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Cour fédérale

 

Federal Court


 


 Date: 20120504


Dossier : T-108-11

Référence : 2012 CF 536

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

 

BASSAM AL KHOURY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel déposé en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch C-29 [la Loi], d’une décision rendue par un juge de la citoyenneté de ne pas attribuer la citoyenneté canadienne au demandeur.

I.          Les faits et la décision portée en appel

[2]               Le demandeur, citoyen de la Syrie, est devenu résident permanent du Canada le 15 décembre 2001.

[3]               Il a déposé une demande de citoyenneté le 17 octobre 2007. La période pertinente pour examiner s’il a satisfait aux critères de la Loi est celle du 3 octobre 2003 au 3 octobre 2007.

[4]                Dans sa demande de citoyenneté, le demandeur a déclaré 1 460 jours de résidence de base et 365 jours d’absence du Canada durant cette période, pour un total de 1 095 jours de présence physique, soit le nombre minimal requis par l’alinéa 5(1)c) de la Loi (Dossier  du défendeur, pièce P-14). Toutefois, le questionnaire de résidence rempli par la suite par le demandeur indiquait qu’il était présent au Canada pendant tout au plus 1 081 jours (Dossier  du défendeur, pièce P-12, paragraphe 598).

[5]               Après avoir examiné les documents soumis par le demandeur à l’appui de sa demande, une agente envoya une note de service au juge de la citoyenneté afin de soumettre la demande à une audience avant la décision. L’agente y exprima ses préoccupations quant à la demande, notamment le fait que le demandeur n’avait pas indiqué 10 jours d’absence dans sa demande initiale, qu’il y avait une contradiction quant à la date à laquelle le demandeur est arrivé au Canada pour y habiter et que l’agente avait des doutes quant à savoir si le demandeur avait indiqué toutes ses absences du Canada (Dossier certifié du tribunal aux pp 591-592).

[6]               Dans une lettre datée du 14 juillet 2010, le demandeur fut convoqué à une entrevue avec le juge de la citoyenneté pour le 28 juillet 2010. Suite à l’audience, le juge remit au demandeur un nouveau questionnaire de résidence avec une liste de documents exigés pour appuyer sa demande, dont un relevé de la Régie de l’assurance maladie du Québec [RAMQ].

[7]               Une semaine plus tard, le demandeur a présenté en mains propres au bureau du juge le nouveau questionnaire de résidence partiellement complété avec une lettre explicative datée du 4 août 2010 référant à son questionnaire de résidence précédent. Le demandeur n’a pas inclus le relevé de la RAMQ qui lui avait été demandé (Affidavit du demandeur, pièces P-31 à P-33).

[8]               Selon les notes du juge, la majorité de la preuve que le demandeur lui a soumise était des copies de documents soumis auparavant à l’agente et qu’il avait déjà considérés insatisfaisants, que la présence physique du demandeur était de 1 081 jours, mais qu’elle restait « toutefois à confirmer », que le peu de preuves supplémentaires soumises par le demandeur soulevait plus de doutes que de jouer en sa faveur et que le demandeur ne semblait pas avoir été très actif au Canada et qu’il avait du mal à répondre correctement aux questions posées quant à ses connaissances du Canada et même de son lieu d’habitation à Montréal (Dossier certifier du tribunal aux pp 13-14).

[9]               Dans ses motifs en date du 3 décembre 2010, le juge de la citoyenneté a donc refusé la demande de citoyenneté car le demandeur ne répondait pas aux exigences des alinéas 5(1)c) et 5(1)e) de la Loi:

 

Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch C-29

 

Attribution de la citoyenneté

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

[…]

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

[…]

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté; […]

 

[Nous soulignons.]

Citizenship Act, RSC 1985,

c C-29

 

Grant of citizenship

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

[...]

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

[...]

 

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; [...]

 

[Emphasis added.]

 

[10]           En ce qui concerne l’alinéa 5(1)c), le juge a examiné encore une fois tous les documents soumis par le demandeur et déterminé que ceux-ci ne constituaient pas des preuves satisfaisantes de sa résidence au pays, tel que requis par le critère physique établi dans la décision Pourghasemi (Re) (1993), 62 FTR 122, [1993] ACF 232 [Pourghasemi]. Pour ce qui est de l’alinéa 5(1)e), les réponses fournies par le demandeur lors de l’entrevue du 28 juillet 2010 n’ont pas démontré qu’il possédait une connaissance suffisante du Canada. Finalement, quant à la possibilité de recommander l’exercice des pouvoirs discrétionnaires prévus au paragraphe 5(4) de la Loi, bien qu’il a tenté de savoir lors de l’entrevue s’il existait des circonstances spéciales pouvant justifier une telle recommandation, selon le juge de la citoyenneté, le demandeur n’avait soumis aucun élément de preuve à cet égard.

II.        Positions des parties

[11]           Premièrement, le demandeur conteste le délai entre la communication de la décision préliminaire du juge de la citoyenneté au ministre le 13 août 2010 et la décision officielle rendue le 3 décembre 2010 puisque l’article 14 de la Loi indique que le juge de la citoyenneté statue sur la conformité de ces demandes « [d]ans les soixante jours de sa saisine ».

[12]           Deuxièmement, le demandeur conteste le fait que le juge de la citoyenneté a appliqué le critère physique de résidence établi dans Pourghasemi, précité, et non le critère de la « centralisation du mode de vie au Canada », qui n’exige pas une présence physique de 1 095 jours si le demandeur peut satisfaire adéquatement aux six facteurs énumérés dans la décision Koo (Re), [1992] ACF 1107 au para 10, [1993] 1 CF 286 [Koo]. Le demandeur est d’avis qu’au regard de ces six facteurs, il a clairement établi sa résidence au Canada, mais que le juge de la citoyenneté n’a pas examiné et considéré l’ensemble des preuves documentaires fournies.

[13]           Troisièmement, quant à la détermination faite en vertu de l’alinéa 5(1)e) de la Loi, le demandeur affirme qu’il avait une attente légitime qu’il passerait un examen écrit sur sa connaissance du Canada et que le juge de la citoyenneté n’a pas respecté l’équité procédurale en lui faisant passer au lieu un examen oral lors de l’entrevue.

[14]            Pour sa part, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] affirme qu’en tenant compte de la preuve devant lui, la décision du juge de la citoyenneté était raisonnable, que le délai prolongé pour statuer sur la demande n’invalide pas la décision et que le fait d’évaluer de manière orale les connaissances du Canada du demandeur n’a pas entraîné un manquement aux règles d’équité procédurale.

III.       Questions en litige

1.    Quelles sont les conséquences du défaut du juge de la citoyenneté de rendre sa décision dans le délai de 60 jours prescrit par la Loi?

2.    Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en appliquant le critère physique lors de l’évaluation de la demande de citoyenneté?

3.    Le  juge de la citoyenneté a-t-il manqué aux règles d’équité procédurale en évaluant les connaissances du Canada du demandeur de manière orale?

IV.       Norme de contrôle applicable

[15]           Ayant examiné attentivement la jurisprudence en ce qui concerne ce type d’appel, j’appuie le raisonnement du juge Donald Rennie tel qu’énoncé dans Martinez-Caro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 640 aux paras 36-52, [2011] ACF 881 [Martinez-Caro], où il préconise l’application de la norme correcte à l’interprétation de l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Le juge Rennie reconnaît dans ses motifs l’exception au recours à la norme de la décision correcte lorsqu’un tribunal spécialisé interprète sa loi constitutive (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 54, [2008] ACS 9 et Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7 au para 37, [2011] ACS 7), mais conclut de manière convaincante que cette exception ne s’applique pas à la question de l’interprétation de la définition de la résidence étant donné notamment son importance générale pour le système juridique et le fait que l’intention du législateur est claire et « ne peut être contourné par le choix d’une norme déférente » (Martinez-Caro au para 51). L’application du critère approprié aux faits demeure assujettie à la norme de la décision raisonnable (Yan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1153 au para 15, [2009] ACF 1438 [Yan]).

[16]           Quant aux questions d’équité procédurale, cette Cour doit appliquer la norme de la décision correcte (Sadykbaeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1018 au para 12, [2008] ACF 1261 [Sadykbaeva]).

 

 

 

V.        Analyse

A. Quelles sont les conséquences du défaut du juge de la citoyenneté de rendre sa décision dans le délai de 60 jours prescrit par la Loi?

[17]           Le demandeur n’aurait reçu aucune explication pour le délai de plus de trois mois entre son entrevue et la décision rendue par le juge de la citoyenneté le 3 décembre 2010, et ce, malgré le fait que le juge de la citoyenneté aurait communiqué sa décision préliminaire au ministre le 13 août 2010. Le demandeur affirme qu’une « décision du juge de la citoyenneté dans les délais aurait implicitement donné l’occasion au demandeur de combler la lacune d’obtenir les jours manquants de résidence en demeurant au Canada, ou de gagner davantage de délai pour loger un appel imminent à la décision du rejet de la citoyenneté » (Mémoire du demandeur au para 36).

[18]           Dans Yan, précité, un jugement sur lequel le demandeur s’appuie d’ailleurs dans ses soumissions écrites, le juge Leonard Mandamin a examiné cette même question. Il note entre autres que la Loi ne prévoit pas de conséquences pour une décision rendue hors du délai et conclut que « le paragraphe 14(5) de la Loi qui impose un délai maximal de 60 jours est une disposition à caractère directif. En l'espèce, le délai supérieur aux 60 jours prescrits n’a pas fait perdre sa compétence au juge de la citoyenneté » (Yan, précité, au para 25).

[19]           En l’espèce, le demandeur n’aurait pu, comme il le prétend, « combler la lacune d’obtenir les jours manquants de résidence en demeurant au Canada » par après puisque la période précise d’évaluation devait être celle du 3 octobre 2003 au 3 octobre 2007. À ce titre, le demandeur demeure toutefois libre de déposer une nouvelle demande en tout temps lorsqu’il sera d’avis qu’il répondra aux exigences de la Loi pour la période de quatre ans qui précède la date de sa demande. Pour ce qui est de l’affirmation qu’il aurait eu plus de temps pour loger un appel de la décision s’il avait reçu la décision plus tôt, l’alinéa 14(5)b) de la Loi prévoit que le demandeur peut interjeter appel de la décision en déposant un avis d’appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date de la communication de la décision de rejet. Le délai du juge de la citoyenneté à émettre une décision finale n’a donc d’aucune manière nuit à l’opportunité de faire appel de cette décision et le demandeur avait toujours 60 jours pour faire appel à partir du moment où la décision lui a été communiquée. Dans ces circonstances, je partage l’avis du juge Mandamin que le délai du juge de la citoyenneté à rendre la décision ne lui a pas fait perdre sa compétence.

B.         Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en appliquant le critère physique lors de l’évaluation de la demande de citoyenneté?

[20]           Le demandeur ne conteste pas qu’il a passé 1 081 jours de présence physique au Canada, soit 14 jours de moins que ne l’exige le critère physique de résidence établi dans Pourghasemi, précité. Toutefois, le demandeur explique ses absences de 14 jours comme étant justifiées par la maladie de sa mère, des vacances et des voyages d’affaires. Le demandeur allègue que dans ces circonstances, le juge de la citoyenneté aurait dû au lieu appliquer le critère de la « centralisation du mode de vie au Canada » établi dans Koo, précité. Le demandeur invoque à l’appui trois décisions de cette Cour (Bah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 69, [2010] ACF 44 [Bah]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Takla, 2009 CF 1120, [2009] ACF 1371 [Takla]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Elzubair, 2010 CF 298, [2010] ACF 330 [Elzubair]).

[21]           Tout d’abord, le juge Michel Shore affirme dans Bah, au para 14, que le juge de la citoyenneté pouvait adopter l’un ou l’autre des critères établis par cette Cour. Cette décision n’est donc pas favorable au demandeur et le ministre souligne également les décisions Mizani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 698 aux paras 10-13, [2007] ACF 947 de et Debai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 146 au para 13, [2011] ACF 202 où les juges Danièle Tremblay-Lamer et Michel Beaudry partagent tous les deux l’avis du juge Shore.

[22]            Examinant maintenant la décision Elzubair soulevée par le demandeur, le juge Russel Zinn y déclare que si un juge de la citoyenneté arrive à la conclusion qu’un demandeur était physiquement présent au Canada pendant au moins 1 095 jours, la résidence est prouvée. Autrement, le juge doit recourir au critère contextuel établi dans Koo. Toutefois, je note que cette conclusion du juge Zinn est basée sur la remarque suivante: « Aux paragraphes 46 à 49 de la décision Takla, le juge Mainville a étayé de manière convaincante sa conclusion selon laquelle il ne devrait y avoir qu’un seul critère de résidence, même si la jurisprudence de la Cour dénote le contraire. Je souscris à son opinion » (Elzubair, précité, au para 13). La conclusion du juge Zinn n’est donc pas le résultat d’une analyse comparative entre les deux critères ni le résultat de sa propre interprétation de la Loi, mais plutôt tirer ainsi afin d’appuyer la conclusion du juge Robert Mainville « selon laquelle il ne devrait y avoir qu’un seul critère de résidence ». 

[23]           En effet, à la lecture des paragraphes 46 à 49 de la décision Takla auxquels se réfère le juge Zinn, je ne peux qu’acquiescer à mon tour aux déclarations suivantes du juge Mainville (Takla, précité, au para 47):

[I]l m’apparaît préférable de favoriser une approche uniforme à l’interprétation et à l’application de la disposition législative en cause. J’arrive à cette conclusion dans un effort d’uniformisation du droit applicable. En effet, il n’est pas cohérent que le sort d’une demande de citoyenneté soit déterminé selon des grilles d’analyse et des critères qui divergent d’un juge à un autre. Dans la mesure du possible, il faut favoriser la cohérence des décisions des tribunaux administratifs […]

 

Toutefois, comme le juge Zinn, le juge Mainville ne se prononce pas contre le critère physique de Pourghasemi. Au contraire, il reconnaît même être « d’avis que le critère de la présence physique pendant trois ans soutenu par la première école jurisprudentielle est conforme au texte de la loi » (Takla, précité, au para 47). En fait, le juge Mainville n’adopte pas le critère contextuel de Koo suite à une analyse comparative entre les deux critères ou à cause de sa propre interprétation de la Loi, mais plutôt parce que ce critère aurait « été repris par la jurisprudence de cette Cour au point qu’il constitue aujourd’hui, et de loin, le critère dominant » (Takla, précité, au para 43). Le juge Mainville se fie à ce sujet sur les propos du juge Luc Martineau dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zhou, 2008 CF 939 au para 9, [2008] ACF 1170, où ce dernier spécule que cette dominance s’explique « peut-être en partie en raison des six questions qui ont été énoncées spécifiquement dans le formulaire utilisé par les juges de la citoyenneté ».

[24]           En ayant à l’esprit le fait que les décisions Takla et Elzubair ne sont pas le résultat d’une interprétation législative, mais plutôt d’un désir tout à fait louable d’uniformiser le droit, je désire souligner à nouveau la décision Martinez-Caro. Bien qu’elle n’a pas été soulevée par les parties, le juge Rennie y adresse le raisonnement dans Takla en affirmant que « si la courtoisie judiciaire est fortement souhaitable, elle ne justifie pas d’écarter une conclusion quant à l’intention du législateur telle qu’elle est exprimée dans une loi » (Martinez-Caro, précité, au para 25). Le juge Rennie entreprend ensuite, de manière méthodique, détaillée et convaincante, une interprétation littérale, téléologique et contextuelle de la Loi.

[25]           Il s’appuie notamment sur les propos suivants du juge Francis Muldoon exprimés dans Pourghasemi, précité, aux paras 2-3 (incorrectement attribué au juge Marc Nadon dans Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de  l’Immigration), 2001 CFPI 1229, [2001] ACF 1693):

 

2       […] Le législateur a introduit un élément d’insistance dans le texte de loi en posant pour condition la résidence « au Canada pendant au moins trois ans ». Les mots soulignés ne sont pas nécessaires; ils ne servent qu’à insister sur la durée prévue. L’appelant a accumulé moins qu’un an avant la date de sa demande. En entreprenant une interprétation téléologique du texte de loi, on doit se demander pourquoi le législateur prescrit au moins trois ans de résidence au Canada durant les quatre années qui précédent la date de la demande de citoyenneté.

 

3       Il est évident que l’alinéa 5(1)c) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d’acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de « se canadianiser » […].

[26]           Dans son analyse, le juge Rennie considère non seulement l’alinéa 5(1)c) mais aussi les paragraphes 5(1.1) et 5(4) de la Loi, qui se révèlent très pertinents à l’exercice d’interprétation:

 

Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch C-29

 

Période de résidence

 

5. (1.1) Est assimilé à un jour de résidence au Canada pour l’application de l’alinéa (1)c) et du paragraphe 11(1) tout jour pendant lequel l’auteur d’une demande de citoyenneté a résidé avec son époux ou conjoint de fait alors que celui-ci était citoyen et était, sans avoir été engagé sur place, au service, à l’étranger, des forces armées canadiennes ou de l’administration publique fédérale ou de celle d’une province.

 

 

[…]

 

 

 

Cas particuliers

 

(4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d’ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne qu’il désigne; le ministre procède alors sans délai à l’attribution.

Citizenship Act, RSC 1985,

c C-29

 

Residence

 

5. (1.1) Any day during which an applicant for citizenship resided with the applicant’s spouse who at the time was a Canadian citizen and was employed outside of Canada in or with the Canadian armed forces or the federal public administration or the public service of a province, otherwise than as a locally engaged person, shall be treated as equivalent to one day of residence in Canada for the purposes of paragraph (1)(c) and subsection 11(1).

 

[…]

 

 

 

Special cases

 

(4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.


Il suffit de reprendre les propos suivants du Juge Rennie au sujet de ces dispositions (Martinez-Caro, précité, aux paras 31 et 34):

 

31        […] Le sens ordinaire du paragraphe 5(1.1) étaye la conclusion qu’entraîne l’interprétation comme un tout des dispositions de la loi, à savoir que ne comptent pas aux fins du calcul, sauf dans les circonstances restreintes ainsi prévues, les périodes passées hors du Canada par les non-citoyens. Le législateur a ainsi prévu expressément pendant quelle période de temps, et en quelles circonstances, un citoyen éventuel pouvait se trouver à l’extérieur du pays. Si l’on interprète la loi selon son sens ordinaire, à mon avis, l’obligation de résidence pendant trois ans au cours de la période de quatre ans a expressément été conçue afin d’autoriser, pendant cette période, une absence physique d’une année.

[...]

34                 Pour conclure sur la question de l’interprétation législative, je relève que le législateur a conféré aux juges de la citoyenneté le pouvoir discrétionnaire de recommander au ministre de la Citoyenneté d’attribuer la citoyenneté dans des circonstances exceptionnelles. On a ainsi prévu au paragraphe 5(4) le pouvoir discrétionnaire de remédier aux situations inhabituelles de détresse ou aux situations inéquitables, comme lorsqu’une personne a été empêchée d’entrer au Canada pour des motifs échappant à sa volonté, et considérer que le même pouvoir discrétionnaire découle implicitement de la définition même de la résidence, c’est donner ouverture indirectement à ce dont le législateur a déjà traité directement au paragraphe 5(4). Cela prive aussi en réalité de tout effet le pouvoir discrétionnaire conféré. Pourquoi sinon une recommandation au ministre serait-elle nécessaire si, par le choix d’un critère plus laxiste, la citoyenneté pouvait être attribuée?

[Nous soulignons].

[27]           Je souscris donc à mon tour, comme l’ont fait avant moi mes collègues les juges Judith Snider (Sinanan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1347, [2011] ACF 1646 et Ye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1337, [2011] ACF 1639) et Yvon Pinard (Hysa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1416, [2011] ACF 1759), à l’interprétation juridique de l’alinéa 5(1)c) effectuée par le juge Rennie et à sa conclusion que la résidence s’entend de la présence physique au Canada. Pour cette raison, je suis d’avis que le juge de la citoyenneté n’a commis aucune erreur en appliquant le critère physique lors de l’évaluation de la demande de citoyenneté.

C.        Le  juge de la citoyenneté a-t-il manqué aux règles d’équité procédurale en évaluant les connaissances du Canada du demandeur de manière orale?

[28]           Le demandeur affirme qu’il avait une attente légitime qu’il passerait un examen écrit sur sa connaissance du Canada, qu’il « a été privé de l’avantage procuré par l’examen écrit […] et si l’opportunité lui [aurait] été équitablement offerte, il aurait réussi » (Mémoire du demandeur au para 52). Pour appuyer son argument que le juge de la citoyenneté n’a pas respecté l’équité procédurale en lui faisant passer un examen oral, le demandeur cite un long extrait de la décision Sadykbaeva, où le juge Yves de Montigny a accueilli l’appel d’une demanderesse qui avait été obligée de passer un examen oral.

[29]           Toutefois, comme le souligne le ministre, la demanderesse avait reçu dans ce cas une lettre qui affirmait que l’examen écrit durerait environ 30 minutes. Le juge de Montigny conclut que puisque l’examen écrit était la seule forme d’évaluation mentionnée dans la lettre, « on pouvait manifestement s’attendre à ce que la demanderesse soit évaluée de cette façon. Cette attente était manifestement légitime, surtout compte tenu des guides des politiques et des programmes de CIC accessibles au public […] » (Sadykbaeva, aux paras 17-18). En effet, ces guides spécifiaient que toute personne âgée de 18 à 54 ans qui présentait une demande de citoyenneté devait rédiger l’examen écrit de citoyenneté, mais que si une personne échouait à l’examen écrit, elle devait alors avoir une entrevue personnelle avec un juge de la citoyenneté afin d’évaluer ses aptitudes linguistiques et ses connaissances. La demanderesse dans Sadykbaeva n’avait pas encore rédigé l’examen écrit. Il est aussi important de noter que le juge de Montigny a reconnu qu’il serait possible de remédier à cette situation dans le futur en modifiant la politique contenue dans les guides de politiques ou encore en étant plus précis dans la lettre de convocation quant au type de test qui serait administré (Sadykbaeva, précité, aux paras 23 et 27).

[30]           Justement, la situation de la demanderesse dans Sadykbaeva se distingue clairement du cas du demandeur. En l’espèce, la lettre envoyée au demandeur le 14 juillet 2010 pour le convoquer à l’entrevue indiquait ce qui suit (Affidavit du demandeur, pièce P-29):

Le juge de la citoyenneté a besoin de renseignements supplémentaires pour prendre une décision au sujet de votre demande de citoyenneté. Vous êtes donc convoqué(e) à une entrevue pour que le juge puisse déterminer si votre demande répond à toutes les conditions prescrites. Aussi il vous posera des questions afin de déterminer si vous avez une connaissance suffisante du français ou de l’anglais et une connaissance suffisante du Canada.

[Souligné dans l’original].

 

Le demandeur avait donc été prévenu qu’il se ferait poser des questions à l’oral sur ses connaissances du Canada. De plus, le présent guide opérationnel « CP 4 – Attribution de la Citoyenneté » spécifie à la section 7.3 que les exigences concernant les connaissances du Canada peuvent être évaluées par un examen écrit ou lors d’une entrevue auprès d’un juge de la citoyenneté. Le demandeur ne peut donc affirmer qu’il avait une attente légitime de rédiger un examen écrit puisque le guide opérationnel fait mention de la possibilité d’un examen oral et que la lettre qu’il a reçue l’avertissait qu’il serait questionné par le juge de la citoyenneté.

[31]           Pour toutes ces raisons, le juge de la citoyenneté n’a commis aucune erreur en appliquant le critère de la présence physique tel qu’énoncé dans Pourghasemi, précité, ni en statuant que le demandeur n’avait pas rempli l’exigence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi de résider au moins 1 095 jours au Canada pendant les quatre années précédant la demande, ni en concluant que le demandeur n’avait pas satisfait à l’exigence d’une connaissance suffisante du Canada prévue à l’alinéa 5(1)e) de la Loi.

[32]           Le défendeur réclame les dépens. Tenant compte des arguments de la preuve et de l’historique du dossier, aucuns dépens ne sont adjugés.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté. Aucuns dépens ne seront adjugés.

 

                                                                                                  « Simon Noël »

                                                                                    ___________________________

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-108‑11

 

INTITULÉ :                                       BASSAM AL KHOURY c LE MINISTRE DE

                                                            LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE D’AUDIENCE :                     Le 1er mai 2012

                                                                                   

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge S. Noël

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Me Joseph Daoura

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Gretchen Timmins

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Me Joseph Daoura

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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