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Cour fédérale

 

Federal Court

 Date : 20120503


Dossiers : IMM-5788-11

IMM-5790-11

Référence : 2012 CF 521

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

GORDON ROSENBERRY

MURIEL ROSENBERRY

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

        défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Les demandeurs sollicitent, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de deux décisions d’un agent d’immigration (l’agent), en date du 6 juillet 2011, qui a refusé leur demande de résidence permanente déposée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur la base de considérations d'ordre humanitaire (la décision CH), et refusé leur demande de permis de séjour temporaires (la décision PST).

LE CONTEXTE

[2]               Les demandeurs, tous deux citoyens des États-Unis, vivent actuellement à Edmonton, sans statut. Le demandeur est âgé de 85 ans, et la demanderesse de 87 ans. Avant de venir au Canada, ils vivaient à Albany, en Californie. Leur fille (Janice), résidente permanente du Canada, vit elle aussi à Edmonton, tandis que leurs deux fils vivent aux États-Unis.

[3]               Janice a déposé le 18 décembre 2007 une demande de parrainage dans la catégorie du regroupement familial afin de faire venir les demandeurs au Canada (la demande dans la catégorie du regroupement familial). Peu après la réception de cette demande, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) l’a informée qu’il faudrait probablement beaucoup de temps pour traiter la demande. Au 23 février 2011, CIC n’en avait pas encore terminé.

[4]               Alors que la demande dans la catégorie du regroupement familial était encore pendante, les demandeurs ont vendu leur maison en Californie, en ont acheté une autre à Edmonton et y ont expédié leurs effets. En mai 2008, ils ont tenté deux fois d’entrer au Canada par Kingsgate, en Colombie-Britannique. À leur première tentative, le demandeur a dit à un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) que son épouse et lui voulaient vivre avec Janice à Edmonton et qu’ils n’avaient pas l’intention de retourner aux États-Unis. L’agent de l’ASFC a téléphoné à Janice, qui lui a dit que ses parents pouvaient vivre avec ses frères en Californie. L’agent de l’ASFC a estimé que les demandeurs n’étaient pas des visiteurs authentiques au Canada et leur a donc refusé l’entrée.

[5]               À leur deuxième tentative d’entrer au Canada, le demandeur a dit à un autre agent de l’ASFC qu’ils n’avaient plus aucune attache aux États-Unis et qu’il leur serait impossible de s’y établir à nouveau. Le deuxième agent de l’ASFC leur a lui aussi refusé l’entrée, estimant qu’ils n’étaient pas des visiteurs authentiques. Après s’être vu refuser l’entrée à cette occasion, les demandeurs ont pris la route de Seattle et se sont rendus au consulat du Canada (le consulat) situé dans cette ville. Une fois au consulat, ils ont demandé une aide pour pouvoir entrer au Canada, mais aucune ne leur a été accordée. Ils se sont alors rendus en Californie, y sont restés durant dix jours, puis sont retournés à Seattle. Les demandeurs ont vendu leur véhicule à Seattle, parce que cela leur semblait prudent à ce moment-là.

[6]               Après avoir vendu leur véhicule, les demandeurs se sont fait conduire par un ami pour franchir la frontière avec le Canada au cours du mois de juin 2008. Une fois à la frontière, l’agent de l’ASFC qui se trouvait là les a priés de présenter leurs passeports, les a admis au Canada en tant que visiteurs et leur a souhaité bon voyage. Une fois au Canada, les demandeurs se sont rendus à Vancouver, où ils ont réservé des vols pour Edmonton. Les demandeurs ont pris l’avion pour Edmonton et y sont restés depuis.

[7]               Le 17 novembre 2008, les demandeurs ont sollicité une prolongation de leur séjour au Canada. Un agent d’immigration à Edmonton les a rencontrés le 9 juillet 2009 (l’entrevue de 2009). L’agente d’immigration qui a mené l’entrevue (Mme Korzenowski) a remarqué que la demanderesse tenait des propos décousus, souriait et gémissait. Mme Korzenowski a écrit dans ses notes qu’il lui semblait que la demanderesse présentait de sérieuses pathologies, que les demandeurs n’avaient pas révélées dans leur demande de prolongation de leur séjour. Elle a prié la demanderesse de quitter la salle d’entrevue lorsqu’il lui est devenu évident qu’elle ne pouvait pas participer à l’entrevue.

[8]               Après l’entrevue, Mme Korzenowski a refusé de prolonger le séjour des demandeurs au Canada. Dans une lettre de refus datée du 14 juillet 2009, elle faisait remarquer qu’elle avait examiné les raisons de leur entrée initiale et de leur demande de prolongation, leurs moyens financiers pour un retour et pour un séjour prolongé au Canada, leurs liens avec les États-Unis, et la probabilité qu’ils quittent le Canada à la fin de leur séjour autorisé. Elle a estimé qu’il n’existait pas de motifs suffisants justifiant une prolongation. Elle a informé les demandeurs qu’ils devaient quitter le Canada immédiatement et leur a délivré des certificats de confirmation de départ volontaire.

[9]               Les demandeurs ont répondu à la décision de Mme Korzenowski par une lettre datée du 21 juillet 2009. Ils écrivaient qu’ils avaient, avant de solliciter une prolongation de leur séjour, déposé une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, demande qui était encore pendante (voir ci‑après). Ils disaient aussi qu’ils ne pouvaient pas retourner aux États‑Unis et que [TRADUCTION] « si la loi canadienne en matière d’immigration pour le parrainage de proches parents était appliquée convenablement, on n’en serait pas là aujourd’hui ». Ils informaient Mme Korzenowski qu’ils exerceraient tous les recours judiciaires à leur disposition pour empêcher leur renvoi.

[10]           À la suite de l’entrevue de 2009, Mme Korzenowski a rendu à l’encontre des demandeurs, en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi, des rapports d’interdiction de territoire. Ces rapports ont conduit un délégué du ministre à prononcer des mesures de renvoi contre les demandeurs le 31 juillet 2009. Ils ont alors déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre des mesures d’exclusion prononcées contre eux. Le juge John O’Keefe a rejeté leur demande de contrôle judiciaire le 8 septembre 2010 (voir la décision Rosenberry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 882).

[11]           Le 8 juillet 2009, CIC a reçu leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d'ordre humanitaire (la demande CH). Simultanément, Janice a déposé une demande de parrainage et un engagement – le formulaire IMM 1344 – et une entente de parrainage – le formulaire IMM 1344 B – au soutien de la demande CH. Les demandeurs ont aussi présenté des observations écrites où ils affirmaient qu’ils ne pouvaient compter sur aucun soutien aux États-Unis et que Janice était la seule de leurs enfants qui soit disposée à prendre soin d’eux. Ils ajoutaient que leur séjour au Canada révélait les failles du système canadien d’immigration, parce que la lenteur du traitement de leur demande dans la catégorie du regroupement familial les avait conduits à venir au Canada et à y demeurer sans statut.

[12]           Outre leurs observations écrites, les demandeurs ont produit une lettre du Dr Robert Carter – le médecin de famille des demandeurs à Edmonton (la lettre du Dr Carter). La lettre du Dr Carter mentionne que la demanderesse est à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer et que, alors même qu’elle comptait sur les soins du demandeur et de Janice, son état n’avait rien coûté au système canadien de santé. Le Dr Carter écrivait aussi que les soins médicaux que requérait la demanderesse pesaient considérablement sur sa famille et qu’il lui faudrait éventuellement être soignée en établissement. Il concluait que la demanderesse nécessiterait de plus en plus de soins et risquait de devenir un fardeau pour le système canadien de santé.

[13]           Les demandeurs ont présenté des observations additionnelles à l’agent le 2 octobre 2009. Ils lui ont soumis un rapport de Bonnie Patterson-Payne, une travailleuse sociale exerçant à Edmonton (le rapport de la travailleuse sociale), ainsi qu’une lettre de Jeanne Hackama, directrice des soins chez Open Arms Family Care Ltd. – le foyer de soins privé auquel la demanderesse avait été admise (la lettre de Mme Hackama). La lettre de Mme Hackama précisait que la demanderesse était incapable de s’exprimer et qu’elle requérait une vigilance constante.

[14]           Selon le rapport de la travailleuse sociale, Janice était préoccupée par l’état de la demanderesse, et le coût des soins requis par la demanderesse au Canada atteignait environ 2 900 $ par mois, alors que le même niveau de soins coûterait 8 000 $ par mois aux États-Unis. Le rapport précisait aussi que, à Edmonton, le demandeur avait le soutien d’un groupe des Plymouth Brethren – une secte chrétienne dont il est membre.

[15]           Un médecin agréé de CIC (le Dr Quevillon) a remis une déclaration médicale à la demanderesse le 4 novembre 2009. Il y écrivait que, si la demanderesse était autorisée à entrer au Canada, son état risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé au Canada. Selon le Dr Quevillon, elle était à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer et son état se dégraderait au fil du temps, de sorte qu’elle aurait éventuellement besoin d’une surveillance permanente. Il estimait aussi que l’état de la demanderesse risquait de nécessiter des services dont le coût prévisible dépasserait la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses de santé sur une période de cinq années. Le Dr Quevillon concluait que la demanderesse était interdite de territoire aux termes du paragraphe 38(1) de la Loi.

[16]           Les demandeurs ont sollicité des PST le 22 septembre 2010 (la demande de PST). Dans ses observations, le demandeur écrivait que son épouse se trouvait sous surveillance constante dans un foyer de soins infirmiers. Selon lui, aucune amélioration ne pouvait être espérée, de telle sorte qu’il était impossible aux demandeurs de se réinstaller. Il disait aussi qu’ils ne présentaient aucun danger pour le Canada ni ne constitueraient un fardeau pour le système canadien de santé, puisqu’ils payaient eux-mêmes les soins qu’ils recevaient. Il ne savait pas où en était la demande dans la catégorie du regroupement familial. Le formulaire de demande de PST de la demanderesse indiquait que les demandeurs souhaitaient demeurer au Canada jusqu’à ce que soit examinée la demande dans la catégorie du regroupement familial. Les demandeurs ont également présenté des observations écrites au soutien de leur demande de PST, où ils écrivaient qu’ils ne pouvaient guère compter sur un soutien aux États-Unis et que Janice était la seule de leurs enfants à pouvoir prendre soin d’eux. Ils disaient qu’un PST était le meilleur moyen pour le Canada de venir à leur rescousse. Selon les demandeurs, renvoyer du Canada le demandeur, un homme âgé de 85 ans, avec, à sa suite, son épouse sur une civière, attesterait un effondrement complet de la tradition humanitaire du Canada.

[17]           L’agent a informé les demandeurs le 27 avril 2011 que la demande de PST serait traitée en même temps que la demande CH. Il les a aussi informés que, selon lui, la demanderesse était interdite de territoire en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi, et les a invités à s’exprimer sur cet aspect. Dans des observations datées du 24 mai 2011, les demandeurs ont présenté à l’agent des renseignements financiers pour montrer qu’ils pouvaient payer les services dont la demanderesse aurait besoin. Ils disaient qu’ils payaient actuellement les soins médicaux qu’elle recevait, et qu’ils avaient suffisamment de ressources pour continuer à le faire. Ils ont remis aussi à l’agent une déclaration de capacité et d’intention, datée du 15 mai 2011, dans laquelle le demandeur déclarait qu’il ne compterait pas sur les autorités provinciales pour payer le coût de services sociaux. Il déclarait aussi qu’il veillerait lui-même à obtenir les services sociaux requis. Les demandeurs priaient l’agent d’user de son pouvoir discrétionnaire dans leur cas et d’accorder du poids au fait qu’ils étaient en mesure de payer les soins que la demanderesse nécessitait.

[18]           L’agent a examiné les observations jointes à la demande CH et rendu sa décision en la matière le 6 juillet 2011. Il n’était pas persuadé que les demandeurs connaîtraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si leur demande CH était rejetée, et il a donc refusé leur demande.

[19]           Après s’être prononcé sur la demande CH, l’agent s’est interrogé sur l’opportunité de leur accorder un PST aux termes du paragraphe 24(1) de la Loi. Le 6 juillet 2011, il a adressé un mémoire au directeur de CIC (le directeur), dans lequel il se déclarait opposé à l’octroi de PST aux demandeurs. Le supérieur hiérarchique de l’agent a partagé les conclusions de celui-ci et entériné le mémoire le 14 juillet 2011. Le directeur a souscrit à la décision PST et entériné le mémoire le 21 juillet 2011.

[20]           L’agent a informé les demandeurs de la décision PST et de la décision CH par lettre datée du 21 juillet 2011. Les demandeurs ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire des deux décisions le 25 août 2011. Le juge Michael Kelen a accordé l’autorisation le 30 décembre 2011 et ordonné que les demandes soient instruites ensemble.

LES DÉCISIONS CONTESTÉES

La décision CH

 

[21]           La décision CH comprend la lettre que l’agent a envoyée aux demandeurs le 21 juillet 2011 (la lettre de refus) et les motifs de sa décision (les motifs de la décision CH), signés le 6 juillet 2011. La lettre de refus mentionne que l’agent a examiné et rejeté à la fois la demande CH et la demande de PST.

[22]           L’agent a d’abord passé en revue les données biographiques des demandeurs et leurs antécédents auprès de CIC. Il a ensuite examiné les facteurs qu’ils invoquaient dans leur demande. Il a relevé que les demandeurs s’appuyaient sur leur niveau d’établissement au Canada, à savoir leur domicile ici, la proximité de leur fille, et l’état de santé de la demanderesse. Ils invoquaient aussi les liens du demandeur avec la communauté des Plymouth Brethren à Edmonton, l’impossibilité pratique pour leurs fils de s’occuper d’eux ainsi que leurs moyens pécuniaires.

[23]           L’agent a brièvement examiné l’incidence de sa décision sur d’éventuels enfants directement concernés, pour conclure que les demandeurs n’avaient pas précisé en quoi leurs petits‑enfants seraient affectés par la décision CH. Il a aussi examiné les préoccupations relatives à la santé des demandeurs. Il a pris note de la conclusion du Dr Quevillon pour qui la demanderesse était interdite de territoire pour raisons médicales, étant à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer. Il a aussi pris note des observations sur cet aspect présentées par les demandeurs en réponse à la lettre d’équité. L’agent a affirmé que le demandeur avait subi un examen médical d’immigration, après quoi il avait été désigné M3. Une désignation M3 signifiait que le demandeur présentait un état dont le fardeau potentiel pour les services sociaux ou de santé ne suffisait pas à l’exclure aux termes du paragraphe 38(1) de la Loi.

Analyse

[24]           L’agent n’a pas été persuadé qu’il existait, dans le cas des demandeurs, des considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour qu’ils bénéficient d’une dispense aux termes de l’article 25 de la Loi.

Les antécédents en matière d’immigration

[25]           L’agent a relevé que les demandeurs étaient entrés au Canada en juin 2008, après s’être vu refuser l’entrée deux fois parce qu’ils n’étaient pas des visiteurs authentiques. Il a noté qu’ils avaient vendu leur maison en Californie et transféré leurs avoirs au Canada avant de venir ici en 2008. Il a aussi noté que Janice avait été informée des longs délais de traitement des demandes de parrainage de proches parents. Il a affirmé que la lettre que CIC avait envoyée à Janice après qu’elle eut déposé sa demande de parrainage l’informait des délais de traitement, mais que cette lettre ne donnait pas à penser que les demandeurs pouvaient venir au Canada avant que leur demande ne soit traitée. Il s’est aussi référé à l’entrevue de 2009, au cours de laquelle le demandeur avait décrit leurs tentatives répétées d’entrer au Canada.

[26]           L’agent a conclu que les démarches faites par les demandeurs pour entrer au Canada étaient le signe qu’ils étaient déterminés et prêts à faire tout ce qu’il fallait pour y parvenir. Ils avaient persisté dans leur volonté d’entrer au Canada, alors même qu’ils savaient, après les refus qu’ils avaient essuyés à la frontière, qu’ils ne remplissaient pas les conditions pour y être admis. Il a aussi conclu que, bien que, au départ, ils aient tenté d’entrer au Canada en ignorant les conditions qu’ils devaient remplir, leur entrée en juin 2008 semblait avoir été planifiée pour éluder le processus d’immigration. L’agent a estimé qu’ils auraient dû savoir, en juin 2008, qu’il leur faudrait préciser leurs intentions à la frontière, mais ils ne l’avaient pas fait.

[27]           L’agent a alors relevé que, après l’entrevue de 2009, CIC avait prononcé des mesures de renvoi contre eux et qu’ils avaient introduit une procédure de contrôle judiciaire à l’encontre de ces mesures. Il a conclu que les demandeurs avaient décidé de rester au Canada au lieu de prendre d’autres dispositions pour obtenir des soins aux États-Unis. Selon lui, les demandeurs étaient résolus à ne pas suivre la procédure normale d’immigration, mais étaient prêts à tout faire pour rester au Canada.

[28]           L’agent a aussi analysé les motivations des demandeurs à venir au Canada. Il a constaté qu’ils avaient plusieurs proches aux États-Unis, et le rapport de la travailleuse sociale ne disait pas qu’ils avaient été victimes d’abus dans leur famille aux États-Unis. Il a aussi constaté que, selon la preuve, les demandeurs n’étaient pas empêchés de changer de région aux États-Unis pour se rapprocher de leurs fils. Il a noté que les demandeurs ne vivent pas avec leur fille au Canada; le demandeur vit seul, et la demanderesse vit dans un établissement de soins. Dans leurs observations, les demandeurs faisaient état des liens du demandeur avec la communauté des Plymouth Brethren à Edmonton, et le rapport de la travailleuse sociale mentionnait qu’il ne pouvait bénéficier du soutien de cette communauté aux États-Unis. Cependant, l’agent s’est interrogé sur la manière dont le demandeur avait pu se passer de ce soutien quand il était aux États-Unis, et sur les raisons pour lesquelles il lui était devenu nécessaire de l’obtenir au Canada.

[29]           Selon l’agent, les demandeurs n’avaient eu aucune raison légitime de hâter leur déménagement au Canada. Il a aussi conclu qu’il n’y avait aucune raison pour laquelle ils ne pourraient pas retourner aux États-Unis jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur leur demande dans la catégorie du regroupement familial.

[30]           L’agent a aussi conclu que la raison principale du déménagement des demandeurs au Canada semblait être l’état de santé de la demanderesse. Selon lui, l’information dont il disposait montrait clairement que la demanderesse avait été déclarée atteinte de la maladie d’Alzheimer dès 2005. À l’arrivée des demandeurs au Canada en 2008, l’état de la demanderesse était tel que les agents de l’ASFC s’étaient aperçus de sa démence lorsqu’ils avaient tenté d’entrer au Canada. En outre, Mme Korzenowski avait mentionné, lors de l’entrevue de 2009, que la demanderesse tenait des propos décousus, qu’elle gémissait et qu’elle souriait beaucoup. L’agent s’est aussi référé à la déclaration médicale et a noté qu’il avait envoyé une lettre d’équité aux demandeurs. Les demandeurs avaient présenté des observations sur l’interdiction de territoire de l’épouse fondée sur des raisons d’ordre médical, mais l’agent a estimé que l’information qu’ils avaient présentée ne modifiait pas l’interdiction de territoire.

[31]           L’agent a aussi relevé que les demandeurs l’avaient informé qu’ils assumaient le coût des soins médicaux de l’épouse et que leurs ressources le leur permettaient. Il a affirmé qu’il avait décidé de ne pas pousser plus loin la question de l’interdiction de territoire fondée sur des raisons d’ordre médical; s’il avait examiné cet aspect, c’était pour montrer que l’état de la demanderesse était l’une des raisons principales de la décision des demandeurs de venir au Canada. Il s’est demandé pourquoi, bien que les demandeurs assument actuellement le coût des soins requis par l’épouse, ils devraient entrer au Canada avant les autres, sans faire la queue. L’agent a aussi relevé que, indépendamment de l’interdiction de territoire pour raisons d’ordre médical, les demandeurs étaient soumis à des mesures de renvoi en attente d’exécution.

Conclusion

[32]           L’agent a estimé que la famille de la demanderesse connaissait son état deux ou trois ans avant que les demandeurs ne viennent au Canada. Selon lui, leurs actes avant de venir au Canada montraient une volonté de contourner les règles quand il était opportun et dans leur intérêt de le faire. Il était normal qu’ils anticipent une dégradation de son état au point où elle deviendrait clairement interdite de territoire au Canada, mais l’agent a estimé que l’option de venir au Canada était devenue plus attrayante à mesure que l’état de la demanderesse se détériorait. Il a conclu que, eu égard à leurs moyens pécuniaires, ils n’avaient pas montré qu’il leur était impossible d’obtenir aux États-Unis de quoi se soigner et se loger convenablement.

[33]           Vu la manière dont ils avaient cherché à immigrer au Canada, l’agent n’a pas été persuadé que les demandeurs étaient crédibles ou dignes de foi. Le moyen par lequel ils avaient cherché à immigrer au Canada et à obtenir une prolongation de leur statut de visiteur semblait une tentative d’atténuer les conséquences de l’état de santé de la demanderesse. En outre, le plan que les demandeurs avaient présenté pour montrer comment ils assumeraient le coût des soins requis par l’épouse ne disait rien sur les soins futurs. L’agent n’a pas été persuadé que le demandeur serait à la fois disposé et apte à tenir sa promesse d’assumer le coût des soins de son épouse. Les demandeurs disaient que, s’ils en étaient arrivés là, c’était à cause des longs délais de traitement des demandes soumises à CIC, mais l’agent a estimé qu’ils avaient été informés de ces délais de traitement et que leur situation actuelle était le résultat de leur propre fait.

La demande de PST

[34]           La décision PST comprend la lettre de refus et le mémoire dans lequel l’agent exposait les motifs de sa décision.

[35]           L’agent écrivait dans la lettre de refus qu’il avait, avec soin et compréhension, examiné la demande de PST, mais que, selon lui, elle ne justifiait pas la délivrance d’un PST. Il informait ensuite les demandeurs que l’ASFC communiquerait avec eux pour prendre des dispositions en vue de leur renvoi.

[36]           Dans le mémoire, l’agent prenait note de la déclaration faite par le demandeur dans la demande de PST. Le demandeur disait que son épouse et lui ne posaient aucun risque pour le Canada et ne seraient pas interdits de territoire.

[37]           L’agent notait aussi qu’il avait examiné et refusé la demande CH. Selon lui, la demande CH ne donnait aucune raison pour laquelle les demandeurs devraient rester au Canada. L’agent indiquait aussi que leur demande dans la catégorie du regroupement familial était encore pendante et qu’aucune mesure n’avait été prise dans le dossier depuis le 23 février 2011. Il affirmait que le délai que nécessiterait le traitement de la demande n’entrait pas en ligne de compte, parce que la raison principale du refus de la demande CH était l’interdiction de territoire de la demanderesse pour raisons d’ordre médical.

[38]           Comme pour la décision CH, l’agent a estimé que l’information que les demandeurs avaient présentée en réponse à la lettre d’équité ne modifiait pas l’interdiction de territoire de la demanderesse pour raisons d’ordre médical. Selon lui, la demanderesse avait besoin d’une surveillance permanente, mais il ne croyait pas que cela rendait impossible la prise de dispositions acceptables pour assurer son retour aux États-Unis. L’agent notait aussi que l’examen médical d’immigration antérieur du demandeur n’était plus valide et que, selon lui, vu l’âge du demandeur, il se pourrait fort bien qu’il soit interdit de territoire pour raisons d’ordre médical.

[39]           L’agent concluait que, vu le moment auquel les demandeurs étaient venus au Canada, et la méthode qu’ils avaient employée pour ce faire, leur situation actuelle était le résultat de leur propre fait. Selon lui, ils ne devaient pas compter obtenir de sitôt la résidence permanente et la prolongation de leur séjour au Canada risquait d’aggraver encore leur cas. L’agent a recommandé au directeur de ne pas délivrer de PST aux demandeurs.

[40]           À côté de sa note d’approbation, le supérieur hiérarchique de l’agent écrivait : [TRADUCTION] « interdiction de territoire pour raisons d’ordre médical. L’interdiction de territoire l’emporte sur les possibles considérations d’ordre humanitaire. Tentative délibérée d’éluder la loi. [Mesures d’exclusion] déjà prises. »

LES QUESTIONS EN LITIGE

[41]           Les demandeurs soulèvent les points suivants :

a)                  L’agent a-t-il validement considéré l’ensemble de la preuve?

b)                  L’agent a-t-il validement apprécié les difficultés dans le cadre de la demande CH?

c)                  L’agent a-t-il exposé des motifs déficients?

d)                 L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

e)                  L’agent a-t-il ou non validement appliqué le Guide IP 5 de CIC – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire (les Lignes directrices CH), ou le Guide IP 1 de CIC – Permis de séjour temporaire (les Lignes directrices PST);

f)                   L’agent a-t-il été partial?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[42]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada écrivait qu’il n’est pas nécessaire dans tous les cas de faire une analyse relative à la norme de contrôle. Si la jurisprudence a fixé la norme de contrôle applicable à une question donnée soumise à la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette quête se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs formant l’analyse relative à la norme de contrôle.

[43]           Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour suprême du Canada écrivait que, dans l’examen d’une décision CH, « on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi » (paragraphe 62). Le juge Michael Phelan a suivi cette approche dans la décision Thandal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, au paragraphe 7. La Cour d'appel fédérale jugeait, au paragraphe 18 de l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, que la norme de contrôle applicable aux décisions portant sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire est la décision raisonnable.

[44]           Dans la décision Vidakovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 605, le juge Yvon Pinard écrivait au paragraphe 15 que la norme de contrôle applicable à une décision de délivrer ou non un PST est la décision raisonnable. Dans la décision Farhat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1275, le juge Michel Shore affirmait que la décision d’émettre ou non un PST est éminemment discrétionnaire et qu’elle doit être contrôlée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. La norme de contrôle applicable aux deux premières questions en litige est la décision raisonnable.

[45]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada écrivait, au paragraphe 14, que des motifs déficients ne suffisent pas à justifier l’annulation d’une décision. Au contraire, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». La troisième question en l’espèce, qui est de savoir si l’agent a motivé suffisamment sa décision, sera analysée en même temps que celle de savoir si la décision est ou non globalement raisonnable.

[46]           La cinquième question en l’espèce concerne la manière dont l’agent a appliqué un critère juridique à la preuve qui lui était soumise. Il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait, à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 51).

[47]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour n’interviendra que si la décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[48]           Les demandeurs ont soulevé plusieurs manquements à l’équité procédurale, notamment la décision de l’agent de ne pas les convoquer. Dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d'appel fédérale écrivait ceci : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » En outre, dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a déclaré ceci, au paragraphe 100 : « Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. » La norme de contrôle applicable à la quatrième question en litige est la décision correcte.

[49]           Dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, [1976] ACS n° 118, le juge de Grandpré définissait ainsi, à la page 394, le critère de la partialité :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

[50]           Le juge de Grandpré exprimait une opinion dissidente, mais cette manière de formuler le critère fut plus tard approuvé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c S (RD), [1997] 3 RCS 484, [1997] ACS n° 84. Le juge Cory s’y exprimait ainsi, au paragraphe 114 :

La charge d’établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l’existence. [...] De plus, la crainte raisonnable de partialité sera entièrement fonction des faits de l’espèce.

 

 

 

[51]           La question de savoir si l’agent a été ou non partial est une question de fait qui relève de la compétence de la cour de révision (voir aussi la décision Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1065, au paragraphe 5).

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[52]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente instance :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

[...]

 

24. (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances

le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

 

 

[...]

 

(3) L’agent est tenu de se conformer aux instructions que le ministre peut donner pour l’application du paragraphe (1).

 

[...]

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

 

 

[...]

 

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants:

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

 

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[...]

 

24. (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

 

[...]

 

(3) In applying subsection (1), the officer shall act in accordance with any instructions that the Minister may make.

 

[...]

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

[...]

 

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

 

 

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non- accompanying family member is inadmissible; or

 

 

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

[53]           La disposition suivante des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), est applicable en l’espèce :

56. L’inobservation d’une disposition des présentes règles n’entache pas de nullité l’instance, une mesure prise dans l’instance ou l’ordonnance en cause. Elle constitue une irrégularité régie par les règles 58 à 60.

56. Non-compliance with any of these Rules does not render a proceeding, a step in a proceeding or an order void, but instead constitutes an irregularity, which may be addressed under rules 58 to 60.

 

[54]           La disposition suivante des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/ 93-22 (les Règles en matière d’immigration), est également applicable ici :

22. Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

22. No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

 

LES ARGUMENTS AVANCÉS

Les demandeurs

[55]           Les demandeurs font remarquer qu’un PST est un moyen par lequel une personne qui est par ailleurs interdite de territoire peut entrer au Canada. Ils reconnaissent qu’il leur appartient d’établir qu’un PST devrait leur être accordé, et ils font remarquer que des considérations d'ordre humanitaire sont souvent invoquées dans ce genre de demande. Ils font aussi remarquer que les Lignes directrices PST du Guide de CIC donnent des directives aux agents sur la manière d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui leur est conféré aux termes du paragraphe 24(1) de la Loi.

            L’agent n’a pas tenu compte des Lignes directrices CH

[56]           Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas tenu compte des Lignes directrices CH, parce qu’il a rendu la décision CH alors que leur demande dans la catégorie du regroupement familial était pendante. On peut lire ce qui suit, à la page 11 des Lignes directrices CH :

Si le demandeur CH a aussi une demande de résidence permanente en instance au titre d’une autre catégorie (aide familial résidant, époux ou conjoint de fait au Canada, personne protégée, etc.), la première demande reçue a normalement préséance, bien que certains types de demandes aient la priorité (p. ex. les demandes d’époux). Les demandes de résidence permanente multiples doivent être regroupées. Le traitement de la demande CH ne peut commencer que lorsqu’une décision a été rendue sur la première demande.

 

[57]           On voit donc que l’agent n’aurait pas dû rendre la décision CH tant que la demande dans la catégorie du regroupement familial était pendante.

L’agent a fait fi de certains éléments de preuve

[58]           Les demandeurs affirment aussi que l’agent a laissé de côté des éléments de preuve qui étaient au cœur de leur demande. Dans les motifs de sa décision CH, l’agent ne faisait qu’exposer des faits glanés dans les documents qu’ils avaient produits, sans s’interroger sur l’importance de tels faits. Ils affirment que la lettre de refus ne dit rien sur le rapport de la travailleuse sociale, ni sur la demande dans la catégorie du regroupement familial. L’agent n’explique pas pourquoi il a récusé les conclusions du rapport de la travailleuse sociale, un rapport qui décrit clairement les liens entre les demandeurs et leur famille au Canada. La lettre de refus ne mentionne pas non plus le soutien que les demandeurs reçoivent de leur famille et de leur communauté religieuse au Canada, l’incapacité de la demanderesse de quitter le Canada, ni le fait que les demandeurs assument le coût des soins de la demanderesse au Canada. L’agent a pareillement laissé de côté ces mêmes éléments lorsqu’il a examiné la demande de PST.

[59]           Invoquant la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n° 1425, les demandeurs affirment que la Cour peut inférer que l’agent n’a pas tenu compte des éléments en question, du fait qu’il n’en a pas fait mention, ni dans la décision CH, ni dans la décision PST. Ils signalent aussi un autre précédent, Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 805, où la juge Marie-Josée Bédard écrivait que « [l]’agent d’immigration a toute latitude pour décider de la valeur à accorder aux circonstances personnelles soulevées par le demandeur, mais il ne peut ignorer la situation personnelle du demandeur ».

Les motifs déficients

[60]           Les motifs de la décision CH de l’agent ne révèlent pas pourquoi les facteurs invoqués par les demandeurs ne suffisaient pas à justifier dans leur cas l’octroi d’une dispense au titre de considérations d’ordre humanitaire. Le mémoire de l’agent ne révèle pas pourquoi l’agent n’a pas fait droit à leur demande de PST.

La demande CH

[61]           Les demandeurs invoquent la décision Ventura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 871, où le juge Yves de Montigny s’exprimait ainsi, aux paragraphes 29 et 30 :

Je suis d’accord avec le défendeur qu’il incombe au demandeur de convaincre l’agent que, dans la situation personnelle du demandeur, l’exigence d’obtenir un visa à l’extérieur du Canada selon la manière ordinaire causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Cela dit, une fois qu’un demandeur a présenté des facteurs favorables militant en faveur de l’accueil de sa demande CH, l’agent doit expliquer la raison pour laquelle il conclut que ces facteurs sont insuffisants pour accueillir la demande. Un demandeur a le droit de connaître la raison pour laquelle il n’a pas réussi à convaincre l’agent de la valeur de son dossier, plus particulièrement lorsque l’enjeu est aussi important que son avenir au Canada.

 

En l’espèce, l’agent n’a pas répondu à cette norme. Il a simplement récité les allégations du demandeur, uniquement pour les rejeter sans aucune sorte d’explication ou d’analyse. L’avocat du défendeur a répliqué que le demandeur, par l’entremise de son avocat, n’avait même pas donné de détails sur la manière selon laquelle les facteurs présentés constitueraient des difficultés excessives ou sur les raisons pour lesquelles il en serait ainsi. Je ne trouve pas cet argument convaincant. Si on met fin à l’établissement du demandeur au Canada, les conséquences, comme en témoignent ses liens familiaux, sa participation dans la collectivité, son travail et ses études, sont évidentes sans qu’il soit nécessaire de décrire comment et pourquoi, de son point de vue, son retour en Angola lui causerait des difficultés excessives. Compte tenu du dossier dont il était saisi, l’agent avait des éléments de preuve plus que suffisants non seulement pour se prononcer sur la question de savoir si des difficultés inhabituelles ou injustifiées et excessives avaient été établies, mais élément tout aussi important, pour fournir les motifs pour lesquels il en est arrivé à sa conclusion.

 

[62]           En l’espèce, l’agent n’a pas expliqué suffisamment ses conclusions et il s’est livré à des conjectures.

L’agent n’a pas tenu compte des difficultés

[63]           L’agent n’a pas cherché à savoir si les difficultés que connaîtraient les demandeurs, dans le cas où leur demande CH serait rejetée, étaient excessives dans leur situation. Ils font remarquer que, selon les Lignes directrices CH, les difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives constituent un critère acceptable relativement à une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire. Les difficultés devraient être appréciées globalement par mise en balance de toutes les considérations d’ordre humanitaire invoquées par les demandeurs. Les demandeurs font aussi remarquer que, dans l’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 177, la Cour d'appel fédérale a jugé, au paragraphe 40, que les agents chargés d’apprécier les demandes CH ont le devoir de tenir compte de la situation des demandeurs. Cependant, l’agent n’a pas considéré les difficultés excessives que connaîtrait la demanderesse dans sa situation personnelle.

L’établissement

[64]           Les demandeurs font remarquer que les Lignes directrices CH donnent pour instructions aux agents qui examinent les demandes CH d’examiner l’établissement au Canada comme l’un des facteurs d’appréciation de la demande CH.

État de santé

[65]           Lorsque l’agent a apprécié la demande CH, il n’a pas convenablement traité l’information relative à la demanderesse. Il n’a pas expliqué pourquoi il rejetait leur argument selon lequel une évaluation individualisée de leur cas signifiait qu’une preuve non médicale devrait être admise. L’agent n’a pas pris en compte les moyens pécuniaires des demandeurs, ni le plan qu’ils avaient présenté pour le paiement des soins requis par la demanderesse. Il n’a fait qu’énumérer les documents qu’ils avaient produits, affirmant que [TRADUCTION] « les nouveaux renseignements ne modifient pas l’appréciation courante de l’interdiction de territoire fondée sur des raisons d’ordre médical ». Bien que les demandeurs aient présenté des observations en réponse à la lettre d’équité du 27 avril 2011, la lettre de refus ne mentionnait aucunement leur plan visant à faire lever l’interdiction de territoire de la demanderesse fondée sur des raisons de santé. Les motifs de la décision CH ne montrent pas non plus en quoi l’agent a donné effet aux Lignes directrices CH en ce qui concerne l’interdiction de territoire fondée sur des raisons de santé.

Les relations familiales

[66]           Les motifs de la décision CH ne montrent pas que l’agent a suffisamment pris en compte la relation que les demandeurs entretiennent avec leur famille au Canada. Les demandeurs font remarquer que les Lignes directrices CH donnent pour instructions aux agents de considérer les liens avec des proches. Le rapport de la travailleuse sociale faisait état de l’existence de solides liens familiaux au Canada, ainsi que des difficultés que connaîtraient les demandeurs si ces liens étaient rompus, mais l’agent n’a fait que reprendre l’analyse que faisait le rapport à propos de leur famille. L’agent n’a pas tenu compte des recommandations du rapport de la travailleuse sociale pour qui les demandeurs devraient être autorisés à rester au Canada, et il n’a pas dit comment il avait appliqué les Lignes directrices CH à cet aspect de leur cas.

[67]           Les demandeurs disent aussi que l’agent n’explique pas suffisamment, dans les motifs de sa décision CH, la raison pour laquelle il ne leur a pas accordé des PST après avoir refusé leur demande CH. Les Lignes directrices CH énoncent qu’un agent peut accorder un PST si une demande CH est refusée. Cependant, il semble que l’agent a refusé leur demande de PST parce qu’il avait aussi refusé leur demande CH, qu’ils avaient appuyée de solides éléments de preuve. Les demandeurs disent que les motifs du refus de leur demande de PST sont identiques à ceux du refus de leur demande CH à l’exception du mémoire. L’agent avait d’emblée exclu la possibilité de leur accorder un PST, et sa décision CH doit donc être renvoyée pour nouvel examen.

[68]           Dans la décision Parmar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 723, le juge François Lemieux s’exprimait ainsi, au paragraphe 49 :

[...] Sans procéder à une analyse ni faire de commentaires, l’agent des visas a simplement inscrit que la réponse à la lettre relative à l’équité du demandeur ne changeait pas son point de vue exprimé précédemment. Les motifs étaient gravement déficients parce qu’ils ne remplissaient pas leur fonction d’expliquer pourquoi les observations de M. Parmar au sujet du fait qu’il n’a pas besoin de services sociaux n’ont pas été acceptées, de rendre compte devant le public et de permettre un examen efficace en contrôle judiciaire. Compte tenu de ces motifs inadéquats, la Cour ne sait simplement pas si le médecin agréé a tenu compte des enseignements de l’arrêt Hilewitz, en particulier au sujet du besoin d’effectuer une évaluation personnalisée pour Inderjot.

 

[69]           Les demandeurs affirment que, dans la présente affaire, les motifs ne satisfont pas au critère exposé par le juge Lemieux dans la décision Parmar, de sorte que les deux décisions de l’agent doivent être renvoyées, pour nouvel examen.

Appréciation fautive de la preuve produite dans le cadre de la demande de PST

[70]           Les demandeurs affirment aussi que l’agent n’a pas bien apprécié la preuve qu’ils lui avaient présentée, compte tenu des Lignes directrices PST. Les Lignes directrices PST disposent que les agents peuvent délivrer un PST si le besoin d’entrer ou de demeurer au Canada l’emporte sur les risques pour la population canadienne ou la société canadienne. L’agent n’a considéré aucun des facteurs énumérés dans la section 12.1 – Évaluation des besoins, dans les Lignes directrices PST, et il n’a pas non plus suivi les instructions concernant l’évaluation du risque pour la société canadienne, dans la section 13.1 des Lignes directrices PST. L’agent n’a pas non plus cherché à savoir quelles répercussions avaient les instructions données aux agents saisis de cas d’interdiction de territoire pour raisons médicales, qui se trouvent dans la section 13.2 des Lignes directrices PST, sur le cas de la demanderesse.

[71]           Bien que l’agent ait motivé son refus de la demande de PST, aucun des motifs qu’il a exposés n’entre dans les catégories de la section 18 des Lignes directrices PST – Procédure : Quand ne pas délivrer de PST. On en déduit que la décision PST est arbitraire et ne s’accorde pas avec le paragraphe 24(3) de la Loi, qui enjoint aux agents d’agir avec discernement dans l’observation des instructions données par le ministre.

[72]           La demanderesse était interdite de territoire pour raisons d’ordre médical, mais cela ne faisait pas obstacle à l’octroi d’un PST au demandeur. En outre, l’agent s’est livré à des conjectures en disant que, si le demandeur n’était pas aujourd’hui interdit de territoire pour raisons d’ordre médical, il risquait de le devenir. Sa décision PST devrait donc être renvoyée, pour nouvel examen.

Les autres facteurs et éléments de preuve

[73]           Les demandeurs affirment aussi que l’agent n’a pas considéré la preuve additionnelle qu’ils avaient produite, une preuve qui montrait qu’ils pouvaient venir à bout de l’interdiction de territoire de la demanderesse fondée sur des raisons d’ordre médical, et qu’ils devraient se voir accorder un PST. Ils avaient communiqué à l’agent des renseignements qui montraient qu’ils avaient les ressources nécessaires pour payer les soins requis par l’épouse, mais ni la lettre de refus ni le mémoire n’en font état. Tout ce que dit l’agent sur cet aspect de leur demande de PST est que [TRADUCTION] « les nouveaux renseignements ne modifient pas l’appréciation courante de l’interdiction de territoire fondée sur des raisons d’ordre médical ». L’agent n’explique pas pourquoi les renseignements qu’ils avaient fournis n’annulent pas l’interdiction de territoire fondée sur des raisons d’ordre médical, ce qui montre qu’il n’en a pas tenu compte.

L’agent a manqué à l’équité procédurale

[74]           Les demandeurs affirment aussi que l’agent a nié leur droit à l’équité procédurale parce qu’il avait un parti pris. Ils se réfèrent au critère de la partialité, exposé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty, précité, et disent qu’une personne raisonnable et informée serait à même de déceler un parti pris dans la conduite de l’agent. L’agent a fait des affirmations injustes qui montrent qu’il n’a pas considéré avec un esprit ouvert les faits, les éléments et les arguments soumis par les demandeurs. Sa décision est rédigée sur un ton critique et dur qui caractérise les cas où il est question de fausses déclarations ou de condamnations criminelles, ce qui n’était pas de mise en l’espèce. Selon les demandeurs, l’agent a commis précisément l’erreur à propos de laquelle la juge L’Heureux-Dubé avait fait une mise en garde dans l’arrêt Baker, précité, un cas où « la propre frustration de l’agent face au “système” l’empêchait d’évaluer avec impartialité si l’admission de l’appelante devrait être facilitée pour des raisons d’ordre humanitaire ». Voir le paragraphe 48.

[75]           Les demandeurs affirment aussi que l’agent s’est livré à des conjectures en disant qu’il n’était pas persuadé que le demandeur demeurerait disposé et apte à respecter son engagement.

Le défaut de tenir une entrevue

[76]           Les demandeurs font remarquer que, selon l’agent, ils n’étaient pas crédibles ou dignes de foi, et ils affirment qu’il était tenu de les convoquer devant lui pour qu’ils puissent dissiper ses doutes sur leur crédibilité. Il ne l’a pas fait, et il a donc nié leur droit à l’équité procédurale.

Les dépens

[77]           Les demandeurs sollicitent les dépens afférents à cette demande, parce que l’agent a eu une attitude partiale à leur égard. Ils font remarquer que le défendeur ne les a pas informés du fait qu’il entendait faire exécuter les mesures de renvoi prononcées contre eux, et ils font remarquer que, selon les Lignes directrices PST, la délivrance d’un PST peut être requise lorsque l’exécution de la mesure de renvoi n’est pas possible.

Le défendeur

[78]           Le défendeur fait remarquer que la dispense pour des considérations d’ordre humanitaire prévue par le paragraphe 25(1) de la Loi est une exception à l’obligation ordinaire d’obtenir un visa avant de venir au Canada. Un PST est, lui aussi, une mesure exceptionnelle; un demandeur doit convaincre l’agent qui examine sa demande qu’il quittera le Canada à l’expiration de son statut. Le défendeur fait aussi remarquer que, selon le Dr Quevillon, la demanderesse était interdite de territoire pour raisons d’ordre médical. Les demandeurs ont plusieurs fois tenté d’éluder les lois canadiennes sur l’immigration, et leur attitude montre qu’ils ne sont pas dignes de foi.

Les Lignes directrices ne sont pas contraignantes

[79]           Les Lignes directrices de CIC ne s’imposent pas aux agents et ne sont que des instructions destinées à encourager l’uniformité de leurs décisions. Le paragraphe 25(1) confère un large pouvoir d’appréciation aux agents lorsqu’il s’agit pour eux de faire droit ou non à des demandes de dispense fondées sur des considérations d’ordre humanitaire.

Le mode de traitement des demandes CH

[80]           Les Lignes directrices CH enseignent aux agents la manière de traiter les demandes CH lorsqu’un demandeur est déclaré interdit de territoire pour raisons d’ordre médical, comme l’était ici la demanderesse. Ils peuvent refuser une demande CH si le demandeur a été déclaré interdit de territoire pour raisons d’ordre médical, mais ils peuvent aussi faire droit à la demande. Lors de l’examen d’une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire dans un cas où le demandeur est interdit de territoire pour raisons d’ordre médical, les Lignes directrices CH donnent pour instructions aux agents de considérer le coût des soins, les autres dispositions qui ont été prises, l’éventuelle autonomie financière du demandeur ainsi que l’importance des besoins prévus du demandeur en matière de services sociaux ou de santé. Il ressort de l’arrêt Hilewitz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, que les agents doivent tenir compte de la bonne disposition et de l’aptitude des demandeurs à minimiser tout fardeau excessif sur les services sociaux. L’agent a tenu compte de ces facteurs et la décision CH devrait donc être maintenue.

Les Lignes directrices PST

[81]           Les Lignes directrices PST enseignent aux agents la manière d’exercer leur pouvoir d’appréciation et de favoriser l’uniformité des décisions. Le paragraphe 24(3) de la Loi ne donne pas force de loi aux Lignes directrices PST, parce qu’elles ne sont pas des instructions au sens de cette disposition. La section 1 des Lignes directrices PST renferme ce qui suit :

Ce chapitre décrit, à l’intention du personnel des bureaux intérieurs de Citoyenneté et Immigration Canada, la politique et les lignes directrices de procédure en matière de :

 

                                                              i.            délivrance de permis de séjour temporaires (PST) permettant aux personnes interdites de territoire d’entrer au Canada ou d’y demeurer;

                                                            ii.            de prorogation, d’expiration et d’annulation des permis;

                                                          iii.            d’octroi du statut de résident permanent aux titulaires de permis.

 

 

 

[82]           Les instructions au sens du paragraphe 24(3) sont annexées aux Lignes directrices PST et sont clairement émises par le ministre en personne. Les Lignes directrices PST, bien qu’utiles pour les agents et la Cour, ne s’imposent pas au ministre ou à ses délégués.

Il s’agit de deux décisions distinctes

[83]           Selon le défendeur, l’agent a rendu sa décision concernant la demande de PST indépendamment de sa décision concernant la demande CH. La lettre de refus concerne les deux décisions, mais elles ont été rendues séparément. Les motifs de chacune des décisions contestées sont séparés, sauf dans la mesure où le mémoire de l’agent se rapporte aux pages 8 et 9 de la décision CH.

La décision CH n’était pas prématurée

[84]           Il était raisonnable pour l’agent de rendre la décision CH avant que les demandeurs ne soient fixés sur leur demande dans la catégorie du regroupement familial. Les Lignes directrices CH disent que les agents ne devraient pas traiter les demandes CH tant que d’autres demandes de parrainage sont pendantes, mais, selon le défendeur, la seule demande pendante est la demande de parrainage déposée par Janice; les demandeurs n’ont pas vraiment sollicité la résidence permanente.

[85]           Le défendeur fait aussi remarquer que les Lignes directrices CH ne sont pas juridiquement contraignantes et que l’agent n’a donc pas commis d’erreur susceptible de contrôle en rendant la décision CH au moment où il l’a rendue. Il ne sera pas toujours commode de laisser une demande CH en suspens jusqu’à ce que d’autres demandes aient été traitées. D’ailleurs, les demandeurs n’ont subi aucun préjudice quand l’agent a traité leur demande CH avant qu’ils ne soient fixés sur leur demande dans la catégorie du regroupement familial.

Les facteurs et les éléments de preuve ont été appréciés convenablement

            La demande CH

[86]           L’agent a exposé des motifs suffisants qui montrent qu’il a pris en compte tous les facteurs et éléments de preuve que les demandeurs avaient invoqués au soutien de leur demande CH. Les Lignes directrices CH énumèrent les facteurs à prendre en compte dans le traitement d’une demande CH, mais ce ne sont là que des indices de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par le paragraphe 25(1) (voir l’arrêt Baker, précité, aux paragraphes 16 et 17). Les demandeurs ont beau penser le contraire, l’agent a pris acte de la demande dans la catégorie du regroupement familial, une demande alors pendante, mais l’issue de leur demande CH n’en dépendait pas.

                                    Le rapport de la travailleuse sociale

[87]           Les motifs de la décision CH montrent que l’agent a tenu compte du rapport de la travailleuse sociale. Il n’était pas tenu d’accepter les conclusions du rapport. Il est loisible aux agents d’immigration de décider quelles considérations sont pertinentes dans telle ou telle demande CH, et leur pouvoir discrétionnaire comprend le droit d’accorder plus ou moins de poids à divers facteurs.

Les liens familiaux

[88]           En l’espèce, l’agent a pris en compte le soutien dont pouvaient bénéficier les demandeurs au Canada et aux États-Unis. Les demandeurs affirmaient que leurs enfants aux États-Unis n’étaient pas en mesure de s’occuper d’eux, mais l’agent a estimé qu’ils n’avaient pas suffisamment prouvé que tel était le cas. Contrairement aux affirmations des demandeurs, les notes consignées par l’agent de l’ASFC lors de leur première tentative d’entrer au Canada montraient que l’un de leurs fils en Californie était banquier et l’autre entrepreneur-électricien, et tous deux avaient dit que les demandeurs pouvaient vivre avec eux. En outre, le rapport de la travailleuse sociale mentionnait que les fils avaient beaucoup d’affection pour leurs parents, même s’ils n’étaient pas en mesure de s’occuper d’eux quotidiennement.

[89]           Bien que les demandeurs aient préféré rester proches de Janice à Edmonton, ils n’ont pas suffisamment expliqué pourquoi ils ne pouvaient pas vivre aux États-Unis. Les pièces qu’ils avaient produites montraient qu’ils étaient indépendants financièrement, de sorte que le soutien financier des fils n’entrait pas en ligne de compte. Ils ne vivent pas non plus avec Janice et ils ont vendu leur maison en Californie, de sorte que la distance qui les séparait de leurs fils n’entrait pas en ligne de compte.

L’état de la demanderesse

[90]           L’agent a également bien pris en compte l’incidence de l’état de santé de la demanderesse sur la demande CH. Les demandeurs n’ont pas montré pourquoi le fait que la demanderesse vivait dans un établissement de santé privé aurait dû entraîner une décision CH favorable. Le demandeur avait décidé d’envoyer la demanderesse dans une maison de santé au Canada, alors même que le couple n’avait aucun statut ici. Il était clairement à propos pour l’agent de penser que la situation des demandeurs au Canada était de leur faute. Les demandeurs n’ont pas non plus montré que les soins de santé qu’ils recevraient aux États-Unis seraient déficients, quand bien même y seraient-ils plus coûteux. Selon la décision Bichari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 127, le critère d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’est pas de savoir s’il est possible d’obtenir au Canada des soins de meilleure qualité ou des soins plus abordables.

[91]           Il était également raisonnable que l’agent conclue qu’il n’était pas persuadé que le demandeur s’en tiendrait à son engagement d’assumer le coût des soins requis par son épouse au Canada. Le plan qu’ils avaient présenté manquait de détails, ce qui constituait un fondement raisonnable pour la conclusion de l’agent. Les demandeurs n’ont pas non plus apporté une preuve médicale suffisante montrant que la demanderesse ne pourrait pas être renvoyée aux États-Unis.

                                    Le soutien spirituel du demandeur

[92]           L’agent a aussi considéré l’incidence, sur la demande CH, de l’appartenance du demandeur à la communauté des Plymouth Brethren. Il était raisonnable pour l’agent d’accorder peu de poids à ce facteur, puisque le demandeur avait, semble-t-il, été membre des Plymouth Brethren alors qu’il était aux États-Unis. Il n’avait pas montré pourquoi il lui était nécessaire de faire partie de cette communauté au Canada.

[93]           Les griefs des demandeurs à propos des facteurs considérés par l’agent ne sont qu’un désaccord avec la manière dont il a apprécié la preuve. Les demandeurs n’ont pas prouvé que l’agent avait laissé de côté un facteur pertinent, et il n’appartient pas à la Cour, dans une procédure de contrôle judiciaire, de réexaminer le poids que l’agent a accordé à tels facteurs.

La demande PST

[94]           Le défendeur fait remarquer qu’une demande PST n’est pas, en tant que telle, une demande CH, ce qui signifie que l’agent n’était pas tenu de donner suite à chacune des observations faites par les demandeurs. L’agent a tenu compte de toute la preuve pertinente.

[95]           Bien que les demandeurs aient affirmé le contraire, l’agent n’a pas, dans l’examen de la demande PST, fait fi de l’état de santé de la demanderesse, ni du plan qu’ils avaient présenté pour le paiement des soins qu’elle recevait. L’agent a consciencieusement examiné ces aspects dans la décision CH, et il n’avait aucune raison d’aller au même niveau de détail pour la demande de PST. Le mémoire de l’agent évoquait l’analyse qu’il avait faite de ces aspects dans la décision CH, et il est donc évident qu’il a considéré tous les facteurs et éléments pertinents. Vu la manière dont les demandeurs étaient entrés au Canada, l’agent n’a pas été persuadé que les demandeurs demeureraient disposés ou aptes à s’en tenir à leur engagement d’assumer financièrement les soins requis par l’épouse.

[96]           Les demandeurs sont malvenus de dire aujourd’hui que l’agent aurait dû accorder un PST au mari, alors même que l’épouse était interdite de territoire pour raisons d’ordre médical. Il s’agissait d’une demande conjointe, et l’agent n’avait aucune raison d’imaginer que le demandeur laisserait partir son épouse depuis 60 ans et resterait au Canada sans elle. L’article 42 de la Loi précise d’ailleurs que, puisque la demanderesse est interdite de territoire pour raisons d’ordre médical, le demandeur est, de ce fait, lui aussi interdit de territoire.

Les autres facteurs mentionnés dans la demande CH

[97]           Le défendeur affirme aussi que l’agent a pris en compte les autres facteurs de la demande CH que les demandeurs n’ont pas abordés dans leurs observations.

L’absence d’attitude irréprochable

[98]           Il était raisonnable pour l’agent de considérer la manière dont les demandeurs étaient arrivés au Canada. Dans les observations qu’ils avaient jointes à leur demande CH, ils disaient que les délais de traitement de leur demande dans la catégorie du regroupement familial les plaçaient [TRADUCTION] « dans une situation où [ils] devaient décider de la manière dont [Janice] prendrait soin de ses parents ». L’agent ne s’est pas livré à des conjectures en concluant que c’est l’état de santé de la demanderesse qui les avait poussés à venir au Canada, étant donné qu’ils étaient arrivés au Canada sans autorisation et en sachant que la demanderesse était atteinte de la maladie d’Alzheimer.

[99]           Le défendeur, invoquant l’arrêt Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, souligne que ceux qui viennent au Canada pour s’y établir doivent être de bonne foi et se conformer aux exigences de la Loi. Les tentatives des demandeurs d’éluder les exigences de la Loi étaient pertinentes quant à la décision CH, et l’agent n’a donc pas commis d’erreur quand il en a tenu compte.

Le niveau d’établissement des demandeurs au Canada dépendait d’eux

[100]       Le défendeur signale la décision Tartchinska c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF n° 373. Selon lui, lorsque les auteurs d’une demande CH restent au Canada sans statut, alors même que leur situation dépend totalement d’eux, ils ne devraient pas être récompensés d’avoir accumulé du temps au Canada.

L’absence de preuve de difficultés

[101]       En l’espèce, l’agent a manifestement tenu compte de la situation personnelle des demandeurs et a estimé que les difficultés alléguées n’avaient pas été prouvées. Il n’a pas commis d’erreur en ne procédant pas à une analyse des difficultés, puisque les demandeurs n’avaient pas apporté la preuve de telles difficultés. En l’absence d’une preuve des difficultés, il était raisonnable pour l’agent de conclure que les facteurs d’ordre humanitaire avancés par les demandeurs avaient moins de poids que l’interdiction de territoire de la demanderesse fondée sur des raisons d’ordre médical, et moins de poids que le fait qu’ils étaient soumis à des mesures de renvoi.

Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale

[102]       Le défendeur reconnaît avec les demandeurs que le critère de la partialité applicable est celui qui est énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty, précité, mais il dit que ce critère n’est pas rempli ici. Les demandeurs contestent le ton des commentaires de l’agent, mais les motifs exposés par l’agent renferment des critiques loyales et des conclusions fondées sur la preuve. Ils attestent une appréciation raisonnable et impartiale des circonstances, laquelle est fondée sur la preuve et exempte de tout propos incendiaire ou hyperbolique. Les commentaires de l’agent, ici, ne se comparent pas à ceux qui étaient attaqués dans l’arrêt Baker, précité. Le désaccord des demandeurs avec les conclusions de l’agent ne constitue pas la preuve d’une partialité.

[103]       Le défendeur se fonde sur la décision Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 784, où le juge Michael Phelan écrivait : « le PST est délivré exceptionnellement et rien en soi dans le processus ne fait de la question du droit à une entrevue une question d’équité procédurale » (voir le paragraphe 17). L’agent n’était pas tenu de tenir une entrevue, et il n’a donc pas transgressé le droit des demandeurs à l’équité procédurale en ne les convoquant pas.

L’absence de raisons justifiant une attribution de dépens

[104]       Une attribution de dépens est inopportune ici, parce que les demandeurs n’ont pas sollicité les dépens dans leur demande d’autorisation ni dans la portion de leur exposé d’arguments qui concerne le redressement demandé. Cela suffit à rejeter leur demande d’attribution de dépens, dans la portion de leur exposé d’arguments qui concerne leurs observations, mais il n’y a pas non plus, en l’espèce, de raisons spéciales d’accorder des dépens. Le défendeur signale l’article 22 des Règles et il affirme que les demandeurs n’ont pas apporté la preuve de l’existence de raisons spéciales. Même si l’agent avait commis une erreur, cela ne suffirait pas à justifier une attribution de dépens au mépris de la politique contre l’attribution de dépens dans les dossiers d’immigration.

La réponse des demandeurs

[105]       Les demandeurs affirment que la Cour a déjà annulé des décisions CH dans des cas où les agents n’avaient pas convenablement appliqué les Lignes directrices CH. Ils invoquent Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF n° 630, Beluli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] ACF n° 1112, Kaur, précitée, et Kargbo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2011] ACF n° 577. Ils font remarquer que, dans Kaur, précitée, la juge Bédard a estimé qu’un agent a toute latitude pour décider de la valeur à accorder aux circonstances personnelles d’un demandeur, mais qu’il ne peut pas les ignorer.

[106]       Le défendeur a affirmé que les demandeurs n’avaient pas produit de demande de résidence permanente, mais les demandeurs soutiennent que leurs formulaires accompagnaient la demande dans la catégorie du regroupement familial. Celle-ci allait être traitée sous peu par CIC.

[107]       Les demandeurs ajoutent que le ton incendiaire des motifs de la décision de l’agent est perceptible aussi dans l’affidavit qu’il a présenté à la Cour. Son affidavit contient aussi des arguments auxquels aucun poids ne devrait être accordé.

Les dépens

[108]       Les demandeurs n’ont pas joint à leur demande d’autorisation une demande d’attribution de dépens, mais ils disent que c’est parce qu’ils n’avaient pas encore reçu les motifs de la décision de l’agent. Ils ne savaient pas quel ton serait employé par l’agent dans les motifs de sa décision et ils n’avaient donc aucune raison, à ce moment‑là, de requérir les dépens. En outre, ils se fondent sur l’article 56 des Règles en réponse à l’argument du défendeur selon lequel les dépens devraient leur être refusés, au motif qu’ils n’ont pas sollicité les dépens dans la portion de leur exposé d’arguments portant sur le « redressement demandé ».

Le mémoire complémentaire du défendeur

[109]       Selon le défendeur, les demandeurs sont délibérément entrés au Canada en violation de la Loi et du Règlement. Vu leurs antécédents en matière d’immigration, il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’ils n’étaient pas entrés au Canada pour une durée limitée et de refuser en conséquence leur demande de PST. Ils n’ont pas prouvé que la décision CH était déraisonnable, que les motifs exposés par l’agent sont déficients ou que l’agent avait un parti pris, de sorte que les deux décisions de l’agent devraient demeurer.

            Les motifs exposés par l’agent étaient suffisants

[110]       Le défendeur affirme que les motifs exposés par l’agent étaient suffisants et que, s’ils ne l’étaient pas, les demandeurs étaient alors tenus de solliciter des renseignements et éclaircissements additionnels. Il invoque la décision Hayama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1305, au paragraphe 15, où le juge Edmond Blanchard s’exprimait ainsi :

[...] Si le demandeur n'était pas convaincu par la lettre de décision et estimait qu'elle n'expliquait pas suffisamment la décision, il aurait dû faire une demande pour d'autres éclaircissements. Il n'existe aucun élément de preuve qu'une telle demande aurait été refusée. En conséquence, je conclus que, dans les circonstances de la présente affaire, il n'y a aucun manquement à l'obligation d'équité, manquement qui serait dû à une absence de motifs ou à l'insuffisance des motifs.

 

[111]       Les demandeurs ont fait valoir que les motifs de la décision CH ne montrent pas que l’agent a tenu compte des Lignes directrices CH pour l’interdiction de territoire fondée sur des raisons d’ordre médical, mais le défendeur affirme que le Dr Quevillon avait reconnu que les demandeurs disposaient de ressources pour payer les soins requis par la demanderesse. Cependant, l’agent a estimé que cela ne suffisait pas; il a refusé la demande CH, parce qu’il n’était pas persuadé que le couple tiendrait son engagement d’assumer financièrement les soins requis par l’épouse. Il a aussi conclu que leur capacité de payer pour les soins requis par l’épouse était compromise par leurs antécédents d’immigration et par le fait qu’ils n’étaient pas crédibles. En outre, l’interdiction de territoire de la demanderesse pour raisons d’ordre médical n’était pertinente que dans la mesure où elle révélait la volonté des demandeurs de se soustraire aux canaux ordinaires de l’immigration.

[112]       Le défendeur fait aussi remarquer que, selon l’agent, l’interdiction de territoire pour raisons d’ordre médical n’était pas nécessaire pour que soit refusée la demande CH, puisque les demandeurs étaient déjà interdits de territoire aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi. L’interdiction de territoire de la demanderesse pour raisons d’ordre médical n’était que l’un de plusieurs facteurs que l’agent a pris en compte. Dans la décision Parmar, précitée, il est écrit que les motifs d’une décision remplissent trois fonctions principales : expliquer la décision aux parties, rendre compte devant le public, et permettre un examen efficace. Les motifs de la décision CH en l’espèce remplissent ce critère.

[113]       Les motifs donnés par l’agent pour refuser la demande de PST sont brefs, mais ils sont clairs. L’agent ne voyait aucune raison pour que les demandeurs demeurent au Canada. Ils sont interdits de territoire en raison d’un précédent séjour indûment prolongé, ils sont visés par une mesure de renvoi et il est improbable qu’ils se voient accorder la résidence permanente dans un avenir proche. La demanderesse est interdite de territoire pour raisons d’ordre médical, et il est possible que le demandeur le soit également. La note manuscrite figurant sur le mémoire de l’agent résume ces préoccupations. Le défendeur fait remarquer que la décision PST procédait en partie de la décision CH; les motifs exposés dans la décision CH suffisaient, de sorte que les motifs exposés dans la décision PST suffisent également.

[114]       Ce sont les circonstances de chaque cas qui diront si les motifs d’une décision sont suffisants ou non. Dans la mesure où les motifs montrent que le décideur a pris en compte tous les facteurs pertinents, ils seront suffisants (voir la décision Shahid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1607, au paragraphe 15). Il ressort clairement des motifs exposés par l’agent que celui-ci a pris en compte ici tous les facteurs pertinents.

Le refus de la demande de PST était raisonnable

[115]       Un PST suppose l’intention du demandeur de rester au Canada pour une durée limitée. L’agent n’a pas été persuadé que les demandeurs avaient cette intention, et il était donc raisonnable pour lui de refuser leur demande de PST. L’inobservation antérieure des lois sur l’immigration permet de penser que l’auteur d’une demande de PST ne quittera pas le pays à l’expiration du PST. L’agent n’a pas explicitement considéré les facteurs énoncés dans les Lignes directrices PST, mais les lignes directrices ne sont pas contraignantes et ne sauraient restreindre le pouvoir discrétionnaire de l’agent.

[116]       La décision de l’agent de refuser la demande de PST était raisonnable, parce que les demandeurs n’avaient pas l’intention de rester au Canada pour une durée limitée. Puisque l’agent avait refusé leur demande CH et que les demandeurs avaient déjà fait fi des lois canadiennes sur l’immigration, l’agent n’avait aucune raison d’accepter leur demande de PST. En outre, vu leurs manquements antérieurs, il avait une bonne raison de penser qu’ils dépasseraient la période prévue par un PST. L’agent a aussi considéré la capacité des demandeurs de quitter le Canada, ainsi que la manière dont cette capacité serait réduite par un séjour prolongé au Canada.

ANALYSE

[117]       J’ai instruit ensemble les dossiers IMM-5788-11 et IMM-5790-11. Les présents motifs ainsi que ma décision devraient être versés dans les deux dossiers.

[118]       Gordon et Muriel Rosenberry sont âgés et malades et, à ce stade de leurs vies, ils méritent respect et sympathie. Heureusement pour eux, comme l’âge et la maladie commençaient à assombrir leurs jours, ils sont venus au Canada, où, d’après le dossier, ils ont pu bénéficier des avantages et des égards que peut offrir notre système d’immigration. Les agents qui ont eu affaire à eux ont agi avec une compassion et un professionnalisme exemplaires, mais ces mêmes agents sont chargés d’appliquer la loi canadienne et de préserver l’intégrité de notre système d’immigration. Parce que les agents ont fait leur devoir, les demandeurs les accusent maintenant de parti pris et voudraient même que leurs frais soient pris en charge. Il est dommage que les demandeurs adoptent cette attitude devant la Cour, car c’est une attitude qui les discrédite.

[119]       La vérité, c’est que les demandeurs n’ont aucun droit de se trouver au Canada. Ils le savaient avant d’arriver, et ils le savent maintenant. Ils ont tout simplement décidé, sachant que Muriel était à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer, de prendre la place d’autrui dans la file d’attente et de venir vivre à Edmonton. Vu sa maladie, Muriel ne saurait être blâmée, mais il semble que Gordon et sa fille, Janice, savaient exactement ce qu’était la situation et qu’ils ont décidé d’agir au mépris des lois canadiennes. Ils n’ont pas été non plus tout à fait francs avec les autorités de l’immigration.

[120]       Gordon et Muriel sont âgés et malades, mais ils sont loin d’être indigents. Ils peuvent tous deux s’offrir les soins médicaux dont ils ont besoin, et rien ne donne à penser que ces soins ne leur seraient pas offerts aux États-Unis en proportion de leurs moyens. Ils se sont tout simplement dit qu’ils préféraient le système de santé du Canada et qu’ils auraient probablement tout intérêt, au plan financier, à vivre au Canada.

[121]       Les demandeurs ont la chance d’avoir en Janice une fille qui les aime, et qui vit tout près, à Edmonton. Mais ils ont également aux États-Unis deux fils qui les aiment. Ces fils sont sans aucun doute des gens occupés, mais rien ne permet d’affirmer qu’ils ne pourraient être à proximité pour apporter à Muriel et Gordon le soutien familial dont ils ont besoin à cette étape de leur vie. Muriel recevra des soins permanents, et rien ne donne à penser que Gordon n’est pas capable de vivre par lui-même, avec ses fils à proximité, comme il le fait avec Janice à Edmonton.

[122]       Les demandeurs contestent la décision CH pour plusieurs raisons. Ils disent qu’elle est prématurée et qu’elle a été rendue au mépris de la preuve, qu’il n’y a eu aucune analyse des considérations d’ordre humanitaire, que les difficultés des demandeurs n’ont pas été appréciées, que leur niveau d’établissement n’a pas été pris en compte, que leur état de santé a été laissé de côté, qu’il n’y a eu aucune analyse de la situation familiale et que le ton de la décision de l’agent révèle un parti pris. Une simple lecture de la décision de l’agent me dit que ce sont là des arguments tout à fait fallacieux.

[123]       Il en va de même pour les arguments avancés par les demandeurs à propos de la décision PST. Les motifs de la décision CH valent pour la demande de PST, mais il y a dans les notes de l’agent des motifs additionnels qui montrent que le PST a été refusé pour une diversité de raisons, notamment l’interdiction de territoire pour raisons d’ordre médical, l’existence de mesures d’exclusion valides ainsi que le fait que les demandeurs ont agi, et continuent d’agir, illégalement et en violation des lois canadiennes sur l’immigration. Les demandeurs n’ont aucune intention de quitter le Canada et, bien que les demandes de contrôle judiciaire dont je suis saisi ne puissent être accueillies, la bienveillance de notre système leur a permis de demeurer ici pendant une période additionnelle considérable.

[124]       J’ai examiné attentivement tous les moyens avancés par eux dans les deux demandes pour établir l’existence d’une erreur susceptible de contrôle. Il m’est impossible de dire que l’agent a manqué à l’équité procédurale ou qu’il a rendu une décision déraisonnable. Il a été pleinement attentif à l’ensemble du contexte et, tout en reconnaissant la vulnérabilité des demandeurs, il s’est acquitté de son devoir et a appliqué la loi avec exactitude et équité.

[125]       Naturellement, la Cour souhaite ce qu’il y a de mieux à Gordon et Muriel, ainsi qu’à leur famille. Il est toujours difficile de voir ses parents vieillir et décliner, mais il ne sert à rien de vouloir tromper le système d’immigration et de s’en prendre à des agents qui font tout simplement leur travail. J’ai également quelque doute sur la véritable honnêteté des demandeurs. Dans la demande de PST présentée à l’agent, il semble que les demandeurs écrivaient que la famille n’était pas pleinement au fait de l’état de Muriel avant qu’elle n’arrive au Canada. Et même devant moi, leur avocate n’a pas été précise sur ce point. Il est clair toutefois que Muriel avait été déclarée atteinte de la maladie d’Alzheimer bien avant de venir au Canada. Lors de l’entrevue de 2009, Gordon a dit à CIC que le diagnostic avait été prononcé en 2005. On comprendra donc aisément pourquoi l’agent a pu douter de l’honnêteté des demandeurs. Je sais que les terribles maladies des personnes qu’on aime peuvent donner lieu à des actes désespérés, mais, au vu de la preuve qui m’a été soumise, la famille Rosenberry semble être en meilleure position que bien d’autres qui doivent relever les défis du grand âge.

[126]       Les avocats s’accordent à dire que, pour ni l’une ni l’autre des demandes, il n’y a de question à certifier, et la Cour partage leur avis.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  Les demandes sont rejetées;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier;

3.                  Les présents motifs et jugement seront versés dans les dossiers IMM-5788-11 et IMM-5790-11.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-5788-11 et IMM-5790-11

 

INTITULÉ :                                      GORDON ROSENBERRY,

                                                            MURIEL ROSENBERRY

 

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 mars 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 3 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karen Kwan Anderson                                                           POUR LES DEMANDEURS

 

Marcia Pritzker Schmitt                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pace Law Firm                                                                        POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario) 

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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