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Date : 20120426


Dossier : T‑2171‑10

Référence : 2012 CF 488

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

JOHN KING

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur a été engagé en 1989 comme inspecteur des douanes à l’Aéroport international Pearson [l’AIP]. Il a été mis en congé payé en 1996 pour remplir à plein temps des fonctions syndicales. L’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] l’a licencié en 1997 après qu’il eut affiché sur le site Web du syndicat deux messages qui, selon l’administrateur général, conseillaient ou essayaient de susciter un arrêt de travail illégal.

 

[2]               Soutenant que l’employeur avait violé la clause de la convention collective interdisant la discrimination, ainsi que la disposition de non-intervention de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22 [la LRTFP], le demandeur a déposé des griefs contre sa suspension de 30 jours prononcée le 2 novembre 2007 et contre son licenciement en date du 20 du même mois. Trois ans plus tard, le 29 novembre 2010, le membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique [la Commission] désigné comme arbitre a rejeté ces griefs par la décision King c Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 125, qui a donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               Les conclusions de l’arbitre de grief peuvent se résumer comme suit : la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 [la LGFP], conférait à l’administrateur général le pouvoir général d’infliger des sanctions disciplinaires au demandeur; les messages affichés sur le site Web du syndicat avaient pour objet de « conseiller » ou de « susciter » une grève illégale, contrevenant ainsi au paragraphe 194(1) de la LRTFP; par conséquent, l’employeur n’avait violé ni la clause antidiscrimination de la convention collective ni la disposition de non-intervention de la LRTFP; et les mesures disciplinaires prononcées par l’employeur étaient justifiées et raisonnables au vu des faits.

 

[4]               La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Pour les motifs dont l’exposé suit, les conclusions de fait et de droit de l’arbitre de grief sont raisonnables. En conséquence, la Cour doit s’abstenir de substituer sa propre opinion à celle de l’arbitre de grief, même si elle a des doutes sur la justesse de l’interprétation que ce dernier a donnée du paragraphe 194(1) de la LRTFP. La Cour s’estime en effet tenue d’appliquer ici la norme du caractère raisonnable, étant donné la jurisprudence la plus récente de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême du Canada.

 

I.          LE CONTEXTE

[5]               Cinq personnes, y compris l’administrateur général [M. John Gillan], ont témoigné pour la direction dans la procédure d’arbitrage, et trois, y compris le demandeur, pour le syndicat. Comme il n’y avait pas de sténographe à l’audience, nous ne disposons pas de transcription de celle‑ci. Aux fins d’établir le contexte, la Cour a examiné la récapitulation de la preuve que donne la décision attaquée (paragraphes 8 à 72), les nombreuses pièces déposées à l’audience par le demandeur et l’employeur, y compris leurs observations écrites, ainsi que les affidavits produits dans la présente instance (voir les volumes I, II et III du dossier de la demande du demandeur).

 

            Les fonctions syndicales du demandeur

[6]               Le demandeur est entré chez l’employeur en 1989 comme inspecteur des douanes, poste plus tard rebaptisé « agent des services frontaliers » à l’AIP. En novembre 1999, les inspecteurs des douanes, jusque‑là employés par Revenu Canada, sont passés dans la dépendance d’un organisme nouvellement créé : l’Agence des douanes et du revenu du Canada. En décembre 2003, ils ont été placés sous la direction d’un autre organisme, soit l’ASFC, qui regroupait aussi les inspecteurs agricoles –  auparavant employés par l’Agence canadienne d’inspection des aliments –  et les agents du service de l’immigration de l’AIP. Ces trois groupes étaient désignés [traduction] « les anciens groupes » par l’employeur comme par le syndicat.

 

[7]               À l’été 1990, le demandeur est devenu délégué de la section locale 24 de l’Union Douanes Accise [la CEUDA], élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada [l’AFPC]. En 1993, il a été élu vice-président de cette section locale, pour ensuite en assumer la présidence de 1996 à 1999 et de 2005 à juin 2008. De 1999 à 2005, il a travaillé à l’exécutif national de la CEUDA.

 

[8]               Il n’est pas contesté que le demandeur agissait en sa qualité de représentant syndical au moment où il aurait commis les fautes qu’on lui reproche et où l’employeur lui a infligé les sanctions disciplinaires considérées. À cette époque, le demandeur cherchait activement à régler un conflit de longue date touchant les ententes sur les postes à horaires variables [les EPHV].

 

            Les ententes sur les postes à horaires variables

[9]               Les anciens groupes avaient tous des horaires de travail différents. Le groupe de l’immigration suivait un horaire variable consistant en deux jours de travail, deux jours de congé, puis trois jours de travail suivis de trois jours de repos (l’horaire 2/2). Le groupe de l’agriculture travaillait quatre jours d’affilée, pour ensuite prendre quatre jours de congé (l’horaire 4/4). Quant au groupe des inspecteurs des douanes, il était astreint à l’horaire le moins intéressant : cinq jours de travail, puis trois jours de congé (l’horaire 5/3); c’était encore le cas en décembre 2006.

 

[10]           Comme la direction avait systématiquement rejeté la formule proposée par l’AFPC d’un horaire 5/4 pour les employés de l’ancien groupe des douanes, la section locale 24 de la CEUDA a soumis la question au vote de ses membres en décembre 2006. Tous les agents des services frontaliers travaillant aux Opérations passagers ont voté contre les EPHV en vigueur. La section locale 24 de la CEUDA a alors immédiatement annulé l’horaire 5/3 pour le personnel des douanes et a proposé à l’employeur de négocier une nouvelle EPHV sous le régime du paragraphe 25.22 de la convention collective, faute de quoi serait remis en vigueur l’horaire de roulement prévu aux paragraphes 25.13 et 25.17 de cette dernière.

 

[11]           Les discussions sur la question des EPHV entre l’ASFC et la CEUDA se sont poursuivies en janvier et février 2007. Cependant, se fondant sur l’alinéa 25.22b) de la convention collective, l’ASFC a en fin de compte adopté, sans avoir obtenu l’accord de l’AFPC ni l’avoir consultée, un horaire 6/2 qui prévoyait des heures d’arrivée hors norme pour les employés de l’ancien groupe des douanes, ce qui les obligeait à travailler 60 jours de plus par an que dans le cadre de l’EPHV antérieure. Le nouvel horaire est entré en vigueur le 12 février 2007. Selon le dossier produit devant la Cour, les représentants de la direction comme ceux du syndicat ont formulé à diverses occasions le constat que les nouveaux horaires normaux mécontentaient les employés concernés, causaient de graves tensions, nécessitaient de fréquentes adaptations et entraînaient souvent des problèmes d’épuisement professionnel.

 

            Le grief de principe

[12]           Le 27 février 2007, l’AFPC a déposé contre le nouvel horaire de roulement 6/2 un grief de principe où elle soutenait que cet horaire enfreignait le paragraphe 25.17 de la convention collective et constituait une violation fondamentale de celle‑ci. L’AFPC faisait également valoir que l’employeur, en violation de l’alinéa 25.22b) de la convention collective, non seulement n’avait pas [traduction] « véritablement consulté » le syndicat avant de mettre en œuvre le nouvel horaire de roulement, mais n’avait pas non plus démontré la nécessité d’augmenter le nombre des postes de l’horaire, que ce soit afin de « répondre aux besoins du public » ou d’« assurer le bon fonctionnement du service ».

 

[13]           Plus de deux ans après, soit en mai 2009, le grief de principe a été partiellement accueilli malgré l’objection de l’employeur selon laquelle la question n’avait plus qu’un caractère théorique. L’arbitre saisi du grief a déclaré que l’employeur avait violé la convention collective pour ce qui concerne trois heures de début de poste aux Opérations passagers et une heure de début de poste aux Opérations commerciales; voir Alliance de la Fonction publique du Canada c Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CRTFP 66.

           

            Le débat sur le droit de déclarer la grève

[14]           La convention collective avait expiré le 20 juin 2007. Tout au long de l’été 2007, les parties sont restées en désaccord sur la question des horaires de roulement, malgré les efforts considérables déployés par l’ASFC et la section locale 24 de la CEUDA pour conclure définitivement une nouvelle EPHV, et les progrès sensibles réalisés dans ce sens. La tension et le mécontentement généraux que causait l’horaire 6/2 chez les employés touchés a amené un certain nombre de membres de la section locale 24 de la CEUDA à déposer des plaintes et à appeler à l’action, et les discussions relatives à l’EPHV ont graduellement provoqué un différend avec la direction touchant le point de savoir si les actes de l’ASFC donnaient à cette section locale le droit de déclarer la grève.

 

[15]           Au niveau intrasyndical, le débat a été engagé par M. Brian O’Farrell, agent de la section locale 24 de la CEUDA, qui a écrit le 22 juin 2007 au président de cette section (le demandeur) et au président national de la CEUDA (Ron Moran) que six membres de ladite section s’étaient enquis auprès de lui [traduction] « de l’opportunité d’une interruption des services », invitant les destinataires de sa lettre à [traduction] « préciser à quel moment il serait permis aux syndiqués de refuser leurs services sans craindre de représailles ». Le représentant syndical ajoutait qu’il y avait lieu de [traduction] « considérer la question comme urgente, étant donné que les fortes têtes parmi les syndiqués pourraient ne pas être disposées à attendre calmement la vérification demandée ».

 

[16]           C’est dans ce contexte que le demandeur, prenant le relais, a écrit à plusieurs reprises à M. Moran aussi bien qu’à M. Gordon (le président national de l’AFPC) pour leur demander conseils et éclaircissements touchant les possibilités légales, y compris celle de la grève, qui s’offraient aux membres de la section locale 24 vu l’état des choses. Au cours des discussions menées avec le bureau national de la CEUDA, M. Moran a obtenu confirmation du fait qu’il fallait qu’une entente sur les services essentiels soit conclue avant qu’une unité de négociation ait le droit de déclarer la grève, mais il a fait savoir qu’il demanderait un avis juridique sur les recours licites possibles, comme l’en avait prié la section locale 24 de la CEUDA (voir les lettres de M. Moran datées des 23 et 25 juin 2007).

 

[17]           Le demandeur a répondu à ces lettres en posant une autre question, soit celle de savoir si les employés concernés pouvaient se présenter au travail suivant l’horaire de roulement normal prévu au paragraphe 25.17 de la convention collective (lettre du demandeur en date du 27 juin 2007). La correspondance échangée entre le demandeur et le bureau national en juillet 2007 montre qu’il souhaitait un règlement plus rapide du problème.

 

[18]           Le 11 juillet 2007, M. Moran a fait le point sur la situation pour le demandeur, qui lui a répondu en s’enquérant des mesures que l’AFPC comptait prendre à l’étape suivante pour mettre un terme à la violation de la convention collective. M. Moran lui a répondu à son tour le 12 juillet 2007 dans les termes suivants :

[traduction]

 

En ce qui concerne les prochaines mesures, j’ai maintenant présenté comme vous le savez une demande formelle d’avis juridique […] Pour sa part, l’agent négociateur poursuit le grief de principe qui franchit actuellement les étapes de la procédure. Je suis entièrement d’accord avec vous pour dire que ces mesures ne représentent pas la solution rapide que les syndiqués concernés aimeraient obtenir, mais elles n’en constituent pas moins les seuls recours établis dont nous disposions actuellement […]

 

À mon avis, la prochaine mesure devrait à l’évidence être de faire savoir aux syndiqués concernés que, à moins d’une action individuelle de leur part, cette question ne se réglera pas à brève échéance. On pourrait leur rappeler qu’aider l’employeur à faire marcher l’horaire 6/2, par exemple en acceptant des heures supplémentaires, représente à n’en pas douter un excellent point de départ (quoiqu’on ne devrait aucunement s’arrêter là). Sachant fort bien comment fonctionnent le Bureau du ministre et les médias, je peux vous assurer que, à moins de perturbations du travail, cette question ne retiendra pas longtemps leur attention.

 

                                    [Non souligné dans l’original.]

[19]           Le demandeur a répondu en ces termes le 13 juillet 2007 :

[traduction]

[…]

 

Les membres de notre section locale ont besoin de recevoir d’un président national une directive nous disant de ne nous présenter au travail pour aucun autre poste que ceux que prévoit le paragraphe 25.17, à moins que l’ASFC n’invoque les nécessités du service, comme elle est censée le faire et conformément à notre interprétation de la convention-cadre.

 

Une fois que John ou vous aurez donné la directive d’appliquer la convention à la lettre, nous ferons le reste. Une telle action entraînera certainement un règlement rapide.

 

[…]

 

Tout ce qu’il nous faut, c’est que notre syndicat approuve et appuie notre volonté d’appliquer notre convention comme nous l’interprétons. S’il ne peut même pas faire cela, un changement s’impose.

 

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[20]           Le 13 juillet 2007, M. O’Farrell a envoyé une copie de la correspondance qui précède au ministre de la Sécurité publique, M. Stockwell Day, au Premier ministre Harper, à M. Vic Toews, président du Conseil du Trésor, et à M. Stephen Rigby, administrateur général de l’ASFC (pièce E‑1, onglet 8).

 

[21]           L’employeur a interprété comme suit cette correspondance devant l’arbitre de grief : M. Moran disait au demandeur que les syndiqués n’avaient pas le droit de faire grève, mais qu’il devrait les encourager à exercer individuellement des moyens de pression illégaux, que les menaces ne suffisaient plus et qu’il fallait maintenant prendre des mesures plus concrètes. Le demandeur réagissait en pressant M. Moran et le bureau national de la CEUDA d’appuyer des actions de grève. C’est en effet ainsi qu’il fallait interpréter le fait qu’il demandait l’autorisation pour les employés de ne se présenter à aucun autre poste que les postes normaux prévus au paragraphe 25.17 de la convention collective.

 

[22]           M. Norm Sheridan, l’un des représentants de l’employeur, a déclaré à l’audience d’arbitrage qu’une telle action de la part des syndiqués aurait eu pour effet une perturbation massive des services, étant donné que 65 % de son personnel étaient inscrits à des postes autres que ceux prévus au paragraphe 25.17. Ce que préconisait le demandeur, c’était le refus d’assurer la majorité des postes de travail établis par l’employeur et que le syndicat avait contestés par un grief de principe qui suivait le cours de la procédure. De quelque point de vue qu’on l’envisage, l’abstention recommandée était une action de grève illégale à grande échelle. M. Sheridan a ajouté dans son témoignage que cette action aurait rendu impossible l’exécution du programme et qu’elle aurait fait sentir ses effets en aval en immobilisant des avions sur le tarmac. Bref, selon M. Sheridan, il s’en serait suivi un [traduction] « désordre indescriptible ».

 

[23]           Après ses échanges de lettres avec M. Moran, le demandeur a écrit à deux autres représentants syndicaux, MM. Steve Pellerin‑Fowlie et Gerry Halabecki, concernant la légalité d’une grève tournante ou articulée; il leur demandait leur avis touchant les mesures qui constitueraient ou pourraient constituer une action de grève illégale dans la situation considérée, eu égard aux faits que la convention collective avait expiré le 20 juin 2007 et que l’employeur n’avait pas pris de mesures pour négocier une entente sur les services essentiels (lettre en date du 20 juillet 2007).

 

[24]           Le 26 juillet 2007, le demandeur a envoyé à plusieurs représentants de la direction de l’ASFC (dont M. John Gillan) et agents de la CEUDA un courriel où il déclarait que, étant donné l’expiration de la convention collective, et le fait que l’employeur refusait de se conformer à cette dernière et n’ait pas cherché à négocier d’ententes sur les services essentiels, le syndicat avait légalement le droit de cesser le travail. Il y demandait aussi à la direction régionale de proposer des dates où syndicat et employeur pourraient tenir des consultations en bonne et due forme touchant toutes préoccupations ou tous arguments juridiques de l’employeur. Le même jour, M. Gillan a exprimé l’avis que la convention collective restait en vigueur et que le syndicat n’était pas en droit de déclarer la grève.

 

[25]           M. Moran a reçu un avis juridique sur cette question le 2 août 2007. Cet avis, établi par un conseiller juridique indépendant, portait pour l’essentiel que, vu les principes et la jurisprudence applicables, les employés ne semblaient pas avoir le droit de refuser de se conformer à l’horaire de roulement imposé (EPHV) et que la meilleure façon de régler ce problème était de conclure un accord avec l’employeur ou de diligenter l’arbitrage du grief de principe. Reconnaissant la possibilité d’invoquer comme motif du refus de se conformer à l’horaire imposé (EPHV) le risque d’un préjudice irréparable pour les employés, le conseiller juridique offrait de réexaminer son avis [traduction] « quand on disposera[it] d’autres renseignements sur le risque d’un tel préjudice irréparable ».

 

[26]           Estimant l’avis juridique peu concluant relativement aux droits des membres de la section locale 24 de la CEUDA, le demandeur a adressé à MM. Moran et Gordon le 15 août 2007 un courriel où il demandait un complément d’examen par le conseiller juridique de circonstances factuelles déterminées en question dans le différend sur l’EPHV. Le demandeur y réclamait des éclaircissements sur le point de savoir si s’appliquait au cas de sa section locale l’exception à la règle [traduction] « obéir d’abord et se plaindre ensuite » que justifie une violation [traduction] « manifeste » de la convention collective par l’employeur.

 

[27]           Le demandeur écrit notamment ce qui suit dans ce courriel du 15 août 2007 :

[traduction]

 

Pourquoi devrions-nous nous conformer intégralement à la convention collective alors que l’employeur ne le fait pas?

 

[…] Pourquoi ne voulez-vous pas donner pour directive aux membres de notre section de se présenter au travail suivant l’horaire de roulement normal prévu au paragraphe 25.17, conformément à l’interprétation de la convention collective par l’AFPC, ou n’avisez-vous pas l’ASFC que vous nous recommanderez d’appliquer la convention selon notre interprétation si cette question ne se règle pas?

 

                                                   [Non souligné dans l’original.]

 

[28]           Le 24 août 2007, M. Gordon a écrit en réponse au demandeur que le grief de principe était la manière adéquate de régler ce problème, soutenant que cette solution ne revenait pas à s’abstenir de protéger les droits des syndiqués ni ne valait consentement aux actes de l’employeur. Le demandeur a adressé sa réponse à M. Gordon le même jour; il y réaffirmait son point de vue selon lequel les syndiqués avaient le droit de cesser le travail même en l’absence d’une entente sur les services essentiels et y engageait l’AFPC à exprimer sa position finale sur la question.  

 

[29]           Ces événements nous amènent aux deux messages affichés sur le site Web du syndicat qui ont entraîné l’infliction au demandeur des sanctions disciplinaires considérées, soit la suspension de 30 jours et le licenciement.

 

            Le premier message Web

[30]           Le premier courriel affiché sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA, daté du 11 septembre 2007, est une mise à jour sur certaines des activités de cette section touchant les négociations relatives à l’EPHV. Ce message reproduit en fait la réponse, écrite à la même date par le demandeur, au courriel d’un syndiqué qui voulait savoir où en étaient ces négociations. Ledit message est rédigé comme suit :

[traduction]

 

Camarades,

 

Nous avions convenu qu’un comité paritaire de ressources se réunirait à Toronto en juillet dernier pour essayer de débloquer la situation. Mais Barbara Hebert s’est décommandée.

 

Notre quatrième vice-président national a suggéré qu’on fasse appel à un médiateur pour essayer de régler le problème. Encore une fois, John Gillan a rejeté l’idée, déclarant que ce n’était pas nécessaire.

 

Nous avons communiqué à l’employeur des propositions additionnelles concernant les Opérations commerciales, afin qu’il les examine et nous donne son opinion sur leur faisabilité opérationnelle, mais il ne nous a toujours pas répondu.

 

À mon avis, la direction profitait du complément de personnel dont elle disposait (les étudiants) et prenait votre température au cours de cette période estivale, s’efforçant de vous faire céder et espérant que vous vous épuiseriez.

 

Il se peut aussi que la direction ait attendu de voir ce qui se passerait à Montréal. Nos camarades montréalais ont apparemment eux aussi dit à l’employeur ce qu’ils pensaient de sa proposition et se trouvent maintenant dans une situation analogue à la nôtre, menacés eux-mêmes de la possibilité d’un horaire 6/2.

 

Entre-temps, je presse l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA d’appuyer un arrêt immédiat du travail. Nous faisons pression sur la direction pour l’inciter à reprendre les discussions et à négocier de bonne foi. J’espère que c’est dans cet esprit que Gillan se présentera au rendez-vous qu’il a avec nous lundi prochain, et que cette réunion ne sera pas qu’une occasion pour lui de voir si nous sommes disposés à faire des concessions.

 

Si la direction accepte de nous rencontrer et ne propose rien de plus que ce qu’elle a proposé en février dernier, préparez-vous à soutenir des actions syndicales ultérieures.

 

Solidairement vôtre,

 

John King

 

                                                 [Non souligné dans l’original.]

 

[31]           L’employeur de son côté a chargé Mme Julie Burke, agent des relations de travail à l’ASFC, de surveiller le site Web du syndicat. La direction a pris connaissance du message en question le 14 septembre 2007, mais sans prendre de mesures immédiates. Les négociations en vue d’une EPHV se sont poursuivies sous la forme d’une réunion tenue à l’AIP le 17 septembre 2007.  Le 29 octobre 2007, soit plus de six semaines après la publication du message, l’employeur a avisé le demandeur que s’il ne retirait pas celui‑ci du site Web du syndicat au plus tard le 31 octobre, il ferait l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.

 

[32]           L’employeur a aussi informé le demandeur qu’une audience disciplinaire par téléconférence était prévue pour le 31 octobre 2007 concernant l’affichage du message en cause. Il est à noter que la lettre en date du 29 octobre 2007 adressée au négociateur de l’AFPC par M. Marc Thibodeau en sa qualité de cadre principalement concerné du Secrétariat du Conseil du Trésor portait aussi que le message du 11 septembre 2007 enfreignait le paragraphe 194(1) de la LRTFP, et précisait que l’employeur envisagerait de porter plainte devant la Commission si les passages contestés de ce message n’étaient pas retirés du site Web avant le 31 octobre 2007 à 17 heures.

 

[33]           Le 30 octobre 2007, le demandeur a envoyé au webmestre un courriel où il le priait de retirer le message considéré de la page Web du syndicat, ce qui a été fait le même jour. Avant l’audience disciplinaire, le demandeur a aussi adressé entre autres à M. Gillan un courriel où il affirmait ne pas avoir donné pour directive aux membres de la CEUDA de participer à quelque action que ce soit ou de s’abstenir d’exécuter l’une quelconque de leurs tâches. Il y déclarait aussi qu’il n’avait pas eu l’intention de conseiller ou de susciter une activité illégale, rappelant qu’il demandait un avis juridique sur la question depuis l’imposition de l’horaire de roulement 6/2.

 

[34]           À la question de savoir ce que signifiait l’expression [traduction] « un arrêt immédiat du travail » qu’on lui a posée à son audience disciplinaire du 31 octobre 2007, le demandeur a répondu qu’il attendait toujours une directive de l’AFPC. Il a ajouté que M. Gordon [traduction] « donnerait la directive » et qu’il n’[traduction] « incitait » pas à la grève. On n’a pas interrogé le demandeur sur ce qu’il entendait par [traduction] « des actions syndicales ultérieures ». Cependant, il a déclaré devant l’arbitre de grief que les actions syndicales envisagées étaient par exemple des campagnes épistolaires, l’établissement de piquets d’information et le recours à la participation des familles des membres de l’unité de négociation, tous moyens de pression qui n’avaient rien d’illégal.

 

[35]           Le 2 novembre 2007, après l’audience disciplinaire, le demandeur a envoyé à M. Gillan, à d’autres membres de la direction de l’ASFC et au ministre de la Sécurité publique un courriel où il déclarait que les actes de l’employeur constituaient selon lui une atteinte aux droits que lui garantissait la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [la Charte], et que ces actes étaient [traduction] « perçus comme une attaque, au moyen de ce qu’on ne peut décrire que comme une mesure de censure illégale de la part de l’État, contre notre droit fondamental de communiquer avec les membres de notre syndicat ». M. Gillan lui a répondu en citant les passages du message Web du demandeur auxquels l’employeur trouvait à redire.

 

[36]           Le plaignant a répondu à M. Gillan dans les termes suivants :

[traduction]

 

Le syndicat a parfaitement le droit de mobiliser ses membres en vue d’actions à venir.

 

Il n’est pas permis à l’ASFC de s’ingérer dans les mesures que prend un syndicat pour se préparer à des actions qu’il a le droit de décider et d’organiser. Nous sommes en droit de garder le contrôle de l’administration de notre syndicat.

 

[…]

 

J’ai bien précisé que nous n’avions pas l’intention d’aller de l’avant avant d’avoir reçu un avis juridique ou demandé le soutien de l’agent négociateur.

 

Vous et vos supérieurs êtes manifestement obsédés par la volonté de me prendre pour cible, de faire fermer notre section locale et d’empêcher notre syndicat de communiquer efficacement avec ses membres […]

 

Vos actes ne feront qu’aggraver le conflit de travail qui afflige actuellement notre région.

 

Tant que nous ne donnons pas de directives, ce que, à l’évidence, nous n’avons pas fait, nous avons parfaitement le droit d’informer les membres de notre syndicat sur les points de savoir si nous demandons un soutien, à qui nous le demandons et à propos de quoi.

 

[…]

 

                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

[37]           Plus tard le même jour, bien que le demandeur se soit conformé à l’exigence de l’ASFC et malgré les explications données à l’audience disciplinaire (le 31 octobre 2007) et quelques jours plus tard (le 2 novembre), l’employeur a prononcé une suspension de 30 jours contre lui au motif de la publication du message Web en question. M. Gillan [l’administrateur général] a expliqué cette mesure disciplinaire en faisant valoir que la déclaration du demandeur revenait à [traduction] « conseiller ou essayer de susciter un arrêt de travail illégal » sous le régime du paragraphe 194(1) de la LRTFP, ce qui constituait [traduction] « une faute disciplinaire grave et une infraction à la LRTFP ».

 

[38]           L’administrateur général a aussi donné au demandeur l’avertissement suivant : [traduction] « [V]os communications et actions devront désormais être conformes au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, au Code de conduite de l’ASFC, ainsi qu’aux lois, politiques et directives qui les sous-tendent. Sachez que tout manquement à cette exigence pourra donner lieu à des sanctions disciplinaires plus lourdes, jusque et y compris le licenciement. »

 

            Le deuxième message Web

[39]           Le 3 novembre 2007, un deuxième message a été publié sur le site Web de la section locale 24 du CEUDA. Ce message s’adressait aux membres de l’unité de négociation et se présentait comme visant à les informer du motif de la suspension du demandeur. Afin d’éviter toute ambiguïté, je reproduis ici ce message dans son intégralité :

[traduction]

 

Un bon nombre d’entre vous savez déjà qu’on vient de m’infliger une autre suspension de 30 jours sans traitement. En conséquence, mon accès aux locaux de l’ASFC sera restreint jusqu’au 14 décembre 2007.

 

Ce qui est à retenir dans cette sanction disciplinaire, c’est le moment où elle a été prononcée, les motifs dont on prétend l’étayer et le fait que c’est là la troisième suspension dont j’ai fait l’objet depuis que John Gillan est devenu directeur régional pour la RGT, au printemps 2006.

 

Le bon côté de la chose, c’est qu’au cours des négociations régionales en vue d’une EPHV, des hauts fonctionnaires (pas tous) de notre région et d’Ottawa ont finalement été démasqués.

 

Vous avez maintenant constaté tous et chacun la mauvaise foi, les mensonges et les abus de la direction qui continuent d’affliger l’organisme, d’entraver les négociations en vue d’une EPHV et d’empêcher le règlement de nombreux autres différends régionaux.

 

C’est la vérité qui nous réunit dans une cause commune, à savoir notre volonté de garder notre dignité, d’être traités avec respect et de ne pas permettre à l’employeur de porter atteinte à nos droits, qu’ils soient garantis par la convention collective ou par la loi.

 

J’espère que vous serez rassurés de savoir que je vais bien, que je reste concentré sur mes objectifs et que je suis plus déterminé que jamais à protéger nos droits.

 

La correspondance ci‑jointe explique la dernière sanction disciplinaire dont j’ai fait l’objet, que motivent deux phrases d’une note relative à l’EPHV affichée sur notre site Web local. Ces phrases sont les suivantes : « Entre-temps, je presse l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA d’appuyer un arrêt immédiat du travail. » / « Si la direction accepte de nous rencontrer et ne propose rien de plus que ce qu’elle a proposé en février dernier, préparez-vous à soutenir des actions syndicales ultérieures. »

 

 

                                                            [En gras dans l’original.]

 

[40]           Le 13 novembre 2007, M. Gillan a convoqué le demandeur à une audience disciplinaire concernant le message Web du 3 du même mois, au motif qu’il y citait la partie contestée du premier message portant sur l’arrêt du travail. Le demandeur ne s’est pas présenté à cette audience. Entre-temps, il a envoyé au ministre de la Sécurité publique, à la haute direction de l’ASFC, à M. Gillan et à un certain nombre d’agents de la CEUDA un courriel où il écrivait, s’adressant aux représentants de l’employeur : [traduction] « [V]ous m’avez obligé à tort et sans y être habilités à m’abstenir de communiquer avec les membres de la CEUDA comme j’en ai le droit légitime. »

 

[41]           Le 20 novembre 2007, l’ASFC a prononcé le licenciement motivé du demandeur. Aux termes de la lettre de licenciement, le réaffichage des phrases contestées constituait [traduction] « une faute disciplinaire grave » et [traduction] « l’incident déterminant » qui avait amené l’administrateur général à licencier immédiatement le demandeur en vertu, disait‑il, de l’alinéa 12(1)c) de la LGFP.

 

[42]           M. Gillan a déclaré à l’audience d’arbitrage que le réaffichage par le demandeur des phrases qui avaient motivé la mesure disciplinaire précédente constituait une [traduction] « faute disciplinaire grave », étant donné que ce dernier aurait pu rendre compte de sa sanction en termes plus généraux. Il a aussi déclaré que l’une des circonstances aggravantes qu’il avait prises en considération dans sa décision de licenciement était le fait que cette faute était exactement la même que celle qui avait entraîné la sanction précédente. Il considérait la publication du message Web du 3 novembre 2007 comme [traduction] « l’incident déterminant », et comme une tentative du demandeur de rallier des suffrages chez les syndiqués, et de faire pression sur la direction nationale du syndicat, en vue d’une action illégale.

 

II.        LES GRIEFS

[43]           Le 20 novembre 2007, le jour même de son licenciement, le demandeur a déposé un grief, dont le texte suit, contre la suspension de 30 jours que l’administrateur général avait prononcée contre lui le 2 du même mois.

[traduction]

 

                                                            Le 20 novembre 2007

 

GRIEFS –  Contre la suspension de 30 jours prononcée le 2 novembre 2007

 

Je soutiens que la suspension susdite est injustifiée. Je soutiens également qu’il a été porté atteinte aux droits que me garantit en tant qu’employé le paragraphe 19.01 de la Convention entre le Conseil du Trésor et l’AFPC, comme il est expliqué ci‑dessous.

 

Le paragraphe 19.01 de la Convention entre le Conseil du Trésor et l’AFPC est rédigé comme suit :

 

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

 

J’ai fait l’objet le 2 novembre 2007 d’une sanction disciplinaire comme employé pour avoir prétendument conseillé ou essayé de susciter un arrêt de travail illégal. Ayant été sanctionné au motif d’une activité dans l’Alliance pour laquelle je n’aurais pas été sanctionné si je n’étais pas un représentant de cette dernière, j’ai été traité différemment des autres employés et j’ai par conséquent subi une discrimination. Cette sanction disciplinaire est contraire à l’esprit du paragraphe 19.01 et doit être immédiatement annulée.

 

Non seulement je conteste l’allégation de M. Gillan selon laquelle je conseillais ou essayais de susciter la déclaration ou l’autorisation d’une grève, mais je rappelle aussi à la direction de l’ASFC qu’aucune disposition de la Convention ni de la LRTFP n’interdit à un employé de conseiller ou de susciter un arrêt de travail illégal.

 

La Convention interdit aux employés seulement la participation à une grève illégale. J’estime pour cette raison que l’employeur n’est pas habilité à sanctionner les employés sauf faute professionnelle déterminée, de sorte que je n’aurais pas dû faire l’objet, en tant qu’employé, d’une mesure disciplinaire au motif de la transgression supposée d’une interdiction de la LRTFP qui n’est applicable qu’aux représentants des employés.

 

À titre d’employé, je devrais être protégé des conséquences d’infractions supposées à des dispositions qui ne s’appliquent qu’aux représentants syndicaux, et c’est à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) qu’il appartient de décider s’il y a eu infraction de cette nature, en particulier lorsque les activités syndicales en cause sont menées en dehors du lieu et des heures de travail.

 

L’article 194 de la LRTFP n’habilite pas l’employeur à établir si une infraction de la nature susdite a été commise, ne l’autorise pas à fixer des sanctions autres que celles que prévoit la législation, ni ne lui permet de prononcer de mesures disciplinaires contre un représentant des employés au motif de ce qu’il estime être des infractions à la LRTFP.

 

L’employeur n’est pas plus habilité à punir de mesures disciplinaires des infractions supposées à la LRTFP qu’il ne l’est à punir ainsi des infractions au Code criminel du Canada.

 

En donnant aux employeurs le pouvoir de se prononcer sur l’innocence ou la culpabilité, ou de décider du sort, de représentants syndicaux qui se trouvent à leur égard en position d’adversaires, et en leur permettant de fixer le degré des mesures disciplinaires à infliger à ces adversaires pour des infractions supposées à la Loi, on ouvrirait la voie à toutes les ingérences et à tous les abus patronaux.

 

Les employés seraient ainsi dissuadés de se proposer pour remplir des fonctions syndicales, se laisseraient durablement intimider et se trouveraient incapables de remplir de manière satisfaisante leurs obligations de représentants syndicaux, ce qui causerait un préjudice irréparable aussi bien au mouvement syndical qu’à l’administration quotidienne du syndicat. En substance, tant que l’employeur jouirait d’un tel droit de regard inconditionnel sur l’activité des représentants syndicaux, aucun de ceux‑ci, pour des raisons évidentes, ne serait à l’abri, quels que soient les recours ou les mécanismes de protection prévus par la Convention ou la LRTFP.

 

L’employeur, en détournant le recours que prévoit la Loi et en m’infligeant une sanction disciplinaire, a en outre violé mon droit à une procédure régulière et mon droit d’être jugé par un tiers indépendant.

 

En l’occurrence, John Gillan a agi en ne tenant manifestement aucun compte du recours prévu par la Loi, alors même que le Conseil du Trésor avait déjà menacé de suivre cette voie légitime dans sa lettre à l’agent négociateur en date du 29 octobre 2007.

 

Par conséquent, il était inutile de la part de la haute direction de l’Agence des services frontaliers du Canada d’engager de surcroît une procédure disciplinaire interne pour l’infraction supposée qui faisait déjà l’objet d’une procédure entre le Conseil du Trésor et l’agent négociateur, ou de le faire avant l’issue de celle‑ci.

 

Je soutiens que les observations contenues dans ma réponse à un membre de la CEUDA qui a été affichée sur le site Web de cette dernière en dehors du travail ne peuvent être considérées comme visant à conseiller ou à susciter une grève illégale, puisqu’il est évident et incontestable que je m’y contentais d’informer les membres de la CEUDA de ce que ce syndicat faisait pour leur compte en expliquant que je pressais l’agent négociateur d’appuyer un refus de travailler. À aucun moment je n’ai demandé aux membres de la CEUDA d’appuyer tel ou tel jour une quelconque action déterminée, ni ne les y ai encouragés, ni n’ai fait pression sur eux en ce sens. En fait, j’ai parlé d’actions syndicales ultérieures, voulant désigner par là tous moyens de pression licites. 

 

C’est seulement à cause de mon activité au sein de l’Alliance que j’ai été sanctionné pour l’infraction supposée consistant à inciter à une grève illégale, car si je n’étais pas un représentant syndical bénévole, je jouirais des mêmes libertés et protections garanties par la Convention que les autres employés qui ne sont pas des représentants syndicaux, lesquels ne seraient pas sanctionnés à un tel motif.

 

Encore une fois, c’est pour cette raison que j’affirme être traité différemment des autres employés qui ne sont pas des représentants syndicaux bénévoles et que je soutiens que ce traitement différent entre employés constitue un fait de discrimination.

 

J’ajouterai pour conclure que cette dernière en date des mesures disciplinaires prises contre moi par l’ASFC me paraît être un cas flagrant de plus d’abus, de harcèlement, d’intimidation et d’ingérence de la part de la direction à l’endroit du syndicat, plus particulièrement une atteinte au droit de ce dernier de communiquer avec ses membres.

 

Mesures correctives

 

À discuter avec l’employeur au cours de la médiation ou à l’ouverture de l’audience d’arbitrage.

 

Le tout respectueusement soumis et autorisé par

 

John King

Président

Subdivision du district de Toronto

Section locale 24 de la CEUDA

 

                                                            [Souligné dans l’original.]

 

[44]           Le 22 novembre 2007, soit deux jours après le dépôt du grief ci‑dessus, les présidents nationaux de l’AFPC et de la CEUDA ont adressé la lettre suivante au président de l’ASFC :

                                                            Le 22 novembre 2007

 

Monsieur Alain Jolicoeur

Président

Agence des services frontaliers du Canada

191, rue Laurier Ouest

Ottawa (Ontario)  K1A 0L8

 

Monsieur,

 

Nous avons reçu copie d’une lettre datée du 20 novembre 2007 par laquelle John Gillan, le directeur général de la Région du Grand Toronto (RGT) à l’ASFC, annonçait son licenciement au président de la subdivision du district de Toronto à la section locale 024 de l’AFPC/CEUDA, John King.

 

L’AFPC et la CEUDA soutiennent fermement que les employés remplissant des fonctions de représentants syndicaux jouissent d’une grande marge de liberté d’expression et ont toute latitude pour informer les syndiqués sans avoir à craindre de représailles. Les commissions de relations de travail aussi bien que les arbitres appuient cette position et en ont confirmé la validité à maintes reprises contre les employeurs qui essayaient de réprimer la liberté d’expression, que ce soit par des mesures disciplinaires ou d’autres moyens.

 

Quelles qu’en soient les raisons, les mesures de l’ASFC qui font l’objet de la lettre susdite de John Gillan en date du 20 novembre constituent une tentative manifeste d’empêcher un représentant élu de l’AFPC/CEUDA de s’exprimer librement. Par conséquent, nous y voyons un affront inadmissible à notre syndicat et aux travailleurs que nous avons l’honneur de représenter. En plus des conséquences qu’elle aura pour John King personnellement, cette décision de l’ASFC aura des conséquences importantes pour les membres de notre syndicat qui travaillent à l’ASFC, en particulier dans la RGT.

 

Comme vous le savez, l’AFPC est en train de négocier avec le Conseil du Trésor une première convention collective pour le groupe FB. Divers différends, liés directement aussi bien qu’indirectement au processus de négociation, ont mis nos rapports à rude épreuve, en particulier à certains endroits, dont l’Aéroport Pearson.

 

Il apparaît dès l’abord que la décision de licenciement susdite aggravera la détérioration de ces rapports, à moins que l’ASFC n’entreprenne rapidement de régler le différend relatif aux EPHV et ne reconnaisse sans délai le droit des représentants syndicaux de communiquer librement avec les syndiqués. Nous réclamons instamment la réintégration immédiate de John King.

 

Veuillez agréer, Monsieur, nos sincères salutations.

 

                        John Gordon                           Ron Moran

                        Président national                   Président national

                        AFPC                                      CEUDA

 

 

[45]           Le demandeur a déposé un second grief le 14 décembre 2007, cette fois contre son licenciement. Il a produit le 20 du même mois un exposé détaillé de son grief et des mesures correctives demandées (soit la réintégration dans son emploi d’agent des services frontaliers et l’indemnisation de ses pertes). Il expliquait comme suit dans cet exposé l’objet de son message Web du 3 novembre 2007 :

[traduction] (...) Je n’y faisais que préciser le motif de ma suspension de 30 jours, à cause des rumeurs et des fausses accusations qu’on faisait circuler à mon sujet sur le lieu de travail.

 

 

[46]           La direction et le syndicat n’ayant pu les régler à l’amiable, les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la LRTFP.

 

III.       LA DÉCISION ARBITRALE

[47]           L’affaire a été décidée par M. Ian R. Mackenzie, l’arbitre désigné par la Commission sous le régime de l’alinéa 223(2)d) de la LRTFP. M. Mackenzie a tenu une audience en mai et juin 2010, et examiné les observations écrites déposées par les parties à l’automne de la même année.

 

[48]           L’administrateur général a soutenu devant l’arbitre de grief que le demandeur savait ou aurait dû savoir que le syndicat n’était pas en droit de déclarer la grève, de sorte que le message du 11 septembre 2007 adressé aux membres de l’unité de négociation enfreignait le paragraphe 194(1) de la LRTFP aux motifs suivants :

·         le demandeur y conseillait et essayait de susciter la déclaration ou l’autorisation d’une grève par la CEUDA et l’AFPC, lesquelles il engageait de son propre aveu à [traduction] « appuyer un arrêt [...] du travail »;

·         il y conseillait et essayait de susciter la participation des employés, le cas échéant, à une telle grève.

 

[49]           L’administrateur général soutenait aussi que la suspension disciplinaire et le licenciement constituaient des mesures adéquates au vu des faits considérés, étant donné la gravité de la faute, le position dirigeante du demandeur, l’influence qu’il exerçait, ses antécédents disciplinaires et son absence de regret.

 

[50]           Il est important de noter ici que, au cours des trois années ayant précédé le dépôt des griefs de novembre et de décembre 2007, le demandeur avait déjà fait l’objet à trois autres reprises de mesures disciplinaires qui figuraient encore dans son dossier, aux fins d’application de la règle de sévérité progressive, au moment de sa suspension de 30 jours et de son licenciement. Cependant, ces mesures disciplinaires, énumérées ci‑dessous, avaient été par la suite soit annulées, soit réduites, de sorte que leur durée totale était passée de 80 à 15 jours.

·         Une première suspension de 30 jours, prononcée contre le demandeur le 6 juillet 2004 en raison d’une lettre qu’il avait écrite au secrétaire du département américain de la Sécurité intérieure sur des questions relatives aux conditions de classification de sécurité appliquées aux agents de l’administration frontalière canadienne, a été annulée à l’arbitrage le 8 août 2008 : King c Conseil du Trésor (ASFC), 2008 CRTFP 64. Le 16 septembre 2009, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire formée par l’employeur contre cette sentence arbitrale : Canada (Procureur général) c King, 2009 CF 922.

·         Une deuxième suspension de 30 jours, prononcée contre le demandeur le 19 juillet 2006, a été réduite à cinq jours par règlement à l’amiable en date du 23 avril 2009.

·         Une autre suspension, de 20 jours cette fois, infligée au demandeur le 2 novembre 2006 au motif de l’envoi au ministre de la Sécurité publique et aux médias d’un courriel contenant des allégations contre l’administrateur général, a été réduite à 10 jours par décision arbitrale en date du 23 février 2010 : King c Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 31.

 

[51]           L’administrateur général a fait valoir devant l’arbitre de grief que les réductions, décidées en 2009 et 2010, des mesures disciplinaires inscrites au dossier du demandeur n’étaient pas déterminantes. Il a soutenu subsidiairement que, en cas d’accueil du grief relatif au licenciement, la mesure corrective appropriée serait d’indemniser le demandeur au lieu de le réintégrer.

 

[52]           Le demandeur a soutenu quant à lui que la loi n’interdit pas la simple discussion, au cours de négociations avec l’employeur, de la possibilité ou de la légalité d’une grève ou d’autres actions de pression envisageables (par exemple le refus concerté de se présenter au travail pour les postes ne figurant pas à l’horaire normal que prévoit le paragraphe 25.17 de la convention collective). Il ajoutait que sa conduite n’entrait pas dans le champ d’application de l’interdiction quasi pénale, énoncée dans la LRTFP, de conseiller ou de susciter une grève illégale, mais avait seulement eu pour objets, d’abord d’informer les syndiqués qu’il pressait l’agent négociateur de se prononcer sur le point de savoir si le syndicat était en droit de déclarer la grève, et plus tard de les mettre au courant de la sanction disciplinaire qui lui était infligée. En prononçant contre lui les mesures disciplinaires considérées, affirmait‑il, l’employeur avait violé la clause de la convention collective interdisant la discrimination (paragraphe 19.01) et la disposition de la LRTFP interdisant l’intervention de l’employeur dans les activités syndicales (article 186).

 

[53]           Le demandeur a fait valoir que les parties avaient expressément exclu dans la convention collective la possibilité de sanctionner un employé qui ne participait pas à une grève illégale (paragraphe 16.01), et que le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires conféré à l’administrateur général par l’alinéa 12(1)c) de la LGFP ne s’appliquait pas au fait de conseiller ou de susciter une grève illégale. Selon lui, le pouvoir de l’employeur, pour ce qui concerne les violations supposées du paragraphe 194(1) de la LRTFP par un dirigeant syndical, se limitait à l’engagement de poursuites pénales.

 

[54]           Le demandeur a aussi avancé l’argument que la quasi-totalité de la jurisprudence arbitrale ayant confirmé des sanctions disciplinaires infligées à des dirigeants syndicaux concernait des actes qui avaient conduit à des débrayages effectifs, et non la simple discussion, non suivie d’effet, de la possibilité de tels arrêts de travail. Même si le libellé du paragraphe 194(1) de la LRTFP ne le prévoit pas explicitement, ajoutait le demandeur, il reste que la charge pèse sur l’administrateur général de produire des éléments objectifs tendant à prouver que le dirigeant syndical en cause avait l’intention que ses actions entraînent une grève illégale. Or, en l’occurrence, lui-même n’avait pas eu l’intention de conseiller ou de susciter une telle grève.

 

[55]           Le demandeur a soutenu subsidiairement que les mesures disciplinaires prononcées contre lui devraient être annulées et remplacées par des sanctions moins sévères, étant donné que la durée totale des suspensions antérieures dont il avait fait l’objet (c’est‑à‑dire mis à part la suspension contestée de 30 jours ayant précédé son licenciement) avait été portée de 80 à 15 jours, du fait d’un règlement à l’amiable et de décisions d’annulation ou de réduction rendues par la Commission. Il a aussi mis en avant que son exécution immédiate de l’ordre donné par l’employeur de retirer les messages en question du site Web du syndicat devrait être considérée comme une circonstance atténuante.

 

[56]           Le 29 novembre 2010, après examen de la preuve et des moyens avancés par le demandeur, l’arbitre a rejeté le grief. Il est arrivé à cette décision après avoir répondu aux trois questions suivantes :

·         La convention collective et/ou la loi conféraient-elles à l’administrateur général le pouvoir d’infliger des sanctions disciplinaires au demandeur?

·         Le demandeur a‑t‑il « conseillé » ou essayé de « susciter » un arrêt de travail illégal, en violation du paragraphe 194(1) de la LRTFP?

·         Les mesures disciplinaires prononcées étaient-elles proportionnées aux faits considérés?

 

[57]           L’arbitre de grief a répondu à chacune de ces trois questions par l’affirmative, retenant l’interprétation large donnée par l’employeur de la preuve et du droit, de préférence à l’interprétation étroite proposée par le demandeur. Lues dans leur contexte, les déclarations attaquées manifestaient bien la volonté de conseiller ou de susciter une grève illégale, et en les reproduisant sur le site Web après sa suspension, le demandeur avait fait preuve d’un degré d’insubordination et d’irrespect qui justifiaient son licenciement. Autrement dit, le demandeur avait outrepassé les limites de l’expression syndicale légitime en essayant activement, même après la réception d’un avis juridique défavorable, de faire entériner par le syndicat un refus concerté d’application de l’horaire 6/2 et de rallier les inspecteurs des douanes à cette action.

 

IV.       LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[58]           La Cour tient d’abord à attirer l’attention sur le fait que la détermination de la norme de contrôle applicable est décisive dans la présence instance, puisque l’issue de celle‑ci pourrait fort bien dépendre du point de savoir si l’interprétation de l’article 194 de la LRTFP retenue par l’arbitre de grief doit être correcte en droit ou simplement raisonnable. Le juge Iacobucci a bien résumé les conséquences de cette détermination au paragraphe 51 de l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20 :

À la différence d’un examen selon la norme de la décision correcte, il y a souvent plus d’une seule bonne réponse aux questions examinées selon la norme de la décision raisonnable. Par exemple, lorsqu’une décision doit être prise en fonction d’un ensemble d’objectifs divergents, il se peut qu’aucun compromis ne soit supérieur à tous les autres. Même dans l’hypothèse où il y aurait une réponse meilleure que les autres, le rôle de la cour n’est pas de tenter de la découvrir lorsqu’elle doit décider si la décision est déraisonnable.

 

 

[59]           La norme du caractère raisonnable est déjà bien connue. La Cour suprême du Canada explique au paragraphe 47 de Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], que la cour de révision qui applique cette norme doit se demander si la décision contrôlée aussi bien que sa justification possèdent les « attributs » de la raisonnabilité. En contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision contrôlée, ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, mais aussi au point de savoir si cette décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[60]           Cela dit, il est important de rappeler qu’il ne faudrait pas considérer la norme du caractère raisonnable comme une dispense générale d’examen pour les décisions des tribunaux spécialisés. Même si l’interprétation de dispositions législatives par un tribunal de cette nature doit être contrôlée suivant la norme du caractère raisonnable, il reste que l’interprétation du droit est toujours contextuelle. Les dispositions législatives, en effet, n’agissent pas en vase clos : le tribunal administratif doit toujours tenir compte du contexte juridique dans lequel il est appelé à appliquer celles qui le concernent (voir Dunsmuir, précité, paragraphe 74).

 

[61]           Par ailleurs, la Cour suprême a réaffirmé au paragraphe 50 de Dunsmuir, précité, que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à d’autres questions de droit, à savoir celles qui sont d’une importance capitale pour le système juridique et étrangères au domaine d’expertise du tribunal administratif. On favorise ainsi la prononciation de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’use pas de retenue à l’égard du raisonnement du décideur; elle effectue plutôt sa propre analyse de la question, au terme de laquelle elle décide si elle souscrit ou non à la conclusion dudit décideur. En cas de désaccord, elle substitue à celle‑ci sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était correcte.

 

[62]           Non sans hésitation, je l’avoue, mais étant juridiquement lié par les observations de principe les plus récentes de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême du Canada, je conclus ci‑dessous que toutes les questions de fait et de droit tranchées par l’arbitre de grief relèvent de la norme de la décision raisonnable. J’estime toutefois utile, avant même d’examiner les thèses respectives des parties à la présente instance, de récapituler le régime institué par la LRTFP.

 

            La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

[63]           La LRTFP est une loi exhaustive portant sur les relations de travail (partie 1), les griefs (partie 2), la santé et la sécurité au travail (partie 3), et d’autres questions (partie 4). La partie 1 de cette loi (articles 4 à 205), qui régit les relations de travail, nous intéresse particulièrement dans la présente espèce. La Commission est le tribunal spécialisé que le législateur a chargé de régler les questions de relations de travail (article 12). Les services d’arbitrage offerts par la Commission comprennent l’audition des demandes et des plaintes au titre de la partie 1, le renvoi des griefs à l’arbitrage au titre de la partie 2 et l’instruction des affaires dont elle est saisie au titre de la partie 3. L’article 40 de la LRTFP confère à la Commission des pouvoirs d’enquête étendus. En outre, son paragraphe 51(1) porte que, sous réserve des autres dispositions de la partie 1, les ordonnances et les décisions de la Commission sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision judiciaire qu’en conformité avec la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la LCF], et pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de cette loi.

 

[64]           La partie 2 de la LRTFP (articles 206 à 238) régit les griefs, qu’elle classe en trois catégories : les griefs individuels (articles 208 à 214), les griefs collectifs (articles 215 à 219) et les griefs de principe (articles 220 à 222). Les griefs individuels font l’objet des articles 208 à 214. Aux termes du paragraphe 208(1), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

·         par l’interprétation ou l’application à son égard, soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi, soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

·         par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

 

[65]           En outre, les alinéas 209(1)a) et b) de la LRTFP disposent que, après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

·         soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

·         soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire.

 

[66]           Dans le premier cas (l’interprétation ou l’application de la convention collective), il faut que l’agent négociateur accepte de représenter le fonctionnaire dans la procédure d’arbitrage [paragraphe 209(2)]. Dans la présente espèce, le demandeur, qui jouit du soutien de l’agent négociateur, a non seulement contesté les mesures disciplinaires prononcées par l’administrateur général, mais a aussi allégué une violation de la disposition de la convention collective qui interdit la discrimination (paragraphe 19.01).

 

[67]           Les paragraphes 223(1) et (2) de la LRTFP disposent que le grief peut être instruit soit par un conseil d’arbitrage, soit par un arbitre unique, et qu’il appartient à la Commission de choisir celui‑ci ou d’établir celui‑là, selon le cas :

223. (1) La partie qui a renvoyé un grief à l’arbitrage en avise la Commission en conformité avec les règlements. Elle précise dans son avis si un arbitre de grief particulier est déjà désigné dans la convention collective applicable ou a été autrement choisi par les parties, ou, à défaut, si elle demande l’établissement d’un conseil d’arbitrage de grief.

 

 

 

(2) Sur réception de l’avis par la Commission, le président :

 

 

a) soit renvoie l’affaire à l’arbitre de grief désigné dans la convention collective au titre de laquelle le grief est présenté;

 

 

b) soit, dans le cas où les parties ont choisi un arbitre de grief, renvoie l’affaire à celui-ci;

 

c) soit institue, sur demande d’une partie et à condition que l’autre ne s’y oppose pas dans le délai éventuellement fixé par règlement, un conseil d’arbitrage de grief auquel il renvoie le grief;

 

d) soit, dans tout autre cas, renvoie le grief à un arbitre de grief qu’il choisit parmi les membres de la Commission.

223. (1) A party who refers a grievance to adjudication must, in accordance with the regulations, give notice of the reference to the Board and specify in the notice whether an adjudicator is named in any applicable collective agreement or has otherwise been selected by the parties and, if no adjudicator is so named or has been selected, whether the party requests the establishment of a board of adjudication.

 

(2) On receipt of the notice by the Board, the Chairperson must

 

(a) if the grievance is one arising out of a collective agreement and an adjudicator is named in the agreement, refer the matter to the adjudicator;

 

(b) if the parties have selected an adjudicator, refer the matter to the adjudicator;

 

(c) if a board of adjudication has been requested and the other party has not objected in the time provided for in the regulations, establish the board and refer the matter to it; and

 

 

(d) in any other case, refer the matter to an adjudicator designated by the Chairperson from amongst the members of the Board.

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[68]           L’alinéa 226(1)g) de la LRTFP porte expressément que, pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut interpréter et appliquer la LCDP (sauf les dispositions de celle‑ci sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes), ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi, même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective [non souligné dans la LRTFP]. En outre, le paragraphe 228(2) de la LRTFP dispose que, après étude du grief, l’arbitre tranche celui‑ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée.

 

[69]           Il faut ici préciser que la décision de l’arbitre de grief est protégée par une clause privative. En effet, l’article 233 de la LRTFP porte les dispositions suivantes :

233. (1) La décision de l’arbitre de grief est définitive et ne peut être ni contestée ni révisée par voie judiciaire.

 

(2) Il n’est admis aucun recours ni aucune décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de l’arbitre de grief exercée dans le cadre de la présente partie.

233. (1) Every decision of an adjudicator is final and may not be questioned or reviewed in any court.

 

(2) No order may be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any of the adjudicator’s proceedings under this Part.

 

 

[70]           La différence entre les clauses privatives protégeant respectivement l’arbitre de grief (article 233) et la Commission (article 51), s’il y en une, serait que « l’action [de cette dernière] –  décision, ordonnance ou procédure –  » ne peut être contestée aux motifs « de l’excès de pouvoir ou de l’incompétence à une étape quelconque de la procédure ».

 

[71]           Comme on le verra plus loin, les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle judiciaire applicable à la présente espèce. Elles ont toutes deux présenté des conclusions écrites complémentaires et des conclusions orales, aussi approfondies les unes que les autres, sur cette question délicate.

 

            La position du demandeur

[72]           Le demandeur soutient que la présente affaire ne relève nettement ni de la jurisprudence constante prescrivant que l’interprétation et l’application de la convention collective par l’arbitre de grief, et son analyse des pièces et écritures produites devant lui, commandent la retenue en contrôle judiciaire –  voir Nitschmann c Canada (Conseil du Trésor), 2008 CF 1194, paragraphes 8 à 10, [2008] ACF no 1511; et Burden c Canada (Procureur général), 2011 CF 251, paragraphe 14,  [2011] ACF no 365 – , ni de la jurisprudence qui applique la même norme aux autres questions renvoyées à l’arbitrage sous le régime de l’article 209 de la LRTFP –  voir Boudreau c Canada (Procureur général), 2011 CF 868, paragraphe 15, [2011] ACF no 1245.  

 

[73]           Le demandeur reconnaît qu’une certaine retenue judiciaire doit être appliquée aux décisions des arbitres de grief qui ont à se prononcer sur des questions mixtes de fait et de droit entrant dans leur domaine d’expertise particulier. Cependant, il conteste l’interprétation et l’application faites par l’arbitre du paragraphe 194(1) de la LRTFP, relatif aux grèves illégales, soutenant que le grief considéré ici ne se rapporte pas simplement à l’interprétation et à l’application de la convention collective, mais vise aussi son licenciement au motif d’actes, accomplis dans l’exercice de ses fonctions de représentant syndical à plein temps, que l’employeur affirme avoir enfreint ledit paragraphe, disposition quasi pénale de la partie 1 de la LRTFP.

 

[74]           Le demandeur soutient en substance que la présente espèce soulève des questions qui dépassent le cadre de la « loi constitutive » de l’arbitre de grief et son domaine d’expertise, étant donné qu’elle met en jeu des principes plus généraux des relations de travail faisant l’objet de la partie 1 de la LRTFP, notamment des dispositions quasi pénales de ses articles 194, 196 et 203, tout comme elle appelle à s’interroger sur l’étendue des libertés garanties par la Charte et la LRTFP (par exemple par la disposition de cette dernière interdisant l’intervention de l’employeur dans les activités syndicales). Selon les conclusions du demandeur, le domaine d’expertise de l’arbitre se limite aux questions directement liées à l’arbitrage des griefs sous le régime de la partie 2 de la LRTFP –  dans le cadre de laquelle s’inscrivent la plupart des instances d’arbitrage de griefs –  et ne comprend pas l’interprétation des dispositions quasi pénales relatives aux grèves illégales de la partie 1 de cette loi. Ce point de vue s’accorde selon le demandeur avec la structure de la LRTFP, qui prévoit deux modes de décision distincts, les membres de la Commission siégeant soit en application de sa partie 2 (en tant qu’arbitres de grief), soit pour trancher des questions de relations de travail sous le régime de sa partie 1 (au nom de la Commission en tant que telle). Le demandeur fait valoir que les pouvoirs conférés à l’arbitre de grief par la partie 2 de la LRTFP, tels que les définit expressément l’article 226 de cette loi, diffèrent des larges pouvoirs attribués à la Commission par son article 40. Qui plus est, ajoute le défendeur, la clause privative applicable à la Commission (article 51) est plus forte que celle qui vise les arbitres de grief (article 223).

 

[75]           Le demandeur soutient qu’il faut distinguer des faits de la présente espèce ceux de l’affaire qui a donné lieu au récent arrêt de la Cour suprême Nor‑Man Regional Health Authority Inc c Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] ACS no 59 [Nor‑Man Regional Health Authority], où elle a conclu que l’application par l’arbitre du principe de common law de la préclusion à la demande de réparation présentée par le syndicat commandait la retenue judiciaire. Premièrement, explique‑t‑il, les pouvoirs et la compétence des arbitres opérant dans le contexte privé des relations de travail sont plus étendus que ceux des arbitres de grief désignés sous le régime de la partie 2 de la LRTFP, et deuxièmement, la latitude accordée aux arbitres en relations de travail dans l’adaptation et l’application de principes généraux tels que celui de la préclusion ne devrait pas s’étendre à la présente espèce, qui met en jeu des dispositions déterminées relatives à la responsabilité criminelle, également applicables par les tribunaux judiciaires.

 

[76]           Donc, raisonne le demandeur, étant donné que la décision contrôlée se fonde sur une disposition quasi pénale déterminée qui n’appartient pas au domaine d’expertise ordinaire des arbitres de grief, la jurisprudence postérieure à Dunsmuir appelle l’application d’une norme de contrôle moins déférente. Le demandeur rappelle que la juge Deschamps, dans ses motifs concordants de l’arrêt Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, [2011] 1 RCS 160 [Smith], a rejeté l’idée que l’interprétation par un tribunal administratif de sa loi habilitante commanderait automatiquement l’application d’une norme de contrôle déférente, posant plutôt que la cour qui contrôle la décision d’un tel tribunal « doit faire preuve de retenue uniquement lorsque l’organisme décisionnel possède, de quelque façon, une plus grande expertise qu’elle et que la question visée relève de cette plus grande expertise » (paragraphe 99).

 

[77]           Le demandeur renvoie aussi aux motifs concordants exposés par le juge Binnie, en son propre nom et en celui de la juge Deschamps, dans l’arrêt encore plus récent de la Cour suprême intitulé Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] ACS no 61 [Alberta Teachers’ Association], aux paragraphes 82 et 83 duquel on peut lire les observations suivantes :

Il convient de rappeler que la volonté des cours de justice de déférer aux décisions des tribunaux administratifs portant sur l’interprétation de leurs lois constitutives a vu le jour dans le contexte de régimes législatifs élaborés, telle la législation du travail. Non seulement les membres de ces tribunaux étaient alors plus familiarisés que les cours de justice avec l’application possible et concrète du régime, mais dans bien des cas, le législateur avait tenté de freiner l’ardeur interventionniste de ces dernières en prévoyant des clauses d’inattaquabilité (appelées traditionnellement « clauses privatives ») explicites. Au fil des ans, la reconnaissance de la déférence judiciaire s’est accrue, même sur des points de droit (voir, p. ex., Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557), mais jamais au point de présumer, comme le fait le juge Rothstein, que du moment que le tribunal administratif interprète sa ou ses lois constitutives, il a droit à la déférence, c’est‑à‑dire qu’il lui suffit de retenir l’une des interprétations raisonnables possibles de la disposition en cause, peu importe l’incidence fondamentale de son choix sur les parties. En ce qui concerne l’équité procédurale et la justice naturelle, par exemple, une juridiction de révision ne devrait pas déférer à l’avis d’un tribunal administratif quant à la mesure dans laquelle sa loi constitutive lui permet d’agir d’une manière que les cours de justice tiennent pour inéquitable.

 

La démarche nuancée de notre Cour dans le récent arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471 (« CCDP »), où elle dit que « lorsqu’il s’agit d’interpréter et d’appliquer sa propre loi, dans son domaine d’expertise et sans que soit soulevée une question de droit générale, la norme de la décision raisonnable s’applique habituellement, et le Tribunal a droit à la déférence » (par. 24 (je souligne)), me paraît constituer un compromis entre les points de vue exprimés par les juges Cromwell et Rothstein. Le juge Rothstein fait abstraction des conditions qui figurent dans cet extrait lorsqu’il formule sa présomption, dont l’application dépend entièrement de l’emplacement de la disposition litigieuse dans la loi constitutive.

 

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[78]           En somme, le demandeur fait valoir que la tâche de l’arbitre dans la présente espèce consistait à rendre en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 226 de la LRTFP une décision sur un grief renvoyé à l’arbitrage sous le régime de son article 209. Les faits de l’espèce, il est vrai, exigeaient de l’arbitre de grief qu’il prenne en considération et interprète l’article 194 de la LRTFP, mais ce n’était pas là un point final. L’application de l’article 194 de la LRTFP à un représentant syndical qui communique avec ses mandants par l’affichage d’un message sur le site Web du syndicat soulève une question d’importance générale, laquelle commande l’application de la norme de la décision correcte. Le demandeur invoque notamment la décision Ontario Flue-Cured Tobacco Growers’ Marketing Board c Stetler, 2003 CanLII 26757 (CSJ Ont, CD), où la Cour divisionnaire de l’Ontario a conclu qu’une décision du Tribunal d’appel de l’agriculture, de l’alimentation et des affaires rurales devait être contrôlée suivant la norme de la décision correcte, au motif qu’elle portait sur des allégations quasi pénales d’infraction à des dispositions réglementaires emportant des conséquences pénales, allégations qui dépassaient le domaine d’expertise des décideurs.

 

            La position du défendeur

[79]           Le défendeur soutient que la question de l’interprétation du paragraphe 194(1) de la LRTFP est inextricablement liée aux conclusions de fait formulées par l’arbitre de grief et relève par conséquent de la norme déférente du caractère raisonnable. Selon les conclusions du défendeur, la tâche de l’arbitre en l’occurrence n’était pas d’établir une nouvelle jurisprudence sur l’interprétation de ce paragraphe, mais simplement d’appliquer aux faits portés devant lui une jurisprudence déjà constituée en droit du travail.

 

[80]           À l’argument du demandeur selon lequel le domaine d’expertise de l’arbitre de grief se limite à la partie 2 de la LRTFP, le défendeur répond que le paragraphe 30 (reproduit ci‑dessous) de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Amos c Canada (Procureur général), 2011 CAF 38, [2011] ACF no 159 [Amos], implique que l’arbitre de grief possède le même degré d’expertise que la Commission en matière de relations de travail et d’interprétation de cette loi. Le défendeur rappelle à ce sujet que la juge Trudel parle de la « compétence spécialisée » des arbitres de grief désignés sous le régime de la LRTFP :

 

[L]a Loi a comme objectif plus général de prévoir un régime dans le cadre duquel des experts statuent sur les conflits de travail et de faciliter le règlement rapide de ces conflits, à peu de frais et avec moins de formalités (idem, au paragraphe 68) :

 

68 La nature du régime est également compatible avec l’application de cette norme. La Cour a maintes fois reconnu l’expertise relative de l’arbitre dans l’interprétation d’une convention collective et préconisé le respect de sa décision à cet égard : SCFP, p. 235‑236; Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079, par. 58; Voice Construction, [2004] 1 R.C.S. 609, par. 22. En l’espèce, l’arbitre a en fait interprété sa loi habilitante. Il a certes été nommé pour régler le différend, mais les parties l’ont choisi de concert. En outre, sur le plan institutionnel, on peut présumer que les arbitres nommés en vertu de la LRTSP possèdent une expertise relative dans l’interprétation de la loi dont ils tiennent leur mandat ainsi que des dispositions législatives connexes qu’ils sont souvent appelés à appliquer dans l’exercice de leurs fonctions. Voir l’arrêt Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College. Ce facteur milite aussi en faveur de la norme de la raisonnabilité.

 

                                          [Non souligné dans l’original.]

 

[81]           Le défendeur fait aussi valoir que les motifs de la majorité, au paragraphe 37 de Smith, précité, insistent également sur le fait que l’interprétation par un décideur administratif de sa loi constitutive, sauf les exceptions posées dans Dunsmuir, appelle l’application de la norme de la décision raisonnable :

[L’]interprétation qu’un tribunal administratif fait de sa loi constitutive — la question en litige en l’espèce — entraîne en principe l’application de la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, par. 54), sauf lorsque la question soulevée est constitutionnelle, revêt une importance capitale pour le système juridique ou délimite la compétence du tribunal concerné par rapport à celle d’un autre tribunal spécialisé [...]

 

                                                                   [Non souligné dans l’original.]

 

[82]           Le défendeur affirme de plus que, conformément au récent arrêt de la Cour suprême Nor‑Man Regional Health Authority, précité, il convient de permettre aux arbitres de grief chargés d’examiner des questions disciplinaires de constituer leur propre jurisprudence sur le paragraphe 194(1) de la LRTFP. On lit en effet au paragraphe 45 de cet arrêt :

[L]es arbitres en relations du travail, grâce à leurs larges mandats légal et contractuel — et à leur expertise —, ont tous les outils nécessaires pour adapter les doctrines de common law et d’equity qu’ils estiment pertinentes dans les limites de leur sphère circonscrite de créativité. Ils peuvent à bon droit, à cette fin, élaborer des doctrines et concevoir des réparations adéquates dans leur domaine, en s’inspirant des principes juridiques généraux, des buts et objectifs du régime législatif, des principes des relations du travail, de la nature du processus de négociation collective et du fondement factuel des griefs dont ils sont saisis.

 

 

[83]           Le défendeur avance en outre que rien ne permet de penser que l’arbitre de grief qui interprète et applique le paragraphe 194(1) de la LRTFP interprète quoi que ce soit d’autre que sa loi constitutive. La réponse judiciaire à l’argument du demandeur se trouve au paragraphe 32 de l’arrêt Amos, précité, où la Cour d’appel fédérale écrit que « l’arbitre de grief est un décideur indépendant qui possède une compétence spécialisée en matière de relations de travail dans la fonction publique fédérale » [non souligné dans l’original]. Le défendeur invoque aussi le paragraphe 14 de la décision de notre Cour Ryan c Canada (Procureur général), 2005 CF 65, [2005] ACF no 110, où l’on peut lire ce qui suit sous la plume du juge Von Finckenstein : « La CRTFP [c’est‑à‑dire la Commission des relations de travail dans la Fonction publique, prédécesseur de l’actuelle Commission] jouit d’une spécialisation incontestée. Ses membres siègent soit comme arbitres uniques, soit collégialement, investis de tous les pouvoirs de la CRTFP. Cette spécialisation milite fortement en faveur d’une retenue judiciaire. »

 

[84]           En outre, suivant les conclusions du défendeur, le demandeur n’est pas fondé à invoquer les dispositions relatives aux pratiques déloyales de la LRTFP parce que le concept de pratiques déloyales de travail est déjà compris dans la convention collective, dont l’interprétation et l’application relèvent incontestablement de l’expertise de l’arbitre de grief. Le fait qu’une infraction au paragraphe 194(1) de la LRTFP puisse également entraîner des poursuites pénales sous le régime de son article 205, ajoute le défendeur, ne devrait pas remettre en question l’obligation générale de retenue judiciaire à l’égard de l’application et de l’interprétation de leur loi constitutive par les arbitres de grief, et ce, pour les deux raisons suivantes.

 

[85]           Premièrement, rappelle le défendeur, cette question a déjà été examinée à la page 12 de la décision Beaupré et Oldale c Conseil du Trésor (Ministère des Postes), dossiers de la CRTFP nos 166‑02‑9606 et 9607 (19810703) [Beaupré et Oldale], où l’arbitre Abbott faisait observer que les infractions de cette nature peuvent donner lieu aussi bien à des poursuites pénales qu’à des mesures disciplinaires :

En ce qui concerne l’obligation affirmée de l’employeur de poursuivre les employés s’estimant lésés aux termes de l’article 104 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, je ne peux trouver rien qui justifie une telle obligation dans la loi générale ni dans la convention collective applicable. Les dispositions de la Loi établissent les responsabilités des particuliers et des associations syndicales envers l’État et le public. L’employeur, en tant qu’employeur, n’est pas habilité à déterminer quelles infractions alléguées doivent faire l’objet de poursuites. Un même acte peut à la fois constituer une infraction à la loi générale, et justifier l’imposition d’une sanction par l’employeur, comme lorsque l’employeur est victime d’un vol. L’employeur n’est pas tenu de suivre une ligne de conduite, c’est‑à‑dire d’engager des poursuites, plutôt que l’autre [...]

 

 

[86]           Deuxièmement, fait valoir le défendeur par analogie, les tribunaux judiciaires font preuve de retenue à l’égard des décisions des agents d’appel qui examinent les instructions émises par les agents de santé et sécurité au travail sous le régime de la partie II du Code canadien du travail (santé et sécurité au travail), malgré le fait que ledit Code dispose qu’une violation de sa partie II peut donner lieu soit à l’émission d’instructions écrites par un agent de santé et sécurité au travail, soit à des poursuites pénales. La Cour d’appel fédérale, rappelle le défendeur, a reconnu au paragraphe 17 de Martin c Canada (Procureur général), 2005 CAF 156,  [2005] ACF no 752, l’aptitude des agents d’appel à interpréter les nouvelles questions de droit qui se posent sous le régime de leur loi constitutive de manière à constituer leur propre jurisprudence, c’est‑à‑dire un ensemble de décisions qui auront valeur de précédents pour les décisions à rendre ultérieurement. Le défendeur avance que le même principe devrait s’appliquer aux décisions des arbitres de grief sur des questions disciplinaires.

 

[87]           En somme, le défendeur soutient que ni les questions d’expression syndicale et les principes généraux de relations de travail en jeu dans la présente espèce, ni la nature quasi pénale du paragraphe 194(1) de la LRTFP, ne devraient influer sur la définition jurisprudentielle des arbitres de grief comme experts en matière de relations de travail dans la fonction publique fédérale.

 

            Décision

[88]           Pour commencer, il faut se rappeler que, aux termes des alinéas 18.1(4)c) et d) de la LCF, la Cour fédérale peut accueillir une demande de contrôle judiciaire si elle est convaincue que l’office fédéral « a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier », ou « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ».

 

[89]           Pour ce qui concerne les erreurs de fait, il est établi que l’alinéa 18.1(4)d) de la LCF fournit « une indication législative du "degré de déférence" applicable aux conclusions de fait de [l’office fédéral] », ainsi que l’explique le juge Binnie dans l’opinion majoritaire de l’arrêt de la Cour suprême Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 [Khosa], paragraphe 3. À cet égard, il n’est pas contesté qu’une conclusion de fait « tirée de façon abusive ou arbitraire » a pour effet, si elle est déterminante, d’entacher d’un caractère « déraisonnable » l’ensemble de la décision du tribunal administratif à l’examen.

 

[90]           Étant donné que l’alinéa 18.1(4)c) de la LCF n’implique pas d’obligation de retenue judiciaire comme son alinéa 18.1(4)d), « [i]l faut nécessairement en déduire [lit‑on aussi dans Khosa, à propos des « erreurs de droit »] que dans le cas où le législateur n’a pas prévu une norme empreinte de déférence, il voulait que la cour de révision applique la norme de la décision correcte, comme elle le fait normalement en appel ». Cependant, ce point de vue minoritaire notamment adopté par le juge Rothstein a été rejeté par la majorité de la Cour suprême dans Khosa. Bref, la nature de la question n’est pas nécessairement déterminante, la retenue judiciaire étant généralement appliquée aux questions de droit qui entrent dans le mandat et l’expertise spéciale du tribunal administratif dont la décision est contrôlée (Dunsmuir et Khosa, précités).

 

[91]           En principe, ce n’est qu’à l’issue d’un appel qu’une personne à qui une loi s’applique ou est susceptible de s’appliquer peut savoir avec certitude si cette loi interdit ou non un acte donné. En l’absence d’appel, le fait que le tribunal administratif ait mal interprété la loi n’est pas déterminant si sa décision doit être contrôlée suivant la norme du caractère raisonnable et que l’interprétation qu’il a retenue est l’une des multiples possibilités raisonnables qui s’offraient à lui.

 

[92]           L’explication juridique du fait qu’on puisse confirmer deux interprétations divergentes du droit, si elles se révèlent raisonnables, est simplement que les tribunaux judiciaires doivent respecter l’intention du législateur que de telles décisions administratives, protégées par une clause privative, ne soient pas infirmées à moins que le tribunal n’ait agi sans compétence ou n’ait outrepassé sa compétence. Cela pourra sembler étrange au lecteur qui n’est pas au fait des subtilités du contrôle judiciaire. Il me paraît utile de citer à ce propos les observations formulées par le regretté philosophe Chaïm Perelman (1912‑1984) dans un texte intitulé « Ce que le philosophe peut apprendre par l’étude du droit » (Droit, morale et philosophie, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1968, page 137) :

La diversité des lois est preuve de notre ignorance de la véritable justice. Car ce qui est conforme à la raison ne peut être juste ici et injuste là‑bas, juste aujourd’hui et injuste demain, juste pour l’un et injuste pour l’autre. Ce qui est juste en raison doit, comme ce qui est vrai, l’être universellement. Tout désaccord est signe d’imperfection, d’un manque de rationalité.

 

Si deux interprétations d’un même texte sont raisonnablement possibles, c’est que la loi est ambiguë, donc imparfaite. Si la loi est claire, c’est que, de deux interprètes, l’un au moins est de mauvaise foi. En tout cas, le désaccord est un scandale, dû à l’imperfection du législateur ou à la trompeuse subtilité des avocats. Le sens inné de la justice, dont chaque juge équitable est certainement pourvu, devrait pouvoir rapidement y remettre bon ordre.

 

 

[93]           Toutefois, Perelman propose plus loin (page 138) une réponse philosophique à cette apparente injustice ou imperfection humaine en s’inspirant d’un apologue talmudique :

La tradition juive, qui n’a jamais cherché à concevoir le droit sur le modèle scientifique, rapporte à ce sujet une histoire bien significative. On sait que, dans le Talmud, deux écoles d’interprètes de la Bible sont constamment en opposition, l’école de Hillel et celle de Chamaï. Le rabbin Abba raconte que, troublé par ces interprétations contradictoires des textes sacrés, le rabbin Samuel s’adresse au ciel pour savoir qui dit vrai : une Voix d’en haut lui répondit que les deux thèses exprimaient la parole du Dieu Vivant. La leçon de ce récit est claire : deux interprétations opposées peuvent être également respectables, et il n’est pas nécessaire de condamner comme déraisonnable l’un au moins des interprètes.

 

Et effectivement, nous admettons parfaitement que deux hommes raisonnables et honnêtes puissent ne pas être d’accord sur une question déterminée et juger différemment. La situation est même considérée comme tellement normale, aussi bien dans les assemblées législatives que dans les tribunaux qui comportent plusieurs juges, que l’on considère comme exceptionnelles les décisions prises à l’unanimité, et qu’il est normal de prévoir des procédures permettant d’arriver à une décision quand des avis opposés restent irréductiblement en présence.

 

 

 

[94]           Puisqu’il me faut choisir entre deux normes de contrôle judiciaire, celle de la décision correcte et celle du caractère raisonnable, sachant que si je me trompe dans ce choix, une cour d’appel corrigera mon erreur de droit, je conclus non sans hésitation que la thèse du défendeur paraît la plus conforme à la jurisprudence actuelle et aux opinions récemment exprimées par la Cour suprême du Canada (du moins par la majorité de ses juges) et la Cour d’appel fédérale. Qu’il me suffise de dire ici que je souscris pour l’essentiel au raisonnement du défendeur récapitulé plus haut et que je m’estime lié par tous les précédents qu’il a cités (Nor‑Man Regional Health Authority, Smith, Alberta Teachers’ Association et Amos, précités). Je propose toutefois ci‑dessous un certain nombre d’observations complémentaires.

 

[95]           Comme il est expliqué au paragraphe 62 de Dunsmuir, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie déterminée de questions. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[96]           La Cour suprême nous enseigne, aux paragraphes 51 et 53 de Dunsmuir, précité, qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement, tandis que deux catégories particulières de questions de droit, soit celles qui se rapportent à la compétence et celles qui sont d’importance capitale pour le système juridique, relèvent de la norme de la décision correcte. Les autres questions de droit, quant à elles, appellent la plupart du temps l’application de la norme la plus déférente, c’est‑à‑dire celle de la raisonnabilité. Il en va habituellement ainsi lorsque le tribunal administratif a acquis une expertise spéciale concernant l’application d’une règle générale de common law ou de droit civil dans un contexte législatif particulier; voir Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63, paragraphe 72. L’arbitrage en droit du travail constitue un bon exemple de pareils cas. Dans ce domaine, les cours de révision ont l’habitude de faire preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions arbitrales confirmant ou annulant des mesures disciplinaires, décisions qu’elles ne s’estiment pas en droit d’invalider à moins d’avoir conclu à leur caractère déraisonnable.

 

[97]           Il est intéressant d’observer que l’arrêt Dunsmuir porte sur une affaire de relations de travail. Un arbitre de grief avait été désigné pour instruire le grief de l’appelant, qui contestait son licenciement sous le régime de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, LRNB 1973, c P‑25. Une question préalable d’interprétation législative s’était posée, soit le point de savoir si, en cas de congédiement avec préavis ou indemnité en tenant lieu, l’arbitre était autorisé à se prononcer sur les raisons de la décision de congédiement de l’État provincial. L’arbitre a conclu que l’incorporation par renvoi du paragraphe 97(2.1) de l’ancienne Loi dans le paragraphe 100.1(5) de la nouvelle l’autorisait à décider si l’appelant avait été congédié, ou autrement sanctionné, pour un motif valable.

 

[98]           Comme la Cour suprême l’explique au paragraphe 55 de Dunsmuir, précité, les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de la décision contrôlée et d’y appliquer la norme de la raisonnabilité :

·         Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur (fédéral ou provincial) que la décision fasse l’objet de déférence. Dans la présente espèce, l’article 233 de la LRTFP est une clause privative forte.

·         Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (par exemple les relations de travail). Dans la présente espèce, l’arbitre de grief dispose d’une expertise reconnue pour ce qui est de décider si les sanctions disciplinaires infligées au demandeur étaient justifiées, et le paragraphe 228(2) de la LRTFP lui confère tous pouvoirs de confirmer, modifier ou annuler ces sanctions.

·         La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours l’application de la norme de la décision correcte [Toronto (Ville) c SCFP, paragraphe 62]. Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents. Dans la présente espèce, l’arbitre de grief, membre de la Commission, est expressément doté du pouvoir d’interpréter et d’appliquer la LRTFP, ainsi que d’autres dispositions fédérales régissant l’emploi (en l’occurrence certains articles la LGFP), de sorte qu’il ne reste à trancher que la question de savoir si l’interprétation de l’article 194 de la LRTFP comporte les deux caractères exceptionnels susdits.

 

[99]           La Cour suprême a conclu dans Dunsmuir, précité, qu’étant donné la clause privative, la nature du régime et la nature de la question de droit considérée, la norme de contrôle applicable était celle de la raisonnabilité. Le point de savoir si l’effet conjugué du paragraphe 97(2.1) et de l’article 100.1 de la loi en cause permettait à l’arbitre d’examiner le motif du congédiement avec préavis ou indemnité en tenant lieu était bien une question de droit, mais pas une question de droit d’importance capitale pour le système juridique ni étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre, qui interprétait en fait sa loi habilitante. Je pense qu’un raisonnement semblable s’applique à l’interprétation donnée par l’arbitre de l’article 194 de la LRTFP dans la présente espèce.

 

[100]       Nous sommes ici en présence d’une affaire disciplinaire où le plaignant (le demandeur) contre-attaque en soutenant que l’employeur lui a infligé des sanctions injustifiées et a exercé une discrimination contre lui parce qu’il agissait en tant que représentant syndical. La jurisprudence de notre Cour établit sans ambiguïté que l’interprétation et l’application de la convention collective par un arbitre de grief, ainsi que son analyse des faits, pièces et écritures soumis à son examen, relèvent en principe de la norme du caractère raisonnable; voir Nitschmann c Canada (Conseil du Trésor), 2008 CF 1194, paragraphes 8 à 10, [2008] ACF no 1511; et Burden c Canada (Procureur général), 2011 CF 251, paragraphe 14, [2011] ACF no 365. Dans la présente espèce, la question juridique de la faute disciplinaire est une question mixte de fait et de droit, et l’interprétation de l’article 194 de la LRTFP ne peut être aisément dissociée des faits.

 

[101]       Le pouvoir de l’arbitre de décider l’affaire, y compris son pouvoir de réparation, n’est pas en litige ici. Une véritable question de compétence se pose « lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question » (Dunsmuir, paragraphe 59). Dans la présente espèce, la compétence de l’arbitre de grief et la fonction spéciale qui l’autorisent à décider si les mesures disciplinaires prononcées ont un motif valable et, dans l’affirmative, si leur degré est acceptable, ne sont pas contestées. En fait, l’arbitre est investi d’un pouvoir étendu qui lui permet de trancher le grief « par l’ordonnance qu’il juge indiquée » [paragraphe 228(2) de la LRTFP]. Comme il a rejeté le grief, l’arbitre n’avait pas à décider si l’affaire justifiait ou non la prise d’une ordonnance de réintégration.

 

[102]       Encore une fois, l’article 194 de la LRTFP fait partie de la « loi constitutive » de l’arbitre de grief. Nous ne sommes pas ici devant le cas où l’arbitre de grief interpréterait une loi imparfaitement connue de lui pour établir s’il a compétence sur l’affaire; voir Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada c Boutziouvis, 2011 CF 1300, paragraphes 36 et 37; et Canada (Procureur général) c Tipple, 2011 CF 762, paragraphes 33 et 34. C’est plutôt l’expertise de l’arbitre touchant l’interprétation des dispositions pénales de la LRTFP, et dans une certaine mesure des dispositions de la LGFP qui régissent le pouvoir disciplinaire de l’employeur, que le demandeur met en discussion.

 

[103]       Je ne pense pas que la « loi constitutive » doive en l’occurrence être limitée à la partie 1 (Commission) ou à la partie 2 (arbitre de grief) de la LRTFP. Rappelons pour préciser le contexte que le législateur a investi la Commission, dans la partie I de la LRTFP, de la compétence exclusive pour prononcer une ordonnance de cessation et d’abstention en cas de grève illégale, ainsi que du pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’engagement de poursuites contre tout dirigeant ou représentant d’une organisation syndicale qui aurait conseillé ou suscité la déclaration ou l’autorisation d’une telle grève, en violation du paragraphe 194(1) de la même loi (articles 203 et 205 de la LRTFP). De ce point de vue, l’expertise que l’arbitre de grief exerce en contexte disciplinaire est relative à l’expertise de la Commission elle-même en matière de relations de travail et à celle des cours de juridiction criminelle qui interpréteront les dispositions afférentes aux grèves de leur loi constitutive. En l’occurrence, l’arbitre de grief est désigné par la Commission elle-même et il est membre de cette dernière [paragraphe 223(2) de la LRTFP]. Nous n’avons pas ici affaire à un arbitre de grief désigné par les parties sous le régime de la convention collective. Tout membre de la Commission doit être présumé posséder une expertise en relations de travail, y compris pour ce qui concerne les actions de grève illégales et les pratiques déloyales.

 

[104]       La Cour d’appel fédérale fait observer dans Amos, précité, que l’article 233 de la LRTFP protège par une clause privative forte les décisions de l’arbitre de grief, et que cette loi a pour objectif plus général de constituer, hors de l’arène judiciaire, un régime dans le cadre duquel des experts statueront sur les conflits de travail, ainsi que de faciliter le règlement de ces conflits avec le maximum de rapidité, et le minimum de frais et de formalité. Si l’on ne peut que reconnaître la valeur de l’uniformité dans la jurisprudence relative à l’interprétation de dispositions quasi pénales telles que celle de l’article 194 de la LRTFP, je ne suis pas convaincu que l’interprétation que donne l’arbitre de celui‑ci dans la décision attaquée, interprétation conforme à l’approche de la Commission considérée globalement, soulève une question d’importance juridique générale et capitale pour le fonctionnement du système des relations de travail sous le régime de la LRTFP.

 

[105]       Enfin, bien que j’admette aussi que l’expertise de l’arbitre de grief pour ce qui est d’établir si le demandeur a enfreint le paragraphe 194(1), qui constitue la seule base des deux mesures disciplinaires considérées, est relative à l’expertise habituelle et reconnue des cours de juridiction criminelle, je ne puis m’empêcher de constater que s’est développée simultanément dans le contexte des relations de travail toute une jurisprudence sur ce que signifie au juste la disposition interdisant de « conseiller » ou de « susciter » une grève illégale. Qui plus est, les arbitres de grief ont eux-mêmes été invités à confirmer ou à invalider des sanctions disciplinaires infligées à des représentants syndicaux qu’on accusait d’avoir « conseillé » ou « suscité » une grève illégale. En fait, ce n’est pas la première fois que le demandeur se voit infliger une sanction disciplinaire pour une infraction supposée à une disposition quasi pénale de cette nature et qu’un arbitre de grief confirme cette sanction; voir King c Conseil du Trésor (Revenu Canada), 2003 CRTFP 48, paragraphes 121, 123, 125-127, 135 et 137.

 

[106]       Tous ces facteurs font pencher la balance en faveur de l’application de la norme du caractère raisonnable à toutes les conclusions formulées par l’arbitre de grief dans la présente espèce, qu’elles soient définies comme des conclusions de fait, des conclusions mixtes de fait et de droit ou de pures conclusions de droit.

 

V.        ANALYSE

[107]       La décision de l’arbitre de confirmer les mesures disciplinaires et de rejeter les griefs doit être étayée par la preuve et appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47).

 

[108]       La présente affaire soulève trois questions qu’on peut formuler comme suit :

a)      La conclusion selon laquelle la LGFP confère à l’employeur le pouvoir de prononcer des mesures disciplinaires contre le demandeur est-elle déraisonnable?

b)      La conclusion selon laquelle l’employeur avait un motif valable de sanctionner le demandeur pour infraction au paragraphe 194(1) de la LRTFP est-elle déraisonnable?

c)      La conclusion selon laquelle l’employeur a prononcé des mesures disciplinaires d’un degré proportionné aux fautes est-elle déraisonnable?

 

[109]       Pour les motifs dont l’exposé suit, la Cour estime raisonnables les conclusions et la décision de l’arbitre de grief.

 

Le pouvoir de sanctionner le demandeur

[110]       L’arbitre de grief examine aux paragraphes 172 à 179 de la décision attaquée le point de savoir si l’administrateur général était autorisé à prononcer des mesures disciplinaires contre un dirigeant syndical à plein temps rémunéré par l’ASFC.

 

[111]       Premièrement, l’arbitre de grief rejette l’argument du demandeur selon lequel la violation supposée du paragraphe 194(1) de la LRTFP aurait dû faire l’objet de poursuites plutôt que de mesures disciplinaires. Il constate que l’employeur a le choix entre plusieurs mesures correctives possibles : Beaupré et Oldale, précitée, page 12; et Monarch Fine Foods Co Ltd c Milk and Bread Drivers, Dairy Employees, Caterers and Allied Employees, Local Union No 647, [1986] OLRB Rep May 66, paragraphe 5.

 

[112]       Deuxièmement, l’arbitre de grief conclut que la LFGP confère à l’administrateur général le pouvoir général de sanctionner tout employé qui « conseille » ou « suscite » une grève illégale, et que le pouvoir de l’employeur de sanctionner le demandeur n’est pas limité par le paragraphe 16.01 de la convention collective, qui ne fait qu’énoncer les conséquences de la « participation » à une grève illégale (paragraphe 176).

 

[113]       Le paragraphe 16.01 de la convention collective est rédigé comme suit :

16.01 La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique prévoit des peines à l’endroit de ceux et celles qui participent à des grèves illégales. Des mesures disciplinaires peuvent aussi être prises jusques et y compris le licenciement aux termes de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour toute participation à une grève illégale, au sens où l’entend la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

16.01 The Public Service Labour Relations Act provides penalties for engaging in illegal strikes. Disciplinary action may also be taken, which will include penalties up to and including termination of employment pursuant to paragraph 12(1)(c) of the Financial Administration Act for participation in an illegal strike as defined in the Public Service Labour Relations Act.

 

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[114]       Comme l’arbitre de grief a conclu que le pouvoir de l’employeur de sanctionner les fautes disciplinaires du demandeur découle de la LGFP et n’est pas limité par le paragraphe 16.01 de la convention collective, il faut, pour établir si cette conclusion est raisonnable, se reporter aux multiples dispositions applicables de la LGFP. Cependant, le fait pour l’arbitre d’avoir omis de citer dans sa décision des dispositions bien connues de la LGFP et de la LRTFP ne constitue pas une erreur donnant lieu à révision [King c Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1407, paragraphe 17] et est compatible avec l’approche générale appliquée par la Cour suprême dans Alberta Teachers’ Association, précité.

 

[115]       La partie I de la LGFP énonce les pouvoirs du Conseil du Trésor en matière de relations de travail. Le régime juridique de la gestion de la Fonction publique du Canada a déjà été minutieusement examiné par notre Cour, notamment aux paragraphes 10, 11 et 21 de Canada (Procureur général) c Tobin, 2008 CF 740 [Tobin CF], ainsi que par la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 8 à 10 et 56 de l’arrêt publié sous la référence 2009 CAF 254 [Tobin CAF] qui a confirmé cette décision.

 

[116]       L’affaire Tobin concernait un cadre du Service correctionnel du Canada [le SCC] qui avait été congédié après avoir plaidé coupable de harcèlement criminel à l’endroit d’une femme qu’il avait rencontrée dans l’exercice de ses fonctions. Dans les motifs écrits du congédiement, le SCC faisait observer que le délit dont il avait été déclaré coupable enfreignait son code de discipline et ses normes de conduite professionnelle. L’arbitre a cependant accueilli le grief au motif que, comme les actes qui avaient entraîné la déclaration de culpabilité au criminel avaient été accomplis hors service, l’employeur ne s’était pas acquitté de la charge de prouver qu’il avait le droit de sanctionner l’employé en question. La Cour d’appel fédérale a conclu que le juge du fond avait commis une erreur en appliquant la norme de la décision correcte, mais elle a néanmoins confirmé le caractère déraisonnable de la décision de l’arbitre de grief, au motif qu’il ne s’était « pas interrogé sur l’essence même des motifs du licenciement motivé et, par conséquent, [n’avait] pas utilisé la preuve au dossier, [ce qui démontrait] l’existence d’un processus vicié quant à la preuve et à l’analyse » (Tobin CF, paragraphe 55).

 

[117]       Aux termes de l’alinéa 7(1)e) de la LGFP, le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l’égard de la gestion des ressources humaines de l’administration publique fédérale, notamment la détermination des conditions d’emploi. Les alinéas 11.1f) et g) de la même loi disposent que le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice des attributions en matière de gestion des ressources humaines que lui confère l’alinéa 7(1)e), élaborer des lignes directrices ou des directives :

·         sur l’exercice des pouvoirs conférés par la LGFP aux administrateurs généraux de l’administration publique centrale, ainsi que les rapports que ceux‑ci doivent établir sur l’exercice de ces pouvoirs;

·         sur la façon dont les administrateurs généraux de l’administration publique centrale peuvent s’occuper des griefs présentés sous le régime de la LRTFP auxquels ils sont parties et plus particulièrement de ceux de ces griefs qui sont renvoyés à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de cette loi;

·         sur les rapports que ces administrateurs doivent établir sur ces griefs.

 

[118]       Les articles 11 à 13 de la LGFP portent expressément sur la gestion des ressources humaines. Je précise en passant que le gouverneur en conseil a ajouté l’ASFC à la liste des secteurs de l’administration publique fédérale qu’on trouve à l’annexe IV de la LGFP (DORS/2005‑58). Selon la définition donnée de cette expression au paragraphe 11(1), « administrateur général » s’entend, à l’égard de tout secteur de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV, de son premier dirigeant ou, à défaut, de son administrateur général au titre de la loi ou, à défaut de l’un et l’autre, du titulaire du poste désigné en vertu du paragraphe (2) à l’égard de ce secteur. Il n’est pas contesté que M. Gillan était l’administrateur général aux fins des mesures disciplinaires.

 

[119]       L’alinéa 12(1)c) de la LGFP est libellé comme suit :

12. (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

 

[...]

 

cétablir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires;

 (1) Subject to paragraphs 11.1(1)(f) and (g), every deputy head in the core public administration may, with respect to the portion for which he or she is deputy head,

 

 

...

 

(cestablish standards of discipline and set penalties, including termination of employment, suspension, demotion to a position at a lower maximum rate of pay and financial penalties;

 

                                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[120]       Notre Cour a interprété le pouvoir disciplinaire conféré à l’administrateur général par l’alinéa 12(1)c) de la LGFP [qui était alors son alinéa 11(2)f)] comme le pouvoir général d’« établir des normes de discipline et [de] les appliquer en infligeant des sanctions » : Tobin CF, paragraphe 12. Le paragraphe 12(3) de la même loi dispose notamment que les mesures disciplinaires découlant de l’application de l’alinéa 12(2)c) doivent être motivées. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable de la part de l’arbitre de grief de conclure que l’administrateur général était habilité à sanctionner le demandeur s’il pouvait être prouvé selon la prépondérance des probabilités que ce dernier avait « conseillé » ou essayé de « susciter » une grève illégale, en violation du paragraphe 194(1) de la LRTFP.

 

[121]       Le demandeur a aussi soutenu que l’arbitre de grief avait commis une erreur en concluant que le paragraphe 16.01 de la convention collective ne limitait pas le pouvoir disciplinaire de l’administrateur général à son égard. Sous le régime de ce paragraphe de la convention collective, fait valoir le demandeur, l’administrateur général ne peut prononcer de mesures disciplinaires en vertu du pouvoir que lui confère l’alinéa 12(1)c) de la LGFP que pour réprimer la « participation » à une grève illégale. Il était donc déraisonnable de la part de l’arbitre, selon le demandeur, de conclure que l’employeur ne pouvait s’astreindre ou ne s’était pas astreint à des règles déterminées de répression disciplinaire relativement aux grèves illégales.

 

[122]       L’arbitre de grief, fait observer le défendeur, n’a pas dit que les parties ne pouvaient pas négocier de telles clauses dans leur convention collective, mais plutôt que le paragraphe 16.01 n’exprimait pas un accord limitant les pouvoirs disciplinaires conférés à l’employeur par la LGFP. Le défendeur soutient que le libellé du paragraphe 16.01 de la convention collective n’est pas assez explicite pour étayer l’interprétation qu’en propose le demandeur et que, sauf disposition explicitement contraire, l’employeur était habilité à sanctionner ledit demandeur sous le régime du paragraphe 194(1) de la LRTFP.

 

[123]       La Cour suprême du Canada a confirmé il y a longtemps déjà la primauté de la convention collective en tant que loi des parties (McGavin Toastmaster Ltd c Ainscough, [1976] 1 RCS 718). Sous réserve de certaines dispositions législatives (voir les articles 113 et 114 de la LRTFP), la primauté de la convention collective dans le secteur public fédéral n’est pas contestée. Le juge George W. Adams formule à ce sujet les observations suivantes dans la plus récente édition de son ouvrage phare Canadian Labour Law, 2e éd., Aurora (Ont.), Canada Law Book, 2011 (au paragraphe 12.20 du volume 2) :

 

[traduction] La convention collective est la pierre angulaire de notre système de relations de travail. Elle atteste les droits de négociation; elle empêche la résiliation ou la cession de ces droits; elle énonce les conditions d’emploi pour une période déterminée; elle prévoit le règlement par arbitrage exécutoire de tout différend concernant son interprétation, son application ou son administration; et son existence peut décider de la légalité ou de l’illégalité de diverses actions de l’employeur, du syndicat ou des employés. Ainsi, aux fins de déterminer l’existence d’une convention, les commissions de relations de travail prennent en compte aussi bien les réalités du processus de négociation collective que la nécessité pratique de critères cohérents et faciles à comprendre.

 

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[124]       Cela dit, il faut se rappeler que le paragraphe 6.01 de la convention collective porte sur les « responsabilités de la direction » et stipule que « [s]auf dans les limites indiquées, la [convention collective] ne restreint aucunement l’autorité des personnes chargées d’exercer des fonctions de direction dans la fonction publique ». Il est arrivé qu’on invoque les clauses relatives aux droits de la direction telles que le paragraphe 6.01 de la convention collective considérée pour établir la légalité d’actions influant sur les conditions de travail des employés dans des cas où le syndicat n’avait pas négocié de stipulations explicites dans leur convention collective.

 

[125]       La question en litige dans Brescia c Canada (Conseil du Trésor) (CAF), 2005 CAF 236, était celle de savoir si l’État avait le droit de mettre unilatéralement des employés permanents à plein temps de la Commission canadienne des grains en situation d’inactivité sans rémunération pour une durée de trois mois en raison d’un manque de travail. La juge Desjardins, ayant à décider si le pouvoir général conféré par la LGFP au Conseil du Trésor l’autorisait à mettre certains employés en situation d’inactivité sans paye, a formulé les conclusions suivantes au paragraphe 50 de cet arrêt :

Je conclus que les pouvoirs étendus conférés au Conseil du Trésor et à ses délégués en vertu des alinéas 7(1)e) et 11(2)a) et d) de la LGFP et des articles 6.01 et 25.01 des conventions collectives applicables permettent à la Commission de mettre les appelants en situation d’inactivité sans paye. En particulier, le Conseil du Trésor en vertu de l’alinéa 7(1)e) a le pouvoir d’agir à l’égard de la « gestion du personnel de l’administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d’emploi » ; en vertu de l’alinéa 11(2)a), il peut assurer leur bonne utilisation; en vertu de l’alinéa 11(2)d), il peut déterminer et réglementer les traitements, les horaires et les congés, ainsi que les questions connexes. Ces derniers mots pourraient comprendre la procédure suivie pour le renvoi et le rappel des employés. De plus, en vertu de la convention collective, les responsabilités de gestion demeurent entières, sauf toute disposition contraire. Aucune garantie n’est donnée au fonctionnaire quant au nombre minimal ou maximal de ses heures de travail.

 

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[126]       La juge Desjardins, aussi bien que le juge Kelen qui avait statué en première instance [Brescia c Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 277, paragraphe 31], se sont prononcés dans ce sens après avoir fait leur la conclusion suivante exposée par le juge Joyal au paragraphe 71 de la décision AFPC c Canada (Commission canadienne des grains), [1986] ACF no 498 :

Je dois conclure que le régime prévoyant « la radiation d’un employé de la liste de paie » relève de la compétence législative attribuée au Conseil du Trésor en vertu de la Loi sur l’administration financière. J’estime également que le régime en question n’équivaut pas à une véritable mise en disponibilité au sens de l’article 29 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. J’arrive aussi à la conclusion qu’à défaut dans la convention collective d’une disposition d’interdiction, le régime susmentionné ne constitue pas, en raison des conséquences qu’il entraîne, une atteinte aux conditions prévues dans la convention collective, et il ne va pas non plus à l’encontre des objets de cette dernière. J’ajouterais que la radiation d’un employé de la liste de paie établit un bon équilibre entre les dispositions législatives, d’une part, et les dispositions contractuelles, d’autre part, et qu’elle ne viole aucune de ces dispositions. Enfin, je suis d’avis que les mesures discrétionnaires envisagées par la direction pour faire face au problème temporaire du personnel excédentaire ou au manque de travail sont légales.

 

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[127]       Dans la présente espèce, l’arbitre de grief a souscrit à la thèse de l’employeur sur ce point : « [L’]administrateur général, écrit l’arbitre, tire son pouvoir de prendre des mesures disciplinaires de la LGFP et non de la convention collective. La clause précitée de la convention collective énonce simplement les conséquences qu’entraîne la participation à une grève illégale. » Au vu de ce qui précède, c’est là une interprétation qui peut se justifier. À mon humble avis, le fait que l’arbitre aurait pu adopter l’interprétation contraire proposée par le demandeur ne constitue pas un motif suffisant d’intervention.

 

            Obéir d’abord et se plaindre ensuite

[128]       La règle « obéir d’abord et se plaindre ensuite » commandait aux agents des services frontaliers travaillant à l’AIP de continuer à se présenter au travail en attendant le règlement du grief de principe déposé contre l’horaire 6/2. Il en allait ainsi parce qu’[traduction] « il est admis que la raison d’être de cette règle réside dans le besoin qu’a l’employeur de pouvoir contrôler et diriger ses activités de manière qu’elles ne soient pas interrompues même en cas de différend, et dans son pouvoir concomitant de maintenir la discipline nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise » (Donald J.M. Brown et David M. Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, décembre 2011, paragraphe 7:3610). Par conséquent, tout refus individuel et injustifié de se présenter au travail pourrait être considéré comme un acte d’insubordination, et comme une grève le refus concerté de travailler.

 

[129]       La Cour reconnaît que la règle « obéir d’abord et se plaindre ensuite » admet des exceptions, par exemple le cas où les employés ont des motifs raisonnables de croire que l’exécution de l’ordre de l’employeur serait manifestement illégale, au sens où elle enfreindrait une loi publique [Re International Nickel Co of Canada Ltd and United Steelworkers (1974), 6 LAC (2d) 172], ou compromettrait leur santé et leur sécurité [Jim Pattison Sign Co (2004), 134 LAC (4th) 1], ou encore le cas où l’ordre de l’employeur s’adresse à un représentant syndical et que son exécution nuirait irréparablement aux intérêts des autres employés [Bell Canada (1996), 57 LAC (4th) 289], ou enfin le cas où l’ordre en question implique une atteinte aux droits fondamentaux à la vie privée, comme lorsqu’on prétend fouiller la personne ou les effets personnels des employés [Re Accuride Canada and Canadian Automobile Workers, Local 27 (1992), 29 LAC (4th) 137].

 

[130]       Il peut y avoir d’autres exceptions, plus rares –  telles que le cas où l’employé considéré individuellement subirait un préjudice irréparable s’il exécutait l’ordre de l’employeur, alors que son refus d’obéir n’entraînerait pour ce dernier qu’un préjudice minime, ou le cas où l’ordre de l’employeur constitue une violation manifeste de la convention collective – , mais le seuil est alors très élevé [Re Pacific Press and Communications, Energy and Paperworkers’ Union, Local 115M (1997), 69 LAC (4th) 214]. En outre, [traduction] « [l]es arbitres mettent souvent en garde contre la tentation d’étendre indûment ces exceptions jusqu’au point où elles noieraient la règle » (Canadian Labour Arbitration, précité, paragraphe 7:3620).

 

[131]       Dans la présente espèce, l’agent négociateur n’a invoqué aucune des exceptions reconnues à la règle « obéir d’abord et se plaindre ensuite ». Bien au contraire, il avait exhorté le demandeur à la patience et lui avait rappelé que le grief de principe était le mécanisme approprié pour régler la question des horaires de roulement. Par conséquent, aucune nécessité n’autorisait le demandeur à ne pas tenir compte des conseils que lui avait adressés le président de l’AFPC, à continuer de presser [traduction] « l’agent négociateur et le bureau national de la CEUDA d’appuyer un arrêt immédiat du travail », et à mobiliser les membres de l’unité de négociation de manière qu’ils soutiennent [traduction] « des actions syndicales ultérieures », lesquelles comprenaient indéniablement le refus collectif de travailler aux postes non prévus au paragraphe 25.17 de la convention collective.

 

            L’interprétation de l’article 194 de la LRTFP

[132]       Les dispositions d’interdiction relatives aux grèves illégales se trouvent aussi dans la partie 1 de la LRTFP, à ses articles 193 à 198. Le terme « grève » est défini comme suit au paragraphe 2(1) de cette loi : « Tout arrêt du travail ou refus de travailler, par des personnes employées dans la fonction publique agissant conjointement, de concert ou de connivence; y sont assimilés le ralentissement du travail ou toute autre activité concertée, de la part de telles personnes, ayant pour objet la diminution ou la limitation du rendement. » On voit que cette définition s’appliquerait au refus concerté des agents des services frontaliers employés à l’AIP de se conformer à l’horaire 6/2 et de se présenter au travail aux heures fixées par la direction.

 

[133]       La question est ici celle de savoir si le demandeur, en tant que dirigeant syndical, a conseillé ou suscité la déclaration d’une grève, ou encore la participation de fonctionnaires à une telle action, alors que, en fait, l’agent négociateur n’a ni déclaré ni autorisé de grève et que les employés n’ont pas participé à une grève. Rappelons pour plus de précision que le paragraphe 194(1), qui s’applique aux organisations syndicales et à leurs dirigeants ou représentants, est ainsi libellé :

194. (1) Il est interdit à toute organisation syndicale de déclarer ou d’autoriser une grève à l’égard d’une unité de négociation donnée, et à tout dirigeant ou représentant de l’organisation de conseiller ou susciter la déclaration ou l’autorisation d’une telle grève, ou encore la participation de fonctionnaires à une telle grève :

 

[...]

 

b) si une convention collective est en vigueur pour l’unité de négociation;

194. (1) No employee organization shall declare or authorize a strike in respect of a bargaining unit, and no officer or representative of an employee organization shall counsel or procure the declaration or authorization of a strike in respect of a bargaining unit or the participation of employees in such a strike, if

 

...

 

(b) a collective agreement applying to the bargaining unit is in force;

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[134]       Aux termes de l’article 203 de la LRTFP, le dirigeant ou représentant d’une organisation syndicale qui contrevient au paragraphe 194(1) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de dix mille dollars. Cependant, l’article 205 de la même loi dispose qu’il ne peut être intenté de poursuite pour une telle infraction sans le consentement de la Commission.

 

[135]       Le demandeur admet que le dirigeant syndical qui incite les employés à participer à une grève illégale enfreint le paragraphe 194(1) de la Loi, que ceux‑ci suivent ou non son conseil. Cependant, il a exhorté l’arbitre de grief à conclure que « conseiller » signifie « davantage que simplement suggérer, insinuer, opiner ou décrire ». S’agissant d’une infraction criminelle, a‑t‑il fait valoir, on doit donner au terme « conseiller » le sens plus fort d’« encourager activement », ainsi que l’atteste la jurisprudence pénale; voir R c Sharpe, 2001 CSC 2, paragraphe 56, [2001] 1 RCS 45 [Sharpe].

 

[136]       L’administrateur général a soutenu devant l’arbitre de grief que, au contraire, l’emploi des termes « conseiller ou susciter » dans l’article 194 de la LRTFP plutôt que des termes « déclarer ou [...] autoriser » qu’on trouve à l’article 89 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 [le CCT], donne à penser que le législateur avait en vue, sous le régime de la LRTFP, une interdiction particulièrement large concernant les grèves illégales. Le demandeur a répondu à cet argument devant l’arbitre en faisant observer que le libellé de la LRTFP n’est pas sans rappeler celui de l’article 81 (qui était auparavant l’article 74) de la Loi de 1995 sur les relations de travail (Ontario), LO 1995, c 1, ann A [la LRTO], ici reproduit :

81.  Le syndicat et le conseil de syndicats ne déclarent pas ni n’autorisent une grève illicite ni ne menacent d’en faire une. Le dirigeant et l’agent syndical ne recommandent, ne provoquent, n’appuient ni n’encouragent une grève illicite ni ne menacent d’en faire une.

81. No trade union or council of trade unions shall call or authorize or threaten to call or authorize an unlawful strike and no officer, official or agent of a trade union or council of trade unions shall counsel, procure, support or encourage an unlawful strike or threaten an unlawful strike.

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[137]       Le demandeur soutient que les dispositions relatives aux grèves illégales de divers régimes de relations de travail visent à empêcher et décourager les moyens de pression illicites, mais jamais au point de limiter le dialogue entre les représentants syndicaux et l’employeur ou le débat intrasyndical. Il a invoqué les paragraphes 70 et 80, reproduits ci‑dessous, de la décision Re Plaza Fiber Glas Mfg Ltd and USW, [1988] OLAA 62, 33 LAC (3d) 193 [Plaza Fiber Glas], à l’appui de la thèse qu’il convient d’interpréter de manière restrictive l’interdiction de « conseiller » ou de « susciter » une grève illégale :

[traduction]

 

[...] Je ne peux concevoir que le législateur, en adoptant l’article 74 [qui est maintenant l’article 81], ait eu l’intention d’interdire aux employés de prononcer le mot « grève » pendant la durée de la convention collective. Ce serait rendre un très mauvais service à l’employeur et nuire aux relations syndicales-patronales en général que d’interdire aux dirigeants syndicaux de communiquer à ce dernier le mécontentement des employés qui pourrait donner lieu à un arrêt de travail. À mon avis, les dirigeants syndicaux ont non seulement le droit, mais aussi l’obligation, de discuter librement et franchement de telles questions avec l’employeur, de le mettre au courant de la situation et de l’aider à la désamorcer.

 

[...] Le terme « menacent » dénote l’intention ou la résolution actuelle et déclarée de faire du tort immédiatement ou plus tard. Une déclaration peut constituer une menace même si sa mise à exécution est subordonnée à une éventualité, que celle‑ci dépende ou non de la volonté de son auteur. La poursuite doit établir l’existence d’une « véritable menace », c’est‑à‑dire d’une menace sérieuse, par opposition à un simple argument tactique, à des paroles en l’air ou à une plaisanterie.

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[138]       Dans la présente espèce, l’arbitre de grief a conclu que le paragraphe 194(1) de la LRTFP contient une double interdiction : 1) il interdit de conseiller ou de susciter la déclaration ou l’autorisation d’une grève illégale, ce qui se rapporte aux efforts déployés par un dirigeant syndical pour obtenir l’autorisation d’une grève illégale d’un agent du syndicat qui refuse cette autorisation; et/ou 2) il interdit de conseiller ou de susciter la participation de fonctionnaires à une telle grève, ce qui se rapporte aux efforts déployés par un dirigeant syndical en vue d’obtenir la participation des syndiqués à une grève de cette nature. Pour l’application du paragraphe 194(1) de la LRTFP, précisait l’arbitre, le terme « conseiller » doit être interprété comme signifiant « aviser ou recommander », et le terme « susciter » veut dire « causer, provoquer, occasionner, obtenir par des soins ou des efforts, arranger, induire, persuader une personne de faire quelque chose (Shorter Oxford Dictionary, 3e édition) ». L’arbitre a rejeté la thèse du demandeur selon laquelle les termes « conseiller ou susciter » devraient nécessairement s’interpréter selon la signification qu’on leur attribue en contexte pénal.

 

[139]       L’arbitre de grief a fait observer que « [l]es lois régissant les relations de travail ne sont pas des lois pénales » et que, quoi qu’il en soit, « il existe une jurisprudence, dans le domaine des relations de travail, qui définit ces termes » (paragraphe 188). Il a invoqué à cet égard le paragraphe 24 de la décision Canada (Conseil du Trésor) c Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228, [1972] CRTFPC 7, [1972] CPSSRB 7 [Fraternité internationale des ouvriers en électricité], où la  Commission écrit que les synonymes de « recommander » (counseling) et de « provoquer » (procuring) « sont légion » et que l’on peut dire de toute personne qui « charge, pousse, exhorte, engage, excite, encourage ou incite » qu’elle recommande ou provoque. En outre, l’arbitre a conclu que « [l’]action d’inciter ou de conseiller doit être établie objectivement et non en fonction de l’interprétation des employés [Goyette c Conseil du Trésor (Commission d’assurance-chômage), dossier de la CRTFP no 166‑02‑3057 (19771027), pages 20 et 21].

 

[140]       Le demandeur soutient que l’interprétation donnée par l’arbitre de grief de l’article 194 est erronée en droit ou par ailleurs déraisonnable. Par l’effet des articles 203 et 205 de la LRTFP, la violation du paragraphe 194(1) est une infraction quasi criminelle dont l’auteur encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende pouvant aller jusqu’à dix mille dollars. Par conséquent, raisonne le demandeur, l’application de cette disposition était subordonnée à la production d’éléments prouvant qu’il avait l’intention que ses paroles ou ses actions provoquent une grève illégale. Dans ce contexte, selon lui, les termes « conseiller ou susciter » doivent recevoir « le sens plus fort d’encourager activement », comme la Cour suprême l’explique au paragraphe 56 de Sharpe, précité, et au paragraphe 72 de R c Hamilton, 2005 CSC 47, [2005] 2 RCS 432 [Hamilton]. Le rejet de cette jurisprudence par l’arbitre, conclut le demandeur, est erroné ou par ailleurs déraisonnable.

 

[141]       Le défendeur soutient quant à lui dans la présente instance que, comme l’arbitre de grief n’avait pas à statuer sur une affaire criminelle, mais sur une question de caractère civil mise en litige sous le régime d’une loi ordinaire du travail, et que la signification des termes « conseiller » et « susciter » ne présente ni incertitude ni ambiguïté, son interprétation du paragraphe 194(1) de la LRTFP était conforme à la jurisprudence du travail de sa juridiction, et l’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir tenu compte de l’interprétation donnée de ces termes en contexte pénal. Cette disposition, explique le défendeur, appelle une interprétation large fondée sur une appréciation objective de la preuve et non sur un examen des intentions subjectives.

 

[142]       L’interprétation retenue par le demandeur, soutient le défendeur, ne rend pas compte de l’objet visé par l’emploi des termes « conseiller » et « susciter » au paragraphe 194(1) de la LRTFP. Les obligations mutuelles de l’employeur et de l’organisation syndicale, selon le défendeur, éclairent l’intention qu’avait le législateur en érigeant en infraction dans la LRTFP le fait de conseiller ou susciter : 1) la déclaration ou l’autorisation d’une grève illégale, et 2) la participation de fonctionnaires à une telle grève. En effet, si le législateur avait envisagé cette interdiction comme ne s’appliquant qu’à des déclarations explicites établissant une intention coupable de la part d’un représentant syndical, il aurait employé dans la LRTFP les mêmes termes que dans l’article 89 du Code canadien du travail, qui interdit « au syndicat de déclarer ou d’autoriser une grève » avant que ne soient remplies des conditions déterminées.

 

[143]       La Cour remarque que l’arbitre chargé de décider dans l’affaire Plaza Fiber Glass si le représentant syndical avait enfreint la disposition de l’article 81 de la LRTO selon laquelle « [l]e dirigeant et l’agent syndical ne recommandent [counsel], ne provoquent [procure], n’appuient ni n’encouragent une grève illicite ni ne menacent d’en faire une », écrit au paragraphe 80 de cette décision : [traduction] « Le terme "menacent" dénote l’intention ou la résolution actuelle et déclarée de faire du tort immédiatement ou plus tard. Une déclaration peut constituer une menace même si sa mise à exécution est subordonnée à une éventualité, que celle‑ci dépende ou non de la volonté de son auteur. »

 

[144]       Même si le point de vue du demandeur selon lequel la poursuite doit établir l’existence d’une [traduction] « "véritable menace", c’est‑à‑dire d’une menace sérieuse, par opposition à un simple argument tactique, à des paroles en l’air ou à une plaisanterie », semble avoir été dans une certaine mesure celui d’autres arbitres, cela ne suffit pas à juger déraisonnable la logique suivie par l’arbitre de grief dans la présente espèce. Il se peut que, comme le soutient le demandeur, le paragraphe 194(1) de la LRTFP, correctement interprété, exige que l’employeur prouve l’accomplissement d’actes dépassant la simple discussion de l’autorisation ou de la déclaration d’une grève illégale, par exemple l’établissement d’un plan de moyens de pression concertés ou la communication de directives explicites aux employés en ce sens, mais comme je le disais plus haut, ce n’est pas là la norme de contrôle applicable.

 

[145]       La Cour doit seulement se demander si le libellé de l’article 194 peut raisonnablement étayer l’interprétation large qu’en a adoptée l’arbitre de grief, et la réponse est oui à en juger par la jurisprudence sur laquelle il s’appuie. Une telle approche déférente peut sembler injuste, mais ce paradoxe est inhérent à la norme de la raisonnabilité. Si l’arbitre de grief avait plutôt retenu une interprétation plus étroite de l’article 194 de la LRTFP, l’employeur n’aurait eu lui-même d’autre possibilité que d’en alléguer le caractère déraisonnable. Il lui aurait été aussi difficile d’obtenir gain de cause qu’il l’est en l’occurrence au demandeur de convaincre la Cour d’annuler les mesures disciplinaires considérées, et il y aurait eu peu de chances pour qu’elle intervienne sauf démonstration de la nature irrationnelle ou arbitraire de cette interprétation étroite.

 

            La justification des mesures disciplinaires

[146]       Le principe que la participation à une grève illégale peut constituer un motif juste et suffisant de congédiement est établi depuis longtemps; voir Douglas Aircraft Co of Canada c McConnell, [1980] 1 RCS 245, et Lafrance et autres c Commercial Photo Service Inc, [1980] 1 RCS 536. En outre, l’employeur est fondé à sanctionner le représentant syndical qui a incité ses employés à participer à une grève illégale, même si celle‑ci n’a pas eu lieu.

 

[147]       Dans King c Conseil du Trésor (Revenu Canada), 2003 CRTFP 48, le demandeur avait envoyé au Premier ministre du Canada et à des députés fédéraux une lettre où il formulait des observations sur diverses questions opposant l’employeur à son personnel. L’arbitre de grief Dan Quigley notait au paragraphe 106 de cette décision : « Ce que la direction reproche à cette lettre n’est pas la validité ni la légitimité des observations, des irritants et des plaintes, mais plutôt son dernier paragraphe, qui commence par la phrase suivante : [traduction] "En ce qui concerne la première question que j’ai mentionnée, je vais conseiller à tous les inspecteurs des douanes de ne plus faire d’inspection poussée sans avoir un collègue présent comme témoin." » Dans cette affaire, la lettre du demandeur exprimait son intention sans ambiguïté et recommandait explicitement aux inspecteurs de cesser de remplir leurs fonctions. L’arbitre de grief écrit plus loin, aux paragraphes 122 à 125 de sa décision :

Dans sa lettre du 3 avril 1997, il a déclaré : [traduction] « Je vais conseiller à tous les inspecteurs des douanes... » alors que, dans la version originale de l’avis, il a déclaré : « We offer the following advice... » (« Nous vous donnons les conseils suivants... ») Ce « we » (« nous ») était d’après le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé le pluriel collectif et s’entendait du syndicat, soit d’une organisation syndicale, en vertu de l’article 203.

 

Le Concise Oxford Dictionary (Tenth Edition) définit le mot « counsel » comme s’entendant de « conseil », particulièrement lorsque donné officiellement. Je conclus donc que, en vertu de l’article 103 de la LRTFP, le conseil que le fonctionnaire s’estimant lésé a donné dans son avis revenait à conseiller officiellement à ses membres de participer à une grève.

 

[…]

 

Même s’il n’y a pas eu d’arrêt du travail, de refus de travailler ou de continuer de travailler par des fonctionnaires, le fonctionnaire s’estimant lésé a tenté, en affichant son avis, d’amener ses membres à agir de façon concertée.

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[148]       Il n’est pas contesté dans la présente instance que la charge pesait sur l’administrateur général de prouver suivant la prépondérance des probabilités qu’il eût un motif valable de sanctionner le demandeur, et que la preuve de la faute disciplinaire devait être « suffisamment claire et convaincante » pour remplir le critère de la prépondérance des probabilités (FH c McDougall, 2008 CSC 53, paragraphe 46). L’employeur déclare avoir prononcé la suspension de 30 jours aussi bien que le licenciement au motif que le demandeur aurait [traduction] « conseillé ou essayé de susciter un arrêt de travail illégal » en affichant et réaffichant les deux phrases qu’on lui reproche. Cependant, bien que les mêmes termes aient été employés dans les deux messages, l’arbitre de grief s’estimait tenu d’examiner chaque sanction disciplinaire séparément (paragraphes 180 et 181).

 

[149]       L’arbitre de grief a jugé que les courriels internes échangés entre le demandeur, l’AFPC et les dirigeants nationaux de la CEUDA étaient des éléments d’appréciation pertinents et admissibles, au motif qu’ils éclairaient le contexte des deux déclarations reprochées au demandeur, et établissaient sa connaissance des questions contestées et des circonstances y afférentes aux moments en cause (paragraphes 182 et 183). L’arbitre a examiné successivement la suspension de 30 jours (paragraphes 184 à 200) et le licenciement (paragraphes 201 à 220). Il a conclu que les déclarations du demandeur avaient dans les deux cas pour objet de « conseiller ou susciter » une grève illégale, en violation du paragraphe 194(1) de la LRTFP (paragraphes 191 et 210), et que l’employeur était fondé à lui infliger une suspension de 30 jours (paragraphe 200) et à le licencier (paragraphe 217).

 

[150]       L’arbitre de grief a constaté que la proposition [traduction] « préparez-vous à soutenir des actions syndicales ultérieures » était ambiguë puisqu’elle pouvait aussi s’appliquer à des actions licites. Il s’est plutôt appuyé sur les mots [traduction] « je presse l’agent négociateur [...] d’appuyer un arrêt immédiat du travail » pour conclure que le demandeur exhortait l’AFPC et le bureau national de la CEUDA à soutenir son opinion, c’est‑à‑dire le point de vue suivant lequel le syndicat était en droit de faire la grève.

 

[151]       De son examen de la correspondance entre le demandeur, l’AFPC et les dirigeants nationaux de la CEUDA, l’arbitre de grief a conclu que le demandeur, en tant que représentant syndical expérimenté, était ou aurait dû être conscient du fait que l’unité de négociation n’était pas en droit de déclarer la grève. Il a donc rejeté l’explication du demandeur selon laquelle ce dernier cherchait à obtenir l’expression d’une position définitive sur la légalité d’une action de grève dans la situation considérée. C’est là une conclusion de fait, que la Cour ne peut remettre en question sauf démonstration qu’elle n’est pas étayée par la preuve, ou qu’elle est arbitraire ou irrationnelle.

 

[152]       L’arbitre de grief a formulé les conclusions suivantes à propos du premier message affiché sur le site Web du syndicat :

[189] Le fonctionnaire a témoigné qu’il demandait simplement des clarifications sur une opinion juridique. Toutefois, ce n’est pas ce qu’il a écrit. Il a écrit qu’il [traduction] « […] pressait l’agent négociateur […] pour obtenir un appui à un débrayage maintenant ». Il s’agit là d’une déclaration explicite qui dénote qu’il en était déjà arrivé à une conclusion en ce qui concerne l’arrêt de travail. On ne « presse » pas les gens d’appuyer une position si l’on ne souscrit pas soi-même à cette position. L’emploi de ce verbe indique que le fonctionnaire faisait pression auprès de l’AFPC et du bureau national de la CEUDA en vue d’obtenir un appui à une opinion qu’il avait déjà faite sienne. La phrase [traduction] « [P]réparez-vous à soutenir de futures activités syndicales » est en soi ambiguë, dans la mesure où il pourrait s’agir d’activités qui étaient permises. Cependant, par rapport à la déclaration précédente au sujet du débrayage « maintenant », j’ai déterminé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était question d’appui à un arrêt de travail illégal. Cette interprétation est confirmée par l’examen de ces termes dans le contexte de ce que le fonctionnaire savait alors. Il savait que l’unité de négociation n’était pas dans une situation de grève légale. Il savait aussi que l’AFPC avait déclaré on ne peut plus clairement qu’elle n’allait pas soutenir toute autre action que celle qui consistait à faire que le grief de principe sur la question des EPHV suive son cours.

 

[190 Il importe aussi de noter ce que le fonctionnaire croyait déjà à ce qu’il essayait d’obtenir. Il a déclaré que la section locale 24 n’avait aucune intention de se livrer à un arrêt de travail tant qu’elle n’aurait pas reçu [traduction] « une opinion juridique ou l’appui demandé de la part de l’agent négociateur » (pièce E‑1, onglet 22, je souligne). Il est clair qu’il sollicitait donc une autorisation ([traduction] « l’appui demandé ») de l’AFPC pour déclencher un arrêt de travail illégal. Comme on l’a fait valoir plus haut, la LRTFP interdit que l’on conseille ou suscite l’autorisation d’une grève illégale. Manifestement, le fonctionnaire conseillait à l’AFPC d’autoriser un débrayage.

 

[191 Par conséquent, je conclus que la déclaration faite par le fonctionnaire équivalait à susciter ou à conseiller une grève illégale, et ce, en contravention du paragraphe 194(1) de la LRTFP.

 

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[153]        Le demandeur soutient que l’arbitre de grief a agi de manière déraisonnable en omettant de prendre en considération des éléments de preuve pertinents et concluants qui étayaient son explication de ses actes, ce qui faisait sérieusement douter de la validité de la conclusion voulant qu’il ait voulu inciter ses collègues à une grève illégale. Plus précisément, explique le demandeur, l’arbitre n’a pas accordé cette conclusion avec les éléments établissant :

·         l’obligation qu’il avait, en tant que représentant syndical, de répondre aux préoccupations et demandes de renseignements des syndiqués dans le cadre d’un dialogue intrasyndical sur la légalité de tels ou tels moyens de pression;

·         le fait que l’employeur ait attendu quelque six semaines avant de réagir par une quelconque mesure au premier message Web;

·         le fait que le demandeur ait obéi à l’ordre de l’employeur lui enjoignant de retirer le message Web attaqué et que le deuxième message ne faisait qu’exposer les raisons pour lesquelles l’employeur l’avait suspendu.

 

[154]       Selon la Cour, aucun des reproches ci‑dessus n’est concluant ni ne justifie qu’elle annule la décision contrôlée et demande à un autre arbitre de grief de reprendre l’affaire depuis le début.

 

[155]       Pour ce qui concerne le deuxième message Web, l’arbitre de grief a refusé d’admettre que le demandeur, en l’affichant, avait simplement pour intention d’informer les syndiqués de la sanction disciplinaire qu’il avait reçue, puisqu’il avait choisi d’y reproduire les deux phrases que l’employeur estimait illicites. L’arbitre a fait observer que ce deuxième message « conservait un ton de défiance » et a convenu avec l’employeur que le défendeur « aurait pu adopter un ton plus neutre pour expliquer sa situation ». L’arbitre a aussi conclu que les phrases reproduites dans le message Web du 3 novembre 2007, à les lire dans le contexte de l’ensemble de ce message et des pièces jointes (soit des courriels du 30 octobre et du 2 novembre 2007), constituaient « une nouvelle charge visant à conseiller ou susciter une grève illégale ».

 

[156]       Ici encore, tout en reconnaissant que la conclusion de l’arbitre de grief selon laquelle l’employeur avait prouvé les fautes disciplinaires est une issue possible acceptable au regard des faits et du droit, la Cour répète que ce n’était peut-être pas la seule issue de cette nature. En effet, il apparaît qu’un agent spécialisé de Ressources humaines et Développement des compétences Canada avait auparavant accepté en décembre 2007 la demande de prestations présentée par le demandeur sous le régime de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23, concluant des éléments d’appréciation au dossier que l’employeur n’avait pas établi les fautes disciplinaires et qu’il n’était pas certain que les déclarations reprochées au demandeur enfreignent le paragraphe 194(1) de la LRTFP, [traduction] « étant donné l’absence de preuves réelles qu’il ait personnellement autorisé ou déclaré une grève ».

 

[157]       Bien qu’il puisse y avoir lieu de se demander si M. King a été licencié pour avoir désobéi à un ordre direct (donc pour insubordination), ou plutôt parce que le second message Web enfreignait le paragraphe 194(1) de la LRTFP, ou encore pour les deux motifs, l’arbitre de grief a manifestement pris en considération la totalité de la preuve avant de conclure que l’employeur s’était acquitté de la charge d’établir les fautes disciplinaires. Le demandeur avait proposé une interprétation différente de ses actes et du contenu de ses messages affichés sur le site Web du syndicat. Cependant, l’arbitre avait la faculté de refuser de le croire ou de rejeter ses explications, et il a exposé des motifs qui étayent cette conclusion à la lumière de la preuve. Par conséquent, la conclusion confirmant la réalité des fautes disciplinaires n’est pas déraisonnable au vu des faits.

 

            Les libertés d’association et d’expression

[158]       L’arbitre de grief a aussi rejeté tous les arguments du demandeur fondés sur la thèse de son immunité disciplinaire en tant que représentant syndical communiquant avec ses mandants.

 

[159]       L’arbitre admet qu’« [u]n degré significatif de protection est accordé aux dirigeants syndicaux pour leur permettre de parler librement de questions touchant les employés » (paragraphe 192), mais il refuse de reconnaître l’immunité dans le cas des « actions de conseiller ou susciter l’autorisation d’une grève illégale et de conseiller ou susciter la participation de fonctionnaires à une grève illégale », qui « ont toujours été considérées comme de sérieuses inconduites justifiant la prise de mesures disciplinaires sévères » (paragraphe 195). Cette conclusion est étayée par la jurisprudence, et notre Cour ne serait pas fondée à l’infirmer.

 

[160]       Il n’empêche que le demandeur, aussi bien à l’arbitrage que devant notre Cour, a mis en avant que la question de la présente espèce n’est pas l’infliction de sanctions pour fautes disciplinaires ou insubordination, mais le droit fondamental du représentant syndical de traiter librement sur le Web de questions de travail intéressant ses mandants sans aucune ingérence de l’employeur. Le défendeur a quant à lui soutenu qu’un représentant syndical en congé payé n’est pas à l’abri de mesures disciplinaires s’il a conseillé ou essayé de susciter une grève illégale.

 

[161]       L’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [la Charte], garantit la liberté d’association, tandis que son alinéa 2b) assure la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. Les droits à l’égalité sont protégés par l’article 15 de la Charte, et pour ce qui concerne l’emploi, l’article 7 de la LCDP dispose que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu.

 

[162]       L’alinéa 186(1)a) de la LRTFP, qui se trouve dans sa partie 1, érige en pratique déloyale le fait pour l’employeur ou le titulaire d’un poste de direction d’intervenir dans l’administration d’une organisation syndicale ou dans la représentation des fonctionnaires par celle‑ci :

186. (1) Il est interdit à l’employeur et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, qu’il agisse ou non pour le compte de l’employeur :

 

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci;

 

[...]

 

186. (1) Neither the employer nor a person who occupies a managerial or confidential position, whether or not the person is acting on behalf of the employer, shall

 

(a) participate in or interfere with the formation or administration of an employee organization or the representation of employees by an employee organization;

 

...

 

 

[163]       Le paragraphe 19.01 de la convention collective applicable concerne directement le grief contestant les sanctions infligées au demandeur. Cette clause interdit notamment à l’employeur toute discrimination, ingérence, intimidation ou mesure disciplinaire à l’égard d’un employé du fait de son appartenance à un syndicat ou de son activité syndicale :

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

19.01 There shall be no discrimination, interference, restriction, coercion, harassment, intimidation, or any disciplinary action exercised or practiced with respect to an employee by reason of age, race, creed, colour, national or ethnic origin, religious affiliation, sex, sexual orientation, family status, mental or physical disability, membership or activity in the Alliance, marital status or a conviction for which a pardon has been granted.

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[164]       Par suite de la nature contradictoire du processus de négociation collective, la jurisprudence arbitrale reconnaît généralement la nécessité de protéger dans une certaine mesure les représentants syndicaux contre les sanctions disciplinaires et de leur accorder un certain degré de liberté d’action afin qu’ils puissent remplir leurs fonctions de représentation de manière que soit assurée l’intégrité de ce processus. L’arbitre de grief Bilson a formulé à ce sujet les conclusions de principe suivantes au paragraphe 50 de Shaw c Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2006 CRTFP 125 :

[L]e raisonnement à l’appui de la protection des représentants de l’agent négociateur contre les mesures disciplinaires pour des déclarations critiquant l’employeur, sauf celles qui sont malveillantes ou fausses, est que de tels représentants doivent pouvoir exercer le jugement nécessaire pour s’abstenir de faire preuve du degré ordinaire de déférence envers l’employeur afin de s’acquitter d’une responsabilité de représenter les employés avec vigueur et franchise. Le but exprimé dans les dispositions législatives que j’ai citées ici est analogue. Une mesure disciplinaire faisant des distinctions à l’égard d’une personne parce qu’elle a exercé des droits prévus par la Loi constitue une intervention dans la représentation syndicale. Non seulement de telles mesures font qu’il est difficile pour les représentants de s’acquitter de leurs fonctions de représentation et leur imposent un prix personnel à payer qui peut les empêcher de contester l’employeur, mais elles envoient comme message aux autres employés qu’il est risqué d’exercer les droits que leur confère la Loi. Par conséquent, on s’attend des employeurs qu’ils ne prennent pas de décisions disciplinaires qui contreviennent aux dispositions susmentionnées [notamment l’alinéa 186(2)a) de la LRTFP].

 

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[165]       La nécessité de cette protection doit cependant être mise en balance avec les droits que la LRTFP confère à l’employeur. Citons à ce propos la mise en garde formulée par Brown et Beatty au paragraphe 9:1530 de Canadian Labour Arbitration, 4e édition, Aurora, mars 2010 :

[traduction] Le droit du représentant syndical de faire valoir vigoureusement le point de vue du syndicat dans ses rapports avec l’employeur doit être mis en balance avec le droit de ce dernier d’exploiter son entreprise à l’abri du harcèlement et des violences verbales. Par conséquent, le représentant syndical encourt des sanctions disciplinaires, comme tout autre employé, s’il se permet des déclarations malveillantes – qu’il sait fausses ou qui sont telles parce qu’il a omis de les vérifier par insouciance –, ou des déclarations qui menacent, veulent intimider ou attaquent publiquement l’employeur ou un membre de la direction. Une telle protection ne s’appliquerait pas non plus aux actes extérieurs au domaine normal des attributions syndicales, par exemple à un comportement injurieux envers d’autres employés ou des fournisseurs indépendants.

 

[Renvois omis.]

 

[166]       Bien que les faits de la présente espèce soient différents de ceux de Plaza Fiber Glass, où la question en litige était celle de savoir si les propos offensants adressés par le plaignant au président de la société au cours d’une réunion concernant un incident survenu sur le lieu de travail constituaient un motif valable de sanction, ayant été perçus comme une menace de grève illégale, les observations formulées par l’arbitre au paragraphe 19 de cette décision paraissent particulièrement éclairantes :

[traduction] Le représentant syndical (qu’il s’agisse d’un délégué d’atelier, du président du syndicat d’usine ou d’un membre du comité syndical), lorsqu’il essaie régler des différends entre les employés et la direction, travaille toujours à la limite de l’insubordination. Il a pour fonction de contester les décisions de l’entreprise, et si, dans l’exercice de cette fonction, il risque de se voir sanctionner pour insubordination, sa capacité à jouer son rôle s’en trouvera considérablement diminuée. Il ne s’ensuit pas que le membre de comité syndical ait toute licence de désobéir aux instructions de la direction et d’inviter les autres à faire de même. Son immunité, si on peut l’appeler ainsi, se limite aux actes qu’il accomplit ou omet d’accomplir dans l’exercice de ses fonctions syndicales, et aux actes ou omissions qu’on peut raisonnablement considérer comme un exercice légitime de ces fonctions. Pour dire les choses de façon imagée, le membre de comité syndical n’a pas le droit de donner un coup de poing sur le nez à un contremaître comme moyen d’obtenir le règlement d’un grief.

 

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[167]       L’arbitre de grief Dissanayake explique bien lui aussi la mise en balance nécessaire aux paragraphes 29 et 30 de Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada and Bell Canada (Hofstede Grievance), [1996] CLAD 914 :

[traduction]

 

À notre avis, le point de savoir si le représentant syndical a droit à l’immunité disciplinaire dépend chaque fois des faits de l’espèce. Il faut partir du principe que, une fois qu’un employé est élu à un poste syndical, sa situation dans l’entreprise change notablement. Il doit alors remplir un double rôle. En tant qu’employé, il doit se conformer aux mêmes règles et politiques que ses collègues. Cependant, lorsqu’il agit en qualité de représentant syndical, il fait partie intégrante du processus de négociation collective qui a cours quotidiennement dans l’entreprise : il est alors sur un pied d’égalité avec les membres de la direction. Il doit être libre de surveiller l’application de la convention collective et d’en assurer vigoureusement la bonne exécution. Il est inévitable que, dans l’exercice de ces fonctions syndicales, il se fasse remarquer plus que ses collègues. Il lui arrivera nécessairement de temps à autre d’entrer en conflit avec des membres de la direction. Si plein de tact et de doigté qu’il soit, il lui faudra chevaucher à l’occasion la frontière entre la représentation vigoureuse de ses mandants et l’insubordination à l’égard de membres de la direction. Étant donné la difficulté du rôle qui incombe au représentant syndical, son droit d’exercer ses fonctions de manière satisfaisante doit être rigoureusement protégé, sauf dans les cas extrêmes. Le simple zèle militant, même excessif, ne devrait pas entraîner de sanctions. Il faut que le représentant syndical puisse faire valoir son point de vue avec autant de vigueur et d’émotion qu’il le désire, même si ce point de vue devait en fin de compte se révéler erroné.

 

Cependant, il ne s’ensuit pas que la conduite du représentant syndical est affranchie de toutes règles. Il faut trouver un équilibre entre la grande marge de liberté dont il doit disposer dans l’exercice de ses fonctions syndicales, et son obligation simultanée de s’abstenir rigoureusement de profiter de son poste syndical pour se livrer à des actes d’insubordination manifeste, et pour contester agressivement le droit de la direction de gérer l’entreprise et de maintenir la production sans perturbation. [Concernant les déclarations inexactes sur le plan des faits faites par des représentants syndicaux sur des membres de la direction, voir la page 382 de la décision Burns Meats, précitée, où l’arbitre Picher explique qu’il faut trouver un équilibre entre « les intérêts relatifs à la dignité de l’employeur » et « la nécessité du libre débat et de l’expression sans entraves dans la négociation collective ».] Étant donné l’équilibre délicat qu’il faut maintenir entre, d’une part, le droit de l’employeur de gérer son entreprise et d’exercer son activité sans interruption, et d’autre part, le droit du représentant syndical de faire valoir vigoureusement le point de vue du syndicat dans les discussions avec l’employeur, il est impossible, et il serait selon nous dangereux, de formuler un critère définitif permettant d’établir à quel moment la conduite dudit représentant cesse d’être protégée et peut donner lieu à des sanctions disciplinaires. Chaque affaire doit être tranchée en fonction de l’ensemble de ses faits.

 

 

[168]       Dans la présente espèce, l’arbitre de grief a posé en principe que « [l]a protection que la LRTFP accorde aux dirigeants syndicaux vaut pour les activités menées dans le respect de la loi ». L’employeur avait prouvé selon lui que le demandeur avait violé le paragraphe 194(1) de la LRTFP en conseillant ou essayant de susciter une grève illégale. Par conséquent, le demandeur ne pouvait alléguer qu’il avait été sanctionné illégalement ou qu’il avait fait l’objet d’une discrimination illégale, puisque sa conduite n’était protégée ni par la convention collective ni par la LRTFP. L’arbitre a aussi conclu que l’employeur, en prononçant des mesures disciplinaires contre le demandeur, n’avait pas enfreint le paragraphe 19.01 de la convention collective (qui interdit la discrimination fondée sur l’activité syndicale). L’immunité disciplinaire des dirigeants syndicaux se limite aux actes qu’ils accomplissent dans le cadre de leurs attributions syndicales et [traduction] « qu’on peut raisonnablement considérer comme un exercice légitime » de celles‑ci. Ces conclusions, selon la Cour, sont raisonnables.

 

[169]       Notons en passant que l’arbitre de grief a rejeté après un bref examen l’argument du demandeur fondé sur les dispositions relatives aux pratiques déloyales de travail (article 186 de la LRTFP) et la liberté d’association garantie par la Charte. En fait, a rappelé l’arbitre, seule « [u]ne mesure disciplinaire faisant des distinctions à l’égard d’une personne parce qu’elle a exercé des droits prévus par la Loi constitue une intervention dans la représentation syndicale » (Shaw, précitée, paragraphe 50). L’arbitre a aussi établi une distinction entre le grief dont il était saisi et celui qu’avait réglé la décision Plaza Fiber Glas, précitée, faisant observer que cette dernière affaire concernait l’expression du mécontentement des employés à l’employeur et non des communications adressées aux employés. Le demandeur, a expliqué l’arbitre, n’avait pas été sanctionné pour avoir soulevé devant l’employeur l’idée d’une possibilité légale de grève, mais pour avoir « conseillé » ou essayé de « susciter » une grève illégale. Par conséquent, l’arbitre s’estimait légalement autorisé à conclure que, comme le demandeur avait enfreint le paragraphe 194(1) de la LRTFP, il avait outrepassé le domaine licite de ses attributions de représentant syndical.

 

[170]       Selon la Cour, il était permis à l’arbitre de grief de conclure que le message du demandeur informant les membres de son unité de négociation qu’il avait été suspendu n’était pas « une forme d’expression syndicale qui devait être protégée ». « Il va sans dire, explique l’arbitre au paragraphe 211, que les déclarations qui revêtent un caractère malveillant ou qui sont de fausses déclarations faites sciemment ou de façon insouciante ne constituent pas un discours syndical protégé. Les termes employés par le fonctionnaire ne font pas partie du cadre de ses devoirs licites de représentation. En l’espèce, ses déclarations contreviennent à la LRTFP. » Cette conclusion générale est étayée par la preuve et conforme aux principes établis.

 

            Le degré des mesures disciplinaires

[171]       Ayant posé que l’employeur avait un motif valable de sanctionner le demandeur, l’arbitre de grief a conclu que la suspension de 30 jours et le licenciement s’inscrivaient dans des limites de sévérité justifiées par les faits (paragraphes 200 et 217), bien que le demandeur ait retiré son premier message du site Web et que, à la date de l’arbitrage, les mesures disciplinaires antérieurement prononcées contre lui avaient été considérablement réduites. En fait, l’arbitre a conclu que la fonction de représentant syndical remplie par le demandeur justifiait des sanctions plus sévères que celles qu’on inflige aux non-syndicalistes; voir Natrel Inc c Milk and Bread Drivers, Dairy Employees, Caterers and Allied Employees, Local 647, (2005) 136 LAC (4th) 284, paragraphe 4.

 

[172]       Le fait que les déclarations du demandeur n’aient pas entraîné d’arrêt de travail effectif, a conclu l’arbitre de grief, ne changeait rien à leur définition comme infraction à l’interdiction de conseiller ou de susciter une grève illégale. Ce n’était pas là selon lui une circonstance atténuante (paragraphes 195 et 215). Bien au contraire, c’était une circonstance aggravante, puisque le demandeur « savait que certains syndiqués voulaient qu’on exerce quelques moyens de pression au travail et que ces paroles ne feraient que mettre le feu aux poudres » (paragraphe 197). L’arbitre n’a pas non plus considéré comme une circonstance atténuante le fait que le demandeur ait retiré le message contesté du site Web du syndicat le 30 octobre 2007 (paragraphe 196). Il en a jugé de même pour la durée de six semaines écoulée entre la faute disciplinaire et la suspension de 30 jours, étant donné que ce délai n’était pas « excessif » et que l’administrateur général avait « agi avec prudence et [...] mené de vastes consultations » (paragraphe 199).

 

[173]       L’arbitre de grief a aussi posé en principe que la dissuasion est un facteur à prendre en considération dans l’évaluation du bien-fondé d’une mesure disciplinaire; voir Manitoba (Department of Justice) c Manitoba Government and General Employees’ Union, (2009) 181 LAC (4th) 235, paragraphe 207. Selon l’arbitre, le fait que le demandeur n’ait pas admis le caractère illicite de son message et ne s’en soit pas excusé constituait une circonstance aggravante qui justifiait une longue suspension (paragraphe 196), ainsi que le licenciement, étant donné que le demandeur avait « continué de ne pas reconnaître sa responsabilité dans les mots qu’il [avait] utilisés, et [n’admettait] pas qu’il [ait] conseillé et suscité un arrêt de travail illégal » (paragraphe 214). La nature de l’activité professionnelle est aussi à prendre en considération, a ajouté l’arbitre, le travail des agents des services frontaliers reposant sur un lien de confiance.

 

[174]       L’arbitre de grief a également conclu que le demandeur avait accompli des actes qui « sortaient du cadre des activités syndicales licites » et qu’une telle conduite dénotait « une attitude qui n’est acceptable pour aucun fonctionnaire, en particulier un agent des services frontaliers » (paragraphe 218). Le demandeur n’avait évidemment pas accepté la décision de l’employeur de le suspendre 30 jours. Cependant, conformément à la règle « obéir d’abord et se plaindre ensuite », il aurait dû exprimer « son désaccord au moyen de la procédure applicable aux griefs et non par d’autres communications avec les membres de l’unité de négociation » (paragraphe 205). Il ne lui était pas permis de défier publiquement l’employeur et d’inviter les membres de son unité de négociation à se joindre à son combat.

 

[175]       L’arbitre de grief a aussi pris en considération, dans le raisonnement qui l’a amené à confirmer les mesures disciplinaires prononcées par l’employeur, les sanctions antérieurement infligées au demandeur et la nature des fautes qui les avaient provoquées. Il a conclu que l’employeur avait appliqué comme il le devait la règle de la sévérité progressive des mesures disciplinaires, qui implique aussi la prise en considération des circonstances aggravantes. Ayant pris en compte les mêmes circonstances aggravantes pour ce qui concerne le licenciement du demandeur, l’arbitre a conclu que, étant donné le contexte particulier de l’affichage du deuxième message Web, cette sanction se justifiait. Bien que les mesures disciplinaires antérieures aient été considérablement réduites au moment de l’arbitrage, a‑t‑il aussi conclu, le licenciement après un total de 45 jours de suspension au dossier (total qui comprenait la suspension de 30 jours) constituait « une sanction disciplinaire d’une ampleur tout à fait acceptable » (paragraphe 217).

 

[176]       Le demandeur soutient devant notre Cour que l’arbitre de grief a confirmé les mesures disciplinaires contestées en omettant de prendre dûment en considération les circonstances atténuantes applicables, soit : 1) le fait qu’on ait notablement réduit entre-temps les sanctions disciplinaires auparavant prononcées contre lui par l’employeur; et 2) la portée et la gravité des fautes en question.

 

[177]       Pour ce qui concerne la première circonstance atténuante, le demandeur soutient que, même dans l’hypothèse du rejet de son grief, il fallait annuler les mesures disciplinaires attaquées pour les remplacer par des sanctions moindres, proportionnées aux importantes réductions de ses suspensions antérieures. En outre, fait valoir le demandeur, il convient de prendre en considération le caractère répétitif de ces réductions parce qu’il démontre que l’employeur a systématiquement omis de tenir dûment compte de sa fonction de représentant syndical en s’ingérant dans ses activités syndicales et en lui infligeant des sanctions excessives. Le demandeur affirme que l’arbitre a commis une erreur en concluant que le comportement antérieur de l’employeur, contrairement à ses propres antécédents, n’était pas pertinent pour l’examen du point de savoir si les mesures disciplinaires contestées étaient proportionnées aux fautes. L’arbitre, ajoute le demandeur, a aussi omis d’examiner l’effet du conflit de longue date entre les parties sur la réaction de l’employeur aux deux incidents qui avaient entraîné ces mesures.

 

[178]       Touchant la deuxième circonstance atténuante, le demandeur soutient qu’on voit mal comment le second message Web pouvait raisonnablement être vu comme un motif de licenciement puisque, comme M. Gillan l’a déclaré dans son témoignage, l’employeur ne s’était pas estimé fondé à le licencier après l’affichage du premier (à un moment où il avait un total de 80 jours de suspension à son dossier) et que celui‑là ne faisait que citer deux phrases de celui‑ci.

 

[179]       Le défendeur soutient quant à lui devant la Cour que la conduite du demandeur en l’espèce justifiait bel et bien une réponse disciplinaire et que les conclusions de l’arbitre de grief à ce propos sont étayées par la preuve et la jurisprudence. Il fait observer que la jurisprudence de la Commission a établi que l’incitation ou l’encouragement illicite à un arrêt de travail peut justifier l’infliction de sanctions disciplinaires à un représentant syndical; voir Latouf et al c Conseil du Trésor (ministère des Postes), dossiers de la CRTFP nos 166‑02‑3500 à 3504 (19780620), pages 40 et 45; et Goyette c Conseil du Trésor (Commission d’assurance-chômage), dossier de la CRTFP no 166‑02‑3057 (19771027), page 27.

 

[180]       Le défendeur rappelle aussi que le demandeur avait déjà fait l’objet d’une suspension de dix jours –  qui ne figure plus à son dossier aux fins d’application de la règle de la gravité progressive des mesures disciplinaires –  pour infraction à l’article 103 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, LRC 1985, c P‑35 (l’ancienne LRTFP), maintenant abrogé et remplacé par l’article 194 de la LRTFP. Bien qu’il n’y ait pas eu arrêt de travail dans cette affaire, qui a donné lieu à la décision King c Conseil du Trésor (Revenu Canada), 2003 CRTFP 48, l’arbitre de grief Dan Quigley a conclu que « le fonctionnaire s’estimant lésé [avait] tenté, en affichant son avis, d’amener ses membres à agir de façon concertée [pour ralentir le] travail afin de diminuer ou de limiter le rendement à l’AIP », en violation de l’article 103 de l’ancienne LRTFP, dont le contenu est semblable à celui de l’article 194 de la LRTFP actuelle. Le demandeur avait été sanctionné pour cette faute disciplinaire.

 

[181]       Le défendeur met en avant qu’il n’appartient pas au juge siégeant en révision de substituer son opinion à celle d’un expert en relations de travail. Dans la présente espèce, les conclusions de l’arbitre de grief sont fondées sur la preuve. Il lui était permis de confirmer les mesures disciplinaires en cause, et il n’a pas pris en considération de facteurs dénués de pertinence.

 

[182]       Au moment de l’audience d’arbitrage, fait valoir le défendeur, le dossier du demandeur comprenait une suspension de cinq jours et une autre de dix jours, ce qui justifiait l’infliction d’une suspension de 30 jours et le licenciement qui a suivi. Le défendeur admet que l’application stricte du principe de la sévérité progressive des mesures disciplinaires semblerait ici appeler une suspension de 20 jours. Cependant, explique‑t‑il, les circonstances aggravantes prises en compte par l’arbitre de grief, notamment la gravité des fautes du demandeur et son absence de regret, ont joué un rôle déterminant dans le raisonnement qui l’a amené à déclarer la suspension de 30 jours adéquate au vu des faits.

 

[183]       Quant au point de savoir si le licenciement du demandeur était une sanction appropriée, le défendeur soutient que le réaffichage du message justifiait à lui seul ce licenciement, étant donné les antécédents disciplinaires du demandeur et sa récente suspension de 30 jours.

 

[184]       Le défendeur fait observer que le point de savoir si l’employé avait exprimé du regret de sa conduite répréhensible et une prise de conscience des implications de celle‑ci était dans la présente espèce un facteur d’importance cruciale pour l’évaluation de la justification des mesures disciplinaires (voir Brazeau c Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, paragraphe 191). En outre, ajoute le défendeur, les lourdes conséquences qu’aurait entraînées la perturbation de l’activité des agents des services frontaliers à l’AIP constituaient une autre circonstance aggravante qui justifiait un écart par rapport au principe de la sévérité progressive des mesures disciplinaires.

 

[185]       La Cour ne discerne aucune erreur donnant lieu à révision dans l’examen mené par l’arbitre du degré des mesures disciplinaires, et je souscris entièrement à cet égard aux conclusions du défendeur. Bien que les sanctions infligées en l’occurrence puissent sembler dures, la Cour doit confirmer la décision attaquée, étant donné qu’il était permis à l’arbitre de grief d’accorder une importance particulière aux circonstances aggravantes et à l’objectif de dissuasion. L’appréciation des facteurs énumérés dans la décision attaquée n’est pas déraisonnable au vu des faits. Les motifs de contestation avancés par le demandeur équivalent à un simple désaccord avec le tribunal spécialisé sur la manière dont celui‑ci a apprécié ces facteurs.

 

VI.       CONCLUSION

[186]       Dans son examen du caractère raisonnable, le Cour doit s’interroger sur « la justification de la décision », ainsi que sur « la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47), en appliquant l’approche déférente récemment entérinée par la Cour suprême dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] ACS no 62.

 

[187]       En dernière analyse, aucun des motifs de contestation invoqués par le demandeur n’emporte la conviction. Ce dernier rejette tout simplement les conclusions de l’arbitre de grief. Le demandeur a affirmé devant notre Cour que, en affichant sa réponse à la question d’un syndiqué sur le site Web de la section locale 24 de la CEUDA, et en citant ensuite ce message dans un autre où il annonçait sa suspension à ses mandants et leur en exposait les motifs, il n’incitait pas les membres de la section locale à faire une grève illégale ni ne leur demandait, à eux ou à l’agent négociateur, l’autorisation de déclarer une telle grève. C’est bien possible, mais l’arbitre en a jugé différemment, et il lui était en l’occurrence permis de le faire.

 

[188]       La présente instance n’est pas un appel mais une demande de contrôle judiciaire. La légalité de la décision contrôlée tient essentiellement à sa rationalité, et le pouvoir discrétionnaire d’intervention de notre Cour dépend du point de savoir si cette décision appartient ou non aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La Cour doit résister à la tentation d’intervenir parce que le résultat lui semble injuste ou parce qu’un autre arbitre de grief serait peut-être parvenu à un résultat différent. C’est le grand respect que lui inspirent le processus arbitral et la volonté du législateur exprimée par la clause privative qui empêche la Cour de se substituer à l’arbitre de grief, d’apprécier de nouveau la preuve dont il disposait, et de réexaminer ses conclusions de fait et de droit.

 

[189]       La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Étant donné le résultat de l’instance, les dépens seront adjugés au défendeur.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les dépens sont adjugés au défendeur.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑2171‑10

 

INTITULÉ :                                      JOHN KING c

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 27 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Raven

Bijon Roy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Richard Fader

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, s.r.l./LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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