Commission a fait des déclarations contradictoires, équivoques ou fausses. Au contraire, cette dernière a expliqué de manière claire et exhaustive pourquoi elle rejetait leurs explications. Après avoir examiné les observations des demandeurs, la Cour conclut qu’ils ne se sont pas acquittés du fardeau d’établir que la décision de la Commission sur leur crédibilité était déraisonnable.

 

[35]           En conséquence, conformément à la décision Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262, [2009] ACF no 1591, étant donné que la conclusion défavorable quant à la crédibilité est déterminante, le fait que les demandeurs n’aient pas pu prouver que cette conclusion est déraisonnable porte un coup fatal à leur demande, et il n’est donc pas nécessaire de traiter d’autres questions en l’espèce (voir Salim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1592, au paragraphe 31, 144 ACWA (3d) 326; Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1995] 3 RCS 593, au paragraphe 147, 58 ACWS (3d) 287).

 

[36]           Enfin, les demandeurs soutiennent que plusieurs commissaires actuels de la Commission se sont inscrits à un concours tenu par la Commission de la fonction publique du Canada en vue du recrutement de futurs commissaires de la Section de la protection des réfugiés et n’ont pas été retenus. Les demandeurs invitent donc la Cour à déclarer que tous les commissaires actuels sont de ce fait incompétents pour entendre une demande d’asile jusqu’à l’entrée en vigueur, le 29 juin 2012, de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés. (Ce même argument a aussi été invoqué par l’avocat des demandeurs dans le dossier IMM-6317-11).

 

[37]           L’examen auquel font référence les demandeurs fait suite à une réforme de la procédure de nomination des commissaires de la CISR (Martin Jones et Sasha Baglay, Refugee Law, (Toronto : Irwin Law, 2007) à la page 22) :

a.       sélection initiale et examen écrit;

b.      sélection au mérite des candidats par un comité consultatif formé d’universitaires, d’avocats et de représentants d’ONG;

c.       entrevues, contrôles des références, et examen des évaluations par le jury de sélection, formé de hauts fonctionnaires de la CISR et d’experts externes relevant d’autres tribunaux;

d.      en fonction des évaluations du comité consultatif et du jury de sélection, le président de la CISR recommande les candidats retenus au ministre de CIC;

e.       le ministre fait part de ses recommandations au gouverneur en conseil.

 

[38]           Les demandeurs sont d’avis qu’étant donné qu’un certain nombre de commissaires actuels ont échoué à l’examen tenu dans le cadre de la réforme du processus de nomination des commissaires de la CISR, tous les commissaires actuels sont incompétents pour entendre les demandes d’asile et il y a une crainte d’incompétence institutionnelle de la part de chacun d’entre eux.

 

[39]           Ceci étant dit avec égards, dans les circonstances, l’argument des demandeurs repose sur des conjectures. Par exemple, il n’existe aucune preuve au sujet des questions posées à l’examen. À l’audience tenue devant la Cour, l’avocat des demandeurs a confirmé que les résultats de l’examen sont confidentiels. De plus, rien ne prouve que le commissaire chargé de la présente affaire a échoué à l’examen ou y a réussi. Et, par-dessus tout, rien ne prouve que le commissaire a bel et bien fait l’examen.

 

[40]           De façon générale, la Cour rappelle que les limites des statistiques sont bien connues (Es‑-Sayyid c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 59, au paragraphe 55, [2012] ACF no 250). Plus précisément, dans le cas présent, la Cour conclut que l’interprétation qu’avance le demandeur en se fondant sur des statistiques est tirée par les cheveux, et la Cour n’est pas d’accord pour dire qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur. Vu le manque de preuves et de fondement factuel, l’argument du demandeur est donc rejeté.

 

[41]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la décision de la Commission est raisonnable et, de ce fait, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Les questions qu’il a été proposé de certifier

[42]           Les demandeurs proposent que les questions suivantes soient certifiées :

Question no 1 :

[traduction] « Étant donné que les commissaires actuellement nommés par le gouverneur en conseil (GC) et les futurs commissaires de la SPR qui seront membres de la fonction publique seront appelés à interpréter la même définition d’un réfugié et d’une personne à protéger, le fait que des commissaires nommés par le GC n’aient pas réussi à l’examen tenu lors du processus de sélection visant à faire d’eux de futurs membres de la fonction publique, dans le cadre du projet de loi C-11, est-il le signe d’une incompétence manifeste et les rend-ils inadmissibles à titre de décideurs? »

 

Question no 2 :

[traduction] « Si la réponse à la première question est OUI, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié viole-t-elle les principes de justice naturelle et les droits que la Charte confère aux demandeurs d’asile et aux personnes à protéger? »

 

Question 3 :

[traduction] « Si la réponse à la première question est OUI, cela créerait-il deux régimes discriminatoires pour les demandeurs d’asile et les personnes à protéger, le premier dans le cadre de la loi actuellement en vigueur et le second dans le cadre du projet de loi C-11? »

 

 

[43]           La Cour d’appel fédérale a énoncé quels sont les critères prévus pour la certification d’une question de portée générale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage (CAF), [1994] ACF no 1637, 176 NR 4. Les questions proposées doivent transcender les intérêts des parties au litige, aborder des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et être déterminantes quant à l’issue de l’appel. De l’avis de la Cour, les questions que les demandeurs ont formulées ne répondent pas à ces critères.

 

[44]           La première question que soumettent les demandeurs invite simplement à formuler des conjectures et, au vu des faits de l’espèce, elle ne permettrait pas de trancher l’appel. De plus, la Cour a jugé qu’il n’y a pas lieu de conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité ou d’incompétence institutionnelle. La Cour convient avec le défendeur que la question, telle qu’elle est formulée, est plutôt de la nature d’une question de renvoi (Pillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1417, [2001] ACF no 1944). Il ne convient donc pas de la certifier.

 

[45]           Compte tenu de la réponse négative à la première question, il n’est nul besoin de répondre  aux deux suivantes.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5987-11

 

INTITULÉ :                                      CHADI FAOUR et al c MCI

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 20 MARS 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 4 MAI 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan M. Bohbot

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Margarita Tzavelakos

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Me Dan M. Bohbot

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.