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Date : 20120504

Dossier : IMM‑5879‑11

Référence : 2012 CF 530

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

VIKTOR MOLNAR; JOLAN PITLIK; RAYMOND MOLNAR; ANDREA BIANKA MOLNAR; VIKTOR RICHARD MOLNAR

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 4 juillet 2011 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande des demandeurs, qui cherchaient à se faire reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               Les demandeurs sont des citoyens roms originaires de la Hongrie. Ils demandent l’asile au Canada parce qu’ils seraient persécutés du fait de leur origine ethnique. Les demandeurs adultes sont le demandeur, Viktor Molnar, et la demanderesse, sa conjointe de fait, Jolan Pitlik. Les demandeurs mineurs sont leurs enfants, Viktor Richard Molnar (Richard), Raymond Molnar (Raymond) et Andrea Bianka Molnar (Andrea).

 

[3]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 16 juillet 2009. À l’époque, les demandeurs adultes ont produit des formulaires IMM 5611 pour entamer le processus de présentation de leur demande d’asile. Dans son formulaire, le demandeur a expliqué qu’il craignait la Garde hongroise (Magyar Guarda), qui faisait preuve de racisme envers les Roms. Il a également expliqué que les Roms étaient victimes de discrimination en Hongrie. La demanderesse a pour sa part expliqué qu’elle craignait la Magyar Guarda et la société en général. Elle a également expliqué qu’elle craignait pour la sécurité de sa famille et a fait observer qu’à une occasion, elle avait été agressée par des membres de la Magyar Guarda alors qu’elle rentrait à la maison après le travail, et ce, parce qu’elle est une Rome. Les demandeurs adultes ont déclaré que leurs formulaires étaient véridiques, complets et exacts.

 

[4]               Chacun des demandeurs a déposé un formulaire de renseignements personnels (FRP) auprès de la SPR le 14 août 2009. Tous les demandeurs ont soumis le même exposé circonstancié (l’exposé circonstancié original) qui était intégré à leur formulaire sous l’intitulé « Viktor Molnar ». Ils y relataient la discrimination dont ils avaient été victimes en Hongrie en raison de leur origine ethnique, et parlaient notamment d’assassinats de Roms et d’incendies de leurs maisons. Ils y faisaient également état d’un événement au cours duquel Richard avait été agressé par d’autres étudiants à l’école. À leurs dires, il avait été grièvement blessé et il avait dû attendre longtemps à l’hôpital avant qu’on s’occupe de lui parce que les autres patients d’origine ethnique hongroise avaient été soignés avant lui. Suivant l’exposé circonstancié original, le demandeur a signalé cette agression à la police, mais celle‑ci n’a rien fait. Les demandeurs y racontent en outre que des membres de la Magyar Guarda se sont rendus à leur domicile, y sont entrés par effraction et ont détruit leurs possessions après que le demandeur eut porté plainte à la police au sujet d’une agression à la suite de laquelle son neveu avait saigné en raison des coups qu’il avait reçus à la tête.

 

[5]               Dans la section intitulée « Votre conseil », le FRP de chacun des demandeurs porte le sceau du cabinet d’avocats Veena, qui se spécialise dans les affaires d’immigration. Il y est indiqué que les demandeurs sont représentés par M. Sam Nagendra, un consultant canadien agréé en immigration (M. Nagendra). On trouve dans le dossier certifié du Tribunal (DCT) une copie envoyée par télécopieur du formulaire des coordonnées du conseil qui indique que M. Nagendra est le conseil inscrit au dossier des demandeurs. M. Nagendra a transmis à la SPR le 13 janvier 2011 une télécopie dans laquelle il indiquait qu’il n’était pas le conseil inscrit au dossier des demandeurs parce que ceux‑ci n’avaient pas retenu ses services.

 

[6]               La SPR a envoyé aux demandeurs un avis de comparution à une conférence de mise au rôle devant avoir lieu le 9 mars 2011. La déclaration de signification jointe à cet avis indiquait que la SPR croyait que les demandeurs n’étaient pas représentés par un conseil à cette date. La SPR a fait signifier à personne cet avis aux demandeurs. La mention [traduction] « aucun conseil » est inscrite sous l’intitulé « conseil ». Me Robert Blanshay – un avocat exerçant à Toronto – a transmis à la SPR le 23 mars 2011 une télécopie dans laquelle il a expliqué qu’il représentait les demandeurs à titre gratuit. Le conseil actuel des demandeurs a écrit à la SPR le 25 mars 2011 pour l’informer qu’il représenterait les demandeurs si ces derniers obtenaient un certificat d’aide juridique. Les demandeurs ont soumis le 27 avril 2011 à la SPR un formulaire de confirmation de disponibilité indiquant le nom de leur conseil actuel inscrit au dossier.

 

[7]               Les demandeurs ont soumis le 6 juin 2011 à la SPR une liasse de documents dans laquelle on trouvait notamment un exposé circonstancié modifié joint au FRP de la demanderesse (l’exposé circonstancié modifié). Cet exposé diffère sensiblement de l’exposé circonstancié original. Il ne mentionne aucun des faits relatés dans l’exposé circonstancié original. Dans son exposé circonstancié modifié, la demanderesse explique que les enseignants qui travaillaient à l’école que fréquentaient les demandeurs mineurs les traitaient de [traduction] « sales Tziganes ». Elle a également déclaré qu’ils avaient reçu des lettres de menaces entre 2006 et 2009 alors qu’ils vivaient à Budapest et que les commerçants refusaient de les servir parce qu’ils étaient des Roms.

 

[8]               La demanderesse a également relaté dans son exposé circonstancié modifié un incident au cours duquel elle avait constaté que Raymond saignait de la tête lorsqu’elle était passée le prendre à l’école le 10 novembre 2007. Des étudiants qui fréquentaient cette école lui avaient affirmé qu’un professeur avait projeté Raymond contre le mur. Lorsque la demanderesse a demandé à ce professeur ce qui était arrivé, il a répondu qu’il l’ignorait. Le professeur a nié avoir blessé Raymond, ajoutant : [traduction] « ces sales mômes tziganes mentent ». La demanderesse a expliqué au professeur qu’elle allait signaler l’incident à la police. La demanderesse a conduit Raymond à l’hôpital en taxi et s’est ensuite rendue au poste de police pour porter plainte. Elle a écrit dans son exposé circonstancié modifié que les policiers avaient recueilli sa plainte et lui avaient dit qu’ils feraient enquête au sujet de l’auteur inconnu de cet acte, mais elle savait bien que rien ne serait fait.

 

[9]               La demanderesse a également relaté un incident survenu le 10 mai 2009 alors qu’elle a été agressée en revenant à la maison après le travail. Elle a porté plainte à la police après cet incident, mais a ajouté qu’elle ignorait si l’enquête avait donné des résultats. Elle a également écrit qu’en juin 2009, quelqu’un avait lancé un cocktail Molotov en direction de l’appartement des demandeurs.

 

[10]           La SPR a joint les demandes des demandeurs en vertu du paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, et les a instruites ensemble le 27 juin 2011. Au début de l’audience, l’échange suivant a eu lieu :

            [traduction]

La SPR :                                  D’accord, j’ai devant moi vos [FRP] et une modification [...] un ajout au formulaire de renseignements personnels de la demanderesse.

 

                                                Or, ces documents contiennent des déclarations de l’interprète suivant lesquels les [FRP] qui ont été remplis vous ont été interprétés et contiennent des déclarations indiquant que les renseignements que vous avez fournis sont complets, véridiques et exacts. Est‑ce que chacun d’entre vous pourrait confirmer que les formulaires de renseignements personnels qu’ils ont remplis, y compris les exposés circonstanciés et toute modification apportée à ceux‑ci vous, ont été traduits en hongrois?

 

La demanderesse :                  Oui.

 

Le demandeur :                       Oui.

 

Le conseil des demandeurs :   Attendez un peu; je veux juste m’assurer qu’ils comprennent bien que vous parlez des deux exposés circonstanciés, y compris le premier.

 

La demanderesse :                  Le premier exposé circonstancié a été rempli avant que nous engagions [le conseil des demandeurs], de sorte que je l’ignore, il ne nous a pas été traduit et nous nous sommes plaints de la façon dont les choses se sont passées. Quant au second, oui, il nous a été traduit et nous sommes au courant de tout ce qu’il contient.

 

La SPR :                                  D’accord. Pourquoi donc avez‑vous signé le premier [FRP] s’il ne vous a pas été traduit?

 

La demanderesse :                  Malheureusement, j’ai été induite en erreur et les gens que nous avons rencontrés deux ou trois jours après notre arrivée au Canada nous ont dit que c’était la façon dont nous étions censés (inaudible) et je pensais que c’est ce qu’il fallait faire à ce moment‑là.

 

[…]

 

La SPR :                                  D’accord, donc il vous a été traduit même si ce n’est que plus tard?

 

La demanderesse :                  Oui, nous avons obtenu tous ces documents, non sans difficultés, après nous être plaints [...] après avoir déposé une plainte.

 

 

[11]           La demanderesse a poursuivi en expliquant que les demandeurs s’étaient plaints au Bureau d’aide juridique et qu’ils ignoraient que M. Nagendra était un consultant en immigration et non un avocat. La SPR a fait observer que les FRP des demandeurs indiquaient que M. Nagendra était un consultant canadien agréé en immigration et a cherché à savoir si les demandeurs s’étaient plaints à son sujet. La demanderesse a répondu que l’avocate à qui elle avait parlé au Bureau d’aide juridique lui avait répondu qu’elle ferait des démarches pour déposer des plaintes partout; le conseil des demandeurs a expliqué qu’il avait entendu dire que M. Nagendra faisait l’objet d’une enquête de la part des autorités et qu’il aurait voulu confirmer ce fait et soumettre un écrit quelconque à la SPR à ce sujet.

 

[12]           La SPR a demandé aux demandeurs s’ils s’étaient plaints au sujet de M. Nagendra, ajoutant que cela était très important. La demanderesse a répondu qu’elle n’avait jamais vécu ce genre de situation auparavant et qu’une avocate de l’aide juridique nommée Georgina lui avait dit qu’elle s’occuperait de déposer une plainte.

 

[13]           La demanderesse a expliqué que rien dans l’exposé circonstancié original n’était vrai à l’exception des déclarations portant sur la situation générale à laquelle les Roms étaient exposés en Hongrie. Elle a déclaré que cinq ou six familles avaient soumis le même exposé à la SPR mais qu’il était impossible que les mêmes événements leur soient arrivés à tous. La demanderesse a également déclaré qu’elle s’était rendu compte le 28 mars 2011 que l’exposé circonstancié original n’était pas exact alors qu’on le lui a traduit après que les demandeurs eurent engagé leur conseil actuel. L’exposé circonstancié original n’était pas véridique ou exact et les faits qui y étaient relatés n’étaient pas arrivés aux demandeurs.

 

[14]           La demanderesse a également relaté les événements entourant la décision de retenir les services de leur conseil actuel. Elle a expliqué que, le 10 mars 2011, les demandeurs avaient reçu un avis de comparution à une audience devant avoir lieu le 28 mars 2011. La demanderesse a appelé M. Nagendra le 10 mars 2011 pour lui parler de l’audience. M. Nagendra lui a demandé si elle et son mari bénéficiaient de l’aide juridique, ajoutant que, si elle n’avait pas d’avocat, il pouvait les représenter moyennant 1 500 $. Les demandeurs ont alors engagé leur conseil actuel après avoir obtenu un certificat d’aide juridique.

 

[15]           Après avoir entendu les demandes d’asile des demandeurs, la SPR a rendu sa décision le 4 juillet 2011 et a informé les demandeurs du résultat le 11 août 2011.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

 

[16]           La SPR a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au motif qu’ils n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État en Hongrie. La SPR a également conclu que les demandeurs avaient été victimes de discrimination, mais que celle‑ci ne pouvait être assimilée à de la persécution au sens de l’article 96 de la Loi.

 

Crédibilité

            Différences dans les exposés circonstanciés des FRP

 

[17]           La SPR a estimé que les demandeurs n’étaient pas crédibles en raison des différences constatées entre l’exposé circonstancié original et l’exposé circonstancié modifié. Elle a fait observer que les demandeurs adultes avaient expliqué que l’exposé circonstancié original ne leur avait pas été traduit en hongrois malgré le fait qu’ils avaient signé une déclaration attestant qu’il le leur avait été. Après que leur conseil actuel eut fait traduire l’exposé circonstancié original, les demandeurs ont affirmé qu’ils avaient découvert qu’il contenait plusieurs erreurs.

 

[18]           La SPR a estimé qu’il était déraisonnable de la part des demandeurs adultes de signer cette déclaration dans leur FRP s’ils n’en comprenaient pas le contenu, étant donné qu’il ne leur avait pas été traduit. Les FRP contiennent également une déclaration de l’interprète suivant laquelle celui‑ci aurait traduit les FRP aux demandeurs. La SPR a également estimé qu’il était déraisonnable de la part des demandeurs de ne pas avoir demandé que leur FRP leur soit traduit au cours de la période de deux ans qui s’était écoulée entre le moment où ils avaient déposé leur exposé circonstancié original et celui où ils avaient engagé leur nouveau conseil. Elle a fait observer que les demandeurs n’avaient cherché un nouveau conseil que lorsque leur conseil précédent avait réclamé des honoraires plus élevés. La SPR a déclaré qu’il incombe aux demandeurs d’asile de s’assurer qu’ils sont bien représentés. La SPR a conclu que le fait que les demandeurs avaient remplacé leur exposé circonstancié original par un exposé circonstancié modifié minait leur crédibilité.

 

Raymond et le professeur

 

[19]           Après avoir examiné la partie de l’exposé circonstancié modifié dans laquelle la demanderesse affirmait qu’un professeur avait projeté Raymond contre un mur, la SPR a affirmé qu’elle n’était pas persuadée que cet incident s’est effectivement produit. Elle a signalé qu’elle avait demandé à la demanderesse à trois reprises ce que Raymond lui avait dit au sujet de cet incident; la demanderesse avait déclaré qu’un professeur avait agressé Raymond, que ce dernier n’en avait pas parlé et qu’il n’avait rien dit. La demanderesse a également dit qu’elle ignorait le nom de ce professeur, mais qu’elle aurait pu trouver ce renseignement parce que Raymond lui avait dit que c’était son professeur d’éducation physique. Elle a également expliqué qu’elle n’avait pas communiqué le nom de ce professeur à la police, qui ne le lui avait pas demandé même si elle s’attendait à ce que la police le tienne responsable. La SPR a déclaré qu’elle s’attendait à ce qu’un parent cherche à découvrir tous les détails au sujet d’un incident comme celui‑ci et à le signaler aux autorités. Comme la demanderesse ne connaissait pas tous les détails de cette agression, la SPR a conclu que cette dernière ne s’était pas produite.

 

Chuchotements dans la salle d’audience

 

[20]           La SPR a également conclu que la crédibilité des demandeurs était minée en raison du fait que la demanderesse avait chuchoté à l’oreille du demandeur pendant que ce dernier témoignait. À l’audience, la SPR a vu la demanderesse en train de chuchoter à l’oreille du demandeur et lui a demandé d’arrêter. Elle a recommencé lorsque la SPR a interrogé le demandeur au sujet de ses antécédents professionnels.

 

[21]           La SPR a fait observer qu’elle avait dit aux demandeurs à l’ouverture de l’audience qu’il ne devait pas s’aider l’un l’autre au cours de leur témoignage ou corriger ce que l’autre disait. Elle s’attendait à ce que les demandeurs adultes soient en mesure de témoigner au sujet de ce qui leur était arrivé en Hongrie sans devoir demander l’aide de l’autre. Le demandeur ne semblait pas avoir besoin d’aide pour témoigner; pourtant la demanderesse continuait à lui chuchoter à l’oreille.

 

[22]           La SPR a également conclu que ni l’un ni l’autre des demandeurs adultes n’avaient eu de la difficulté à se trouver du travail en Hongrie, et ce, même si le demandeur avait expliqué qu’en Hongrie, les Roms avaient du mal à se trouver du travail en raison de la discrimination. Le demandeur a travaillé sans interruption entre 1990 et 2009 ainsi qu’il ressort de son FRP et de son témoignage; quant à la demanderesse, elle a travaillé comme femme de chambre pendant les dix ans précédant leur arrivée au Canada et elle avait travaillé dans une usine de verre auparavant. La SPR a estimé que l’affirmation du demandeur suivant laquelle il faisait l’objet de discrimination au travail n’était pas crédible.

 

Discrimination ou persécution?

 

[23]           La SPR a également conclu que les demandeurs n’avaient pas été victimes de persécution en Hongrie. Leur témoignage au sujet des incidents qui leur étaient arrivés était vague et général et leurs plaintes au sujet du harcèlement dont ils avaient été victimes à l’école et au travail ne reposaient que sur des conjectures. À la lumière de sa conclusion générale négative au sujet de la crédibilité, et parce que ni les FRP ni les formulaires IMM 5611 remplis à leur arrivée ne renfermaient suffisamment de détails au sujet de ce qui leur était arrivé, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient également pas crédibles à cet égard. La SPR a estimé que les incidents dont les demandeurs prétendaient avoir fait l’objet ne pouvaient être assimilés à de la persécution.

 

Protection de l’État

 

[24]           La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État établie dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689. Elle a fait observer que la Hongrie a le contrôle efficient de son territoire et qu’elle dispose d’une force de sécurité efficace pour faire respecter ses lois et sa constitution. La SPR a également conclu que la Hongrie est une démocratie qui fonctionne où il y a des élections libres et équitables, de sorte que, conformément à l’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, le fardeau qui incombait aux demandeurs de réfuter la présomption de la protection de l’État était exigeant. De plus, la SPR a fait observer qu’une réticence subjective à faire appel à l’État ne constitue pas un motif suffisant pour réfuter la présomption, pas plus que le fait que les mesures prises par l’État pour protéger ses citoyens ne soient pas toujours couronnées de succès. Pour réfuter la présomption, les demandeurs devaient démontrer qu’ils avaient pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour chercher à obtenir la protection de l’État.

 

[25]           La SPR a mis en balance la présomption de la protection de l’État avec ce qu’elle a estimé être les efforts insuffisants déployés par les demandeurs pour solliciter la protection de l’État. Malgré le fait que la demanderesse avait signalé à la police l’agression dont Raymond avait été victime de la part de son professeur, elle n’a pas donné le nom de ce professeur à la police même si elle aurait pu le trouver. Il était déraisonnable de la part de la demanderesse de s’attendre à ce que la police fasse enquête sur cette plainte alors qu’elle ne lui avait pas communiqué ce renseignement important. La SPR s’est également fondée sur le fait qu’elle avait déjà conclu que cet incident ne s’était pas produit en réalité.

 

[26]           La SPR a également conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la police n’avait pas ouvert d’enquête au sujet de l’agression dont la demanderesse avait été victime le 10 mai 2009. Dans son exposé circonstancié modifié, la demanderesse affirmait qu’elle avait été agressée par quatre ou cinq personnes ce jour‑là. Elle expliquait qu’elle avait signalé l’incident à la police et qu’elle avait dit à la police qu’elle croyait avoir été agressée par les mêmes personnes que celles qui lui avaient envoyé les lettres de menaces. Elle a également affirmé qu’en juin 2009, avant que les demandeurs ne s’enfuient vers le Canada, elle était retournée au poste de police pour obtenir un rapport sur l’enquête menée au sujet de cet incident, mais qu’elle n’avait obtenu aucun renseignement. Elle ignorait même si la police avait enquêté sur l’incident. La SPR a conclu que la preuve documentaire qui lui avait été soumise démontrait que, si les demandeurs n’étaient pas satisfaits de la suite que la police avait donnée à leur plainte, ils disposaient d’autres recours. Or, plutôt que de tenter d’obtenir la protection de l’État, les demandeurs se sont enfuis de la Hongrie.

 

[27]           Vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait, la SPR a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que la police aurait refusé d’enquêter au sujet des plaintes formulées par les demandeurs ou de poursuivre les auteurs des actes reprochés si la preuve le justifiait. Malgré le fait que la SPR disposait de renseignements permettant de penser que les Roms faisaient l’objet de discrimination, elle disposait également d’éléments de preuve tendant à démontrer que la Hongrie reconnaissait l’existence de ce problème et faisait des efforts sérieux pour s’y attaquer.

 

[28]           La SPR a mis en balance les efforts assez limités faits par les demandeurs pour chercher à obtenir la protection de l’État, d’une part, et les éléments de preuve tendant à démontrer les démarches entreprises par la Hongrie pour protéger les Roms, d’autre part. Bien que, suivant un rapport de l’Open Society Institute, la Hongrie possédait l’un des systèmes de protection des minorités les plus avancés de la région, d’autres éléments de preuve démontraient qu’il arrivait souvent que le financement accordé par le gouvernement pour les programmes visant à aider les Roms hongrois ne réussissait pas toujours à atteindre les groupes qui en avaient le plus besoin. La SPR a également conclu que les Roms qui étaient victimes de discrimination pouvaient s’adresser au commissaire parlementaire aux droits des minorités nationales et ethniques (le commissaire aux minorités). Le commissaire aux minorités pouvait prendre des mesures s’il était informé de pratiques injustes ou de cas de discrimination. De plus, une commission indépendante chargée d’examiner les plaintes portées contre la police avait commencé à exercer ses activités en janvier 2008. Cette commission indépendante pouvait examiner les plaintes portant sur des violations des droits commises par des policiers.

 

[29]           La SPR a également examiné les éléments de preuve soumis par les demandeurs, y compris un rapport de Human Rights First qui faisait état d’une hausse du nombre d’agressions racistes commises contre des Roms depuis 2008. Ce rapport faisait observer que l’intervention du gouvernement était ambivalente, en ce sens qu’il ne s’occupait que des cas de violence qui faisaient beaucoup de bruit, mais que les mesures qu’il avait prises révélaient des failles. La SPR a fait observer que les rapports soumis par les demandeurs démontraient les problèmes auxquels les Roms hongrois étaient exposés, mais que ces rapports faisaient également état des efforts couronnés de succès déployés par la Hongrie pour protéger ses citoyens. Pour la SPR, cela démontrait que la Hongrie était déterminée à s’attaquer aux problèmes auxquels les Roms étaient exposés.

 

[30]           La SPR a déclaré qu’elle avait examiné l’ensemble de la preuve et qu’elle en concluait que le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. La SPR a conclu que, comme les demandeurs n’avaient pas réfuté cette présomption, ils pouvaient effectivement compter sur la protection de l’État. La SPR a conclu qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve convaincant permettant de penser que les demandeurs étaient exposés à de la persécution, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être torturés en Hongrie. Elle a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[31]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans la présente affaire :

1.                  La conclusion défavorable tirée par la SPR au sujet de la crédibilité était‑elle raisonnable?

2.                  La conclusion tirée par la SPR au sujet de la protection de l’État était‑elle raisonnable?

3.                  La SPR a‑t‑elle motivé suffisamment sa décision?

4.                  La SPR a‑t‑elle violé le droit à l’équité procédurale des demandeurs en ne gardant pas l’esprit ouvert?

5.                  L’incompétence du conseil précédent des demandeurs s’est‑elle traduite par une violation de leur droit à l’équité procédurale?

6.                  La Cour devrait‑elle tenir compte des nouveaux éléments de preuve introduits par les demandeurs dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire?

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[32]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à l’analyse de la norme de contrôle et a expliqué que, lorsque la norme de contrôle applicable à la question précise dont la Cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la juridiction de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la juridiction de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[33]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a jugé, au paragraphe 4, que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la crédibilité est celle de la décision raisonnable. De plus, dans le jugement Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a déclaré que les conclusions relatives à la crédibilité sont au cœur des conclusions de fait que tire la SPR et qu’elles doivent par conséquent être appréciées selon la norme de la décision raisonnable. Enfin, dans le jugement Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, le juge Michael Kelen a déclaré, au paragraphe 17, que la norme de contrôle à appliquer aux conclusions en matière de crédibilité est celle de la décision raisonnable. S’agissant de la première question, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

 

[34]           La norme de contrôle de la décision raisonnable est également celle qui s’applique aux conclusions tirées par la SPR au sujet de la protection de l’État. Dans l’arrêt Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, la Cour d’appel fédérale a jugé, au paragraphe 36, que la norme de contrôle qui s’applique dans le cas des conclusions tirées au sujet de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable. Le juge Leonard Mandamin a suivi ce raisonnement dans le jugement Lozada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 397, au paragraphe 17. De plus, dans le jugement Chaves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 193, la juge Danièle Tremblay‑Lamer a estimé, au paragraphe 11, que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la protection de l’État était celle de la décision raisonnable.

 

[35]           La Cour suprême du Canada a récemment donné aux tribunaux judiciaires des indications sur la démarche à suivre pour décider si une décision est suffisamment motivée (la troisième question en litige dans le cas qui nous occupe). Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a estimé, au paragraphe 14, que l’insuffisance des motifs ne permettait pas à elle seule de casser une décision, expliquant que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». La question de savoir si la décision est suffisamment motivée doit donc être analysée en corrélation avec celle du caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

 

[36]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[37]           Les demandeurs affirment que la SPR a violé leur droit à l’équité procédurale en ne les écoutant pas avec un esprit ouvert. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’explique dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 22, l’équité procédurale comporte le droit de faire valoir son point de vue. De plus, dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 (QL), la Cour suprême du Canada explique, au paragraphe 100, qu’« [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». En outre, dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale a jugé que « [l]a question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». La norme de contrôle qui s’applique à la quatrième question en litige est celle de la décision correcte.

 

[38]           La norme de contrôle qui s’applique à la cinquième question est également celle de la décision correcte. Dans le jugement Osagie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 1368, la juge Anne Mactavish a expliqué que l’incompétence du conseil peut se traduire par un manquement à l’équité procédurale (paragraphes 18 à 20). La juge Mactavish a également déclaré dans le jugement Lahocsinszky c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 275, au paragraphe 15, qu’il incombe à celui qui affirme avoir été victime d’un manquement à l’équité de démontrer que « les résultats de la procédure auraient été différents n’eût été les erreurs professionnelles de l’avocat ». Cette analyse implique que la juridiction de révision doit entreprendre sa propre analyse de la question, ce qui est la définition même de la norme de la décision correcte (Dunsmuir, au paragraphe 50).

 

[39]           Dans le cas de la sixième question en litige, la norme à laquelle il faut satisfaire pour pouvoir présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire est exigeante. Il est bien établi que l’examen du caractère raisonnable de la décision contrôlée ne doit reposer que sur le dossier dont disposait le décideur. De nouveaux éléments de preuve ne peuvent être admis dans le cadre du contrôle judiciaire que pour démontrer qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale ou que lorsqu’une question de compétence est en jeu et non pour démontrer que le demandeur avait raison sur le fond (voir Fédération canadienne des étudiantes et étudiants c Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, 2008 CF 493, au paragraphe 40, Vennat c Canada (Procureur général) 2006 CF 1008, au paragraphe 44, McFadyen c Canada (Procureur général), 2005 CAF 360, au paragraphe 15). La décision d’admettre en preuve de nouveaux éléments relève de la compétence de la juridiction de révision.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[40]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[…]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les demandeurs

            Conclusion déraisonnable au sujet de la protection de l’État

 

[41]           Les demandeurs affirment que la conclusion de la SPR suivant laquelle ils n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État est déraisonnable parce que cette conclusion n’est pas fondée sur l’ensemble de la preuve. La SPR a ignoré certains éléments de preuve documentaires qui démontraient que les Roms sont en danger en Hongrie. Bien que la SPR ait cité des documents sur la situation en Hongrie qui démontraient qu’il existe des institutions démocratiques en Hongrie, elle a ignoré d’autres éléments de preuve qui démontraient que les Roms ne peuvent compter sur les ressources de l’État et sur l’aide de la police. Contrairement à ce qu’elle a estimé, la SPR disposait d’éléments de preuve qui démontraient que les Roms sont exposés à la discrimination et à la violence en Hongrie.

 

[42]           Les demandeurs affirment également que la SPR s’est référée à des documents sur la situation au pays qui sont périmés. Les éléments de preuve sur lesquels la SPR s’est fondée pour démontrer les efforts déployés par la Hongrie pour protéger ses citoyens, y compris les Roms, datent de 2004 à 2008. La SPR disposait toutefois aussi d’éléments de preuve suivant lesquels les cas de violence et de discrimination dont les Roms font l’objet en Hongrie ont augmenté depuis 2008. Les demandeurs signalent que, selon la preuve, Jobbik – un parti politique fasciste – a le statut d’opposition au sein du parlement hongrois, ce qui démontre que le racisme dont les Roms sont victimes est omniprésent dans les institutions nationales hongroises. Jobbik est lié à la Magyar Guarda –, un groupe qui s’en prend avec violence aux minorités, y compris les Roms.

 

[43]           Bien que les demandeurs aient soumis des éléments de preuve tendant à démontrer qu’il existe des liens entre les représentants de l’ordre et Jobbik et la Magyar Guarda, la SPR n’a fait aucune mention de l’un ou l’autre de ces groupes. Or, les éléments de preuve relatifs à la montée de Jobbik étaient à la fois très pertinents et très probants, mais la SPR n’en fait aucune mention dans ses motifs. La Cour peut supposer que la SPR n’en a pas tenu compte (voir Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425) et conclure que la décision était déraisonnable (voir Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 140).

 

[44]           Les demandeurs affirment que l’analyse de la protection de l’État à laquelle la SPR s’est livrée était illogique. La SPR a mentionné des éléments de preuve démontrant que la violence perpétrée contre les Roms en Hongrie était à la hausse de sorte qu’elle aurait dû conclure que les Roms ne pouvaient compter sur la protection de l’État.

 

[45]           Les demandeurs citent le jugement Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081, aux paragraphes 29 et 30, dans lequel la juge Danièle Tremblay‑Lamer déclare :

En l’instance, les actes contre les demandeurs n’étaient pas seulement des actes discriminatoires, mais bien des actes criminels. Ils ont été menacés, détenus et battus. La plupart de ces actes ont été commis par les policiers, qui sont l’autorité supposée responsable de protéger les gens. En insistant sur l’existence d’organisations de droits de la personne et d’aide juridique, la Commission n’a pas examiné la vraie question, qui est celle de la protection face à des actes criminels.

 

Dans les circonstances, sachant qu’il s’agit d’être protégé contre les crimes, il n’est pas évident qu’on aurait pu obtenir réparation en recherchant l’aide des organisations des droits de la personne. La seule autorité à pouvoir fournir de l’aide est la police. Selon moi, du moment que les demandeurs ont cherché l’aide de la police et ne l’ont pas obtenue, ils n’étaient aucunement obligés de chercher réparation auprès d’autres sources.

 

[46]           Les demandeurs affirment que le jugement Molnar appuie le principe suivant lequel les Roms hongrois ne sont pas obligés de faire plus que de s’adresser à la police pour satisfaire à leur obligation de se prévaloir de la protection de l’État. Dans leur cas, les demandeurs se sont adressés à la police, qui a refusé d’agir; il était donc déraisonnable de la part de la SPR de les obliger à s’adresser à d’autres organismes que la police pour obtenir de l’aide.

 

[47]           De plus, les demandeurs affirment que le jugement Molnar démontre que les Roms ne peuvent compter sur la protection de l’État en Hongrie et qu’il était donc déraisonnable de la part de la SPR de conclure autrement. Les efforts déployés par l’État pour protéger les Roms en Hongrie sont superficiels et inefficaces. Dans le contexte de l’élection de Jobbik au parlement hongrois et de l’augmentation des violences perpétrées contre les Roms, les demandeurs affirment qu’il est évident que les Roms ne peuvent compter sur la protection de l’État en Hongrie.

 

            Conclusion déraisonnable au sujet de la crédibilité

 

[48]           Les demandeurs affirment également que la conclusion de la SPR suivant laquelle le témoignage du demandeur n’était pas crédible est déraisonnable parce que la SPR a fait fi des explications qu’ils lui avaient données pour expliquer pourquoi ils avaient déposé de nouveaux FRP. La conclusion tirée par la SPR au sujet de leur crédibilité était également déraisonnable parce qu’elle a tiré une conclusion injustifiée du fait que la demanderesse soufflait des mots à l’oreille du demandeur dans la salle d’audience.

 

Conseil précédent et FRP modifiés

 

[49]           Les demandeurs affirment que la SPR a conclu de façon déraisonnable que le dépôt de l’exposé circonstancié modifié minait leur crédibilité. La SPR n’a pas tenu compte des raisons pour lesquelles ils n’avaient pas fait interpréter plus tôt leur exposé circonstancié original, en l’occurrence, le fait qu’ils faisaient confiance à leur premier conseil et qu’ils ne connaissaient rien de la procédure à suivre pour demander l’asile. La SPR n’a pas tenu compte du fait que les demandeurs n’avaient appris que leur ancien conseil avait déposé un modèle d’exposé circonstancié qu’après avoir engagé un nouveau conseil et obtenu une copie de leur FRP. Les demandeurs affirment que, parce qu’ils sont nouvellement arrivés au Canada, on ne peut s’attendre à ce qu’ils connaissent la procédure légale canadienne. Ils font également observer qu’ils ne parlent pas anglais, ne connaissaient pas leurs droits et qu’ils ne sont pas habitués à faire valoir leurs droits. La SPR n’a pas tenu suffisamment compte de leur situation lorsqu’elle a conclu qu’ils n’étaient pas crédibles.

 

Chuchotements dans la salle d’audience

 

[50]           La SPR a conclu de façon déraisonnable que les chuchotements échangés dans la salle d’audience entre le demandeur et la demanderesse avaient pour effet de miner leur crédibilité. Les demandeurs affirment que la demanderesse n’a chuchoté à l’oreille du demandeur qu’à deux reprises, au cours de parties du témoignage de ce dernier qui ne portaient pas sur la persécution dont ils avaient été victimes en Hongrie, ce qui constituait le fondement de leur demande d’asile. La demanderesse a également interrompu le témoignage du demandeur lorsque celui‑ci était lent à répondre uniquement parce qu’elle croyait que la SPR conclurait qu’ils mentaient tous les deux parce que le demandeur était lent à répondre. De plus, les demandeurs affirment que la demanderesse a pour habitude d’interrompre son mari et que cela arrive souvent entre conjoints.

 

Nom du professeur

 

[51]           Il était déraisonnable de la part de la SPR d’inférer que la demanderesse n’était pas crédible parce qu’elle ne pouvait se souvenir du nom du professeur qui avait agressé Raymond. La SPR s’attendait également de façon déraisonnable à ce qu’elle se souvienne de toutes les circonstances entourant l’agression de Raymond. La demanderesse affirme que le témoignage qu’elle a donné au sujet de ce qui était arrivé à Raymond était exact. Compte tenu du fait que la police hongroise n’offre pas d’aide aux Roms, le témoignage de la demanderesse suivant lequel la police ne l’avait pas aidée était crédible. La SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve suivant lesquels la police hongroise n’aide pas les Roms lorsqu’elle a évalué la crédibilité de la demanderesse.

 

Manquements à l’équité procédurale

 

[52]           La SPR a violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale parce qu’elle n’a pas instruit l’affaire avec un esprit ouvert. Lorsqu’elle a interrogé la demanderesse au sujet de son exposé circonstancié modifié joint à son FRP et qu’elle lui a demandé si elle avait déposé une plainte au sujet de son ancien conseil, la SPR cherchait une raison de refuser la demande. Les demandeurs font observer que notre Cour exige que le demandeur d’asile qui formule des allégations contre son conseil précédent en avise celui‑ci. Le fait que la SPR a demandé à la demanderesse si elle avait rempli cette obligation démontre qu’elle cherchait une raison de refuser la demande d’asile des demandeurs et qu’elle ne leur a pas accordé une audience équitable.

 

Le défendeur

            La protection de l’État était un facteur déterminant

 

[53]           Bien que les demandeurs reprochent à leur ancien conseil sa conduite, celle‑ci n’a eu aucune incidence sur l’issue de leur demande. La SPR s’est demandé si les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l’État en Hongrie en se fondant sur les faits relatés dans l’exposé circonstancié modifié et sur les témoignages qu’elle avait entendus, et elle a quand même conclu que les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l’État. La question de savoir si un État peut protéger ses citoyens est une question qui relève de la compétence spécialisée de la SPR. De plus, dans l’arrêt Carrillo, précité, la Cour d’appel fédérale a jugé, au paragraphe 30 :

À mon humble avis, il ne suffit pas que la preuve produite soit digne de foi; elle doit aussi avoir une valeur probante. Pensons par exemple au cas d’éléments de preuve dénués de pertinence : ils seront peut‑être dignes de foi, mais ils n’auront aucune valeur probante. Non seulement la preuve doit être digne de foi et avoir une valeur probante, mais il faut aussi que cette valeur probante se révèle suffisante pour satisfaire à la norme de preuve applicable. La preuve aura une valeur probante suffisante si elle convainc le juge des faits de l’insuffisance de la protection accordée par l’État considéré. Autrement dit, le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante.

 

 

[54]           La réticence subjective à solliciter la protection de l’État n’est pas un motif suffisant pour réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État. Pour conclure que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État, la SPR a analysé de façon appropriée leur situation ainsi que tous les faits pertinents qui avaient été portés à sa connaissance, de sorte que sa décision ne devrait pas être infirmée pour ce motif.

 

La SPR a tenu compte de l’ensemble de la preuve

 

[55]           Le défendeur affirme également que l’arrêt Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) établit la présomption que la SPR a tenu compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait. La SPR affirme qu’elle a tiré sa conclusion sur la protection de l’État « après avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve ». Il ressort des motifs de la SPR que celle‑ci a procédé à une analyse approfondie de la question de savoir si les demandeurs pouvaient compter sur une protection de l’État suffisante. La SPR a tiré une conclusion raisonnable à cet égard. Elle s’est expressément penchée sur les éléments de preuve relatifs à la situation du pays qui lui avait été soumis et qui traitaient de la situation depuis 2008. La SPR a également tenu compte des éléments de preuve qui démontraient que la violence raciale était à la hausse depuis 2008, notamment dans le cas des Roms.

 

[56]           La SPR a tenu compte de ces éléments de preuve, mais a conclu que les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l’État. Certains des documents soumis à la SPR faisaient état de cas d’incidents de violence et de discrimination à l’endroit des Roms, mais indiquaient également que les efforts déployés par les autorités pour les protéger avaient connu un certain succès. Dans certains cas, les autorités chargées de l’application de la loi avaient été tenues responsables d’inconduite dans le cadre d’enquêtes portant sur des crimes haineux. La SPR a également apprécié les éléments de preuve qui démontraient que les Roms hongrois faisaient l’objet de discrimination et les a soupesés en regard des éléments de preuve convaincants suivant lesquels l’État prenait des mesures concrètes pour protéger les Roms. La SPR a conclu que la Hongrie pouvait offrir une protection qui était suffisante, bien qu’imparfaite.

 

[57]           La SPR a également examiné la situation personnelle des demandeurs et a conclu de façon raisonnable que ceux‑ci n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Elle a fait observer qu’ils ne s’étaient adressés à la police qu’à deux reprises. Lorsque la demanderesse s’était présentée au poste de police pour dénoncer l’expérience vécue par Raymond avec son professeur, elle n’avait pas donné le nom du professeur même si elle aurait pu le trouver. La SPR a donc conclu de façon raisonnable que la police ne pouvait faire enquête sur cet incident sans connaître le nom du professeur. En ce qui concerne l’agression dont la demanderesse avait été victime le 10 mai 2009, la SPR a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve tendant à démontrer que la police n’avait pas fait enquête sur cet incident. Bien que les demandeurs ne soient pas d’accord avec le poids que la SPR a accordé à la preuve qui lui avait été soumise, cela ne constitue pas un motif suffisant pour accueillir la demande de contrôle judiciaire.

 

[58]           Les demandeurs font erreur en se fondant sur la décision Molnar, précitée, pour affirmer que les Roms hongrois ne sont pas tenus de réfuter la présomption de la protection de l’État. L’affaire Molnar portait sur des faits différents : Molnar craignait d’être persécuté par des néonazis et par la police à la suite d’incidents survenus en 1999 et en 2000 au cours desquels des policiers s’étaient effectivement livrés à des actes de violence contre lui. En l’espèce, les demandeurs ne craignent pas la police hongroise, qui ne leur a d’ailleurs jamais fait de mal. Les demandeurs n’ont pas démontré que la conclusion tirée par la SPR au sujet de la protection de l’État était déraisonnable. La décision de la SPR doit donc être confirmée.

 

Conclusion raisonnable au sujet de la crédibilité

 

[59]           Le défendeur soutient également que la SPR a conclu de façon raisonnable que les demandeurs n’étaient pas crédibles parce qu’elle s’est fondée de façon raisonnable sur la conduite des demandeurs à l’audience et qu’elle a écarté l’explication qu’ils avaient donnée pour justifier pourquoi ils n’avaient pas déposé plus tôt de FRP modifiés. Les reproches que les demandeurs adressent à leur conseil précédent ne changent rien à l’affaire, vu les réserves que la SPR avait par ailleurs au sujet de leur crédibilité. Le défendeur rappelle que les conseils agissent comme représentants de leurs clients et qu’il importe peu que les demandeurs d’asile soient représentés par des consultants en immigration ou par avocats.

 

[60]           Bien que les demandeurs s’insurgent contre le fait que la SPR ait cherché à savoir s’ils avaient porté plainte au Barreau du Haut‑Canada (le Barreau) au sujet de leur ancien conseil, le défendeur cite des décisions de notre Cour suivant lesquelles le demandeur d’asile doit aviser son ancien représentant de toute allégation d’incompétence le concernant et lui accorder la possibilité de répondre. Les demandeurs ont également l’obligation de porter plainte devant l’organisme dont relève leur ancien représentant (voir Nunez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 555; Shirvan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1509; Kizil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 137; Mutinda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 365; Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1274; Thamotharampillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 438).

 

[61]           Les demandeurs ont attendu deux mois après que la SPR eut rejeté leur demande d’asile pour faire part à leur ancien représentant de leurs préoccupations et pour déposer une plainte devant le Barreau. Bien qu’ils se soient adressés à la Parkdale Intercultural Association et au Bureau d’aide juridique pour obtenir de l’aide, ils ne se sont pas plaints au bon endroit.

 

[62]           Contrairement à ce qu’ils ont affirmé à l’audience, les demandeurs savaient, au moment où ils l’ont signé, que leur FRP original ne contenait pas un récit fidèle des événements. Dans l’affidavit qu’elle a souscrit, Me Ori Bergman (Me Bergman) – une avocate qui partage des bureaux avec le conseil des demandeurs – explique que les demandeurs ont, au moment où ils l’ont engagé, révélé à leur conseil actuel que l’exposé circonstancié original était inspiré d’un modèle et que les incidents personnels qui y étaient relatés ne leur étaient pas arrivés. Lorsqu’ils ont engagé leur conseil actuel, les demandeurs lui ont également dit que leur ancien conseil ne leur avait jamais demandé de lui raconter leur histoire personnelle.

 

[63]           La SPR a, de façon raisonnable, examiné l’explication donnée par les demandeurs pour justifier la différence entre la version des faits relatés dans leur FRP original et dans leur FRP modifié, mais la SPR a écarté cette explication et a estimé que les demandeurs n’étaient pas crédibles. La SPR a également conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles en raison des incohérences que contenait leur témoignage sur des faits importants et du fait que les demandeurs avaient chuchoté dans la salle d’audience. Les demandeurs ne contestent pas qu’ils ont chuchoté dans la salle d’audience. La SPR était justifiée de conclure qu’ils n’étaient pas crédibles étant donné que le comportement des témoins à l’audience constitue un élément pertinent pour apprécier leur crédibilité. Même après que la SPR l’eut avisée d’arrêter d’aider le demandeur à témoigner, la demanderesse a persisté.

 

[64]           Les demandeurs ne contestent par ailleurs pas l’interprétation que la SPR a faite du témoignage du demandeur au sujet de sa capacité de se trouver du travail en Hongrie. Son témoignage sur ce point était une des occasions où la demanderesse l’a aidé, ce que les demandeurs ont admis. Bien que les demandeurs ne soient pas d’accord avec la SPR quant au poids accordé à leurs allégations et à la preuve, il ne s’ensuit pas pour autant que la conclusion tirée par la SPR était déraisonnable.

 

Réponse des demandeurs

 

[65]           Les demandeurs affirment que l’arrêt Carillo, précité, pose le principe qu’une réticence subjective à solliciter la protection de l’État appuyée par des éléments de preuve objectifs suivant lesquels la protection de l’État est insuffisante constitue un motif suffisant pour réfuter la présomption de l’État. En l’espèce, la SPR a ignoré les éléments de preuve démontrant que les Roms ne pouvaient compter sur la protection de l’État et elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve tendant à démontrer que le racisme contre les Roms est omniprésent dans les institutions de l’État en Hongrie.

 

[66]           Bien que le défendeur ait affirmé que la SPR a tenu compte de leur situation personnelle, les demandeurs soutiennent qu’il n’a pas tenu compte de l’omission de la SPR d’examiner les éléments de preuve dont elle disposait au sujet de la situation au pays. Bien qu’elle ait mentionné la preuve relative à la situation qui existait au pays, suivant laquelle les efforts déployés par la Hongrie pour protéger les Roms s’étaient soldés par des résultats mitigés, et bien qu’elle ait affirmé avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve, la SPR n’a pas vraiment analysé la preuve qui lui avait été soumise. Le simple fait de mentionner des éléments de preuve et de tirer une conclusion ne suffit pas; la SPR devait démontrer comment elle était arrivée à ses conclusions. Comme elle ne l’a pas fait, sa décision doit lui être renvoyée pour nouvel examen.

 

[67]           Contrairement à ce que prétend le défendeur, à savoir que la demanderesse a refusé de communiquer à la police hongroise le nom du professeur qui avait agressé Raymond, les demandeurs affirment que ce n’est pas ce qu’elle a fait. Ils affirment maintenant que la demanderesse connaissait le nom du professeur, mais qu’elle a refusé de le donner à la police parce que les policiers ne l’avaient pas prise au sérieux et qu’ils ne lui avaient pas demandé le nom du professeur. Les policiers ont refusé de croire la demanderesse et Raymond, les traitant de menteurs. La demanderesse n’arrivait tout simplement pas à se souvenir du nom du professeur à l’audience et la SPR a présumé qu’elle ne le connaissait pas. Les policiers lui ont dit qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour affirmer que son fils avait été agressé.

 

[68]           Les demandeurs affirment également qu’ils ont informé leur ancien représentant des allégations formulées contre lui. Dans un courriel daté du 1er avril 2011 et déposé en preuve à titre d’annexe à l’affidavit de Me Bergman, le conseil actuel des demandeurs a déclaré ce qui suit en ce qui concerne l’ancien conseil des demandeurs :

[traduction]

À la suite de notre conversation téléphonique de ce jour, vous trouverez plus bas mes coordonnées. [Les demandeurs] ont retenu mes services pour que je leur donne mon avis au sujet de l’aide juridique. J’ai accepté un mandat d’aide juridique. Mes clients m’ont informé qu’il vous avait engagé pour les représenter et que vous avez déposé leur FRP. Ils sont toutefois préoccupés du fait qu’ils n’ont jamais vu leur FRP.

 

Veuillez retrouver les FRP en question et m’en envoyer une copie par télécopieur dans les meilleurs délais. À défaut par vous de le faire, nous devrons communiquer avec la CISR et leur expliquer qu’il a été perdu.

 

 

[69]           Les demandeurs affirment que ce courriel démontre qu’ils ont de toute évidence fait part à leur ancien conseil de leurs préoccupations et qu’ils lui ont donné la possibilité d’y répondre. Ils affirment également que le conseil n’a pas répondu. De plus, des travailleurs sociaux ont déposé une plainte auprès du Barreau et les demandeurs affirment qu’ils ont porté officiellement plainte au Barreau en septembre 2011.

 

Manquement à l’équité procédurale pour cause d’incompétence

 

[70]           Les demandeurs affirment également qu’en raison de l’incompétence avec laquelle il s’est occupé de leur demande, leur ancien conseil a compromis leur droit à l’équité procédurale. Au paragraphe 25 du jugement Rodrigues c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 77, le juge François Lemieux a appliqué le critère de l’incompétence que la Cour suprême du Canada avait formulé dans l’arrêt R c G.D.B., [2000] 1 RCS 520 :

La façon d’envisager les allégations de représentation non effective est expliquée dans l’arrêt Strickland c. Washington, 466 U.S. 668 (1984), le juge O’Connor. Cette étude comporte un volet examen du travail de l’avocat et un volet appréciation du préjudice. Pour qu’un appel soit accueilli, il faut démontrer, dans un premier temps, que les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence, et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté.

 

L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l’analyse est la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Il incombe à l’appelant de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l’avocat ne découlaient pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation.

 

 

[71]           L’ancien conseil des demandeurs a violé leur droit à l’équité procédurale parce que la SPR s’est fondée sur les contradictions qu’elle avait relevées entre leur FRP original et leur FRP modifié pour contester leur crédibilité. Si leur conseil précédent n’avait pas déposé des exposés circonstanciés erronés, les demandeurs n’auraient pas eu à prouver que leur exposé circonstancié modifié était vrai ou que leur exposé circonstancié original ne leur avait pas été interprété avant qu’ils signent leur FRP. Un déni de justice a donc eu lieu en l’espèce.

 

[72]           Les demandeurs admettent que la jurisprudence de notre Cour exige que, pour justifier une allégation d’incompétence, le demandeur d’asile doit informer les autorités par écrit. Ils affirment toutefois avoir satisfait à cette obligation. Ils ont retenu les services de leur conseil actuel parce que leur ancien conseil leur avait demandé une somme supplémentaire pour les représenter à l’audience. Après avoir engagé leur conseil actuel, ils ont découvert que leur exposé circonstancié original était faux et ils ont confronté leur ancien conseil à ce sujet. Ils affirment qu’ils ont fait part de leurs préoccupations à leur ancien conseil, à savoir que celui‑ci les a induits en erreur et leur a causé un préjudice, et qu’il n’a pas répondu à ces allégations. Ils ont également saisi le Barreau d’une plainte en septembre 2011.

 

[73]           Les demandeurs citent le jugement Shirwa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1345, à l’appui de la proposition qu’il y a violation du droit à l’équité procédurale lorsque l’inconduite du conseil se traduit par le refus d’accorder une audience. Ils citent également le jugement Rodrigues, précité, et mentionnent, parmi les signes d’incompétence, l’omission de formuler des arguments et d’y répondre, le défaut de préparer un dossier et la mauvaise représentation. Dans le cas qui nous occupe, leur ancien représentant s’est présenté à tort comme étant un avocat alors qu’il était en réalité un consultant en immigration. Il s’est par ailleurs servi d’un modèle d’exposé circonstancié ce qui, selon les demandeurs, équivaut à un défaut de préparer un dossier. Ces deux actes se sont traduits par une violation de leur droit à l’équité procédurale et la décision doit donc être renvoyée à la SPR.

 

Mémoire complémentaire des demandeurs

 

[74]           Les demandeurs affirment qu’il ressort de la jurisprudence de notre Cour que les Roms ne peuvent compter sur une protection suffisante de l’État en Hongrie. Ils citent à cet égard les décisions Molnar, précitée, Banya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 686; Bors c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1004, et Kovacs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1003. Ils font également observer que, dans le jugement Elcock c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1438 (QL), le juge Frank Gibson a déclaré, au paragraphe 15 :

J’estime qu’il doit en être de même en l’espèce, et que la SSR a commis une erreur donnant ouverture à révision en omettant d’examiner effectivement non seulement s’il existait des mécanismes légaux et procéduraux de protection, mais encore si l’État, par l’intermédiaire de la police, était disposé à mettre ces mesures en œuvre. Non seulement le pouvoir protecteur de l’État doit‑il comporter un encadrement légal et procédural efficace, mais également la capacité et la volonté d’en mettre les dispositions en œuvre.

 

 

[75]           Dans le jugement Banya, précité, le juge Douglas Campbell a estimé que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve qui démontraient que les Roms hongrois faisaient l’objet d’agressions de la part d’extrémistes. Dans le jugement Bors, précité, le juge Michel Shore a déclaré, au paragraphe 58 : « Il était déraisonnable pour l’agente d’ERAR de conclure que les agressions envers les Roms ont cessé en Hongrie, en n’expliquant pas comment elle en est arrivée à cette conclusion. » [soulignement omis] Dans le jugement Kovacs, précité, le juge Shore a tiré la même conclusion que celle à laquelle il en était venu dans le jugement Bors, précité. Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en concluant qu’ils pouvaient compter sur une protection suffisante de l’État, étant donné que les décisions qu’ils ont citées démontrent le contraire.

 

Nouveaux éléments de preuve

 

[76]           Les demandeurs affirment maintenant que la Cour devrait tenir compte de l’affidavit complémentaire de Me Bergman qu’ils ont soumis à la Cour le 3 janvier 2012 (l’affidavit complémentaire). Cet affidavit introduit en preuve un second affidavit souscrit par Mme Gwendolyn Albert (affidavit de Mme Albert). L’affidavit de Mme Albert démontre que les observations que les demandeurs ont formulées devant la SPR sont véridiques et que la Cour devrait donc tenir compte de ces nouveaux éléments de preuve.

 

[77]           Les demandeurs affirment qu’en cas de manquement à l’équité procédurale, la juridiction de révision peut examiner de nouveaux éléments de preuve. Dans l’arrêt Hutchinson c Canada (Ministre de l’Environnement), 2003 CAF 133, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit, au paragraphe 44 :

Il est possible de statuer sommairement sur ce point. Le juge des demandes a correctement appliqué les arrêts faisant autorité en refusant de permettre la présentation de cette preuve additionnelle. La Commission ne disposait pas de cette preuve et, par conséquent, en l’absence de considérations telles qu’un déni de justice naturelle, rien ne permettait de la faire examiner par le juge des demandes. Voir Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 315 (1re inst.), que le juge des demandes a mentionné.

 

 

[78]           Dans le jugement Farhadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 381, le juge Gibson déclare, au paragraphe 20 :

Il est bien établi en droit qu’une juridiction de révision est liée par le dossier qui a été déposé devant l’office fédéral dont la décision fait l’objet de l’appel. La jurisprudence des cours de révision a suivi cette règle, faisant observer que si des éléments de preuve qui n’ont pas été déposés devant le tribunal initial étaient présentés dans une instance en contrôle judiciaire, la demande de contrôle serait en fait convertie en un appel ou un procès de novo. Bien que je sois convaincu qu’il existe une exception juridictionnelle à la règle selon laquelle de nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles dans une instance en contrôle judiciaire, je suis également convaincu qu’il n’y a pas en l’espèce de question portant sur une erreur de compétence des tribunaux. Les questions qui me sont soumises se rapportent à la Charte et à la suffisance des garanties procédurales du processus d’examen des risques suivi en l’espèce. [Renvois omis.]

 

 

[79]           L’affidavit de Mme Albert renferme des éléments de preuve qui démontrent que la décision était déraisonnable. La Cour devrait donc tenir compte de ces éléments de preuve.

 

Mémoire complémentaire du défendeur

 

[80]           Le défendeur soutient que les demandeurs cherchent à attaquer la décision en se fondant sur des éléments de preuve qui n’avaient pas été portés à la connaissance de la SPR. Dans leur dossier de demande, les demandeurs citent des éléments de preuve qui ne figurent pas dans les documents qu’ils ont soumis à la SPR, à savoir :

a.                   dix‑neuf pages tirées d’un document intitulé Written Comments for Consideration by the United Nations Committee at its 98th Session, rédigé par le Centre européen de défense des droits des Roms, la Chance for Children Foundation et le Helsinki Committee Concerning Hungary;

b.                  un article intitulé « UN Bodies Urge Roma to Hungary to Act Against Roma Rights Abuses, » provenant du site Web du Centre européen de défense des droits des Roms.

 

[81]           Le défendeur affirme également que les articles suivants n’ont pas été portés à l’attention de la SPR :

-                      Hungary Post Election Watch : April 2010 Parliamentary Elections, point 4.2 du Cartable national de documentation de la SPR pour la Hongrie en date du 29 octobre 2010, mais non soumis à la SPR;

-                      « Hungary’s Opposition, A Nasty Party: The Centre‑right Frets Over the Rise of the Far Right », The Economist, 18 juin 2009.

 

[82]           Ces documents n’ont pas été soumis à la SPR, de sorte qu’il ne convient pas que notre Cour en tienne compte dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

Affaires à distinguer

 

[83]           Le défendeur affirme également qu’il convient de distinguer les affaires que les demandeurs invoquent pour démontrer que les Roms ne peuvent compter sur aucune protection de l’État en Hongrie. À la différence des affaires Bors, Banya, Kovacs et Molnar, précitées, les demandeurs n’ont pas démontré que la SPR a ignoré des éléments de preuve, ce qui était une erreur courante dans ces affaires.

 

L’affidavit souscrit par Mme Albert est irrégulier

 

[84]           Le défendeur s’oppose à l’affidavit souscrit par Mme Albert au motif que l’on ne peut tenir compte de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire. Les renseignements contenus dans l’affidavit souscrit par Mme Albert n’ont pas été portés à l’attention de la SPR et notre Cour ne peut donc pas en tenir compte. Le contrôle judiciaire n’est pas un appel de novo de la décision de la SPR. Les demandeurs tentent de se servir de l’affidavit souscrit par Mme Albert pour contester la conclusion de la SPR, ce qui est irrégulier.

 

[85]           L’affidavit de Mme Albert n’a pas été analysé par la SPR et il a été soumis à notre Cour sous forme de ouï‑dire. Bien que les demandeurs affirment que l’auteur de cet affidavit est une experte, sa qualité d’expert n’a pas été établie devant la SPR. L’argument des demandeurs suivant lequel la Cour devrait tenir compte de cet élément de preuve parce que leur droit à l’équité procédurale a été violé est mal fondé. Les demandeurs ne se sont jamais vu refuser la possibilité d’aborder la question de la protection de l’État devant la SPR et ils étaient représentés par un conseil à l’audience. Ils ont soumis des documents relatifs à la situation au pays et ils ont formulé des arguments sur cette question à l’audience, ce qui empêche la Cour de revenir sur la question.

 

L’appréciation de la crédibilité était raisonnable

 

[86]           Le défendeur conteste également l’argument des demandeurs suivant lequel l’appréciation que la SPR a faite de la crédibilité était déraisonnable. La SPR a évalué de façon raisonnable le témoignage donné par la demanderesse au sujet de l’incident au cours duquel Raymond avait été agressé par un professeur. Elle a expliqué que Raymond lui avait raconté qu’un professeur l’avait projeté contre le mur. Lorsque la SPR lui a demandé à l’audience si elle connaissait le nom du professeur en question, la demanderesse a répondu par la négative. Elle a également expliqué qu’elle aurait pu trouver le nom du professeur, mais qu’elle ne pouvait prouver qu’il avait effectivement agressé Raymond. Lorsque la SPR lui a demandé si elle s’attendait à ce que la police le fasse à sa place, elle a répondu qu’elle s’attendait à ce que les policiers lui demandent le nom du professeur, qu’ils la croient et qu’ils tiennent le professeur en question responsable. Elle ignorait si Raymond connaissait le nom du professeur. Raymond savait seulement que c’était son professeur d’éducation physique.

 

Aucun manquement à l’équité procédurale

 

[87]           Les demandeurs n’ont pas satisfait aux éléments essentiels permettant de conclure que la conduite de leur ancien conseil équivalait à un manquement à l’équité procédurale. Les demandeurs d’asile qui invoquent ce genre d’argument doivent démontrer que leur conseil a fait preuve d’une incompétence extraordinaire pour qu’on puisse conclure à un manquement à l’équité procédurale, ce que les demandeurs n’ont pas fait en l’espèce (Gogol c Canada, [1999] ACF no 2021, au paragraphe 3). La SPR n’a tout simplement pas cru que les contradictions relevées entre l’exposé circonstancié original et l’exposé circonstancié modifié s’expliquaient par l’incompétence de l’ancien conseil.

 

[88]           Les demandeurs ont apposé leur signature au bas de leur FRP et ont déclaré que le contenu des formulaires ainsi que de tous les documents qui y étaient joints leur avait été interprété. Rien ne permettait à la SPR de penser qu’ils avaient avisé leur ancien conseil avant l’instruction de leur plainte. Les demandeurs ont également fortement tablé sur des preuves par ouï‑dire portant sur des plaintes portées contre Nagendra. À l’audience de la SPR, le conseil des demandeurs a expliqué qu’une avocate des Services d’aide juridique lui avait dit qu’elle avait expliqué aux demandeurs qu’ils devaient entreprendre des démarches pour déposer une plainte. Le conseil des demandeurs a également expliqué qu’il avait entendu dire que leur ancien conseil faisait l’objet d’une enquête, mais il n’a toutefois pas confirmé cette information et n’a présenté aucun document à ce sujet à l’audience. Ni les demandeurs ni leur conseil n’ont confirmé à la SPR qu’ils avaient déposé une plainte auprès du Barreau ou de tout organisme chargé de réglementer les consultants en immigration. On ne trouve au procès‑verbal de l’audience aucune indication permettant de savoir à quel moment le conseil des demandeurs aurait informé l’ancien conseil de ces derniers des réserves portant sur les FRP des demandeurs. Les demandeurs continuent à se fonder sur ces allégations, qui ne reposent que sur des ouï‑dire, à l’appui des reproches qu’ils adressent à leur ancien conseil. Ils n’ont toutefois pas démontré que sa présumée incompétence se serait traduite par un manquement à l’équité procédurale ou encore qu’ils l’auraient avisé adéquatement de leurs allégations.

 

ANALYSE

 

[89]           Bien que les demandeurs insistent particulièrement sur les questions de crédibilité et sur la négligence de leur ancien conseil, en réalité le sort de leur demande dépend de la réponse à la question de savoir si la protection de l’État était suffisante en l’espèce.

 

[90]           Pour répondre à cette question, la SPR a examiné les démarches que les demandeurs avaient eux‑mêmes entreprises par le passé pour obtenir la protection de l’État, ainsi que la situation actuelle des Roms en Hongrie. L’analyse de la SPR est détaillée et approfondie.

 

[91]           À la lecture de l’ensemble de la décision, j’estime que les conclusions négatives que la SPR a tirées au sujet de la crédibilité n’ont pas eu d’incidence appréciable sur son analyse de la question de la protection de l’État. La SPR s’est penchée sur les démarches que les demandeurs affirmaient eux‑mêmes avoir entreprises pour tenter d’obtenir la protection de l’État.

 

[92]           La Cour a reconnu qu’une réticence subjective à solliciter la protection de l’État ne constitue pas, en règle générale, un motif suffisant pour réfuter la présomption de la protection de l’État. Le juge Orville Frenette a récemment analysé ce principe dans Cueto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 805, aux paragraphes 25 et 26 :

Il est présumé que la protection de l’État est du ressort de l’État dont le réfugié est citoyen (Sanchez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 134). Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 709, la Cour suprême du Canada a clairement exprimé que les demandeurs sont en premier lieu tenus de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection, ou d’établir qu’il n’était objectivement pas raisonnable de le faire, avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée. En conséquence, l’asile ne peut être accordé au demandeur qui n’a pas en premier lieu tenté de se prévaloir de la protection de l’État offerte dans son pays d’origine, ou qui n’a pas fait de tentative adéquate en ce sens (Ward, précité, à la p. 724; Hinzman c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 171, aux par. 52 et 56). Dans la mesure où il est possible d’obtenir une protection adéquate, le demandeur ne peut prétendre à l’existence d’une crainte objective et bien‑fondée d’être persécuté (Sarker c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 353, au par. 7; Dannett c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1363, aux par. 34 et 43).

 

Afin de réfuter la présomption de la protection de l’État, le demandeur d’asile doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État est insuffisante (Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 4 R.C.F. 636 (C.A.F.); Granados c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 210; Ministre de la sécurité publique et de la protection civile c. Gunasingam, 2008 CF 181). La réticence subjective à solliciter la protection de l’État ne constitue pas un motif suffisant pour réfuter la présomption susmentionnée.

 

[93]           Il est par ailleurs bien établi en droit que l’appréciation de la protection de l’État est en grande partie une appréciation factuelle qui se fait cas par cas (voir Farhadi, précité, au paragraphe 20). En tant qu’arbitre des faits, la SPR est souvent appelée à déterminer le poids qu’il convient d’accorder à des éléments de preuve opposés portant sur la situation qui règne dans un pays déterminé. Les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption suivant laquelle la SPR avait apprécié et examiné l’ensemble de la preuve. Les demandeurs n’ont pas précisé en quoi la SPR avait écarté ou ignoré des éléments de preuve se rapportant à la question de la protection de l’État, ainsi qu’ils l’affirment aux paragraphes 5 à 13 de leur mémoire complémentaire.

 

[94]           Il est également bien établi en droit que le contrôle judiciaire s’effectue en fonction du dossier dont disposait le tribunal administratif. Les demandeurs tentent toutefois de contester l’appréciation que la SPR a faite de la protection de l’État en se fondant sur des renseignements dont ne disposait pas le commissaire.

 

[95]           Il n’y a rien dans le dossier qui indique que les demandeurs se sont vu refuser la possibilité d’aborder la question de la suffisance de la protection de l’État devant la SPR. Les demandeurs étaient représentés devant la SPR par un conseil qui était avocat et conseiller juridique. Leur avocat a soumis des éléments de preuve documentaire portant sur la situation au pays avant l’ouverture de l’audience relative au droit d’asile et il a formulé à l’audience des arguments au sujet de la situation au pays.

 

[96]           Le défendeur soutient que la tentative que font les demandeurs pour renforcer leur demande en invoquant des éléments de preuve dont ne disposait pas la SPR est totalement inacceptable, compte tenu des circonstances de la présente affaire. Je suis du même avis : la Cour ne tiendra pas compte de l’affidavit complémentaire d’Ori Bergman ou de tout élément qui n’avait pas été porté à l’attention de la SPR.

 

[97]           Ainsi qu’il ressort à l’évidence de sa décision, la SPR a interrogé la demanderesse au sujet des démarches que les demandeurs avaient entreprises pour solliciter la protection de l’État avant de s’enfuir de la Hongrie. Parmi ces démarches, il y avait notamment celles entreprises à la suite de deux incidents principaux, en l’occurrence, l’agression dont Raymond avait été victime de la part de son professeur, ainsi que l’agression dont la demanderesse avait elle‑même été victime le 10 mai 2009. Voici comment la SPR a abordé ces questions :

[22]      Jolan a déclaré avoir signalé à la police l’agression physique que Raymond a subie de la part d’un enseignant, mais elle n’a pas donné le nom de celui‑ci parce que la police ne le lui a pas demandé. Jolan a ajouté que, même si elle avait donné le nom de l’enseignant à la police, les policiers ne l’auraient pas crue, et elle aurait reçu une amende au final.

 

[23]      Je crois qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que la police mène une enquête en bonne et due forme quant à l’agression physique qu’a subie Raymond sans savoir le nom de l’enseignant qui l’a agressé lorsque ce renseignement aurait pu être facilement obtenu. Selon l’exposé circonstancié de Jolan, la police a mentionné qu’elle ouvrirait une enquête contre les auteurs inconnus de l’agression. Je crois également que cette situation n’est pas raisonnable, car Raymond et Jolan connaissaient l’auteur de l’agression et auraient facilement pu fournir cette information à la police. L’explication de Jolan selon laquelle la police ne l’aurait pas crue si elle avait donné le nom de l’enseignant est déraisonnable, à moins que la police n’ait conclu que ses allégations étaient fausses. En outre, mes conclusions précédentes quant à la crédibilité mettent en doute le fait que l’incident s’est produit comme l’a décrit Jolan.

 

[24]      Jolan soutient avoir signalé à la police l’incident du 10 mai 2009 se rapportant à son agression physique. À la question de savoir ce qu’elle avait dit à la police à propos de l’agression physique dont elle a été victime, Jolan a répondu qu’elle a dit à la police qu’elle avait été agressée par quatre ou cinq personnes et qu’il s’agissait très probablement des personnes qui lui avaient envoyé des lettres de menaces. Tenue d’indiquer si la police avait mené une enquête sur ses allégations, Jolan a répondu qu’elle l’ignorait. À la question de savoir si elle avait assuré un suivi auprès de la police, Jolan a répondu qu’elle est retournée voir la police pour lui demander un rapport peu avant avoir quitté la Hongrie à la fin de juin.

 

[25]           Les éléments de preuve crédibles présentés pour indiquer que la police n’a pas mené d’enquête au sujet des allégations de Jolan relativement à l’incident du 10 mai 2009 étaient insuffisants. Jolan est retournée voir la police en juin 2009, avant de quitter la Hongrie, pour lui demander un rapport. Elle a déclaré qu’elle ignorait si la police avait fait une enquête sur ses allégations. La preuve documentaire ci‑dessous indique que, si Jolan ou l’un des demandeurs d’asile n’étaient pas satisfaits de l’intervention de la police à la suite de leurs allégations, ils auraient disposé de recours. Plutôt que de tenter d’obtenir la protection de l’État en Hongrie, les demandeurs d’asile ont décidé de quitter le pays.

 

[26]           Je conclus que les demandeurs d’asile n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État par des éléments de preuve clairs et convaincants et qu’ils n’ont pas pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour solliciter la protection de l’État en Hongrie avant de demander la protection internationale au Canada. Jolan a signalé à la police l’agression physique qu’a subie Raymond, mais elle ne lui a pas donné le nom de son agresseur alors que cette information était facilement accessible. Jolan a signalé l’agression physique qu’elle a subie en mai 2009, mais elle n’a pas assuré de suivi auprès de la police, et elle ignore si la police a mené une enquête. Les demandeurs d’asile n’ont pas cherché d’autres recours s’ils n’étaient pas satisfaits de la réponse qu’ils ont reçue de la police. Les éléments de preuve crédibles présentés pour indiquer que les demandeurs d’asile ont déjà demandé l’aide de la police en Hongrie pour toute autre affaire étaient insuffisants.

 

[27]           Je ne suis pas convaincu que la police ne ferait pas une enquête sur toutes les allégations des demandeurs d’asile si les incidents lui étaient tous signalés avec des détails suffisants et facilement accessibles. Je ne suis pas convaincu que la police ne poursuivrait pas les agresseurs des demandeurs d’asile si les éléments de preuve étaient suffisants. J’ai trouvé que les réponses des demandeurs d’asile en ce qui concerne l’efficacité de la protection de l’État n’étaient pas convaincantes, parce qu’elles étaient non confirmées en grande partie et qu’elles ne cadraient pas avec la preuve documentaire.

 

 

[98]           Je ne décèle dans cette analyse aucune erreur susceptible de contrôle. On peut toujours ne pas être d’accord, mais un simple désaccord ne suffit pas. Les conclusions tirées par la SPR appartiennent, à mon avis, aux issues acceptables au sens de l’arrêt Dunsmuir.

 

[99]           La SPR s’est ensuite penchée sur la preuve documentaire. Les demandeurs affirment que, dans son analyse, la SPR n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve, qu’elle a ignoré certains faits, qu’elle a formulé des hypothèses erronées et qu’elle n’a examiné que les efforts déployés par la Hongrie pour protéger ses citoyens sans vérifier si, dans les faits, la protection de l’État était suffisante. Une lecture de la décision de la SPR ne justifie aucun de ces reproches. La décision comporte une analyse approfondie et équilibrée des documents dans laquelle la SPR reconnaît pleinement et examine les difficultés auxquelles les Roms sont toujours confrontés, la discrimination généralisée dont ils sont victimes et les violences dont certains d’entre eux ont été victimes.

 

[100]       Cette analyse fouillée est encadrée par les conclusions suivantes :

[28]           Je reconnais qu’il y a de l’information dans la documentation selon laquelle les Roms sont victimes de discrimination en Hongrie. Cependant, il y a des éléments de preuve convaincants selon lesquels la Hongrie reconnaît ce problème avec franchise et fait des efforts sérieux pour éradiquer la discrimination et corriger les problèmes qui existent.

 

[29]           La prépondérance des éléments de preuve objectifs relativement aux conditions actuelles dans le pays indique que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par l’État hongrois aux victimes de la criminalité, dont les crimes commis contre les Roms, est adéquate, que la Hongrie fait des efforts sérieux pour résoudre les problèmes de criminalité, et que la police veut et peut protéger les victimes. La corruption et les lacunes de la police, bien qu’elles existent et qu’elles soient observées, ne sont pas généralisées. Je suis d’avis, en examinant la preuve documentaire, que, dans l’ensemble, l’État hongrois s’occupe des problèmes de corruption et des lacunes.

 

 

[101]       La SPR a également pris acte de la recrudescence que connaît actuellement la violence dirigée contre les Roms et elle explique pourquoi ce fait ne réfute pas la présomption de protection suffisante de l’État :

[35]           J’ai examiné la preuve documentaire présentée par le conseil. Selon le rapport de l’organisme Human Rights First intitulé Violent Hate Crimes in Hungary [crimes haineux violents en Hongrie], en Hongrie, une augmentation alarmante de la violence raciste a fait de nombreuses victimes parmi les membres de la population rom du pays, dont le nombre estimé se situe entre 400 000 et 600 000 personnes. Il y a eu une hausse particulièrement forte des agressions graves et parfois mortelles depuis 2008, ce qui a attisé les tensions sociales et a amoindri le sentiment de protection physique des minorités partout au pays. Le rapport indique également que l’intervention du gouvernement relativement à ce grave problème a été ambivalente. Les autorités hongroises ont démontré qu’elles étaient résolues à intervenir dans les cas particuliers très médiatisés de crimes haineux, même si leur intervention générale est toujours ternie par des failles importantes. Les hauts représentants du gouvernement ont dénoncé publiquement certains des cas récents les plus graves de violence contre les Roms, bien que dans la plupart des cas, seulement après que la violence a augmenté considérablement. Des progrès ont été faits dans les enquêtes relatives à un certain nombre d’agressions violentes graves qui ont eu lieu en 2008 et en 2009. Le gouvernement hongrois de l’époque a affecté des ressources considérables d’application de la loi aux enquêtes et a sollicité la coopération internationale dans ces efforts. Les autorités ont également pris certaines mesures pour rendre les agents d’application de la loi responsables des comportements répréhensibles au cours des enquêtes sur les crimes haineux.

 

[36]           Bien que de nombreux rapports et articles contenus dans la preuve documentaire présentée par le conseil décrivent les problèmes qu’éprouvent les Roms en Hongrie, il est souvent fait mention de comptes rendus des efforts et des réussites de la Hongrie pour ce qui est d’offrir une meilleure protection aux Roms dans ces mêmes rapports et articles. Cela témoigne de la volonté de la Hongrie de régler les problèmes qu’éprouvent les Roms et d’éradiquer la violence et la discrimination contre ce groupe.

 

 

[102]       Dans un pays comme la Hongrie, où il existe des violations flagrantes et bien connues des droits de la personne dans le cas des Roms, l’analyse de la protection de l’État n’est pas facile et il existera toujours des opinions divergentes sur la question. Dans le cas qui nous occupe, les éléments de preuve présentés au sujet du risque personnalisé n’étaient pas solides. Ainsi que le juge Yves de Montigny l’a déclaré dans le jugement Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, au paragraphe 28 :

Ceci étant dit, l’appréciation du risque que pourrait courir le demandeur d’être persécuté s’il devait être retourné dans son pays doit être personnalisée. Ce n’est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l’on doit nécessairement en déduire un risque pour un individu donné (Ahmad c. M.C.I., [2004] A.C.F. no 995 (C.F.); Gonulcan c. M.C.I., [2004] A.C.F. no 486 (C.F.); Rahim c. M.C.I., [2005] A.C.F. no 18 (C.F.).

 

 

[103]       Le juge Shore a également insisté sur la nécessité d’un risque personnalisé dans Jean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 674. Voici ce qu’il déclare, aux paragraphes 32 et 33 :

La jurisprudence de cette Cour est claire et constante à l’effet qu’une crainte de criminalité généralisée causée par une situation qui prévaut dans tout le pays et qui touche toute la population ne justifie pas l’octroi du statut de personne à protéger.

 

Il est essentiel qu’un demandeur établisse un risque personnalisé en fonction de ses circonstances personnelles, ce qui n’a pas été fait en l’espèce : les demanderesses n’ont jamais démontré que leur situation particulière leur occasionnerait un risque personnalisé, et la preuve documentaire ne supporte pas leurs allégations.

 

 

[104]       On aurait fort bien pu conclure, en l’espèce, que les demandeurs étaient exposés à un risque; j’estime toutefois que les éléments de preuve que les demandeurs ont présentés au sujet de leur risque personnel n’étaient pas solides. Toutefois, même s’il avait été possible d’arriver à une conclusion différente, il ne s’ensuit pas pour autant que l’analyse et la conclusion de la SPR étaient déraisonnables. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a souligné dans l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59 :

Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la juridiction de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

 

[105]       Il est très difficile d’évaluer la situation de la Hongrie. La réponse à cette question dépend en grande partie des faits et des éléments de preuve présentés dans chaque cas ainsi que de la réponse à la question de savoir si la SPR a procédé à une analyse raisonnable. Dans l’affirmative, j’estime qu’il n’appartient pas à notre Cour d’intervenir, et ce, même si elle aurait pu arriver à une conclusion différente. J’estime que la SPR a procédé à une analyse raisonnable dans le cas qui nous occupe et qu’elle s’est montrée sensible aux principes applicables, qu’elle a appliqués aux faits au dossier d’une manière responsable. Pour cette raison, je ne puis modifier la décision.

 

[106]       Les avocats sont d’accord pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5879‑11

 

INTITULÉ :                                                  VIKTOR MOLNAR; JOLAN PITLIK; RAYMOND MOLNAR; ANDREA BIANKA MOLNAR; VIKTOR RICHARD MOLNAR

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 13 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Phillip J. L. Trotter

 

POUR LES DEMANDEURS

 

A. Leena Jaakkimainen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Phillip J. L. Trotter

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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