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Date: 20120502

Dossier : T-680-11

Référence : 2012 CF 505

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

RICHARD TIMM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               En 1995, suite à un procès par juge et jury, monsieur Timm est déclaré coupable des meurtres au premier degré de ses parents adoptifs. Son pourvoi contre le verdict est rejeté par la Cour d’appel du Québec: voir [1998] RJQ 3000, [1998] JQ No 3168 (QL). Toutefois, monsieur le juge Fish, nommé plus tard à la Cour suprême du Canada, est dissident. Il aurait accueilli le pourvoi et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Le fait que monsieur le juge Fish ait été dissident ne veut pas dire que monsieur Timm a droit à un nouveau procès. Cela veut tout simplement dire qu’il peut interjeter appel de plein droit à la Cour suprême sur toute question de droit au sujet de laquelle le juge est dissident et, en effet, c’est ce qu’il a fait : voir l’article 691 du Code criminel. Toutefois, son appel final à la Cour suprême est également rejeté « substantiellement pour les motifs de la majorité de la Cour d’appel du Québec » ([1999] 3 RCS 666, [1999] ACS No 65 (QL)).

 

[2]               En 2001, monsieur Timm écrit à l’honorable Anne McLellan, alors ministre de la Justice. Il dépose une demande de clémence de la Couronne, alléguant plus particulièrement que sa déclaration de culpabilité est le résultat d’une erreur judiciaire. Il ne prétend pas qu’il est innocent. En effet, il admet avoir participé aux meurtres mais cette déclaration n’a jamais été introduite en preuve. Plutôt, il soutient que la police a fabriqué certains éléments de preuve afin d’obtenir une déclaration de culpabilité, et en a caché d’autres qui, selon lui, auraient pu révéler cette fabrication de preuve. En litige sont la carabine au canon scié qui a servi à tuer les défunts, la scie à fer qui a été utilisée (ou non) pour scier le canon, le ruban adhésif trouvé sur la carabine, et les photos des divers morceaux de ruban adhésif.

 

[3]               Le ministre a nécessité beaucoup de temps afin d’émettre une décision dans le dossier de monsieur Timm. En effet, une décision finale n’a été rendue que le 21 octobre 2010. Il n’est ni nécessaire ni approprié d’examiner les motifs pour ce délai, motifs d’ailleurs soulevés lors d’autres instances devant cette Cour. En fait, monsieur Timm a engagé des procédures dans au moins dix dossiers différents dont certains sont encore actifs.

 

[4]               Il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC), datée le 21 octobre 2010, dans laquelle il n’a pas accordé de confort à monsieur Timm.

 

[5]               Outre l’erreur judiciaire qui a mené à sa déclaration de culpabilité, monsieur Timm s’attaque au processus par lequel le ministre actuel de la Justice, l’honorable Rob Nicholson, a conclu qu’il n’y avait pas eu d’erreur judiciaire. Il allègue que ceux nommés pour enquêter et conseiller le ministre n’ont pas seulement manqué à leur devoir, mais ont aussi délibérément omis de transmettre au ministre des informations pertinentes, le tout en violation de ses droits, particulièrement ceux sous la Charte canadienne des droits et libertés. Parmi les divers arguments qu’il soulève, certains sont suffisants en soi et d’autres sont interconnectés. Afin de mieux saisir l’affaire, je vais tout d’abord revoir le processus par lequel ceux déclarés coupables pouvaient à l’époque chercher à obtenir la clémence de la Couronne, tel qu’il était prévu au Code criminel, pour ensuite entamer une analyse des faits spécifiques à la présente affaire.

 

ERREUR JUDICIAIRE

 

[6]               Lorsque monsieur Timm a écrit au ministre en 2001, la disposition applicable du Code criminel était l’article 690 qui régissait les demandes de clémence de la Couronne présentées par ceux qui ont été condamnés à la suite de procédures sur un acte d’accusation ou qui ont été condamnés à la détention préventive. Le ministre de la Justice pouvait prescrire un nouveau procès, renvoyer la cause devant la cour d’appel pour audition et décision, ou renvoyer devant la cour d’appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il voulait son assistance.

 

[7]               Il n’y avait ni procédure prévue au Code criminel, ni règlement établissant la procédure à suivre.

 

[8]               Par conséquent, en 2002, l’article 690 a été abrogé et remplacé par les articles 696.1 et suivants. De plus, le Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires) a été édicté.

 

[9]               Les termes de l’article 696.1 diffèrent quelque peu de ceux de l’article 690. L’article 696.1 fait référence à une erreur judiciaire plutôt qu’à la clémence de la Couronne. Toutefois, la clémence en vertu de l’article 690 a surtout été accordée dans le contexte d’erreurs judiciaires, et donc il n’y a pas eu de changements substantiels. Par contre, il y a maintenant une procédure formelle qui remplace la procédure ad hoc adoptée sous l’article 690 : voir le document de consultation intitulé Correction des erreurs judiciaires : possibilités de réforme de l’article 690 du Code criminel, publié en 1998 sous l’autorité du ministre de la Justice.

 

[10]           Le paragraphe 696.2(3) permet au ministre de déléguer la conduite d’une enquête relative à une demande de révision à tout membre en règle du barreau d’une province ou juge à la retraite.

 

[11]           En vertu de l’article 696.3, le ministre peut, « s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite », prescrire un nouveau procès ou renvoyer la cause devant la cour d’appel, tel que déjà mentionné. S’il n’est pas satisfait qu’il y a eu une erreur judiciaire, il peut rejeter la demande de révision.

 

[12]           Bien que la décision du ministre est finale et sans appel, il est établi depuis longtemps que de telles décisions sont sujettes au contrôle judiciaire conformément aux articles 18 et suivants de la Loi sur les Cours fédérales. L’article 696.4 joue un rôle primordial dans ce contrôle judiciaire. Cet article prévoit :

696.4 Lorsqu’il rend sa décision en vertu du paragraphe 696.3(3), le ministre de la Justice prend en compte tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande, notamment :

 

*                   a) la question de savoir si la demande repose sur de nouvelles questions importantes qui n’ont pas été étudiées par les tribunaux ou prises en considération par le ministre dans une demande précédente concernant la même condamnation ou la déclaration en vertu de la partie XXIV;

*                    

*                   b) la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés relativement à la demande;

*                    

*                   c) le fait que la demande présentée sous le régime de la présente partie ne doit pas tenir lieu d’appel ultérieur et les mesures de redressement prévues sont des recours extraordinaires.

 

 In making a decision under subsection 696.3(3), the Minister of Justice shall take into account all matters that the Minister considers relevant, including

 

 

*                   (a) whether the application is supported by new matters of significance that were not considered by the courts or previously considered by the Minister in an application in relation to the same conviction or finding under Part XXIV;

 

 

 

*                   (b) the relevance and reliability of information that is presented in connection with the application; and

*                    

*                   (c) the fact that an application under this Part is not intended to serve as a further appeal and any remedy available on such an application is an extraordinary remedy.

 

 

[13]           Selon le Règlement, le ministre procède à une évaluation préliminaire de la demande. Une fois l’évaluation préliminaire terminée, il doit décider d’enquêter ou non sur la demande. Il entame une enquête s’il détermine qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Il ne mène pas d’enquête s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite et qu’une décision doit être rendue promptement pour des raisons humanitaires ou pour éviter un déni de justice.

 

[14]           Finalement, le ministre n’enquête pas s’il est convaincu qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite.

 

[15]           S’il ne mène pas d’enquête puisqu’il est convaincu qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite, le ministre en informe alors le demandeur qui disposera d’un délai d’un an pour présenter des renseignements additionnels. Si le demandeur ne transmet pas des renseignements additionnels, le ministre l’avise qu’il ne mènera pas d’enquête.

 

[16]           Pour donner effet à ces dispositions du Code criminel et au Règlement adopté sous son empire, un groupe spécialisé a été formé à l’intérieur du ministère de la Justice, soit le Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC). L’évaluation préliminaire à laquelle il est fait référence ci-haut est entreprise par un membre de ce groupe, ainsi qu’une personne nommée par le ministre. De plus, le ministre envoie l’évaluation préliminaire à un juriste pour examen et commentaires.

 


L’ÉVALUATION DE MONSIEUR TIMM

 

[17]           Dans le cas de monsieur Timm, l’évaluation préliminaire a été entreprise par Me Isabel J. Schurman, représentante du ministre, et Me Kerry Scullion, avocat général et directeur du GRCC. Dans leur rapport, qui compte 23 pages, ils ont conclu :

Bref, il n’existe aucun motif raisonnable permettant de conclure que le verdict de culpabilité du demandeur aurait pu découler d’une erreur judiciaire.

 

[18]           Le 22 octobre 2009, l’honorable Rob Nicholson, ministre de la Justice, a personnellement écrit à monsieur Timm. Il lui a expliqué que sa participation à cette étape du processus de révision découle du fait que son conseiller spécial sur les erreurs judiciaires était Me Bernard Grenier (ancien juge de la Cour provinciale). Toutefois, Me Grenier est marié à Me Schurman qui avait été nommée par un précédent ministre afin d’entreprendre l’évaluation préliminaire. Par conséquent, afin d’éviter toute apparence de conflits d’intérêts, il a cherché à obtenir l’opinion de l’honorable Jean-Marc Labrosse, un juge retraité de la Cour d’appel de l’Ontario,  plutôt que celle de Me Grenier. Il a terminé sa lettre en indiquant à monsieur Timm que pour les raisons mentionnées dans l’évaluation préliminaire, sa demande ne passera pas à l’étape de l’enquête mais qu’en vertu du Règlement, ce dernier a un an pour présenter des renseignements supplémentaires.

 

[19]           Bien que monsieur Timm a effectivement écrit au ministre à l’intérieur du délai d’un an, il l’a fait pour tenter d’obtenir une copie de l’opinion de monsieur le juge Labrosse plutôt que de présenter des renseignements supplémentaires. Alors, le 21 octobre 2010, le GRCC a écrit à monsieur Timm pour l’aviser que la période d’un an s’est écoulée sans qu’il communique des renseignements supplémentaires, et qu’en conséquence, son dossier sera clos.

 

[20]           Monsieur Timm a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par le ministre le 22 octobre 2009, sans succès toutefois. La Cour a rejeté sa demande au motif que la décision n’est pas finale, et alors ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Monsieur Timm a demandé à ce que le ministre lui fournisse l’opinion de monsieur le juge Labrosse, ce qui ne lui a pas été donnée au motif qu’elle est protégée par le privilège des communications entre client et avocat. Il en a éventuellement obtenu une copie en déposant une demande d’accès à l'information, peut être parce que monsieur le juge Labrosse ne s’est pas qualifié en tant qu’avocat ou juge dans son opinion. Monsieur Timm a également déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette opinion. Toutefois, sa demande a été rejetée car l’opinion ne constitue pas une décision révisable.

 

[21]           Enfin, la Cour lui a accordé une prolongation de délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du 21 octobre 2010 qui, essentiellement, comprend l’évaluation préliminaire.

 

[22]           Dans l’affaire Thatcher c Canada (ministre de la Justice), [1997] 1 CF 289, 120 FTR 116, monsieur le juge Rothstein, maintenant juge de la Cour suprême, a traité de l’ancien article 690 du Code criminel qui codifie et délègue au ministre de la Justice le pouvoir discrétionnaire de la Couronne relativement à un aspect de la prérogative royale de clémence. Il a soutenu qu’il s’agissait d’acte de nature purement discrétionnaire, et a noté qu’aucune disposition législative ne prévoyait la façon dont le ministre devait exercer son pouvoir discrétionnaire. Bien que le ministre a une obligation d’agir équitablement, il a conclu que cette obligation a une ampleur moindre que celle applicable aux procédures judiciaires. Le ministre doit agir de bonne foi et procéder à un examen sérieux pourvu que la demande ne soit ni futile ni vexatoire. Plus particulièrement, il a dit qu’il n’existe pas de droit général de divulgation de tout ce dont le ministre ou ses fonctionnaires ont tenu compte.

 

[23]           Toutefois, il importe de garder à l’esprit que cette décision a été rendue avant celle de la Cour suprême dans l’affaire Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c Southam Inc, [1997] 1 RCS 748, 209 NR 20. L’affaire Southam est venue ajouter la norme de la décision raisonnable simpliciter aux deux autres, soit celles de la décision correcte et du caractère manifestement déraisonnable, alors applicables dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Une décision purement discrétionnaire était révisée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable : voir Maple Lodge Farms Ltd c Canada, [1982] 2 RCS 2, 44 NR 354.

 

[24]           Plus tard, dans l’affaire Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême a éliminé la norme du caractère manifestement déraisonnable.

 

[25]           Depuis le prononcé de l’arrêt Dunsmuir, la Cour d’appel fédérale a appliquée la norme de la décision raisonnable aux articles 696.1 et suivants du Code criminel dans l’affaire Daoulov c Canada (Procureur général), 2009 CAF 12, 388 NR 54.

 

[26]           Monsieur le juge Blais, maintenant juge en chef, a expliqué aux paragraphes 4 et 11 :

4          Au moment de prendre sa décision sur la demande de révision de sa condamnation par l’appelant, le Ministre a l’obligation de prendre en compte tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande, et ce en fonction des critères mentionnés au paragraphe précédent.

 

[…]

 

11        À mon avis, c’est à bon droit que le juge de première instance a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision du délégué du Ministre est celle de la décision raisonnable.

 

[27]           Donc, la norme de révision est celle de la raisonnabilité. Néanmoins, le ministre dispose d’un large pouvoir discrétionnaire dans l’exercice de ses fonctions. Dans l’affaire Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), monsieur le juge Sopinka a adopté les mots de lord Denning, prononcés à la page 19 de sa décision dans Selvarajan v Race Relations Board, [1976] 1 All ER 12 :

[TRADUCTION]

 

Ces dernières années nous avons examiné la procédure de nombreux organismes chargés de faire enquête et de se faire une opinion [...] Dans tous ces cas, on a jugé que l’organisme chargé d’enquêter a le devoir d’agir équitablement; mais les exigences de l’équité dépendent de la nature de l’enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fondamentale est que, dès qu’on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu’on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l’enquête et du rapport, il faut l’informer de la nature de la plainte et lui permettre d’y répondre. Cependant, l’organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n’est pas nécessaire qu’il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n’est pas tenu de permettre la présence d’avocats. Il n’est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s’en tenir à l’essentiel. Il n’a pas à révéler sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seulement. De plus, il n’est pas nécessaire qu’il fasse tout lui-même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l’organisme enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport.

 

[28]           Bien que le processus suivi et les mesures prises par le ministre en l’espèce soient parfaitement appropriés, sa décision d’accepter l’évaluation préliminaire peut toutefois être considérée déraisonnable si, sans aucune faute de sa part, les auteurs du rapport ont omis de lui transmettre des renseignements pertinents.

 

DISCUSSION

 

[29]           Deux des plaintes de monsieur Timm à l’égard du processus suivi sont distinctes et il est possible d’en disposer facilement.

 

[30]           S’appuyant sur l’affaire Thatcher, susmentionnée, il soutient que le ministre devait lui fournir un sommaire d’enquête préliminaire afin qu’il puisse présenter des observations. C’est ce qui a été fait dans Thatcher. Cependant, tel qu’il ressort de cette décision, il n’y avait pas de règlement en vigueur à l’époque pour établir la procédure à suivre, et alors la pratique était d’envoyer un sommaire. Cette pratique est maintenant formalisée de sorte que le ministre a automatiquement accordé à monsieur Timm un délai d’un an pour faire des commentaires et présenter des renseignements additionnels, ce qu’il n’a pas fait. Plutôt, monsieur Timm s’est plaint que le ministre devait lui envoyer une copie de l’opinion de monsieur le juge Labrosse. Toutefois, les avis ou conseils protégés par le privilège des communications entre client et avocat n’ont pas à être divulgués, principe fondamental de notre système judiciaire et bien établi par la jurisprudence, incluant l’affaire Thatcher.

 

[31]           Monsieur Timm se plaint également que monsieur le juge Labrosse a mal qualifié la situation en indiquant au ministre que certains éléments de preuve ont été admis en preuve lors de son procès, alors qu’il n’en était pas ainsi. Monsieur le juge Labrosse a écrit au ministre Nicholson en anglais. Le paragraphe en question est le suivant :

In summary, there is the evidence that Mr. Labrecque gave at trial, the report of Mr. Monette, the report of the RCMP and the report of Mr. Ablenas. […]

 

[32]           Monsieur Timm a interprété cette phrase de manière à vouloir dire que le rapport de monsieur Ablenas a été produit lors du procès, alors que ce rapport n’a été préparé que des années plus tard. Toutefois, ce n’est pas du tout ce qu’a dit monsieur le juge Labrosse. Dans les paragraphes précédents de son opinion, il a clairement écrit que le rapport de monsieur Ablenas est daté du 19 novembre 2008, soit plusieurs années après le procès.

 

[33]           Au cœur de la demande de contrôle judiciaire de monsieur Timm se trouve l’allégation selon laquelle les auteurs du rapport d’évaluation préliminaire, Me Schurman et Me Scullion, ont agi avec malveillance en omettant délibérément de transmettre au ministre de nouveaux renseignements, le menant ainsi à rendre une décision fondée sur des faits erronés. Le paragraphe pertinent à la base de cette allégation est au début du rapport d’évaluation préliminaire :

Avant de parler du fondement (ou de l’absence de fondement) de la demande, il est important de signaler que pendant la préparation du présent rapport, l’avocate représentant le GRCC et la représentante du ministre ont examiné l’information émanant de documents ou d’activités énumérés ci-dessous en ordre numérique :  

 

[34]           Suite à ce paragraphe, les auteurs ont énuméré une liste de 25 documents, incluant un rapport rédigé par Fred J. Ablenas de Pyrotech BEI, un expert retenu par monsieur Timm pour étudier les photos du ruban adhésif. Le rapport de monsieur Ablenas a été annexé à une lettre intitulée Demande d’examen d’une condamnation par le ministre de la Justice fédéral en vertu de l’article 690 du Code criminel, datée le 29 janvier 2009. Cette lettre ne figure pas parmi les documents énumérés. Dans sa lettre, monsieur Timm présente surtout des arguments juridiques et y annexe également une dénonciation sous serment d’André Martel, sergent détective de la police de Brossard; des rapports d’enquête au sujet de la scie à fer et de la perquisition de son appartement, dont deux des rapports ont été rédigés par le sergent détective Pierre Morasse; un rapport de contrôle de pièces à conviction portant sur la scie et trois pièces de métal trouvées sur le sol de son appartement; et une demande d’expertise.

 

[35]           Il n’incombe pas à ceux nommés par le ministre pour lui préparer un rapport de lui transmettre toutes et chacune des pièces documentaires. Cela est bien établi dans le cas des rapports préparés par les enquêteurs de la Commission canadienne des droits de la personne : voir Clark c Canada (Procureur général), 2007 CF 9, 305 FTR 1; Niaki c Canada (Procureur général), 2006 CF 1104, 297 FTR 262; Société Radio-Canada c Paul, 2001 CAF 93, 274 NR 47; Canada (Commission des droits de la personne) c Pathak, [1995] 2 CF 455, 180 NR 152 (CAF); Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574, 73 FTR 161, conf par 205 NR 383, [1996] ACF No 385 (QL); et Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie, susmentionnée. En l’espèce, il s’agit de déterminer si les auteurs du rapport d’évaluation préliminaire ont raisonnablement traité des questions portant sur les photos, le ruban adhésif, la carabine et la scie, telles que soulevées par monsieur Timm dans sa lettre du 29 janvier 2009. Je suis d’avis que oui.

 

[36]           Dans cette lettre, monsieur Timm allègue tout d’abord que la Couronne ne lui a pas préalablement communiqué diverses photos de ruban adhésif prises par son expert Bernard Labrecque, à partir desquels il a préparé un rapport et a témoigné au procès que les morceaux de ruban adhésif qui entouraient l’arme du crime provenaient d’un rouleau de ruban trouvé parmi les effets personnels de monsieur Timm chez sa belle-mère.  D’une part, il prétend que puisque ces photos n’avaient pas été déposées en preuve et que la défense en a uniquement pris connaissance au moment du procès, elles constituent un nouvel élément de preuve susceptible de faire en sorte que le ministre ordonne un nouveau procès. D’autre part, il indique qu’une analyse indépendante des photos faite par monsieur Ablenas suite au procès a révélé que le ruban adhésif sur l’arme du crime était différent de celui provenant du rouleau de ruban saisi chez sa belle-mère.

 

[37]           Il est évident à la lecture du rapport d’évaluation préliminaire que ces photos ont été prises en compte. Aux pages 9 et 16 de leur rapport, Me Schurman et Me Scullion indiquent que lorsque monsieur Labrecque a révélé l’existence des photos durant son témoignage, les deux parties ont été prises par surprise ; aucune des parties ne savait que l’expert avait pris ces photos. De plus, bien que les photos n’aient pas été déposées en preuve, le rapport d’expert l’a été et aucune objection n’a été soulevée lors de son dépôt : voir les pages 9 et 10 du rapport. Il ressort également de la page 9 du rapport que la défense n’a pas présenté de requête en irrecevabilité ni de requête en ajournement du procès pour fins d’analyse et d’examen une fois que les photos ont été portées à sa connaissance. Il semble que la défense a laissé à la Cour le soin de juger de leur admissibilité en preuve. MSchurman et Me Scullion écrivent :

Lorsque la défense a refusé de convenir à l’admissibilité en preuve des photos sans pour autant présenter d’argument définitif sur leur admissibilité, le juge de procès a simplement décidé de déclarer les photos irrecevables, puisqu’elles n’avaient pas été communiquées à la défense préalablement au procès.

 

 

À la page 16 du rapport, les auteurs du rapport d’évaluation préliminaire suggèrent qu’il s’agissait d’une question de stratégie de la part de la défense.

 

[38]           Aux pages 16 et 17 de leur rapport, Me Schurman et Me Scullion font également mention d’une lettre de monsieur Timm, datée du 6 mai 2002, dans laquelle il indique avoir demandé à la défense de présenter une preuve d’expert devant la Cour d’appel ou la Cour suprême, mais que son avocat ne l’a pas fait en raison d’erreur professionnelle ou d’incompétence. Toutefois, les auteurs du rapport laissent savoir que la défense a demandé à la Cour d’appel de considérer les photos comme un nouvel élément de preuve, mais celle-ci a jugé que l’argument était non fondé.

 

[39]           L’opinion de monsieur le juge Labrosse vient confirmer l’information contenue au rapport. Selon lui, ni la Couronne ni la défense ne connaissait l’existence des photos avant le témoignage de monsieur Labrecque et puisque celles-ci n’avaient pas été divulguées préalablement à la défense, le juge du procès a décidé de ne pas les admettre en preuve. Suite au procès et dans le cadre de cette révision, ces photos ont été communiquées à monsieur Timm qui les a ensuite transmises à Charles Monette, un expert en photographie. Selon le rapport de monsieur Monette, les morceaux de ruban sur l’arme ne provenaient pas du rouleau de ruban trouvé chez la belle-mère de monsieur Timm. Toutefois, l’opinion révèle aussi que selon le rapport de la Gendarmerie royale du Canada (sur lequel je reviendrai plus bas), les conclusions de monsieur Monette sont erronées et font preuve d’un manque de compétence : voir les paragraphes 8-10 de son opinion.  En fait, monsieur le juge Labrosse est d’avis que ces photos auraient pu renforcer la position de la Couronne lors du procès : voir le paragraphe 15 de l’opinion.

 

[40]           Les conclusions de l’expert Fred J. Ablenas figurent également au rapport d’évaluation préliminaire. Me Schurman et Me Scullion soulignent à la page 21 de leur rapport que ses conclusions ne contredisent pas le témoignage de monsieur Labrecque. Plutôt, monsieur Ablenas indique qu’il n’est pas en mesure de faire l’analyse chimique nécessaire pour lui permettre de conclure que le ruban adhésif enroulé autour de l’arme provenait du rouleau de ruban retrouvé chez la belle-mère de monsieur Timm, et ce en raison des analyses effectuées préalablement sur le ruban. Quant à la remarque de monsieur Ablenas selon laquelle les formes de déchirures du ruban sur l’arme différaient de celles sur le rouleau du ruban, les auteurs laissent savoir que la Gendarmerie royale du Canada a traité de cette même question lors d’un nouvel examen des photos, ainsi que du rouleau et des morceaux de ruban adhésif, à la demande du GRCC : voir les pages 20 et 21 du rapport. Les résultats de cet nouvel examen, communiqués à monsieur Timm avant que monsieur Ablenas ne rédige son rapport, « révèle clairement que le rouleau de ruban déposé en tant que pièce judiciaire lors du procès du demandeur est le même rouleau de ruban qui figure sur toutes les photos. » D’après ce qui est indiqué à la page 10 du rapport, la différence entre les textures du ruban observée dans les photos s’explique par des éclairages différents, des appareils photo différents et des expositions différentes.

 

[41]           Les conclusions tirées par monsieur le juge Labrosse quant au rapport de monsieur Ablenas sont identiques à celles de Me Schurman et Me Scullion. Il est d’avis que monsieur Ablenas ne contredit pas le témoignage de monsieur Labrecque mais qu’il ne lui a pas été possible de conclure que le ruban adhésif enroulé sur l’arme du crime provenait du rouleau de ruban en question : voir les paragraphes 10 et 11 de son opinion.

 

[42]           Monsieur Timm allègue ensuite que la police a caché la scie à fer, qui aurait apparemment servi à couper le canon de la carabine, et trois pièces de métal retrouvés dans son appartement. Il réfère à deux rapports d’enquête signés par le sergent détective Pierre Morasse à l’effet que des experts du laboratoire de police ont conclu suite à des analyses que « tous les tests ce sont avérés négatifs », c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de lien entre la scie à fer et l’arme du crime. Selon lui, ces éléments de preuve n’ont pas été communiqués à la défense et sont essentiels pour établir son innocence.

 

[43]           Me Schurman et Me Scullion traitent de cette question en détail dans leur rapport d’évaluation préliminaire. Selon eux, à la page 14 du rapport, monsieur Robert Gaulin, expert de la Couronne, a témoigné au procès ne pas pouvoir établir de lien entre la scie et la carabine, ni entre les pièces de métal et la carabine. Il a aussi déclaré qu’il n’y avait aucun moyen d’établir à quel moment le canon avait été scié. De plus, le sergent détective Martel a témoigné que les tests effectués sur la scie, les pièces de métal et l’arme avaient donné des résultats négatifs. Par conséquent, le juge de première instance a instruit le jury sur la question de la scie, et lui a dit qu’il n’était pas possible d’établir un lien entre les pièces de métal et l’arme du crime : voir la page 15 du rapport. Vu ces conclusions et comme le font valoir les auteurs, « [l]es motifs pour lesquels le demandeur soutient que la preuve liée à la scie n’a pas été communiquée à la défense se sont pas clairs… Ce qui est clair, c’est que la preuve liée à la scie n’aurait vraisemblablement pas pu nuire au demandeur au cours du procès… S’il y a lieu, cet élément de preuve est disculpatoire… »

 

[44]           Au paragraphe 15 de son opinion, monsieur le juge Labrosse fait également référence à la question de la scie supposément disparue. Il mentionne que cette question a été pleinement débattue lors du procès et devant la Cour d’appel, et qu’elle n’est aucunement pertinente à la déclaration de culpabilité.   

 

[45]           Enfin, monsieur Timm allègue dans sa lettre que le rouleau de ruban a été saisi illégalement et que la police a fait de fausses affirmations dans le but d’obtenir une déclaration de culpabilité. Dans les mots de Me Schurman et Me Scullion, monsieur Timm « déclare notamment que l’agent de police chargé de l’enquête a substitué le rouleau de ruban pour un rouleau provenant d’un magasin Canadian Tire, pour faire en sorte que le ruban corresponde au ruban trouvé sur l’arme du crime. »

 

[46]           Ces allégations sont traitées dans le rapport d’évaluation préliminaire. Aux pages 19, 20 et 22, il est spécifié qu’elles ont été présentées lors du procès et devant la Cour d’appel. L’allégation selon laquelle la police aurait substitué le ruban a été rejetée au motif qu’elle n’est pas plausible à moins que l’expert de la Couronne qui a témoigné à propos de l’agencement des morceaux de ruban a aussi participé au supposé complot généralisé contre monsieur Timm ; il n’y a aucune preuve à cet égard : voir la page 10 du rapport. Ailleurs dans leur rapport, aux pages 18 et 19, Me Schurman et Me Scullion indiquent qu’il y a eu plusieurs irrégularités dans le comportement des policiers dans le dossier de monsieur Timm mais que la Couronne n’a jamais tenté d’introduire en preuve les déclarations incriminantes obtenues. Aussi, étant donné que le GRCC n’est pas obligé de s’en tenir à la preuve admise au procès, ils mentionnent que la présente révision a permis de déceler une grande quantité de preuves incriminantes qui n’ont pas été déposées lors du procès, incluant l’aveux de monsieur Timm selon lequel il aurait lui-même ordonné le meurtre de ses parents, aveux qui a été confirmé subséquemment grâce à des preuves d’écoute électronique.  Il a également admis que l’arme du crime était une carabine de calibre 22 au canon scié, un mois avant que la police ne la trouve.

 

[47]           De même, au paragraphe 15 de son opinion, monsieur le juge Labrosse réfère aux allégations de complot et de fabrication de preuve en indiquant que ces questions ont été soulevées au procès et devant la Cour d’appel. Au paragraphe 18, il note aussi les divers éléments de preuve incriminants énumérés par la majorité de la Cour d’appel. Il conclut que ces allégations ne démontrent pas qu’une erreur judiciaire a été commise: voir les paragraphes 16 et 24 de son opinion.

 

[48]           Bien que monsieur Timm ne partage pas l’opinion de la GRCC quant à l’évaluation et l’interprétation des éléments de preuve et cherche à présenter sa propre analyse, il n’a pas démontré que l’évaluation préliminaire complétée par Me Schurman et Me Scullion est déraisonnable. Il est utile de rappeler que le GRCC possède une expertise spéciale lorsqu’il s’agit de déterminer si une erreur judiciaire a été commise, et qu’il est composé d’avocats et de juges à la retraite spécifiquement nommés par le ministre en raison de leur formation et expérience particulière. Ceux-ci l’assistent dans la révision des condamnations criminelles en révisant les demandes, menant des enquêtes et en lui faisant des recommandations. Leurs décisions militent alors en faveur d’une large mesure de retenue judiciaire.

 

[49]           La norme de la décision raisonnable exige des cours de justice qu’elles fassent preuve de retenue envers les décisions et les opinions des décideurs sur des questions qui relèvent directement de leurs champs d’expertise. Monsieur Timm demande à la Cour de substituer son évaluation de la preuve à celle de Me Schurman et Me Scullion, ce qui n’appartient pas à un juge siégeant en contrôle judiciaire. Même si j’étais en désaccord avec eux sur l’appréciation de la preuve, ce qui n’est pas le cas, je me laisse guider par les mots de monsieur le juge Iacobucci dans l’affaire Southam, susmentionnée, au paragraphe 80 :

En guise de conclusion de mon analyse de cette question, je tiens à faire observer que le décideur chargé du contrôle de la décision, et même un décideur appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, sera souvent tenté de trouver un moyen d’intervenir dans les cas où il aurait lui-même tiré la conclusion contraire. Les cours d’appel doivent résister à cette tentation. Mon affirmation selon laquelle je ne serais peut-être pas arrivé à la même conclusion que le Tribunal ne devrait pas être considérée comme une invitation aux cours d’appel à intervenir dans les cas comme celui qui nous intéresse, mais plutôt comme une mise en garde contre pareille intervention et comme un appel à la retenue. La retenue judiciaire s'impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.

 

[50]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

            1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                       

 

INTITULÉ :                                       RICHARD TIMMS v PGC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 27 MARS 2012

 

MOTIFS  DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 MAI 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Timm

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Jacques Savary

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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