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Date : 20111214


Dossier : IMM-4510-11

Référence : 2011 CF 1473

ENTRE :

 

SHARMARKE MOHAMED

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE

L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE HARRINGTON

[1]               M. Mohamed, un résident permanent du Canada, a été déclaré coupable d’un certain nombre de crimes graves. S’il était originaire d’un pays comme la Suède, par exemple, non seulement aurait-il été frappé d’interdiction de territoire pour grande criminalité en application de l’article 36 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, mais il aurait également été, selon toute vraisemblance, expulsé depuis longtemps. Or, M. Mohamed est un réfugié de la Somalie et est protégé suivant le paragraphe 115(1) de la LIPR car le Canada, en tant que signataire de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, reconnaît le principe du « non‑refoulement ». Nous ne renvoyons pas dans leur pays d’origine les personnes qui y risquent la persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques ou qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels ou inusités.

 

[2]               Il existe, toutefois, une exception. En effet, le paragraphe 115(2) de la LIPR prévoit ce qui suit :

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

 

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

 

 

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

 

 

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

 

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

 

[3]               La déléguée du ministre a délivré un avis de danger. Selon elle, M. Mohamed constitue un danger pour le public au Canada et ce danger l’emporte sur celui auquel il serait exposé s’il était renvoyé en Somalie. Le présent contrôle judiciaire porte sur cette décision.

 

AVIS DE DANGER – PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES

 

[4]               La Cour d’appel fédérale a résumé les principes juridiques applicables à un cas comme celui‑ci dans Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, [2006] ACF no 654 (QL).

 

[5]               Dans un premier temps, il s’agit de déterminer si M. Mohamed est interdit de territoire pour grande criminalité. Cela ne fait aucun doute.

 

[6]               Ensuite, il faut établir si, de l’avis du ministre, M. Mohamed constitue un danger pour le public au Canada. Cette décision doit être plus amplement examinée pour en apprécier le caractère raisonnable.

 

[7]               Si la déléguée du ministre est d’avis qu’une personne constitue un danger pour le public, il faut d’abord procéder à une évaluation du risque auquel cette personne serait exposée du fait de son renvoi, puis soupeser ce risque en fonction du danger auquel le public serait exposé si la personne pouvait circuler librement ici. Cet exercice de pondération implique de tenir compte de considérations d’ordre humanitaire.

 

[8]               Certes, la déléguée du ministre doit évaluer le danger auquel la personne serait exposée ainsi que le prévoient les articles 96 et 97 de la LIPR, mais ces articles n’interviennent que de façon indirecte (Jama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 781, 350 FTR 61; Alkhalil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 976, [2011] ACF no 1198). Les principales dispositions qui commandent de procéder à un exercice de pondération sont les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi libellés :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

 

Voir Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002]1 RCS 3.

 

LA DÉCISION PORTANT QUE M. MOHAMED CONSTITUE UN DANGER POUR LE PUBLIC ÉTAIT-ELLE RAISONNABLE?

 

[9]                L’analyse de la déléguée du ministre n’est pas une pure analyse de droit, de sorte qu’elle commande la retenue et doit par conséquent être contrôlée suivant la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[10]           M. Mohamed est entré au Canada en 1990. On a déterminé qu’il avait la qualité de réfugié au sens de la Convention. Il a obtenu la résidence permanente l’année suivante.

 

[11]           Il a été reconnu coupable de divers crimes qui témoignent d’une grande violence. Il a été reconnu coupable d’agression armée et de trois chefs de vol qualifié. Ses problèmes de maîtrise de la colère ont été alimentés par la drogue et l’alcool.

 

[12]           Plus récemment, il a suivi le Programme national d’intensité modérée de lutte contre la toxicomanie, un programme de réhabilitation qui lui a été offert alors qu’il était incarcéré. Cela, dit‑on, permet de penser qu’il est désormais en mesure de reconnaître le lien qui existe entre la toxicomanie et ses activités criminelles.

 

[13]           Cela dit, ce que je trouve relativement troublant, c’est qu’on s’apprêtait à lui accorder la libération conditionnelle. Toutefois, comme il n’y avait pas de place en maison de transition, les responsables ont décidé de ne pas le remettre en liberté sans surveillance ni contrôles. Il aurait pu être raisonnable d’en conclure qu’il ne constituait pas un danger, mais la déléguée du ministre a interprété ces faits comme une indication du danger qu’il aurait posé sans surveillance ni contrôles. Quoique j’aurais très bien pu en arriver à une autre conclusion si j’avais été le décideur de première instance, je dois reconnaître que cette décision n’est pas déraisonnable. Ainsi que le juge le fait remarquer dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, 209 NR 20, au paragraphe 80 :

En guise de conclusion de mon analyse de cette question, je tiens à faire observer que le décideur chargé du contrôle de la décision, et même un décideur appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, sera souvent tenté de trouver un moyen d’intervenir dans les cas où il aurait lui-même tiré la conclusion contraire. Les cours d’appel doivent résister à cette tentation. Mon affirmation selon laquelle je ne serais peutêtre pas arrivé à la même conclusion que le Tribunal ne devrait pas être considérée comme une invitation aux cours d’appel à intervenir dans les cas comme celui qui nous intéresse, mais plutôt comme une mise en garde contre pareille intervention et comme un appel à la retenue. La retenue judiciaire s’impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.

 

DANGER POSÉ PAR UN RETOUR EN SOMALIE

 

[14]           La déléguée du ministre a dressé un portrait relativement long de la Somalie, qu’elle a présentée comme un État sans loi, ajoutant qu’il s’agissait de l’un des endroits les plus dangereux de la planète. Elle a admis que l’UNHCR exhortait les pays à ne pas renvoyer qui que ce soit en Somalie. Néanmoins, ni la Convention ni le paragraphe 115(2) de la LIPR ne nous obligent à garder ici quiconque constitue un danger pour le public.

 

[15]           M. Mohamed avait fondé sa demande d’asile initiale sur ses opinions politiques. Il s’est opposé au régime de Siad Barre qui, depuis, a été renversé. Il n’est pas non plus personnellement exposé au risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités. Sa vie pourrait être menacée. En effet, il risque de perdre la vie en raison d’un acte de violence fortuit. Toutefois, selon la déléguée du ministre, il s’agit là d’un risque généralisé au sens de l’article 97 de la LIPR, c’est-à-dire un risque auquel chacun est exposé, d’une façon ou d’une autre, en tous lieux en territoire somalien.

 

[16]           Les avocats de M. Mohamed ont invoqué tous les arguments possibles pour étayer leur prétention que le risque auquel celui-ci serait exposé était d’ordre personnel. En tant qu’Occidental instruit, il ne trouverait pas sa place à son retour au pays puisque son départ remonte à plus de vingt ans. Cela dit, dans sa décision, la déléguée du ministre a souligné qu’un grand nombre de Somaliens vaquent à leurs affaires en étant exposés à des risques qui n’atteignent pas la norme de la prépondérance des probabilités exigée sous le régime de l’article 97 de la LIPR (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 RCF 239).

[17]           Si la décision de première instance m’avait appartenu, je serais peut-être arrivé à une autre conclusion en accordant plus d’importance aux rapports des Nations Unies et une importance moindre à celui du Royaume-Uni, mais, au final, il se serait simplement agi d’une appréciation de la preuve différente de celle de la déléguée du ministre. Or, suivant les arrêts Dunsmuir et Southam, il me faut faire preuve de retenue judiciaire et je ne puis affirmer que l’avis de danger est déraisonnable.

 

CONSIDÉRATIONS D’ORDRE HUMANITAIRE

 

[18]            La déléguée du ministre a tenu compte du fait que M. Mohamed n’a plus de contact avec sa première épouse et leurs deux enfants. Des ordonnances judiciaires ont effectivement été prononcées à son encontre. Bien qu’il se soit séparé de sa seconde épouse, cette dernière lui a apporté un soutien. La déléguée du ministre a également tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il a eu avec sa seconde épouse. Le demandeur a, au Canada et aux États‑Unis, de la famille dont on ne peut dire qu’il est très proche. Ici encore, l’analyse n’était pas déraisonnable.

 


 CERTIFICATION D’UNE QUESTION GRAVE DE PORTÉE GÉNÉRALE

 

[19]           Ainsi qu’il en a été fait état à l’audience, l’avocat de la partie qui a succombé, en l’occurrence, M. Mohamed, se voit accorder une possibilité raisonnable de soumettre une question grave de portée générale pouvant servir de fondement à un appel. Compte tenu du congé de Noël, M. Mohamed a jusqu’au lundi 9 janvier 2012 pour présenter une telle question ou, dans le cas contraire, d’en aviser le greffe. Si une question est présentée, l’avocate du ministre pourra y répondre au plus tard le lundi 16 janvier 2012.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L., réviseure

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4510-11

 

INTITULÉ :                                       MOHAMED c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               7 DÉCEMBRE 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      14 DÉCEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jennifer L. Godwin

Peter Edelman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Caroline Christiaens

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Edelman & Co. Law Offices

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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