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Date : 20120425

Dossier : IMM‑2346‑11

Référence : 2012 CF 484

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

NEWN SHIN LI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi) visant une décision datée du 27 janvier 2011 d’un agent de la section de l’immigration du Haut‑commissariat du Canada à New Delhi (l’agent), par laquelle la demande de permis de travail du demandeur a été rejetée. La décision reposait sur la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences relatives aux compétences linguistiques et à l’expérience de travail.

 

[2]               Le demandeur prie la Cour d’annuler la décision de l’agent et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour qu’il procède à un nouvel examen.

 

Le contexte

 

[3]               D’ascendance chinoise, le demandeur est un citoyen de l’Inde. Marié, il a trois personnes à charge. Il vit avec sa famille en Inde.

 

[4]               Le 3 décembre 2010, le demandeur a présenté une demande de permis de travail au Canada à titre de cuisinier de cuisine chinoise hakka de style indien.

 

[5]               La demande comportait un avis relatif au marché du travail (AMT) favorable, ayant été délivré le 27 octobre 2010 à l’employeur proposé, le restaurant Royal Chinese Seafood situé à Scarborough (Ontario). La lettre relative à l’AMT contenait une confirmation par Service Canada de l’offre d’emploi que le restaurant Royal Chinese Seafood avait faite au demandeur (l’offre d’emploi approuvée suivant l’AMT).

 

[6]               L’AMT précisait que l’emploi exigeait que le demandeur sache parler et écrire en anglais. Il était indiqué dans l’offre d’emploi visée par l’AMT qu’il s’agissait d’un poste de cuisinier spécialisé en cuisine chinoise indienne / cantonaise (cuisine hakka).

 

[7]               Suivant la liste de contrôle des documents de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) relative aux autorisations d’emploi les requérants doivent fournir une « preuve [qu’ils] réponde[nt] aux exigences de l’emploi offert ». Pour satisfaire à cette exigence, le demandeur a fourni la documentation suivante avec sa demande :

Compétences linguistiques : les certificats scolaires de 1989 et 1991 indiquant qu’il avait obtenu les notes de passage en anglais.

Expérience de travail : des lettres de recommandation et des bordereaux de paie récents du Golden Empire Restaurant and Bar en Inde. Les lettres indiquaient que le demandeur avait travaillé comme premier chef au restaurant pendant plus de sept ans à temps plein et décrivait le demandeur comme un [traduction] « chef pouvant cuisiner en toute saison » qui est « particulièrement compétent dans la préparation de mets asiatiques ».

 

La décision de l’agent

 

[8]               Dans une lettre datée du 27 janvier 2011, l’agent a rejeté la demande de permis de travail du demandeur (la décision) parce qu’il était d’avis qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de compétences linguistiques et d’expérience de travail, qui étaient précisées dans l’AMT.

 

[9]               Dans les notes du système mondial de gestion des cas (SMGC) qui font partie de la décision, l’agent a reconnu que le demandeur avait fourni des documents bancaires, des bordereaux de paie, une déclaration de revenus et des dossiers scolaires. Cependant, l’agent a jugé que le demandeur n’avait pas démontré qu’il satisfaisait aux exigences relatives à la connaissance de l’anglais, qui sont précisées dans l’AMT, ou aux exigences en matière d’expérience de travail en cuisine chinoise hakka de style indien. L’agent a également estimé que la lettre de l’employeur du demandeur ne faisait pas état des qualifications du demandeur. Il a par conséquent rejeté la demande du demandeur.

 

Les questions en litige

 

[10]           Le demandeur soulève la question suivante :

            Erreur de droit : le défendeur a‑t‑il commis une erreur en n’accordant pas au demandeur la possibilité de réfuter les préoccupations de l’agent?

 

[11]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur?

            3.         L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande du demandeur?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[12]           Le demandeur fait valoir qu’on ne lui a jamais donné la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent en ce qui avait trait aux exigences en matière de compétences linguistiques et d’expérience de travail et que cela constituait manifestement un manquement à l’équité procédurale. Cette question appelle l’application de la norme de la décision correcte, car il s’agit essentiellement d’une question de droit, de justice naturelle et d’équité procédurale.

 

[13]           Le demandeur fait néanmoins valoir qu’il a présenté des documents scolaires comme preuve de sa capacité de satisfaire à l’exigence relative à la connaissance de l’anglais. Sauf si la véracité des documents était mise en doute, aucune raison ne pouvait amener le défendeur à croire que le demandeur ne satisfaisait pas à cette exigence. Par conséquent, le demandeur soutient que la décision de l’agent sur ce point n’était aucunement étayée.

 

[14]           De même, le demandeur soutient avoir présenté une preuve établissant clairement qu’il possédait de l’expérience comme chef de cuisine chinoise. Les lettres ne précisaient pas qu’il s’agissait de cuisine chinoise hakka, mais une simple demande de renseignements aurait permis d’obtenir des précisions. Le demandeur renvoie à des décisions dans lesquelles la Cour a selon lui statué que le défaut d’un agent de procéder à de simples demandes de renseignements est manifestement inéquitable. Le demandeur fait valoir qu’en l’espèce l’agent a délibérément choisi de laisser subsister le doute.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[15]           Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas démontré que sa demande de contrôle judiciaire révèle l’existence d’une cause défendable.

 

[16]           Le défendeur soutient que la décision d’un agent sur une demande de permis de travail est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Il convient de faire preuve de retenue relativement à ce type de décision qui dépend grandement des faits, est discrétionnaire et requiert l’interprétation par l’agent des lois et politiques qu’il est chargé d’appliquer.

 

[17]           Le défendeur fait valoir que les obligations en matière d’équité procédurale applicable au type de décision en cause en l’espèce varient selon le contexte. Comme rien ne démontre que la présentation d’une nouvelle demande, mieux étayée, causera des difficultés au demandeur, le défendeur soutient que les exigences en matière d’équité procédurale sont relativement peu élevées.

 

[18]           Le défendeur fait également valoir que la question de savoir si l’agent était tenu de donner au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations appelle l’application de la norme de la décision raisonnable. Cependant, en l’espèce, l’équité procédurale n’exige pas de l’agent chargé d’étudier la demande de permis de travail qu’il informe le demandeur de ses préoccupations quant aux lacunes que présente la demande ou qu’il demande que des renseignements additionnels lui soient fournis. De plus, le demandeur n’a pas droit à une entrevue pour corriger les lacunes de sa demande. Le fardeau de démontrer le bien‑fondé de la demande incombe au demandeur.

 

[19]           Le défendeur fait valoir que la présente affaire ne constitue pas une exception permettant qu’on exige de l’agent qu’il donne au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations. La décision de l’agent montre plutôt qu’il a considéré la lettre de l’employeur du demandeur ainsi que les déclarations de celui‑ci sur sa connaissance de l’anglais et qu’il a conclu que ces documents ne démontraient pas qu’il possédait l’expérience de travail et les compétences linguistiques requises. Pour ces motifs, il était loisible à l’agent de rejeter la demande.

 

[20]           Le défendeur fait en outre valoir que la décision de l’agent était raisonnable. À l’appui de cette prétention, il invoque l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), qui selon lui fait obstacle à la délivrance d’un permis de travail si l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis est demandé. Le défendeur soutient que le demandeur doit démontrer qu’il n’existe pas de motif raisonnable de croire qu’il ne sera pas en mesure d’exercer l’emploi.

 

[21]           Comme les lettres de recommandation de l’employeur du demandeur, Golden Empire Restaurant and Bar, n’établissent pas clairement qu’il a une expérience de travail en cuisine chinoise hakka de style indien, le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que la preuve présentée par le demandeur quant à son expérience de travail comme cuisinier dans cette spécialité était insuffisante. De même, le défendeur fait valoir que, comme aucune preuve ne concerne directement les compétences du demandeur en anglais, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure à l’insuffisance de la preuve visant à démontrer que le demandeur satisfaisait aux exigences précisées dans l’AMT en matière de connaissance de l’anglais.

 

[22]           Pour les raisons susmentionnées, le défendeur soutient que la décision de l’agent était raisonnable.

 

Analyse et décision

 

Deux types de permis : la catégorie des travailleurs qualifiés et la catégorie des travailleurs

 

[23]           La présente affaire concerne une demande de permis de travail visée à la Partie 11 (travailleurs) du Règlement (permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs). Le régime réglementaire applicable diffère à certains égards importants de celui qui régit les demandes présentées à titre de travailleur qualifié, soit la Division 1 de la Partie 6 (immigration économique – travailleurs qualifiés) du Règlement (permis au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés).

 

[24]           Il importe de souligner que les personnes appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés peuvent solliciter la résidence permanente au Canada (paragraphe 75(1) du Règlement) alors que les titulaires d’un permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs n’acquièrent que le droit de résider temporairement au Canada jusqu’à la date d’expiration indiquée dans leurs permis. Comme les personnes appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés ont un meilleur accès à la résidence permanente, des critères de sélection précis sont énoncés dans le Règlement (les articles 76 à 83). Par exemple, des points sont attribués pour les divers niveaux d’études (les études secondaires, les études postsecondaires, l’université, etc.). Les dispositions législatives relatives aux permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs sont quant à elles plus générales et sont peu précises quant aux exigences applicables.

 

[25]           Les dispositions de la Division 1 de la Partie 6 (immigration économique – travailleurs qualifiés) ont fait l’objet d’une jurisprudence plus abondante que celles de la Partie 11 (travailleurs) du Règlement. Pour cette raison, la jurisprudence sur les demandes de permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs s’inspire de la jurisprudence relative aux demandes de permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (voir Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1306, [2010] ACF no 1663; et Randhawa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1294, [2006] ACF no 1614 au paragraphe 12). Cependant, comme les deux processus et les droits qui y sont associés diffèrent, il faut faire preuve de prudence lorsque, s’agissant d’une demande fondée sur la Division 1, on s’appuie sur des décisions portant sur la Partie II, et vice versa. Pour cette raison, dans l’analyse qui suit, je le précise lorsque les décisions auxquelles je me réfère concernent les permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés plutôt que les permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs.

 

[26]           Question en litige no 1

            Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable?

            Lorsque la jurisprudence établit déjà la norme de contrôle à laquelle une question particulière est assujettie, le tribunal de contrôle peut appliquer cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[27]           Les décisions des agents sur des demandes de permis de travail constituent des décisions administratives rendues en vertu des pouvoirs que la loi confère aux agents. Il convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de ces décisions qui reposent sur les faits et qui sont en conséquence susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Samuel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 223, [2010] ACF no 256, au paragraphe 26; Randhawa, ci‑dessus, au paragraphe 10; et la jurisprudence relative à la catégorie des travailleurs qualifiés : Castro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 659, [2005] ACF no 811, au paragraphe 6; et Akbar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1362, [2008] ACF no 1765, au paragraphe 11).

 

[28]           Lors du contrôle de la décision d’un agent selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si l’agent est parvenu à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible, et qui n’appartient pas aux issues acceptables fondées sur la preuve dont l’agent disposait (voir Dunsmuir, ci‑dessus, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a statué dans Khosa, ci‑dessus, le tribunal de contrôle ne doit pas imposer le point de vue qui serait à son avis préférable et il ne lui appartient pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve (aux paragraphes 59 et 61).

 

[29]           Par contre, les questions qui touchent à l’équité de la décision contestée doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte (voir Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3, au paragraphe 115; et Campbell Hara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 263, [2009] ACF no 371, au paragraphe 15).

 

[30]           En l’espèce, le demandeur fait valoir qu’on ne lui a pas accordé la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent. Le refus d’accorder la possibilité de répondre aux préoccupations d’un agent constitue une question d’équité procédurale qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Hara, ci‑dessus, au paragraphe 16). Aucune déférence n’est due envers le décideur et la Cour doit former sa propre opinion sur la question (voir Dunsmuir, ci‑dessus, au paragraphe 50).

 

[31]           Question en litige no 2

            L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur?

            Dans les demandes d’immigration, il incombe au demandeur de convaincre l’agent du bien‑fondé de tous les aspects de la demande. Pour cette raison, l’équité procédurale n’exige généralement pas d’accorder aux demandeurs de permis de travail la possibilité de répondre aux préoccupations des agents. Cela est particulièrement vrai lorsque rien ne montre que les conséquences pour le demandeur seront sérieuses (voir Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, [2002] ACF no 1098, au paragraphe 5). Les tribunaux ont conclu à l’absence de conséquences sérieuses dans des cas où les demandeurs pouvaient présenter une nouvelle demande de permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs et que rien n’indiquait que la présentation d’une nouvelle demande leur causerait des difficultés (voir Masych c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1253, [2010] ACF no 1563, au paragraphe 30).

 

[32]           Cependant, il y a des exceptions à cette règle et, dans certaines circonstances, l’obligation d’accorder aux demandeurs la possibilité de répondre est justifiée. Par exemple, lorsqu’un agent utilise une preuve extrinsèque pour se former une opinion ou tirer des conclusions subjectives, et que le demandeur ne pouvait savoir que cette preuve serait utilisée de manière défavorable, l’agent peut être tenu d’accorder au demandeur la possibilité de répondre (voir Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284, [2008] ACF no 1625, au paragraphe 36; et Hara précité, au paragraphe 23).

 

[33]           Dans la jurisprudence relative aux demandes de permis au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, il a également été statué que, lorsque l’agent a des doutes quant à la véracité des documents, l’équité procédurale exige qu’il demande des renseignements supplémentaires (voir Kojuri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1389, [2003] ACF no 1779, aux paragraphes 18 et 19; et Olorunshola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1056, [2007] ACF no 1383, aux paragraphes 29 et 33).

 

[34]           Cependant, l’agent n’est généralement pas tenu d’informer un demandeur de permis au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés de ses préoccupations lorsque celles‑ci sont directement liées aux exigences législatives ou réglementaires (voir Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501, aux paragraphes 23 et 24; et Gulati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 451, [2010] ACF no 771, au paragraphe 43).

 

[35]           Les principes susmentionnés, établis dans des causes portant sur des permis au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, ont été repris dans la jurisprudence portant sur des demandes de permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs (voir Singh, ci‑dessus, aux paragraphes 40 à 42).

 

[36]           En l’espèce, rien ne prouve que le fait de présenter une nouvelle demande entraînera des conséquences sérieuses pour le demandeur. De même, rien n’indique que l’agent avait des doutes quant à la véracité des documents, qu’il s’est fondé sur une preuve extrinsèque pour se former une opinion ou qu’il s’est formé une opinion subjective sans qu’il ait été possible pour le demandeur de savoir qu’elle jouerait contre lui.

 

[37]           Quoi qu’il en soit, selon la jurisprudence relative aux permis de la catégorie des travailleurs qualifiés, il convient de déterminer si les préoccupations de l’agent étaient directement liées aux exigences législatives ou réglementaires. Dans la négative, il était vraisemblablement nécessaire pour respecter l’équité procédurale de donner la possibilité au demandeur de répondre aux préoccupations de l’agent.

 

[38]           Comme cela a été mentionné plus haut, les exigences législatives en matière de demandes de permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs sont moins précises que celles qui visent les demandes de permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. La Partie 11 du Règlement n’énonce que des exigences minimales en ce qui concerne les demandes de permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs. Le paragraphe 200(1) du Règlement prescrit à l’agent de délivrer à l’étranger un permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs si, à l’issue d’un contrôle, l’agent est convaincu qu’il a satisfait à toutes les exigences prévues à cet article.

 

[39]           Dans la présente espèce, le demandeur a présenté sa demande à l’extérieur du Canada et il détenait une offre d’emploi qui avait été antérieurement approuvée dans une AMT valide (l’offre d’emploi approuvée dans l’AMT). Par conséquent, en vertu du paragraphe 200(1) il n’avait qu’à établir qu’il quitterait le Canada à la fin de la période autorisée de son séjour. Aucune preuve n’a été présentée relativement à cette question et la décision de l’agent ne donne pas à penser qu’il s’agissait d’une préoccupation ayant entraîné le rejet de la demande.

 

[40]           Hormis ce qui précède, la réglementation ne fournit guère d’autres indications au demandeur d’un permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs quant aux exigences auxquelles il doit se conformer.

 

[41]           Quoi qu’il en soit, le paragraphe 200(1) du Règlement doit être interprété de concert avec le paragraphe 200(3), qui énumère les divers cas dans lesquels l’agent doit s’abstenir de délivrer un permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs. Il incombe au demandeur d’établir qu’il n’existe pas de motifs raisonnables de croire qu’il ne sera pas capable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé (voir Samuel, ci‑dessus, au paragraphe 30). La seule exception pertinente en l’espèce est celle qui est prévue à l’alinéa 200(3)a), lequel interdit à l’agent de délivrer un permis au titre de la catégorie des travailleurs si « l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé ».

 

[42]           En l’espèce, l’agent a conclu ce qui suit :

[traduction] Le sujet n’a pas démontré qu’il satisfaisait aux exigences relatives à la connaissance de l’anglais suivant l’AMT ou qu’il satisfaisait aux exigences relatives à l’expérience de travail en cuisine chinoise hakka de style indien. La lettre de l’employeur ne fait pas état des qualifications que possède le sujet.

 

[43]           Cependant, à l’appui de sa prétention selon laquelle il satisfaisait aux exigences en matière de compétence linguistique, le demandeur a présenté, dans sa demande, des dossiers scolaires montrant qu’il avait obtenu les notes de passage en anglais. L’agent a néanmoins conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il satisfaisait aux exigences relatives à la connaissance de l’anglais [traduction] « suivant l’AMT ». Il était simplement déclaré dans l’AMT que l’emploi requérait la connaissance de l’anglais écrit et oral. De plus, comme cela a été mentionné ci‑dessus, contrairement à la catégorie des travailleurs qualifiés, aucun niveau d’études n’est précisé dans le Règlement en ce qui concerne les permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs. Bien que les notes du demandeur en anglais ne soient pas élevées, aucun élément de preuve ne justifiait la conclusion qu’elles ne permettaient pas de satisfaire aux exigences énoncées dans l’AMT. De plus, rien ne donne à penser, que ce soit dans les dispositions législatives ou dans les politiques de CIC, que les dossiers scolaires ne constituent pas une preuve adéquate pour établir la compétence du demandeur en anglais.

 

[44]           Le demandeur a également fourni à l’appui de sa demande des lettres de recommandation et des bordereaux de paie pour démontrer son expérience de travail. Comme l’agent l’a noté, les lettres de recommandation ne mentionnent pas expressément la cuisine hakka. Cependant, il y est fait mention de manière élogieuse de l’expérience de plusieurs années du demandeur comme cuisinier et de ses compétences particulières concernant la préparation de mets asiatiques. De plus, les lettres proviennent du Golden Empire Restaurant and Bar. Par conséquent, s’il existait quelque doute sur le type de restaurant pour lequel le demandeur a travaillé en Inde, il n’était pas difficile de déterminer qu’il s’agissait probablement d’un restaurant de cuisine chinoise. Cela est en outre étayé par le fait que le demandeur détient la citoyenneté indienne, mais qu’il est d’ascendance chinoise (comme cela est indiqué dans sa demande de permis de travail).

 

[45]           L’agent a également déclaré que le demandeur n’avait pas établi son expérience de travail en cuisine chinoise hakka de style indien. Cependant, l’offre d’emploi approuvée dans l’AMT précise clairement que les fonctions du poste sont celles d’un cuisinier spécialisé en [traduction] « cuisine chinoise indienne / cantonaise (cuisine hakka) ».

 

[46]           La preuve provenant de l’employeur antérieur du demandeur, son héritage culturel et sa nationalité rendent difficile de conclure à l’existence de motifs raisonnables justifiant la conclusion de l’agent que le demandeur est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé.

 

[47]           Une comparaison des fonctions d’emploi énumérées dans l’offre d’emploi approuvée dans l’AMT avec les responsabilités et les habiletés du demandeur selon les lettres de recommandation de son employeur indien fait également ressortir des similitudes importantes :

[traduction]

1.         Les responsabilités énumérées dans l’offre d’emploi approuvées dans l’AMT :

Spécialisation en cuisine chinoise indienne / cantonaise (cuisine hakka); la préparation des principales sauces et marinades pour la viande et la volaille; la cuisson et la présentation des mets et la préparation de leurs accompagnements; la préparation et la cuisson de plats et de mets individuels; la surveillance de la qualité de la nourriture et la détermination des portions.

2.         La lettre de recommandation du Golden Empire Restaurant and Bar (Inde) :

Chef pouvant cuisiner en toute saison, qui est particulièrement compétent dans la préparation de mets asiatiques; appelé à former des seconds cuisiniers et du personnel de cuisine subalterne; à exercer un contrôle sur la conduite et la propreté du personnel de la cuisine; à vérifier la présentation des plats avant de les servir aux clients et à répondre aux questions des clients sur les plats.

 

[48]           La preuve contredit également la conclusion de l’agent selon laquelle la lettre de recommandation ne précisait pas clairement les compétences du demandeur.

 

[49]           En résumé, la preuve présentée à l’agent ainsi que les directives limitées contenues dans les dispositions législatives ayant trait au permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs font de la présente affaire une situation dans laquelle l’équité procédurale exige que l’agent donne au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations. Les agents ne sont généralement pas tenus de demander des renseignements supplémentaires lorsqu’une demande est ambiguë, mais les faits de l’espèce justifient de faire exception à la règle. Par conséquent, dans le cas qui nous occupe, le défaut de l’agent d’accorder au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations a donné lieu à un manquement à l’équité procédurale envers le demandeur.

 

[50]           Étant donné ma conclusion sur la deuxième question en litige, il ne sera pas nécessaire que je traite de l’autre question.

 

[51]           En conséquence du manquement à l’équité procédurale, la décision de l’agent sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu’il procède à un nouvel examen.

 

[52]           Ni l’une ni l’autre des parties ne m’a proposé de question sérieuse de portée générale à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l’agent soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu’il procède à un nouvel examen.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure – décision, ordonnance, question ou affaire – prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

72.       (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

 

75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

 

200. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci‑après sont établis :

 

 

a) l’étranger a demandé un permis de travail conformément à la section 2;

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

 

c) il se trouve dans l’une des situations suivantes :

(i) il est visé par les articles 206, 207 ou 208,

 

(ii) il entend exercer un travail visé aux articles 204 ou 205 pour lequel aucune offre d’emploi ne lui a été présentée, (ii.1) il entend exercer un travail visé aux articles 204 ou 205, il a reçu une offre d’emploi pour un tel travail et l’agent a conclu que :

 

(A) l’offre était authentique conformément au paragraphe (5),

 

(B) au cours des deux années précédant la date de la réception de la demande de permis de travail par le ministère :

 

 

(I) l’employeur a versé à tout étranger à son emploi un salaire ou lui a ménagé des conditions de travail qui étaient essentiellement les mêmes que ceux qu’il lui avait offerts ou lui a confié un emploi qui était essentiellement le même que celui précisé dans son offre d’emploi,

 

 

(II) l’employeur qui a versé à tout étranger un salaire ou lui a ménagé des conditions de travail qui n’étaient pas essentiellement les mêmes que ceux qu’il lui avait offerts, ou qui lui a confié un emploi qui n’était pas essentiellement le même que celui précisé dans son offre d’emploi, peut justifier ce manquement conformément au paragraphe 203(1.1);

 

(iii) il a reçu une offre d’emploi et l’agent a rendu une décision positive conformément aux alinéas 203(1)a) à e);

 

d) [Abrogé, DORS/2004‑167, art. 56]

 

e) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30.

 

. . .

 

200.(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

 

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

 

75. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

 

 

200. (1) Subject to subsections (2) and (3) — and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act — an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

 

(a) the foreign national applied for it in accordance with Division 2;

 

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

 

(c) the foreign national

 

(i) is described in section 206, 207 or 208,

 

 

(ii) intends to perform work described in section 204 or 205 but does not have an offer of employment to perform that work,

(ii.1) intends to perform work described in section 204 or 205, has an offer of employment to perform that work and an officer has determined

 

(A) that the offer is genuine under subsection (5), and

 

(B) that during the two‑year period preceding the day on which the application for the work permit is received by the Department,

 

(I) the employer making the offer provided each foreign national employed by the employer with wages, working conditions and employment in an occupation that were substantially the same as the wages, working conditions and occupation set out in the employer’s offer of employment to the foreign national, or

 

(II) in the case where the employer did not provide wages, working conditions or employment in an occupation that were substantially the same as those offered, the failure to do so was justified in accordance with subsection 203(1.1), or

 

 

 

 

(iii) has been offered employment, and an officer has made a positive determination under paragraphs 203(1)(a) to (e); and

 

(d) [Repealed, SOR/2004‑167, s. 56]

 

(e) the requirements of section 30 are met.

 

 

. . .

 

200.(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

 

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2346‑11

 

INTITULÉ :                                                   NEWN SHIN LI

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 25 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Samantha Reynolds

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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