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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20120502


Dossier : IMM-5918-11

Référence : 2012 CF 510

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :                                                                                                                                           

 

YU CHEN

 

 

 

|

demandeur

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC­ 2001, c 27 (la Loi), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 22 juillet 2011 (la décision), qui a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un ressortissant de la République populaire de Chine (la RPC) âgé de 22 ans. Avant son arrivée au Canada, il vivait dans la province du Liaoning, en RPC. Le demandeur demande l’asile au Canada au motif qu’il craint d’être persécuté en RPC parce qu’il est chrétien.

[3]               En 2008, le demandeur a vu l’un de ses collègues de travail perdre une jambe dans un accident du travail et est devenu dépressif par la suite. Il affirme que Guang Yao Zhao (Zhao), son meilleur ami, lui a parlé du christianisme au début de 2009 et que ça l’a aidé à surmonter le choc de l’accident. Après sa conversion au christianisme, le demandeur a dit qu’il avait commencé à fréquenter une église chrétienne clandestine non enregistrée en janvier 2009.

[4]               Le 10 mai 2009, des agents du Bureau de la sécurité publique (BSP) ont effectué une descente à l’église fréquentée par le demandeur. Le demandeur a expliqué que, avant le début de la descente, un guetteur a informé l’organisatrice des réunions que les agents du BSP commençaient à encercler les lieux. Le demandeur et plusieurs autres personnes se sont échappés parce qu’ils avaient établi un plan d’évacuation avant la réunion. Le demandeur affirme s’être caché au domicile de son oncle maternel après son évasion.

[5]               Après que le demandeur s’est caché, des agents du BSP se sont rendus le chercher au domicile de ses parents le 12 mai 2009. Les agents ont dit que le demandeur participait à des activités religieuses illicites, qu’ils avaient arrêté d’autres membres de son église et qu’ils détenaient des preuves contre lui. Après la visite du BSP, le demandeur et ses parents ont convenu que celui‑ci devait quitter la RPC. Il a recruté un passeur et s’est d’abord rendu à Tokyo, puis à Toronto. Il est arrivé au Canada le 14 septembre 2009 et demandé l’asile le 22 octobre 2009.

[6]               Avant que la SPR entende sa demande, le demandeur a fourni plusieurs documents à titre d’éléments de preuve. Il a remis à la SPR sa carte d’identité de résident (CIR), son certificat de résidence (Hukou), un certificat d’obtention d’un diplôme et une carte d’employé. Il a également produit une lettre de l’église pentecôtiste qu’il fréquente au Canada, un baptistaire et plusieurs photographies de lui participant à des activités de l’église.

[7]               La SPR a entendu la demande du demandeur le 17 juin 2011. À l’audience, le demandeur, son avocat et un interprète étaient présents. La SPR a examiné sa demande et, le 22 juillet 2011, l’a rejetée. La SPR a informé le demandeur de la décision le 12 août 2011.

DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

[8]               La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’elle a conclu qu’il n’était pas chrétien et qu’il ne risquait pas d’être persécuté en RPC.

Crédibilité

[9]               La SPR a concentré son analyse sur la crédibilité du demandeur. Après avoir examiné un certain nombre de contradictions entre son témoignage de vive voix et son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), la SPR a jugé qu’il n’était pas un témoin crédible.

[10]           La SRP a constaté que le demandeur avait 12 années de scolarité et pouvait avoir éprouvé des difficultés à l’audience en raison de facteurs culturels, du milieu de la salle d’audience et du stress inhérent au fait de répondre à des questions orales. Elle précise qu’elle a pris ces facteurs en considération dans l’évaluation de la crédibilité du demandeur.

[11]           Dans son FRP, le demandeur a écrit que son ami Zhao, qui était chrétien depuis un an, lui a parlé de l’Évangile en janvier 2009. À l’audience, le demandeur a déclaré que Zhao ne lui avait pas parlé avant du christianisme parce qu’il craignait qu’il le mentionnerait à quelqu’un par inadvertance. La SPR a demandé au demandeur pourquoi Zhao lui faisait davantage confiance en 2009 qu’en 2008, et celui‑ci a répondu que son ami avait vu qu’il était dépressif et voulait l’aider. La SPR a jugé que cette explication n’était pas crédible parce qu’il serait raisonnable de s’attendre que Zhao fasse confiance au demandeur et qu’il est du devoir de tout chrétien de faire connaître l’Évangile.

[12]           Le demandeur a également écrit dans une modification à son FRP que Zhao lui avait fait connaître l’église clandestine la deuxième fois que les deux avaient parlé du christianisme. Cependant, lors de l’audience et dans son FRP original, le demandeur a déclaré qu’il avait appris l’existence de l’église clandestine la première fois que lui et Zhao avaient parlé du christianisme. Bien que le demandeur ait expliqué la divergence en indiquant qu’il avait entendu parler de l’église la première fois et de l’ensemble des activités la deuxième fois, la SPR a rejeté son explication. La SPR a souligné que le demandeur avait confirmé qu’il avait appris l’existence de l’église lors de la première conversation, mais qu’il avait aussi modifié son FPR pour dire que c’était lors de la deuxième conversation. La SPR a tiré une inférence défavorable de ces contradictions.

[13]           La SPR a demandé au demandeur d’expliquer son concept de Dieu à partir de sa première conversation avec son ami sur le christianisme. Le demandeur a répondu qu’il ne croyait pas en Dieu avant, mais que, comme il faisait confiance à Zhao, il avait cru ce que celui‑ci lui disait. Le demandeur a précisé qu’il ne savait pas si Dieu est un humain ou un dieu, mais que Zhao lui avait raconté l’histoire de la brebis égarée et qu’il avait commencé à comprendre la vérité. Il a expliqué qu’il a fini par comprendre que, peu importe nos fautes, nous serons tous sauvés. La SPR a affirmé que le demandeur ne pouvait pas décrire le concept de Dieu lorsqu’il a été initié au christianisme et a tiré une inférence défavorable.

[14]           La SPR a également demandé au demandeur de décrire une célébration religieuse typique à son église. Le demandeur a répondu que les croyants priaient, lisaient la Bible, écoutaient des lectures de la Bible, priaient ensemble et récitaient le Credo des Apôtres. Il a précisé qu’ils décidaient ensuite du lieu de la prochaine rencontre. Plus tard pendant l’audience, le demandeur a affirmé qu’il avait fait office de guetteur une fois; il a également expliqué le rôle des guetteurs et souligné qu’un guetteur était désigné vers la fin des réunions. La SPR a signalé que, lorsque le demandeur avait décrit pour la première fois une célébration religieuse typique, il n’avait pas mentionné la façon dont ni le moment où étaient désignés les guetteurs. La SPR a tiré une inférence défavorable de cette omission, affirmant qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur mentionne les guetteurs lorsqu’il avait parlé du choix du lieu de la prochaine rencontre.

[15]           Lorsque la SPR a questionné le demandeur au sujet de la descente effectuée à son église, le demandeur a commencé par dire que le guetteur avait alerté l’organisatrice pendant que les croyants discutaient de l’histoire de l’apaisement de la tempête. Dans son FRP, il a écrit que l’appel est venu pendant que les croyants livraient des témoignages. Pressé d’expliquer cette contradiction pendant l’audience, le demandeur a déclaré qu’ils venaient tout juste de finir les témoignages et qu’ils étaient sur le point de parler de l’histoire de la tempête. La SPR a affirmé que le demandeur n’avait pas parlé de témoignages la première fois qu’il avait décrit la célébration religieuse. Elle a rejeté son explication et tiré une autre inférence défavorable; la SPR a conclu qu’il n’y a jamais eu de descente.

[16]           Le demandeur a affirmé que, lorsque le BSP a effectué une descente à son église, l’organisatrice a dit aux croyants que l’édifice était encerclé. Il a précisé qu’ils se sont rendus à l’arrière, conformément au plan d’évacuation. Le plan prévoyait que les croyants s’échappaient par la porte d’en arrière si le BSP arrivait par l’avant, ou par l’avant si le BSP arrivait par l’arrière. Il a précisé que, si l’édifice était cerné, les croyants devaient sortir par la porte comptant le moins d’agents du BSP. Il a ajouté que l’édifice ne pouvait pas être cerné en raison de son emplacement. Il a plus tard affirmé que des croyants étaient censés s’enfuir, tandis que ceux qui restaient sur les lieux devaient prétendre qu’il s’agissait d’une rencontre ordinaire, sans caractère religieux.

[17]           La SPR a conclu que la description faite par le demandeur de la descente et du plan d’évacuation était invraisemblable. Selon elle, si le BSP avait vu des croyants prendre la fuite, il était déraisonnable de s’attendre à ce que les agents croient qu’il s’agissait d’une simple rencontre sociale. Le témoignage du demandeur à cet égard était déroutant et changeant, de sorte que la SPR a tiré une autre inférence défavorable.

[18]           Lorsqu’il a décrit sa fuite de l’église après la descente, le demandeur a affirmé qu’il avait remis sa Bible à l’organisatrice. Il a ajouté que celle-ci avait dit à tous les croyants de lui remettre leur Bible lorsque le guetteur avait téléphoné. Il a précisé que certains croyants n’avaient pas remis leur Bible et que l’organisatrice leur avait dit de mettre leur Bible sur un bureau parce qu’elle ne pouvait pas les tenir toutes. Le demandeur a ensuite déclaré qu’il avait remis sa Bible à l’organisatrice et que celle‑ci l’avait immédiatement mise sur le bureau. La SPR a jugé que cet élément du témoignage avait aussi changé de sorte qu’elle a tiré une nouvelle inférence défavorable.

[19]           Le demandeur a également affirmé que la remise des Bibles faisait partie du plan d’évacuation. La SPR a tiré une inférence défavorable du fait qu’il n’avait pas mentionné la remise des Bibles lorsqu’il avait décrit le plan plus tôt pendant l’audience.

[20]           Le demandeur a déclaré qu’il avait parlé à ses parents du christianisme une fois et que ceux‑ci avaient cru ce qu’il leur disait, mais la SPR a jugé le tout invraisemblable. Il n’était pas vraisemblable que ses parents soient devenus chrétiens après l’avoir entendu parler une seule fois du christianisme. La SPR a également jugé que ses parents, s’ils étaient devenus chrétiens, auraient exprimé leur foi d’une quelconque façon. Ils n’ont rien fait au sujet de leur foi, de sorte que le récit du demandeur n’était pas crédible.

[21]           Dans Orelien c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1158 (CAF) (QL), la Cour d’appel fédérale a écrit au paragraphe 20 qu’« on ne peut être convaincu que les éléments de preuve sont crédibles ou dignes de foi sans être convaincu qu’il est probable qu’ils le sont, et non simplement possible ». La SPR a également souligné qu’un témoignage d’un témoin n’a pas à être admis simplement parce qu’il n’a pas été contredit. De plus, la SPR peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison. Compte tenu de toutes les inférences défavorables qu’elle avait tirées, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fréquenté une église clandestine dans la RPC et qu’il n’était pas recherché par le BSP.

Demande d’asile sur place

[22]           Après avoir examiné la crédibilité du demandeur, la SPR a analysé la question de savoir si le demandeur était un chrétien authentique au Canada et s’il courrait des risques s’il devait rentrer en RPC.

[23]           La SPR a signalé que les demandes d’asile doivent être présentées de bonne foi et que les demandeurs d’asile qui manipulent les circonstances de manière à créer un véritable risque de persécution ne font pas preuve de bonne foi. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fait sa demande d’asile de bonne foi.

[24]           La SPR a conclu que le demandeur est devenu membre d’une église chrétienne au Canada dans l’unique but de soutenir une demande d’asile frauduleuse. Elle a fondé cette conclusion sur ses constatations antérieures portant qu’il n’était pas un chrétien pratiquant en RPC et qu’il n’avait pas présenté sa demande de bonne foi. Pour en arriver à cette conclusion, la SPR a également testé les connaissances du demandeur en ce qui concerne le christianisme. Elle a conclu qu’il n’avait pas la connaissance du christianisme à laquelle on s’attend d’une personne qui a terminé sa 12e année et qui pratique le christianisme depuis deux ans. La SPR a conclu que le demandeur ne croyait pas en la résurrection du corps – concept chrétien. Le demandeur a également déclaré à l’audience que l’âme, mais pas le corps, serait au paradis à la fin des temps. La SPR a signalé que le Nouveau Testament indique que, à la fin des temps, les morts ressusciteront.

[25]           À l’audience, la SPR a aussi questionné le demandeur sur la Bible. Celui‑ci a déclaré que l’Ancien Testament parlait de l’alliance de Dieu avec les Juifs et que l’alliance représentait la conduite, le contrôle ou un repère relatif à la conduite. La SPR a conclu que le demandeur avait appris par cœur des passages de l’Ancien Testament qu’il ne comprenait pas.

[26]           Lorsque la SPR l’a questionné au sujet du Nouveau Testament, le demandeur a affirmé qu’il comprenait la Première épître aux Corinthiens, la Deuxième épître aux Corinthiens et le Livre de Job. Étant donné que le Livre de Job fait partie de l’Ancien Testament, la SPR lui a demandé d’expliciter sa réponse; il a précisé que Job devait être dans l’Ancien Testament et qu’il s’était trompé. Lorsqu’on lui a demandé de quoi parlaient la Première épître et la Deuxième épître aux Corinthiens, le demandeur a répondu qu’il ne le savait pas parce qu’il ne comprenait pas tout et qu’il devait étudier davantage la Bible. La SPR a estimé que, si le demandeur avait lu les épîtres aux Corinthiens, il saurait de quoi il est question. La SPR a également conclu que s’il lisait la Bible tous les jours, comme il prétendait le faire, il connaîtrait les autres livres du Nouveau Testament.

[27]           La SPR a demandé au demandeur quelles fêtes religieuses son église célébrait au Canada, et il a mentionné plusieurs fêtes, y compris Pessah. La SPR lui a fait remarquer que Pessah n’est pas une fête religieuse dans l’Église pentecôtiste et qu’il avait oublié le Vendredi saint, qui constitue une fête religieuse dans cette église. Le demandeur a aussi indiqué la Pentecôte parmi les fêtes religieuses, mais ignorait où elle se situait dans la Bible. La SPR a estimé qu’il aurait dû savoir où était énoncée l’histoire dans la Bible parce qu’il fréquentait une Église pentecôtiste qui avait célébré la Pentecôte la semaine précédant l’audience.

[28]           La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas de conception claire de la Trinité. Même s’il savait que la Trinité consistait dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, il ne savait pas que les trois existaient de toute éternité. Le demandeur a déclaré que, avant sa naissance, Jésus était une étoile dans le ciel. Selon  la SPR, cette affirmation était manifestement fausse et, si le demandeur avait lu l’Évangile selon saint Jean, il aurait su que c’était faux.

[29]           Même si le demandeur a fourni une lettre du pasteur à son église au Canada ainsi qu’un baptistaire de la même église, la SPR a accordé peu de poids à ces documents en raison des lacunes dans la connaissance du christianisme montrées par le demandeur et de l’absence d’information quant au contrôle des présences. La SPR a précisé que ces documents ne montraient pas ce qui avait motivé le demandeur à fréquenter l’église et à être baptisé. Compte tenu de la conclusion voulant que le demandeur n’était pas membre d’une église clandestine en RPC et qu’il n’était pas recherché par le BSP, la SPR a conclu que le demandeur avait participé à des activités religieuses au Canada dans le but de fabriquer une demande d’asile frauduleuse.

Risque dans la province du Liaoning

[30]           Subsidiairement à la conclusion voulant que le demandeur n’était pas un véritable chrétien, la SPR a analysé les risques qu’il courrait dans la province du Liaoning s’il retournait en RPC et devenait un chrétien pratiquant authentique.

[31]           La SPR a signalé que le secrétaire général du Conseil chrétien de Hong Kong (Hong Kong Christian Council) avait affirmé le 14 juin 2010 que les autorités dans la RPC montraient un niveau élevé de tolérance à l’égard des groupes chrétiens non enregistrés. La SPR s’est fondée sur sa propre Demande d’information (DI) CHN103501.EF – Information sur la situation des catholiques et le traitement qui leur est réservé par les autorités, en particulier au Fujian et au Guangdong. Elle a aussi constaté que la RDI CHN102492.EF – Information sur les descentes dans les maisons-églises protestantes; fréquence et lieu des descentes établit que, bien que des cas de persécution dans la RPC aient été enregistrés entre 2005 et 2009, aucun des cas enregistrés n’a eu lieu dans la province du Liaoning. La SPR a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve convaincant ou récent de cas de persécution dans la province du Liaoning et que, s’il y avait eu des cas de persécution en cette province, il y aurait eu de la documentation à ce propos.

[32]           La SPR a ensuite examiné la description donnée par le demandeur de sa maison-église et de son emplacement dans une province où il n’existe aucune preuve convaincante d’arrestations ou de cas de persécution. La SPR a examiné un rapport du Département d’État des Etats-Unis intitulé International Religious Freedom Report 2009, selon lequel les groupes non enregistrés ont pris de l’expansion dans la RPC et qu’un bon nombre ne pratiquent pas en secret. La SPR a conclu que le demandeur pourrait pratiquer le christianisme dans l’église de son choix en RPC sans risquer d’être persécuté. La SPR a affirmé qu’elle s’inspirait des décisions rendues par la Cour dans Yu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 310, et Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 205.

[33]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou qu’il soit exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il rentrait en RPC. Il ne serait pas non plus exposé à un risque de torture s’il rentrait en RPC. Sur la foi de ces conclusions, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.


QUESTIONS EN LITIGE

[34]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

a.                   L’évaluation par la SPR de son identité religieuse en RPC était‑elle raisonnable;

b.                  L’évaluation par la SPR de son identité religieuse au Canada était‑elle raisonnable;

c.                   L’évaluation par la SPR du risque auquel est exposé le demandeur dans la province du Liaoning était‑elle raisonnable.

NORME DE CONTRÔLE

[35]           Selon la Cour suprême du Canada, dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Au contraire, lorsque la norme de contrôle applicable à une question donnée devant un tribunal est déjà bien établie par la jurisprudence antérieure, la cour chargée du contrôle peut adopter la norme en question. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse que la cour chargée du contrôle doit prendre en considération les quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

[36]           Dans Aleziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 38, le juge Maurice Lagacé a conclu que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à l’identité religieuse et au risque dans une demande d’asile sur place était la raisonnabilité (voir les paragraphes 11 et 16). De plus, dans Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 349, le juge Robert Mainville a conclu que la raisonnabilité constituait la norme de contrôle applicable à la question de l’identité religieuse d’un demandeur d’asile (voir les paragraphes 17, 19 et 20). La norme de contrôle applicable aux deux premières questions en litige est donc la raisonnabilité.

[37]           Dans Sarmis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 110, au paragraphe 11, le juge Michel Beaudry a établi que la norme de contrôle concernant le risque de persécution était le caractère manifestement déraisonnable. Le juge David Near a tiré une conclusion semblable au paragraphe 9 de S.A.H. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 613. La norme de contrôle applicable à la troisième question est donc la raisonnabilité.

[38]           Dans l’examen d’une décision en fonction de la norme de raisonnabilité, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[39]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[…]

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

 

PRÉTENTIONS

Le demandeur

            Identité chrétienne en RPC

                        Initiation au christianisme

[40]           Le demandeur soutient que, lorsqu’elle a jugé qu’il n’était pas un chrétien en RPC, la SPR s’est fiée de façon déraisonnable à ses propres croyances relatives à la façon dont les chrétiens devraient penser et agir. Ce faisant, la SPR a suivi un raisonnement conjectural, ce que la Cour a jugé inacceptable. La SPR a, à bon droit, affirmé que le témoignage de vive voix du demandeur lorsque Zhao lui a parlé de l’église clandestine contredisait son FRP. Cependant, la SPR n’a pas établi de lien entre cette contradiction et le christianisme. La SPR n’a pas indiqué si la l’inférence défavorable qu’elle tirait de cette contradiction s’appliquait à l’identité du demandeur, à son FRP ou à un autre élément. Dans Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1243, le juge John O’Keefe a écrit au paragraphe 16 :

Il est bien établi en droit que toutes les conclusions importantes tirées par la Commission doivent être étayées par une preuve claire. Le défaut de produire des éléments de preuve clairs et précis est manifestement déraisonnable et rend chacune des conclusions à l’état de pures hypothèses […]. 

 

[41]           Étant donné que la SPR n’a pas fourni des motifs clairs pour rejeter les éléments de preuve présentés par le demandeur, la décision doit être renvoyée pour réexamen.

Célébration à l’église clandestine

[42]           Il est inapproprié pour la SPR de tirer des inférences défavorables d’omissions dans le témoignage. La SPR a tiré une inférence défavorable de l’omission du demandeur de mentionner la désignation de guetteurs quand on lui a demandé de décrire une célébration typique à l’église clandestine en RPC. Le demandeur renvoie à l’arrêt Mensah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 1038 (CAF), dans lequel la Cour d’appel fédéral a affirmé :

À première vue, cela nous semble être un cas typique d’une situation sans issue dont le requérant ne peut absolument pas se tirer; s’il donne lors de l’audience aussi peu de détails qu’à son interrogatoire sous serment, sa revendication est rejetée pour imprécision; s’il en fournit davantage, elle est rejetée parce qu’elle n’est pas crédible.

[43]           Le demandeur souligne également que le juge Beaudry a affirmé aux paragraphes 29 à 31 de Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 868 :

Le fait que le demandeur a omis de faire état de la perte d’emploi de son père dans son FRP n’a certainement pas aidé sa cause, mais ce genre d’omission ne devrait pas porter à sa demande un coup aussi fatal qu’une contradiction directe. Il est intéressant également de noter que la Commission ne se prononce pas sur la crédibilité de l’allégation du demandeur.

 

En outre, bien qu’il ait vraisemblablement omis d’énumérer dans son FRP les lieux où il a habité à Shanghai et dans la province du Guangdong, le demandeur a mentionné qu’il s’était enfui à ces endroits.

 

Dans ce cas également, la Commission s’est appuyée sur un détail et non sur une contradiction pour tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité, et elle ne s’est pas prononcée explicitement sur la crédibilité de l’allégation du demandeur concernant sa fuite à Shanghai et dans la province du Guangdong

 

[44]           La SPR s’est également trompée en fondant une inférence défavorable sur sa propre norme de comportement. Elle a tiré une conclusion conjecturale quand elle a estimé que le demandeur aurait dû mentionner la désignation du guetteur dans sa description de la célébration à l’église clandestine. Il s’agit de la même erreur que la SPR a commise en ce qui concerne la contradiction qu’elle a relevée dans le témoignage du demandeur au sujet du moment où Zhao lui a parlé de l’église clandestine. La décision Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1526, contient des mises en garde contre ce type d’erreur.

[45]           Lorsqu’elle a tiré une inférence défavorable parce que le demandeur n’avait pas mentionné la désignation de guetteurs, la SPR a évalué à la loupe et avec trop de zèle les éléments de preuve. La Cour d’appel fédérale a mis en garde contre ce type d’erreur dans Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 :

J’ai parlé du zèle mis par la Commission à déceler des contradictions dans le témoignage du requérant. Bien que la Commission ait une tâche difficile, elle ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui, comme le présent requérant, témoignent par l’intermédiaire d’un interprète et rapportent des horreurs dont il existe des raisons de croire qu’elles ont une réalité objective.

 

[46]           Le demandeur soutient que son témoignage relatif à une célébration typique à l’église clandestine en RPC était par ailleurs cohérent, de sorte que la contradiction dans son témoignage sur ce point précis concernant les guetteurs n’aurait pas dû amener la SPR à tirer une inférence défavorable au sujet de sa crédibilité en général.

Bibles

[47]           La SPR a aussi tiré de façon déraisonnable une inférence défavorable de l’omission du demandeur d’indiquer dans sa description du plan d’évacuation ce qui était prévu pour les Bibles. Tout comme il était déraisonnable pour la SPR de tirer une inférence défavorable de son omission de mentionner la désignation de guetteurs, il était déraisonnable pour la SPR de tirer une inférence défavorable du fait qu’il n’avait pas mentionné les mesures prévues pour les Bibles.

Faire connaître l’Évangile

[48]           La SPR a également traité de manière déraisonnable le témoignage du demandeur en ce qui concerne l’initiation de ses parents au christianisme. La SPR n’a pas tenu compte de la façon dont ce témoignage établissait son identité religieuse. Bien qu’elle ait jugé invraisemblable que les parents du demandeur se convertissent au christianisme après en avoir entendu parler une fois, la SPR n’a tiré aucune conclusion à l’égard des croyances du demandeur à partir de cet élément de preuve. La SPR a également, de façon déraisonnable, fondé son évaluation du témoignage sur des hypothèses de nature conjecturale quant à la façon dont ses parents devaient exprimer leur foi s’ils s’étaient réellement convertis au christianisme.

Demande d’asile sur place

[49]           Même si les conclusions de la SPR en ce qui concerne le christianisme du demandeur en RPC étaient raisonnables, elles n’ont rien à voir avec sa demande d’asile. Le seul élément qui comptait dans sa demande d’asile était son identité religieuse au Canada, et la SPR a analysé de façon déraisonnable cet aspect de sa demande.

[50]           La SPR a fondé, de façon déraisonnable, son évaluation du christianisme du demandeur au Canada sur sa conclusion voulant qu’il n’était pas chrétien en RPC. Ce qui importait, rependant, était de déterminer s’il était chrétien au moment de l’audience. La SPR a affirmé à ce sujet :

Ayant conclu que le demandeur […] n’était pas un véritable chrétien pratiquant tandis qu’il vivait en Chine et que la demande d’asile n’a pas été présentée de bonne foi, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités et à la lumière des constatations dégagées précédemment, que le demandeur […] est devenu membre d’une Église chrétienne au Canada dans l’unique but de soutenir une demande d’asile frauduleuse.

 

[51]           La SPR a agi de façon déraisonnable en omettant d’examiner la demande d’asile sur place séparément de son évaluation du christianisme du demandeur en RPC.

Connaissance du christianisme

[52]           L’évaluation qu’a faite la SPR du christianisme du demandeur au Canada était également déraisonnable parce qu’elle n’a pas cherché à savoir si sa foi était véritable en lui posant des questions ou en examinant les éléments de preuve documentaires devant elle. La SPR a plutôt examiné ses connaissances du christianisme et de la Bible. Dans Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 22, le juge Michael Kelen a écrit :

La lecture des motifs de la Commission donne l’impression que pour être reconnu en tant que chrétien, il faudrait être en mesure de retenir à tout le moins une certaine connaissance encyclopédique de la Bible ou de l’enseignement de Jésus. On ne peut s’empêcher d’avoir de la sympathie pour le requérant qui avait beaucoup de mal à comprendre et à se faire comprendre par l’intermédiaire d’un interprète. Déterminer si une personne est un véritable chrétien par le biais de « questions futiles » est manifestement contraire à la jurisprudence mentionnée plus haut. La Cour a souvent infirmé la décision d’un commissaire en la déclarant « injuste » et « déraisonnable » parce que le demandeur n’était pas capable de répondre à des questions détaillées à propos de la Bible.

 

[53]           Dans le cas en l’espèce, il n’était pas loisible à la SPR de conclure que le demandeur n’était pas un chrétien authentique parce que celui‑ci a montré qu’il possédait une connaissance raisonnable du christianisme.

Documents soumis

[54]           En conférant peu de poids au baptistaire du demandeur et à la lettre de son pasteur au Canada, la SPR est contrevenue à la présomption de vérité que la SPR doit appliquer aux documents et aux témoignages des demandeurs d’asile. La conclusion voulant que les documents en question ne révélaient pas l’objetif poursuivi par le demandeur va également à l’encontre des propres documents de la SPR. Le formulaire d’examen initial que la SPR a remis au demandeur avant l’audience donnait instruction à celui‑ci de fournir des documents attestant de ses activités religieuses. Si les documents en question ne permettaient guère d’établir son identité religieuse, il était donc inutile que la SPR demande au demandeur de les produire.

[55]           Bien que la SPR ait conclu à bon droit qu’une évaluation par un pasteur des croyances religieuses de quelqu’un ne déloge pas la SPR à titre de juge des faits, cela ne lui permet pas de conclure que la lettre du pasteur du demandeur présente peu de poids. La SPR a mal interprété le droit à cet égard.

[56]           La SPR a également, de façon déraisonnable, laissé son évaluation de l’identité religieuse du demandeur en RPC vicier son évaluation de son christianisme au moment de l’audience. Même si, à l’origine, il s’était joint à l’église au Canada pour soutenir sa demande d’asile, cet élément est non pertinent quand il s’agit de déterminer s’il est un chrétien authentique à l’audience. Si la Cour accepte ce raisonnement, elle rejette par conséquent la possibilité qu’une personne qui devient membre d’une église initialement à des fins frauduleuses puisse acquérir une foi véritable qui l’exposerait à la persécution. Puisque la SPR n’a pas dûment tenu compte des éléments de preuve entourant le christianisme du demandeur au Canada, la décision doit être renvoyée pour nouvel examen.

Risque en cas de retour dans son pays

[57]           La conclusion subsidiaire de la SPR voulant que le demandeur ne risquerait pas d’être persécuté en cas de retour en RPC était également déraisonnable. Le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte d’une lettre de Bob Fu, président de l’Association d’aide à la Chine (China Aid Association). Dans la lettre, celui‑ci écrivait qu’une grande partie de la répression religieuse en RPC n’était pas rapportée et qu’il est erroné de supposer que les églises clandestines peuvent fonctionner en toute liberté.

[58]           La SPR n’a également tenu aucun compte des éléments de preuve figurant dans son cartable national de documentation (CND) sur la RPC. L’International Religious Freedom Report 2009, précité, indique :

[traduction]

La police et les responsables de certains [bureaux locaux des affaires religieuses] interrompaient des assemblées religieuses tenues dans les maisons, au motif que les membres dérangeaient les voisins ou l’ordre social, ou qu’ils pratiquaient une « religion diabolique ». Il est arrivé que la police détienne pendant des heures ou des jours les fidèles participant à de telles activités et empêche la tenue d’autres activités religieuses.

 

[59]           La SPR s’est fondée sur ce rapport pour conclure que le risque couru par le demandeur en cas de retour dans son pays était faible. Cependant, le rapport montre que la SPR disposait d’éléments de preuve faisant état de limitations quant à la pratique religieuse chrétienne en RPC. Le demandeur renvoie à la décision Fosu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] AFC no 1813, dans laquelle le juge Pierre Denault a écrit au paragraphe 5 :

Il va de soi que le droit à la liberté de religion comprend aussi la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. Comme corollaire de cet énoncé, il me semble que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes telles que l’interdiction de célébrer le culte en public ou en privé, de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou la mise en oeuvre de mesures discriminatoires graves envers des personnes du fait qu’elles pratiquent leur religion. En l’occurrence, j’estime que l’interdiction prononcée contre les Témoins de Jéhovah de se réunir pour la pratique de leur culte pouvait équivaloir à de la persécution. C’est précisément ce qu’avait à analyser la Section du statut.

 

 

[60]           La SPR n’a pas non plus abordé comme il se doit la question de savoir si le demandeur pouvait pratiquer son christianisme ouvertement ou librement en RPC.

[61]           Le demandeur signale également que la décision Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 249, soutient la proposition selon laquelle, même en l’absence de rapports récents de persécution, il peut y avoir de la persécution. Lorsqu’elle a analysé le risque que courait le demandeur en comparant des incidents rapportés de persécution dans d’autres régions de la RPC et l’absence d’incidents signalés dans la province du Liaoning, la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle.

Le défendeur

[62]           Le défendeur soutient que la décision est claire, convaincante et complète et qu’il était loisible à la SPR de tirer les conclusions de fait qu’elle a tirées à la lumière de la preuve présentée. Le demandeur n’a pas établi que les conclusions de la SPR étaient erronées, abusives ou arbitraires. La décision était raisonnable et devrait être maintenue.

ANALYSE

[63]           La décision repose sur trois conclusions principales :

1.                  Le récit du demandeur n’était pas crédible, de sorte qu’il n’a pas pu établir une crainte subjective : « [J]e conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’a pas fréquenté une église clandestine en Chine et qu’il n’était pas poursuivi par le BSP pour cette raison »;

2.                  Le demandeur n’était pas un chrétien authentique en Chine ou au Canada et le « motif du demandeur d’asile pour participer à des activités religieuses était de fabriquer une demande d’asile frauduleuse »;

3.                  Subsidiairement, « si le demandeur d’asile décidait de devenir un véritable chrétien et de retourner en Chine », alors, « selon la prépondérance des probabilités […] le demandeur d’asile serait en mesure de pratiquer sa religion dans toute église s’il devait retourner chez lui dans la province du Liaoning, en Chine, et […] ne risquerait pas sérieusement d’être persécuté pour cette raison ».

 

[64]           Ces motifs ne s’excluent pas mutuellement et ne représentent pas non plus des propositions indépendantes. La SPR a rejeté l’authenticité de l’identité chrétienne du demandeur au Canada en partie du moins parce qu’elle a conclu qu’il « n’était pas membre d’une église clandestine en Chine et qu’il n’est pas recherché par le BSP pour ce motif », de sorte que à son avis, « le motif du demandeur d’asile pour participer à des activités religieuses était de fabriquer une demande d’asile frauduleuse ».

[65]           De plus, la SPR affirme dans ses motifs qu’il n’existe pas de preuve d’arrestations ou de cas de persécution de chrétiens dans la province du Liaoning parce qu’elle rejette le récit du demandeur relatif à la persécution ou selon lequel le BSP est à sa recherche. C’est ce qui amené la SPR à conclure que le demandeur est libre de rentrer dans son pays et d’y pratiquer sa religion.

[66]           En ce qui concerne l’authenticité de la foi chrétienne du demandeur au Canada, j’estime que la SPR a commis une erreur semblable à celle que le juge Beaudry a décrite dans Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1030. Dans Wang, la SPR a tranché la question de savoir si le demandeur était un véritable chrétien en recourant à des futilités et sans mettre en balance ses conclusions défavorables avec les connaissances du demandeur relatives au christianisme :

4.     La Commission avait plusieurs préoccupations concernant sa crédibilité. Plus particulièrement, elle a conclu que le demandeur n’avait jamais été un véritable catholique romain pratiquant. Le degré de connaissance de la foi catholique du demandeur ne correspondait pas à celui d’une personne qui était un catholique romain depuis trois ans. À titre d’exemple, la Commission a souligné ce qui suit (voir la décision de la Commission aux paragraphes 19 à 28 pour la liste complète) :

 

a.         Le demandeur a montré peu de connaissances de la messe;

 

b.         Une question lui a été posée concernant la lecture de l’Évangile par le prêtre. Le demandeur a indiqué dans son témoignage que le dimanche précédent, la lecture était tirée de l’Exode. La Commission a souligné que cela était inexact, puisque l’Évangile est toujours tiré du Nouveau Testament;

 

c.         Le demandeur a montré peu de connaissances de l’Ancien Testament;

 

d.         Il avait peu de connaissances des personnages de la Bible, tels que Marie, Élizabeth et Marie‑Madeleine;

 

e.         Il ne connaissait pas l’histoire du bon Samaritain;

 

5      À la reprise de l’audience, le demandeur a répondu avec exactitude aux questions concernant le chapelet et les sept sacrements. La Commission a accordé peu de poids aux réponses, puisqu’elle a conclu que le demandeur avait pu prévoir les questions.

 

[…]

 

10    Bien que le demandeur propose plusieurs questions à trancher, la Cour est d’avis que la conclusion défavorable de la Commission quant à la connaissance de la foi catholique romaine du demandeur est au cœur du rejet de sa demande d’asile.

 

11    Dans la décision Dong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] A.C.F. no 54, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 20 :

 

Pour évaluer la connaissance que possède un demandeur du christianisme, la Commission ne devrait pas adopter une norme de connaissance aussi déraisonnablement élevée ou mettre l’accent sur « quelques erreurs ou malentendus » au point d’en faire une analyse microscopique […].

 

12    Dans cette affaire, la Commission a tiré une inférence négative du fait que le demandeur se disait chrétien pratiquant en raison de son incapacité à décrire facilement les éléments centraux de la foi chrétienne. La Cour a conclu que la décision de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas en mesure de montrer qu’il possédait une connaissance raisonnable du christianisme, et qu’il n’était donc pas crédible, était déraisonnable.

 

13    En l’espèce, la Cour conclut que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a décidé que le demandeur n’était pas un véritable catholique romain en l’assujettissant à une norme déraisonnablement élevée de connaissances religieuses. À titre d’exemple, on a demandé au demandeur si l’hostie distribuée pendant la sainte communion représentait le corps de Jésus ou si elle était le corps de Jésus. Le demandeur a répondu qu’elle représentait le corps de Jésus (transcription, dossier certifié du tribunal, page 469, ligne 25). La Commission a conclu que cette réponse était inexacte. La Commission a eu tort de recourir à des « futilités » pour mesurer la connaissance de la foi catholique du demandeur. Lorsqu’elle a apprécié les connaissances du demandeur concernant le christianisme, « c’est à tort que la Commission s’attendait à ce que le demandeur lui fournisse des réponses à des questions sur sa religion qui équivaudraient à la connaissance qu’elle avait elle‑même de cette religion » Ullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2000] A.C.F. no 1918, au paragraphe 11).

 

14    Le demandeur a répondu de façon exacte à plusieurs questions détaillées sur la religion chrétienne, par exemple, relativement à la sainte communion (dossier certifié du tribunal, page 468, ligne 45).

 

 

[67]           La SPR a commis des erreurs semblables en l’espèce. De plus, elle a fondé sa conclusion relative à l’authenticité sur sa conclusion défavorable quant à la crédibilité, ce qui, à mon avis, était déraisonnable.

[68]           À cet égard, je conviens avec le demandeur que, dans son analyse de la crédibilité, la SPR s’est livrée à des conjectures, a analysé la preuve à la loupe et a tiré des inférences à partir d’omissions dans le témoignage du demandeur. Cette analyse déficiente vicie la conclusion relative à la crédibilité au point de rendre la décision déraisonnable. La SPR s’est également fondée sur des éléments accessoires pour rejeter des aspects essentiels de la demande d’asile du demandeur.

[69]           Le paragraphe 8 de la décision en est un bon exemple :

Le demandeur d’asile a déclaré que c’est son meilleur ami qui lui a fait découvrir le christianisme. Toutefois, le demandeur d’asile ne savait pas que son meilleur ami était chrétien depuis presque une année avant qu’il lui fasse découvrir l’Évangile. Le demandeur d’asile a déclaré que son ami ne lui a pas dit plus tôt qu’il était chrétien parce qu’il craignait que le demandeur d’asile ne le révèle à quelqu’un par inadvertance. Le demandeur d’asile a été questionné à savoir pourquoi son ami avait plus confiance en sa discrétion en 2009 qu’auparavant. Il a déclaré que son ami lui a parlé du christianisme parce qu’il constatait qu’il était plutôt déprimé et qu’il voulait l’aider. Je conclus que cette explication n’est pas crédible puisque le devoir d’un chrétien est de faire connaître l’Évangile et puisque c’était son meilleur ami, il serait raisonnable de s’attendre à ce que son meilleur ami lui fasse connaître l’Évangile et qu’il ait suffisamment confiance en le demandeur pour qu’il ne révèle pas qu’il est chrétien.

 

 

[70]           Ce paragraphe nous montre que la SPR se livre à des conjectures et se pose en spécialiste de la question de savoir comment des meilleurs amis et des chrétiens se comportent en Chine tout en remettant en question le témoignage du demandeur en faisant appel à des hypothèses sans fondement ne reposant sur aucune preuve. Dans Mahmood, précitée, au paragraphe 16, le juge Blanchard a écrit : « Ce n’est que dans les cas les plus évidents que l’on doit conclure à l’invraisemblance du récit du demandeur, c’est‑à‑dire si son exposé des faits n’a rien de raisonnable ». Il n’est pas impossible que Zhao ait évité de parler du christianisme au demandeur jusqu’à ce qu’il ressente le besoin de le faire.

[71]           Au paragraphe 11 de la décision, la SPR tire une inférence défavorable d’une omission dans le témoignage du demandeur :

Le demandeur d’asile a été invité à décrire une cérémonie typique dans son église. Il a parlé de prières, de lecture de la Bible, de discussions au sujet de la Bible, de l’organisatrice qui explique la Bible, de prières en groupe, de récitation du Credo des Apôtres et d’organisation de la réunion suivante. Plus tard lors de l’audience, le demandeur d’asile a expliqué le rôle du guetteur. Questionné à savoir quand les guetteurs étaient désignés, le demandeur d’asile a répondu que l’organisatrice désigne les guetteurs à la fin de l’assemblée. Le demandeur d’asile n’a pas mentionné la désignation de guetteurs lorsqu’il a été invité à décrire l’assemblée ou la cérémonie, même s’il a mentionné que l’organisatrice prévoyait la réunion suivante, et il a ensuite affirmé qu’il n’y avait rien d’autre. Le demandeur d’asile a expliqué l’omission en disant qu’il croyait l’avoir mentionné. Le demandeur d’asile ne l’a pas mentionné, et je tire une conclusion défavorable, car il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il parle de la désignation des guetteurs lorsqu’il parle de la réunion suivante. Je tire une conclusion défavorable.

 

 

[72]           Rien ne permet de conclure qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que l’organisatrice parle des guetteurs lors de l’organisation des prochaines rencontres. De plus, cela ne semble guère important dans le contexte des éléments mentionnés par le demandeur au sujet du reste de la célébration. Voir Li, précité, au paragraphe 29. Ce type d’omission ne peut pas être traité comme le serait une contradiction.

[73]           La SPR a également eu des doutes au sujet du demandeur parce que celui‑ci n’a pas pu décrire, à sa satisfaction, son concept de Dieu lorsque son ami lui avait parlé pour la première fois du christianisme. Compte tenu de la complexité inhérente au concept chrétien de Dieu, il n’est guère surprenant qu’un néophyte puisse avoir une perception de Dieu qui est différente de celle de la SPR, de sorte que cela ne constitue aucunement un motif permettant de douter de la crédibilité du demandeur.

[74]           La décision pourrait être récupérable si le motif final – la possibilité pour le demandeur de pratiquer sa religion librement dans la province du Liaoning s’il y retournait – ne contenait pas une erreur susceptible de contrôle. J’estime cependant qu’il contient deux erreurs susceptibles de contrôle qui rendent la décision déraisonnable.

[75]           Premièrement, la décision repose sur une affirmation répétée selon laquelle des éléments de preuve documentaire figurant dans les pièces déposées devant la SPR ne contiennent « aucun élément de preuve […] récent d’une arrestation ou d’un cas de persécution visant des chrétiens dans la province du Liaoning ». Cette conclusion est contredite par des éléments de preuve directs extraits de l’Annual Report of Persecution by the Government on Christian House Churches within Mainland China pour 2007 (rapport annuel sur la persécution des maisons‑églises chrétiennes par le gouvernement en Chine continentale), dont disposait la SPR. Les renseignements pour le Liaoning indiquent que la personne suivante a été persécutée, arrêtée et condamnée à [traduction] « un an de camp de rééducation par le travail » :

[traduction]

Mme Gu Changrong, du village de Qidaohe, municipalité de Wandianzi, comté autonome mandchou de Qingyuan, ville de Fushun, a été arrêtée pour avoir prêché l’Évangile au secrétaire du parti du village.

 

 

[76]           Le conseil du demandeur a renvoyé la SPR à cet élément d’information, mais celle‑ci n’en a pas tenu compte. Il est impossible de savoir si la SPR a laissé cet élément d’information de côté ou a cru qu’il n’était pas important au point de changer sa conclusion globale. Comme la SPR a fondé sa conclusion relative au risque sur l’absence d’incidents signalés de persécution, cet élément d’information aurait pu influer sur sa conclusion voulant que le demandeur était libre de pratiquer sa religion dans sa propre province.

[77]           Deuxièmement, la SPR avait des éléments de preuve indiquant que des cas de persécution pour motifs religieux en Chine ne sont pas rapportés. Des conclusions de la SPR sur le sujet auraient donc été complètement différentes si la SPR n’avait pas tiré de conclusions déraisonnables sur la crédibilité et avait jugé crédibles le récit du demandeur et son affirmation selon laquelle le BSP était à sa recherche. Si la SPR avait cru le demandeur, cela pourrait montrer que, même si peu de cas de persécution sont signalés dans la province de Liaoning, il y a bel et bien de la persécution. Ces éléments étaient importants par rapport au risque couru par le demandeur, de sorte que la conclusion déraisonnable tirée par la SPR fait en sorte que la décision, dans son entier, est déraisonnable.

[78]           Somme toute, j’estime que la décision est peu sûre et qu’elle doit être renvoyée pour nouvel examen.

[79]           Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, ce à quoi souscrit la Cour.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen devant un tribunal différent constitué de la SPR.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-5918-11

 

INTITULÉ :                                      YU CHEN

                                           

                                                                                                                                    demandeur

                                                            -   et   -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                  

                                                                                                                        défendeur

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 mars 2012

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS:                      Le 2 mai 2012

ET DU JUGEMENT

 

COMPARUTIONS :

 

Jayson Thomas                                                                                                POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

Brad Gotkin                                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

                            

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEVINE ASSOCIATES                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

Myles J. Kirvan

                                                                                        

POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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