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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120327

Dossier : IMM-5477-11

Référence : 2012 CF 363

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2012

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

 

BAHRAM NOORI NEKOIE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d’une décision rendue le 30 août 2011 par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SAI a rejeté l’appel interjeté par M. Nekoie (le demandeur) à l’encontre d’une mesure d’interdiction de séjour prise contre lui par un agent d’immigration. L’agent d’immigration avait statué que le demandeur était interdit de territoire au Canada, parce qu’il avait omis de se conformer à son obligation de résidence à titre de résident permanent. Le demandeur n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’interdiction de séjour. Il a plutôt saisi la SAI de la question de savoir s’il avait établi des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour qu’il soit passé outre au manquement à l’exigence en matière de résidence.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

 

I. Le contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de l’Iran. Il a obtenu le droit d’établissement au Canada avec son épouse et ses deux enfants en mars 2002, à titre de résident permanent appartenant à la catégorie des investisseurs. Deux semaines après être arrivés au Canada, le demandeur et sa famille sont retournés en Iran, parce que les enfants du demandeur devaient retourner à l’école. La famille est revenue au Canada en juin 2003 et s’est établie à Montréal.

 

[4]               Au cours des cinq années ayant précédé la décision de l’agent d’immigration, le demandeur avait été présent environ 331 jours sur les 730 jours requis pour conserver sa résidence permanente selon le paragraphe 28(2) de la Loi.

 

[5]               Le demandeur soutient que, durant la période de référence (du 24 août 2004 au 19 août 2009), il a dû passer beaucoup de temps en Iran pour deux raisons principales. Premièrement, il a dû fermer ses usines, mettre à pied des travailleurs, procurer des salaires et des avantages à des employés et vendre des biens qui lui appartenaient ainsi qu’à sa famille. Deuxièmement, à partir de 2007, il a dû être présent régulièrement en Iran pour s’occuper d’une instance judiciaire à laquelle il était partie.

 

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[6]               La SAI a statué qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales en faveur du demandeur.

 

[7]               Premièrement, la SAI a examiné l’ampleur du non-respect de l’obligation de résidence, ou l’obstacle juridique, et elle a conclu qu’elle était importante, puisque le demandeur avait passé au Canada moins de la moitié du nombre de jours requis en vertu du paragraphe 28(2) de la Loi. La SAI a également estimé que le demandeur n’avait pas pris très au sérieux son obligation de résidence.

 

[8]               Deuxièmement, la SAI a examiné les deux motifs du départ du demandeur et la question de savoir si ces motifs étaient impérieux. La SAI a noté qu’après que le demandeur et sa famille eurent obtenu le droit d’établissement au Canada, ils avaient dû retourner en Iran, parce que les enfants du demandeur devaient retourner à l’école. La SAI a également noté les motifs invoqués par le demandeur pour expliquer son départ du Canada et le prolongement de son séjour en Iran après que sa famille se fut établie à Montréal. La SAI a indiqué que le demandeur avait dit qu’il avait dû fermer des usines pendant un certain temps et indemniser ses travailleurs. La SAI a également mentionné que le demandeur avait affirmé qu’il avait encore des biens d’une valeur approximative de 5 millions de dollars en Iran et qu’il devait transférer son argent lentement et étaler ces transferts sur une certaine période afin de respecter les lois iraniennes. La SAI a noté en outre que le demandeur avait affirmé qu’il avait dû être présent en Iran, parce qu’il était partie à une instance judiciaire l’opposant à son frère et sa belle-sœur, qui lui avaient volé des terres, de la machinerie et des ateliers d’une valeur d’environ 2 millions de dollars.

 

[9]               La SAI n’a pas contesté la véracité de ces affirmations. Toutefois, elle n’a pas été convaincue que le demandeur avait établi qu’il avait dû rester en Iran aussi longtemps qu’il l’avait fait et qu’il ne lui avait pas été possible de passer plus de temps au Canada. La SAI a dit avoir peine à croire que le demandeur ait trouvé le temps de prendre des vacances hors d’Iran durant la période de référence, mais n’ait pas pu venir au Canada. La SAI a également noté que le demandeur aurait put tenter de demeurer au Canada pendant que ses enfants fréquentaient l’école en Iran.

 

[10]           Le troisième facteur examiné par la SAI se rapportait à l’établissement du demandeur au Canada. La SAI a estimé que le demandeur avait un certain degré d’établissement au Canada, mais elle a noté qu’il avait seulement transféré une partie de l’argent que la loi l’autorisait à transférer au Canada au cours des dix dernières années. La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas le degré d’établissement qu’il aurait pu avoir s’il avait fait tous les efforts nécessaires pour transférer son argent aussi rapidement que possible.

 

 

[11]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, la SAI a noté que ceux-ci avaient plus de 18 ans et que la Cour fédérale avait clairement établi que seuls les enfants mineurs pouvaient être pris en compte dans ce type d’appréciation (Saporsantos Leobrera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 587, [2011] 4 RCF 290, au paragraphe 63). En l’espèce, le seul enfant mineur en cause était le petit-fils du demandeur. La SAI a reconnu que le petit-fils du demandeur avait le droit de connaître ses grands-parents et qu’il s’agissait d’un facteur positif dans le cadre de son analyse, mais elle n’a pas trouvé que cela était déterminant à l’égard de sa décision, puisque l’enfant vivait au Canada avec ses parents.

 

[12]           La SAI a examiné les difficultés que le rejet de l’appel causerait à la famille et au demandeur. Elle a noté que le départ du demandeur du Canada serait triste pour le demandeur et sa famille. Cependant, elle a indiqué que le demandeur pourrait demander un visa de visiteur et que, lorsqu’il serait prêt à venir au Canada à titre permanent, la famille pourrait le parrainer. La SAI a conclu que, dans l’intervalle, la famille demeurerait dans la même situation qu’au cours des cinq années précédentes.

 

[13]           La SAI a expliqué qu’elle avait accordé beaucoup de poids à l’obstacle juridique lié au respect par le demandeur de l’exigence en matière de résidence. Elle a également noté que le demandeur n’était pas revenu au Canada à la première occasion, qu’il possédait une maison en Iran dans laquelle il pourrait vivre et que, durant le temps qu’il avait passé au Canada, il n’avait pas transféré le montant d’argent qu’il aurait pu. En conséquence, la SAI a conclu que le degré d’établissement du demandeur au Canada n’était pas ce qu’il aurait pu être si le demandeur avait réellement tenté de transférer toutes ses affaires au Canada.

 

III. Les questions en litige et les normes de contrôle

[14]           Le demandeur a contesté la décision de la SAI sur trois fronts, ce qui a soulevé les questions suivantes :

  • La SAI a-t-elle commis une erreur d’appréciation des éléments de preuve et de la situation du demandeur?
  • La SAI a-t-elle donné des motifs suffisants?
  • Un manquement à l’équité procédurale est-il survenu à cause d’erreurs dans la traduction?

 

[15]           Il est bien établi que les conclusions factuelles et l’appréciation de motifs d’ordre humanitaire par la SAI supposent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire très étendu. En conséquence, la décision de la SAI devrait être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Alonso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 683, 170 ACWS (3d) 162, au paragraphe 5; Arizaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 774, 168 ACWS (3d) 830, au paragraphe 18; Ikhuiwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 35, 163 ACWS (3d) 438, au paragraphe 15; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, à la page 857, 174 DLR (4th) 193).

 

[16]           En ce qui concerne la suffisance des motifs donnés, dans son arrêt récent Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 22 (NFLD and Labrador Nurses’ Union), la Cour suprême du Canada a statué que l’insuffisance des motifs ne permettait pas à elle seule d’annuler une décision. Ce point doit être examiné dans le contexte de la question de savoir si le résultat de la décision est raisonnable. La juge Abella, s’exprimant au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit :

14 Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510).  Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles.  Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

.

 

 

[17]           Par conséquent, les deux premières questions soulevées par le demandeur reviennent à la question de savoir si la décision de la SAI est raisonnable.

 

[18]           Le rôle de la Cour, lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable, est défini dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 (Dunsmuir:

47 [...] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

.

 

[19]           La question du caractère adéquat de l’interprétation à l’audience est une question d’équité procédurale (Mohammadian c Canada Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 91, [2001] 4 CF 85), et elle devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte.

 

IV. Analyse

A. La décision de la SAI était-elle raisonnable?

[20]           Le demandeur soutient que la SAI n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve, qu’elle a fait abstraction de faits importants et qu’elle n’a pas donné des motifs suffisants.

 

[21]           Le demandeur soutient qu’une simple récapitulation des observations et des éléments de preuve des parties suivie de l’énoncé d’une conclusion ne satisfait pas à l’obligation de fournir des motifs. Un décideur doit plutôt exposer ses conclusions et préciser les principaux éléments de preuve sur lesquels il fonde ces conclusions. Les motifs doivent traiter de tous les points en litige. Le demandeur invoque la décision VIA Rail Canada Inc c Office national des transports, [2001] 2 CF 25, 193 DLR (4th) 357, à l’appui de sa position.

 

[22]           En particulier, le demandeur soutient que la SAI n’a pas expliqué pourquoi elle rejetait son témoignage et ses éléments de preuve importants concernant le fait qu’il avait dû demeurer en Iran à cause de l’instance judiciaire à laquelle il était partie. Il soutient également qu’il a expliqué à la SAI que, lorsqu’il était au Canada en 2007, certains de ses biens iraniens avaient été volés par son frère et sa belle-sœur avec l’aide de trois autres individus. Il a appuyé cette allégation au moyen d’éléments de preuve documentaire; le demandeur a produit un jugement daté du 28 septembre 2008 du  ministère public d’Ispahan accordant des mesures conservatoires visant environ 1,2 million de dollars américains de biens des accusés. À l’époque où le demandeur a présenté des observations écrites à la Cour, son dossier était prêt à être présenté à un tribunal iranien.

 

[23]           Le demandeur est d’avis que la SAI aurait dû expliquer pourquoi elle n’avait accordé aucun poids aux éléments de preuve documentaire établissant l’instance judiciaire en Iran, puisque la crédibilité du demandeur ne soulevait aucun doute.

 

[24]           Le demandeur soutient en outre que son degré d’établissement au Canada est bien plus important que ce qu’a laissé entendre la SAI et que des circonstances exceptionnelles l’ont empêché de transférer au Canada davantage de biens qu’il l’a fait.

 

[25]           Le demandeur allègue également que, tandis qu’il investissait au Canada, il se livrait à une démarche parallèle en Iran, où il se départissait de ses biens. Le demandeur soutient qu’il a affirmé à la SAI qu’en Iran, il était impossible de fermer des ateliers et des entreprises et congédier tous les travailleurs du jour au lendemain. Il a expliqué à la SAI qu’au cours de ce processus, il avait seulement pu fermer ses entreprises lentement et transférer de l’argent au Canada. Le demandeur soutient que la SAI aurait dû dire pourquoi ces explications étaient rejetées.

 

[26]           Le demandeur soutient en outre que l’allusion de la SAI à ses voyages est non pertinente, puisque tous ses voyages hors d’Iran ont été effectués avant la période de référence. Malgré le fait qu’il ait pu y avoir de la confusion sur ce point dans son témoignage, les entrées dans son passeport ont clairement établi que ses voyages avaient été effectués avant la période de référence. Selon le demandeur, la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet élément de preuve.

 

[27]           Le défendeur, pour sa part, soutient que la décision de la SAI est raisonnable. Le défendeur allègue que la SAI a examiné tous les facteurs pertinents dans sa décision et a apprécié tous les éléments de preuve que le demandeur lui avait présentés. Le défendeur soutient en outre que les motifs de la SAI sont suffisants. Selon le défendeur, la SAI n’était pas tenue d’expliquer en détail le poids qu’elle avait attribué aux éléments de preuve et à chaque facteur. Le défendeur insiste pour dire que le demandeur ne fait qu’exprimer un désaccord avec la décision de la SAI et demande à la Cour de procéder à une nouvelle pondération des éléments de preuve et d’apprécier à nouveau les facteurs.

 

[28]           Avec égards, je considère que la décision de la SAI est raisonnable et que ses motifs sont suffisants.

 

[29]           L’article 28 énonce l’exigence de résidence à laquelle doivent se conformer les résidents permanents, mais elle confère aux agents d’immigration le pouvoir discrétionnaire de déterminer si des motifs d’ordre humanitaire justifient de passer outre à un manquement à l’obligation de résidence. La SAI est investie du même pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 67 de la Loi :

Fondement de l’appel

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

Note marginale :Effet

 

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

 

Appeal allowed

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

Marginal note:Effect

 

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

 

[30]           Les pouvoirs de la SAI concernant les mesures de renvoi sont hautement discrétionnaires et exceptionnels. Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84, au paragraphe 57 (Chieu) :

Deuxièmement, dans les appels relevant de la compétence discrétionnaire de la S.A.I., il a toujours été à la charge de l’individu frappé de renvoi d’établir les raisons pour lesquelles il devrait être autorisé à demeurer au Canada.  S’il ne s’acquitte pas de cette charge, la mesure prise par défaut est le renvoi.  Les non-citoyens n’ont pas de droit d’entrer ou de s’établir au Canada : Chiarelli, précité, p. 733, le juge Sopinka. Voir aussi Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, p. 189, le juge Wilson; Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, p. 834, le juge La Forest; et Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, p. 1070.  En règle générale, l’immigration est un privilège, et non un droit, quoique les réfugiés soient protégés par les garanties de la Convention relative au statut des réfugiés, R.T. Can. 1969 no 6, de 1951 (« Convention de Genève de 1951 »), entrée en vigueur le 22 avril 1954, et mise en vigueur au Canada le 2 septembre 1969, et le Protocole relatif au Statut des Réfugiés, 606 R.T.N.U. 267, entré en vigueur le 4 octobre 1967, et mis en vigueur au Canada le 4 juin 1969. […]

 

[31]           En outre, comme la Cour fédérale l’a expliqué plus récemment dans la décision Shaath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 731, [2010] 3 RCF 117, au paragraphe 42 :

42        Au sujet des raisons pour lesquelles l’alinéa 67(1)c) a été édicté, le juge Binnie a indiqué (au paragraphe 57) :

 

57        Reconnaissant que le renvoi peut entraîner des difficultés, le législateur a prévu à l’al. 67(1)c) un pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles. Selon la nature de la question que pose l’al 67(1)c), la SAI « fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé […] il y a […] des motifs d’ordre humanitaire justifiant […] la prise de mesures spéciales ». Il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaires », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures dans un cas donné. L’al. 67(1)c) exige que la SAI procède elle‑même à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique [soulignement ajouté] […]

 

 

[32]           La SAI a noté que, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 67 de la Loi, elle appliquait les critères énoncés dans les décisions de la SAI Bufete Arce c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2003] DSAI no 370 (QL) (CISR), et Kok c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2003] DSAI no 514 (QL) (CISR), que la Cour fédérale a approuvées dans la décision Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292, 386 FTR 35, au paragraphe 27 (Ambat). Dans la décision Ambat, au paragraphe 27, la Cour a énuméré les facteurs que la SAI appliquait pour déterminer s’il y avait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales :

27        La SAI a examiné la disposition législative qui permet de prendre une mesure spéciale, en l’occurrence l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. La SAI a ensuite déclaré que, pour déterminer si des facteurs compensaient le non-respect, par le demandeur, de son obligation de résidence, elle s’inspirait des décisions qu’elle avait rendues dans les affaires Bufete Arce, Dorothy Chicay c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (SAI VA2-02515) et Yun Kuen Kok & Kwai Leung Kok c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (SAI VA2-02277), [2003] DSAI no 514. Suivant ces deux décisions, outre l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, il existe d’autres facteurs particulièrement utiles dont on peut tenir compte pour juger ce genre d’appel. La SAI les énumère au paragraphe 38 de sa décision :

 

i)          l’étendue du manquement à l’obligation de résidence;

ii)        les raisons du départ et du séjour à l’étranger;

iii)      le degré d’établissement au Canada, initialement et au moment de l’audience;

iv)       les liens familiaux avec le Canada;

v)         la question de savoir si l’appelant a tenté de revenir au Canada à la première occasion;

vi)        les bouleversements que vivraient les membres de la famille au Canada si l’appelant est renvoyé du Canada ou si on lui refuse l’entrée dans ce pays;

vii)      les difficultés que vivrait l’appelant s’il est renvoyé du Canada ou s’il se voit refuser l’admission au pays;

viii)    l’existence de circonstances particulières justifiant la prise de mesures spéciales.

 

[33]           Les critères utilisés par la SAI sont appropriés aux fins de ce type d’analyse; il s’agit des critères tirés de la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (QL) (CISR), et adaptés aux mesures de renvoi dans l’arrêt Chieu, précité, au paragraphe 40. La Cour a confirmé leur utilisation par la SAI dans le cadre d’analyses relatives à des mesures d’interdiction de séjour prises pour défaut de se conformer aux obligations de résidence prévues à l’article 28 de la Loi (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sidhu, 2011 CF 1056, au paragraphe 43 (disponible sur CanLII)); Tai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 248, aux paragraphes 36 et 47 (disponible sur CanLII)). Ces facteurs ne sont pas exhaustifs et peuvent varier en fonction des circonstances particulières de chaque espèce. En outre, la pondération de chaque facteur et de chaque élément de preuve est laissée à la discrétion de la SAI; la Cour ne devrait pas s’immiscer dans ces décisions (Tai, précitée, au paragraphe 82), peu importe qu’elle soit d’accord ou non avec les résultats (Shaath, précitée, au paragraphe 57).

 

[34]           Il ressort clairement de la décision de la SAI que celle-ci a tenu compte de tous les éléments de preuve que le demandeur lui avait présentés et qu’elle a compris ses allégations et ses arguments. La SAI a apprécié tous les facteurs et a expliqué la pertinence des éléments de preuve au regard de chaque facteur, de même que le poids qui devrait être accordé à divers éléments. La SAI a également expliqué quels éléments elle trouvait les plus importants à l’égard de son analyse, et elle a conclu qu’à son avis, le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait.

 

[35]           La SAI a examiné l’obstacle juridique en l’espèce, et elle a estimé qu’il était important. La SAI a également examiné tous les motifs invoqués par le demandeur pour expliquer pourquoi il avait dû passer beaucoup de temps en Iran et n’avait pas pu séjourner au Canada; il devait vendre ses biens en Iran; il devait fermer graduellement ses usines; sa présence était requise en Iran en raison d’une instance judiciaire en cours. La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il avait dû demeurer en Iran aussi longtemps qu’il l’avait fait et qu’il lui avait été impossible de passer plus de temps au Canada. Il était clair aux yeux de la SAI que le demandeur n’était pas revenu au Canada à la première occasion.

 

[36]           Je ne suis pas d’accord avec les prétentions du demandeur selon lesquelles ses voyages hors d’Iran étaient non pertinents, puisqu’ils n’avaient pas été effectués pendant la période de référence et que la SAI n’aurait pas dû en tenir compte. Bien que le témoignage du demandeur au sujet de ses voyages ait été quelque peu confus, le demandeur a clairement mentionné qu’il avait passé environ un mois à voyager hors d’Iran durant la période de référence. Le demandeur soutient que la SAI aurait dû dissiper la confusion en examinant les entrées dans son passeport. Avec égards, le demandeur avait le fardeau de la preuve, et la conclusion de la SAI est fondée sur le témoignage du demandeur même.

 

[37]           En ce qui concerne le degré d’établissement du demandeur au Canada, la SAI a examiné l’explication du demandeur selon laquelle celui-ci avait dû transférer de l’argent lentement hors d’Iran. Cependant, elle a conclu que le demandeur n’avait toujours pas transféré tout l’argent qu’il avait le droit de transférer, et qu’une part importante de cet argent était toujours en Iran.

 

[38]           La SAI a également examiné l’intérêt supérieur du petit-fils du demandeur, et elle a considéré qu’il s’agissait d’un facteur qui militait en faveur du demandeur. Toutefois, cela n’était pas déterminant, puisque l’intérêt supérieur de l’enfant était protégé du fait que l’enfant demeurait avec ses parents au Canada.

 

[39]           La SAI a également apprécié les difficultés qu’éprouveraient le demandeur et sa famille. Elle a conclu que le demandeur pourrait venir au Canada à titre de visiteur et que sa famille pourrait le parrainer lorsqu’il serait prêt à s’établir en permanence au Canada.

 

[40]           À mon avis, les arguments du demandeur se résument à un simple désaccord avec l’appréciation de la SAI et le poids qu’elle a accordé à chaque facteur. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve et de procéder à une nouvelle pondération des facteurs, et la Cour ne peut pas substituer sa propre opinion quant aux éléments de preuve à celle de la SAI. La Cour suprême a clairement énoncé ce principe dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59 :

 

59       La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte.  L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs.  Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence.  Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47).  Il peut exister plus d’une issue raisonnable.  Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[41]           Je considère également que les motifs de la SAI sont suffisants. La Cour a affirmé que l’obligation de donner des motifs n’exige pas que le décideur mentionne chacun des éléments de preuve et indique leur valeur probante ainsi qu’en quoi ils sont liés aux conclusions (Cepeda-Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 157 FTR 35, 83 ACWS (3d) 264, au paragraphe 16). La Cour suprême du Canada a réaffirmé ce principe dans NFLD and Labrador Nurses’ Union, précité, aux paragraphes 16 et 17, et elle a clairement affirmé que :

16       Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391).  En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

17       [...] Les juges siégeant en révision doivent accorder une « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs.

 

 

[42]           Les motifs ne doivent pas être lus au microscope, mais doivent plutôt être pris comme un tout (Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 1501, 128 ACWS (3d) 262, aux paragraphes 41 et 42). En outre, la SAI n’était pas tenue d’expliquer en détail le poids qu’elle attribuait à chaque élément de preuve et à chaque facteur. La décision de la SAI est raisonnable, parce qu’elle permet au demandeur de comprendre pourquoi la SAI a rejeté son appel. Elle permet également à la Cour de déterminer si les conclusions de la SAI appartiennent aux issues acceptables. À mon avis, les motifs satisfont aux critères de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’issue est raisonnable. En conséquence, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la SAI.

 

B. Un manquement à l’équité procédurale est-il survenu à cause du caractère inadéquat de la traduction?

[43]           Le demandeur soutient que la qualité de la traduction à l’audience a entraîné un manquement à l’équité procédurale.

 

[44]           Le demandeur allègue qu’il y a eu des erreurs importantes dans la transcription résultant d’une traduction inadéquate, et il a présenté ses propres traductions certifiées pour le démontrer. Plus précisément, il souligne que la transcription au dossier mentionne erronément l’émission d’un contrat en rapport avec une instance judiciaire. La traduction certifiée indique que le demandeur parlait d’un jugement de cour ordonnant la saisie de biens d’une valeur de 2 millions de dollars américains. Le demandeur allègue que l’interprète a également omis d’interpréter des passages essentiels de son témoignage. Par exemple, le demandeur a clairement expliqué qu’il n’avait jamais pris de vacances durant la période de référence de cinq ans, mais l’interprète n’a pas relayé cette affirmation à la SAI. Le demandeur soutient qu’il est fort probable que des erreurs de traduction aient influé sur l’analyse et la conclusion de la SAI.

 

[45]           Les arguments soulevés par le demandeur ne peuvent être retenus.

 

[46]           Premièrement, j’estime que l’erreur relative au jugement de cour est négligeable, puisque rien ne m’amène à conclure que cette erreur a eu la moindre incidence sur les conclusions de la SAI. Qu’un contrat ait été émis ou qu’un jugement de cour ait été prononcé n’a aucune incidence sur les conclusions de la SAI quant à savoir si les motifs pour lesquels le demandeur est demeuré en Iran étaient suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire ayant pour effet de relever le demandeur de ses obligations de résidence.

 

[47]           Deuxièmement, comme je l’ai indiqué plus haut, malgré toute erreur qui a pu se produire dans la traduction du témoignage du demandeur en ce qui concerne ses voyages hors d’Iran, il ne fait aucun doute qu’il a affirmé à l’audience qu’il avait été à l’extérieur de l’Iran pendant environ un mois durant la période de référence.

 

[48]           En conclusion, bien que je reconnaisse que l’interprète ait pu commettre certaines petites erreurs durant l’audience, compte tenu des éléments de preuve présentés par le demandeur, j’estime que ces erreurs n’ont entraîné aucun manquement à la justice naturelle.

 

[49]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et aucune question grave de portée générale ne se pose en l’espèce.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5477-11

 

INTITULÉ :                                      BAHRAM NOORI NEKOIE c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 1er mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Berger

POUR LE DEMANDEUR

 

Andrea Shahin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay Goldberg Berger

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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