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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20120403

Dossiers : T-1219-04

T-1220-04

Référence : 2012 CF 300

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 3 avril 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

Dossier : T-1219-04

ENTRE :

 

 

NAUTICAL DATA INTERNATIONAL, INC.

 

 

demanderesse

et

 

 

C-MAP USA INC. ET DOE CO.

 

 

défenderesses

 

et

 

 

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

titulaire du droit d’auteur,

mise en cause conformément au paragraphe 36(2) de la Loi sur le droit d’auteur

 

Dossier : T-1220-04

ET ENTRE :

 

NAUTICAL DATA INTERNATIONAL, INC.

 

 

demanderesse

et

 

 

NAVIONICS INC. ET DOE CO.

 

 

défenderesses

 

et

 

 

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

titulaire du droit d’auteur, mise en cause conformément au paragraphe 36(2) de la Loi sur le droit d’auteur

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Motifs confidentiels de l’ordonnance et ordonnance communiqués le 13 mars 2012)

 

 

[1]               Les défenderesses prient la Cour de rejeter les deux actions, avec dépens, au motif qu’il n’y a aucune véritable question litigieuse, car Nautical Data International, Inc. (NDI) n’a pas la qualité requise par la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42, pour engager une action en contrefaçon de droit d’auteur ayant trait aux œuvres en cause.

 

[2]               Ces actions ont été engagées il y a bientôt huit ans. Ce sont des actions parallèles, les requêtes en jugement sommaire ont été plaidées ensemble et le même exposé de motifs vaudra donc pour les deux procédures, un exemplaire de l’exposé étant versé dans chacun des dossiers de la Cour.

 

Le contexte

[3]               Le Service hydrographique du Canada (le SHC), un organisme gouvernemental fédéral du Secteur des sciences du ministère des Pêches et des Océans, produit des cartes hydrographiques sur support papier contenant des données qui appartiennent au Canada et qui sont mises à jour par le SHC (les œuvres du SHC). Le SHC produit également des cartes électroniques de navigation en format vectoriel S-57 contenant des données qui appartiennent au Canada et qui sont mises à jour par le SHC (les œuvres additionnelles du SHC).

 

[4]               En 1993, NDI a conclu avec le SHC un accord portant sur les données utilisées pour produire ces cartes de navigation. En 1998 et 2000, le SHC et NDI ont mis à jour leur accord. L’accord entre NDI et le SHC sera appelé, dans les présents motifs, l’Accord, ou la Licence.

 

[5]               En vertu de la Licence, le SHC fournissait les données brutes et les sources de données servant à l’élaboration des œuvres du SHC et des œuvres additionnelles du SHC, pour conversion en cartes électroniques et mises à jour électroniques. Après que le SHC avait vérifié l’exactitude de ses cartes électroniques, NDI les reproduisait dans une diversité de supports numériques (les œuvres de NDI), pour lesquels NDI concédait une licence directement aux utilisateurs finaux, et indirectement aux utilisateurs finaux par l’intermédiaire de distributeurs, de titulaires à valeur ajoutée et de revendeurs.

 

[6]               Les défenderesses vendent des cartes hydrographiques électroniques en données exclusives et sur supports multimédias pour utilisation dans leurs équipements. Plus précisément, elles produisent des cartes vectorielles électroniques et des systèmes d’établissement de cartes pour utilisation dans la navigation maritime, aéronautique, et terrestre. Elles avouent utiliser les œuvres du SHC pour produire leurs cartes numériques et reconnaissent que le SHC est habilité à produire des cartes hydrographiques au Canada.

 

[7]               Lorsque les présentes actions ont été engagées, elles portaient sur des allégations de contrefaçon de droit d’auteur pour trois catégories d’œuvres intéressant les cartes hydrographiques : les œuvres de NDI, les œuvres du SHC et les œuvres additionnelles du SHC. Cependant, les parties s’accordent à dire que les allégations n’intéressent maintenant qu’une catégorie, à savoir les œuvres du SHC. NDI convient qu’il est légitime qu’un jugement sommaire soit rendu en faveur des défenderesses pour toutes les allégations, à l’exception de celles qui concernent les œuvres du SHC.

 

[8]               Il est admis que le SHC est titulaire du droit d’auteur dans les œuvres du SHC, expression définie ainsi au paragraphe 4 de la nouvelle déclaration modifiée : [TRADUCTION] « les cartes hydrographiques sur support papier, contenant des données qui appartiennent au Canada et qui sont mises à jour par le SHC ».

 

[9]               Selon les défenderesses, NDI n’a pas qualité pour faire valoir le droit d’auteur dans les œuvres du SHC, car NDI n’est pas le titulaire d’une licence exclusive de ces œuvres. Les défenderesses affirment donc qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse. NDI soutient qu’un intérêt lui a été accordé sur le droit d’auteur dans les œuvres du SHC, qu’elle possède « un droit, un titre ou un intérêt acquis par cession ou concession consentie par écrit par le titulaire », comme le prévoit l’article 36 de la Loi sur le droit d’auteur et qu’elle est donc fondée à exercer ses recours.

 

Les critères à remplir pour un jugement sommaire

[10]           Les principes applicables à une requête en jugement sommaire sont bien établis et peuvent être résumés ainsi :

 

1.            La Cour ne peut faire droit à une requête en jugement sommaire que si elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse : paragraphe 215(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106; Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14, au paragraphe 10 [Lameman]; Granville Shipping Co c Pegasus Lines Ltd, [1996] 2 CF 853, au paragraphe 8 [Granville]; Premakumaran c Canada, 2006 CAF 213, au paragraphe 8 [Premakumaran]; Wenzel Downhole Tools Ltd c National-Oilwell Canada Ltd, 2010 CF 966, aux paragraphes 22 et 26 [Wenzel]; Fero Holdings Ltd c Les Entreprises Givesco Inc, [1999] ACF n° 1310, au paragraphe 10 [Fero Holdings]; Grossman Holdings Ltd c York Condominium Corp No 75, [1999] OJ No 3289, au paragraphe 7 [Grossman].

 

2.            Les décisions sommaires répondent à l’important objectif d’empêcher les demandes et les défenses qui n’ont aucune chance d’être admises dans un procès : arrêt Lameman, au paragraphe 10. Il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et avantageux pour les parties, que les demandes de cette nature soient écartées dès le départ et que celles qui font état de véritables questions litigieuses soient instruites : arrêt Lameman, au paragraphe 10; décision Wenzel, au paragraphe 27. C’est pourquoi les Règles des Cours fédérales traitant des jugements sommaires doivent être interprétées et appliquées de manière à apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible : décision Teva Canada Ltd c Wyeth LLC, 2011 CF 1169, au paragraphe 30 [Teva].

 

3.            C’est à l’auteur de la requête en jugement sommaire qu’il appartient de prouver la futilité d’un procès : Lameman, au paragraphe 11; Fero Holdings, au paragraphe 10; Grossman, au paragraphe 7.

 

4.            La décision de la Cour sur la requête doit être fondée sur les actes de procédure et sur la preuve : Lameman, au paragraphe 12. Cependant, le juge qui instruit la requête peut induire des présomptions de fait sur la base des faits non contestés portés à la connaissance de la Cour : Lameman, au paragraphe 11, citant l’arrêt Guarantee Co of North America c Gordon Capital Corp, [1999] 3 RCS 423. La Cour peut aussi trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire : Granville, au paragraphe 8.

 

5.            Il n’existe pas de critère absolu sur l’opportunité de rendre ou non un jugement sommaire : Granville, au paragraphe 8; Wenzel, au paragraphe 31. Il faut plutôt se demander si l’affaire est douteuse au point qu’elle ne justifie pas la tenue d’un procès : Granville, au paragraphe 8; Premakumaran, au paragraphe 8. La question n’est pas de savoir si la demande pourrait être accueillie à l’issue d’un procès, mais plutôt de savoir si elle n’est « manifestement pas fondée » : Premakumaran, au paragraphe 8. Il doit être évident qu’un procès est inutile : Grossman, au paragraphe 7. Il n’appartient pas à la Cour saisie d’une requête en jugement sommaire de résoudre une question de fait, mais plutôt de dire s’il existe une véritable question litigieuse : Grossman, au paragraphe 7.

 

6.            Le jugement sommaire demandé ne peut pas être rendu si les faits nécessaires sont absents ou s’il est injuste de rendre un tel jugement : Granville, au paragraphe 8. Un tel jugement sera rendu en revanche lorsque la preuve n’est pas contestée ou ne prête pas à controverse, ou lorsque la crédibilité ne pose aucune difficulté sérieuse : Teva, au paragraphe 32.

 

7.            Avant de rendre un jugement sommaire, la Cour doit apprécier les divers intérêts en présence, à savoir ceux du défendeur, qui souhaite éviter un litige inutile, ceux du demandeur, qui souhaite se faire entendre, et ceux du système de justice, soucieux de préserver ses ressources : Wenzel, au paragraphe 22. Dans cet exercice d’appréciation, la Cour doit se montrer circonspecte : Wenzel, au paragraphe 29; Société canadienne de perception de la copie privée c J & E Media Inc, 2010 CF 102, au paragraphe 15. Cependant, le tribunal est maître de sa propre procédure, et les Règles des Cours fédérales doivent être appliquées, et non esquivées, et, lorsque cela est justifié, un jugement sommaire devrait être rendu, même s’il existe une véritable question litigieuse, à condition qu’elle puisse être traitée sommairement : Teva, aux paragraphes 32 et 33.

 

[11]           Dans la décision Teva, il est expliqué qu’un jugement sommaire était justifié, compte tenu des facteurs suivants, énumérés au paragraphe 34 :

a.                   les questions en litige sont bien définies et, même si la réponse qui leur est donnée ne tranchera peut-être pas tous les points litigieux dans l’action, il s’agit de questions importantes dont la solution permettra d’accélérer le déroulement ou le règlement de l’action ou de ce qui en reste entre les parties agissant de bonne foi;

 

b.                  les faits nécessaires pour répondre aux questions ressortent clairement de la preuve;

 

c.                   la preuve n’est pas controversée et la crédibilité n’est pas en jeu;

 

d.                  bien qu’elles soient nouvelles, les questions de droit peuvent être réglées aussi facilement maintenant qu’elles le seraient par ailleurs à l’issue d’un procès complet.

 

[12]           Appliquant ces facteurs à l’affaire dont je suis saisi, je suis d’avis que la requête en jugement sommaire soumise à la Cour est légitime parce que les questions sont bien définies, les faits ressortent clairement de la preuve, la preuve ne prête pas à controverse, la crédibilité n’est pas en jeu et les questions de droit peuvent être tranchées aisément. Il est nécessaire pour la Cour dans la présente affaire de procéder à une interprétation du contrat pour savoir si NDI a qualité pour agir, mais cela ne fait pas obstacle à un jugement sommaire, parce que la Cour peut tirer des conclusions de fait et de droit en se fondant sur les pièces qui lui sont soumises : Granville, au paragraphe 8.

 

Analyse de la question de la qualité pour agir

[13]           Pour savoir s’il existe une véritable question litigieuse, il faut se demander si NDI a ou non qualité pour engager une action en contrefaçon aux termes de la Loi sur le droit d’auteur. Si NDI a effectivement qualité pour agir, la requête doit être rejetée et les actions doivent passer au stade du procès. Si NDI n’a pas qualité pour agir, alors la requête doit être accueillie et les actions rejetées.

 

[14]           Le paragraphe 36(1) de la Loi sur le droit d’auteur constitue le fondement autorisant une personne à exercer un recours pour protéger son droit d’auteur ou son intérêt sur un droit d’auteur :

 

 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le titulaire d’un droit d’auteur, ou quiconque possède un droit, un titre ou un intérêt acquis par cession ou concession consentie par écrit par le titulaire peut, individuellement pour son propre compte, en son propre nom comme partie à une procédure, soutenir et faire valoir les droits qu’il détient, et il peut exercer les recours prévus par la présente loi dans toute l’étendue de son droit, de son titre et de son intérêt.

 (1) Subject to this section, the owner of any copyright, or any person or persons deriving any right, title or interest by assignment or grant in writing from the owner, may individually for himself or herself, as a party to the proceedings in his or her own name, protect and enforce any right that he or she holds, and, to the extent of that right, title and interest, is entitled to the remedies provided by this Act.

 

[15]           Lorsque, comme c’est le cas ici, le recours est exercé par une personne autre que le titulaire du droit d’auteur, une concession d’intérêt est nécessaire. Le titulaire du droit d’auteur peut « concéder […] un intérêt » par écrit à toute personne, en totalité ou en partie : Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 13(4).

 

[16]           Les parties s’accordent à dire que seule une licence exclusive constitue une concession d’intérêt pouvant conférer au titulaire la qualité pour engager une action en contrefaçon de droit d’auteur. La Cour suprême du Canada s’exprimait ainsi au paragraphe 56 de l’arrêt Robertson c Thomson Corp, 2006 CSC 43 :

Nous sommes convaincus que la juge Weiler a eu raison de conclure que seule la concession d’une licence exclusive doit être rédigée par écrit. Si le législateur avait voulu que la concession de tout type de licence non exclusive soit réputée avoir valu « concession par licence d’un intérêt » et soit constatée dans un contrat écrit, il aurait pu le prévoir expressément comme au par. 13(7) à l’égard des licences exclusives.  Selon nous, l’extrait suivant de la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans Ritchie c. Sawmill Creek Golf & Country Club Ltd. (2004), 35 C.P.R. (4th) 163, expose correctement le problème :

 

[traduction]  La « concession par licence d’un intérêt », dont il est question au par. 13(4), est le transfert d’un droit de propriété par opposition à l’autorisation de faire une certaine chose.  Dans le premier cas, le titulaire de la licence peut intenter en son nom une action en contrefaçon; dans le second, il ne peut que contester cette action.  Dans la mesure où il existait une certaine incertitude quant au sens de l’expression « concession par licence d’un intérêt » et quant à savoir si elle visait les licences non exclusives, cette incertitude a été résolue en 1997 lorsque la Loi sur le droit d’auteur a été modifiée pour y inclure le par. 13(7)... [par. 20] [Non souligné dans l'original.]

 

 

Dans l’arrêt Euro-Excellence Inc c Kraft Canada Inc, 2007 CSC 37, au paragraphe 28, la Cour suprême écrivait que « [l]e licencié non exclusif n’a aucun droit de propriété sur le droit d’auteur et jouit seulement de droits contractuels à l’égard du titulaire-concédant. Il ne peut donc pas intenter une action pour violation du droit d’auteur ».

 

[17]           Les défenderesses font valoir que NDI s’est vu accorder une licence unique, et non une licence exclusive. Elles disent que le SHC, dans son accord de licence conclu avec NDI, a conservé son droit de produire ou de reproduire les œuvres du SHC.

 

[18]           L’article 2.7 de la Loi sur le droit d’auteur définit ainsi l’expression « licence exclusive » :

 Pour l’application de la présente loi, une licence exclusive est l’autorisation accordée au licencié d’accomplir un acte visé par un droit d’auteur de façon exclusive, qu’elle soit accordée par le titulaire du droit d’auteur ou par une personne déjà titulaire d’une licence exclusive; l’exclusion vise tous les titulaires.

 For the purposes of this Act, an exclusive licence is an authorization to do any act that is subject to copyright to the exclusion of all others including the copyright owner, whether the authorization is granted by the owner or an exclusive licensee claiming under the owner.

 

[19]           Dans l’arrêt Euro-Excellence, au paragraphe 26, le juge Rothstein exposait les trois conditions d’une licence exclusive :

[…] Il y a licence exclusive au sens de la législation sur le droit d’auteur lorsque les conditions suivantes sont remplies : a) le titulaire du droit d’auteur (le concédant) permet à une autre personne (le licencié) d’accomplir un acte visé par ce droit d’auteur; b) le concédant promet de ne pas donner cette permission à quelqu’un d’autre pendant la durée de la licence; c) le concédant lui‑même promet que, pendant la durée de la licence, il n’accomplira pas les actes qu’il autorise le licencié à accomplir […]

 

L’Accord de licence de NDI répond-il aux conditions d’une licence exclusive?

 

a) Permission donnée d’accomplir un acte visé par le droit d’auteur

 

[20]           NDI soutient que, aux termes de son accord conclu avec le SHC, il lui est permis d’accomplir un acte visé par le droit d’auteur. NDI se fonde sur le paragraphe 2.1 de l’Accord, ainsi formulé :

[TRADUCTION]

 

2.1. Sans préjudice des droits réservés dans les paragraphes 2.4 et 2.5 ci-après, le Canada concède à NDI un droit et une licence uniques, de portée universelle (la licence) l’autorisant à utiliser les données du SHC pour réaliser des produits et des mises à jour de produits, pour intégrer ces produits à d’autres produits ou services (pour autant que les produits ainsi intégrés ne portent en aucune façon atteinte à l’accessibilité ou à la fiabilité des produits ou des mises à jour de produits) et pour distribuer ces produits directement ou par l’intermédiaire de parties tierces à qui une sous-licence est concédée conformément aux dispositions du présent Accord. Sous réserve des dispositions du présent Accord, le SHC n’aura pas le droit de distribuer les produits ou les mises à jour de produits à quiconque [non souligné dans l'original].

 

[21]           Les défenderesses font valoir que la section 2.1 de l’Accord confère simplement à NDI le droit d’utiliser certains renseignements appartenant au SHC, à savoir les données du SHC. Selon elles, la section 2.1 de l’Accord ne parle pas d’un droit intéressant le droit d’auteur sur les œuvres du SHC, ni ne confère un tel droit à NDI.

 

[22]           NDI affirme que trois droits lui ont été donnés aux termes de l’Accord : le droit de réaliser, d’intégrer et de distribuer. Seuls deux de ces trois droits, le droit de réaliser et le droit d’intégrer, sont protégés sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur. Le droit de distribuer ne l’est pas, parce que le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur ne mentionne pas la distribution en tant que droit protégé. Il ressort de la jurisprudence qu’un droit exclusif de distribuer ne constitue pas un intérêt dans le droit d’auteur : Mobilevision Technology Inc c Rushing Water Products Ltd, [1984] ACF n° 1199, au paragraphe 3 [Mobilevision Technology]; Télé-Métropole Inc c Bishop, [1987] 18 CPR (3d) 257 (CA), à la page 263 [Télé‑Métropole], décision confirmée (sans mention de cette question) : [1990] 2 RCS 467; 955105 Ontario Inc c Vidéo 99 (1993), 48 CPR (3d) 204, à la page 208 [955105]; Jeffrey Rogers Knitwear Productions Ltd c RD International Style Collections Ltd (1986), 19 CPR (3d) 217, aux pages 221 et 222 [Jeffrey Rogers Knitwear Productions]; Close Up International Ltd c 1444943 Ontario Ltd, [2006] OJ No 3857, au paragraphe 24 [Close Up]. J’accepte l’argument des défenderesses pour qui « des intérêts secondaires en matière de distribution […] ne peuvent donner matière à procès en vertu de la Loi sur le droit d’auteur » : Mobilevision Technology, au paragraphe 3. Ce principe est confirmé par la décision Télé-Métropole, à la page 263; la décision 955105, à la page 208; la décision Jeffrey Rogers Knitwear Productions, aux pages 221 et 222; la décision Close Up, au paragraphe 24.

 

[23]           Le SHC ayant permis à NDI de réaliser et d’intégrer les œuvres du SHC qui sont protégées par la Loi sur le droit d’auteur, on doit ensuite se demander si le SHC a promis de ne donner à personne d’autre la permission de réaliser ou d’intégrer les œuvres du SHC pendant la durée de la licence.

 

            b)  La promesse de ne donner à personne d’autre la même permission

 

[24]           Les défenderesses ne contestent pas que le SHC a promis de ne donner à personne d’autre le droit de réaliser ou d’intégrer les œuvres du SHC pendant la durée de la licence.

 

[25]           On doit ensuite se demander si le SHC a promis de ne pas lui-même réaliser ou intégrer les œuvres du SHC pendant la durée de la licence.

 

            c)  Le SHC a-t-il promis de ne pas lui-même accomplir les actes pour lesquels il a concédé une licence?

 

[26]           Le paragraphe 2.1 de l’Accord stipule que [TRADUCTION] « [s]ous réserve des dispositions du présent Accord, le SHC n’aura pas le droit de distribuer les produits ou les mises à jour de produits à quiconque [non souligné dans l'original] ». Les exceptions se trouvent dans les paragraphes 2.4 et 2.5 de l’Accord, ainsi formulés :

[TRADUCTION]

 

2.4   Le SHC peut fournir les données du SHC, les produits qui sont certifiés par le SHC et les mises à jour de produits qui sont certifiées par le SHC directement, à des fins non commerciales, à tout ministère ou organisme fédéral ou provincial du Canada, à toute université canadienne ou autre institution d’enseignement, à toute administration hydrographique avec laquelle le SHC a conclu des accords bilatéraux, ou, dans le cas d’une situation de crise nationale, au sens de la Loi sur les mesures d’urgence, à toute autre partie tierce. Le SHC mettra tout en œuvre pour faire en sorte que toutes les demandes portant sur les données du SHC, les produits du SHC et les mises à jour de produits du SHC soient acheminées par l’entremise de NDI [non souligné dans l'original].

 

2.5   Dans l’éventualité d’une situation de crise nationale, au sens de la Loi sur les mesures d’urgence, et sur avis écrit du SHC, NDI cessera immédiatement, dans la mesure et aux conditions précisées dans l’avis, la distribution des données du SHC, des produits qui sont certifiés par le SHC ou des mises à jour de produits qui sont certifiées par le SHC. NDI ne renouvellera pas, à moins d’un avis écrit du SHC, la distribution des données du SHC, des produits qui sont certifiés par le SHC ou des mises à jour de produits qui sont certifiées par le SHC. Dans le présent paragraphe, l’avis sera émis par le directeur général du SHC ou par un agent de supervision du directeur général du SHC.

 

 

[27]           NDI soutient que le SHC n’a pas la permission de distribuer les produits numériques à des fins commerciales et qu’il a donc promis de ne pas accomplir les actes autorisés par la licence. Je ne partage pas cet avis.

 

[28]           L’Accord ne dit pas expressément que le SHC promet de ne pas réaliser ou intégrer les œuvres du SHC. Tout ce que le SHC a promis dans le paragraphe 2.1 de l’Accord, c’est de ne pas « distribuer les produits ou les mises à jour de produits à quiconque [non souligné dans l'original] ». Comme il est indiqué plus haut, le droit de distribuer n’est pas un droit aux termes de la Loi sur le droit d’auteur. Par conséquent, même si NDI a sans doute raison d’affirmer qu’elle détient une licence exclusive l’autorisant à distribuer les œuvres du SHC à des fins commerciales, il ne s’ensuit pas que l’Accord lui confère une licence exclusive dans le droit d’auteur, puisque le droit de distribuer n’est pas un droit protégé sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur.

 

[29]           Ayant examiné les trois conditions exposées dans l’arrêt Euro-Excellence, la Cour doit maintenant considérer les circonstances entourant l’Accord afin d’interpréter et de caractériser celui-ci : Prism Hospital Software Inc c Hospital Medical Records Institute, [1994] BCJ No 1906; 3869130 Canada Inc c ICB Distribution Inc, 2008 ONCA 396, au paragraphe 32 [ICB Distribution]; le juge Roger Hughes, Martin Kratz et Gordon Sustrik, Canadian Forms and Precedent: Commercial Transactions- Licensing, Markham : LexisNexis, 2007, au paragraphe 1.88 [Licensing].

 

            d)  Les autres facteurs

 

[30]           NDI affirme que d’autres facteurs, tels que son droit d’introduire une procédure aux termes de l’Accord, les circonstances concomitantes témoignant de l’intention des parties contractantes, son droit de concéder une sous-licence et la conduite ultérieure du SHC, attestent tous qu’une licence exclusive lui a été concédée.

 

[31]           NDI fait état de son droit d’engager en son propre nom une action en contrefaçon ainsi que le prévoit le sous-alinéa 6.2d)(i) de l’Accord, et elle soutient qu’il faut en conclure qu’une licence exclusive lui a été concédée. Cependant, le paragraphe 6.2 de l’Accord stipule que NDI pourra [TRADUCTION] « exercer un recours en son propre nom » uniquement si le SHC ou une instance gouvernementale n’engage pas une action en contrefaçon. Par conséquent, le droit de NDI d’exercer un recours n’est pas exclusif. En fait, le paragraphe 6.2 donne à penser que le SHC a conservé, en tant que titulaire du droit d’auteur, le droit d’exercer un recours.

 

[32]           NDI se fonde sur le paragraphe 13(7) de la Loi sur le droit d’auteur, qui dispose ainsi : « Il est entendu que la concession d’une licence exclusive sur un droit d’auteur est réputée toujours avoir valu concession par licence d’un intérêt dans ce droit d’auteur ». Par conséquent, de dire NDI, il ne fait aucun doute que le titulaire d’une licence exclusive est autorisé à engager une action en son propre nom : arrêt Robertson. NDI se fonde sur des précédents où l’on a conclu à une licence exclusive lorsque le titulaire disposait d’une concession d’intérêt suffisante pour lui permettre de préserver et faire valoir ses droits protégés aux termes de la Loi sur le droit d’auteur : Bouchet c. Kyriacopoulos (1964), 45 CPR 265, et décision Close Up. Cependant, ces précédents ne disent pas que le droit contractuel d’exercer un recours conduira nécessairement à une licence exclusive. À mon avis, même si un titulaire s’est vu conférer le droit d’exercer un recours en son propre nom à la faveur d’un accord, cela ne fait pas pour autant de la licence une licence exclusive.

 

[33]           Je suis également d’avis que le droit de NDI de concéder une sous-licence pour les produits en données numériques issus des œuvres du SHC ne permet pas de conclure à une licence exclusive. Ce droit de concéder une sous-licence indique effectivement que NDI s’est vu accorder le droit [TRADUCTION] « d’utiliser les données du SHC et de réaliser des produits et des mises à jour de produits » à l’exclusion d’autrui, mais cela ne fait pas nécessairement de la licence une licence exclusive, parce que, pour que la licence soit exclusive, il aurait aussi fallu que le SHC promette de ne pas accomplir les actes définis dans la licence; il faudrait que les actes en cause puissent être accomplis à l’exclusion du titulaire du droit d’auteur : arrêt Euro-Excellence, au paragraphe 26; article 2.7 de la Loi sur le droit d’auteur.

 

[34]           NDI a raison d’affirmer que les tribunaux ne s’en tiennent pas aux modalités de l’accord, mais qu’ils doivent tenir compte de l’intention des parties au moment où l’accord a été conclu : Licensing, au paragraphe 1.85. La Cour doit considérer toutes les circonstances concomitantes pour bien qualifier l’accord : ICB Distribution, au paragraphe 32; Licensing, au paragraphe 1.88. Ces circonstances comprennent les faits qui étaient connus ou qui pouvaient raisonnablement être connus des parties lorsqu’elles ont conclu l’Accord : ICB Distribution, au paragraphe 53. La conduite ultérieure des parties peut aussi permettre de savoir quel sens le SHC et NDI attribuaient à l’Accord après l’avoir signé : ICB Distribution, au paragraphe 55, citant l’arrêt Montreal Trust Company of Canada c Birmingham Lodge Limited (1995), 24 OR (3d) 97 (CA), à la page 168.

 

[35]           Les défenderesses ont produit une preuve extraite de l’interrogatoire préalable écrit, où l’on constate que le SHC avait répondu ainsi à plusieurs questions :

[TRADUCTION]

 

Q :       Le SHC savait-il que, selon l’un quelconque des accords signés, le SHC avait accordé une licence exclusive à NDI se rapportant au droit d’auteur du SHC?

 

R :       Non.

 

Q :       Dans ce cas, quelles œuvres ou catégories d’œuvres relevaient de la licence exclusive?

 

R :       NDI n’avait pas de licence exclusive.

 

Q :       Plus précisément, le SHC savait-il que, selon l’un quelconque des accords signés, le SHC avait accordé une licence exclusive à NDI se rapportant au droit d’auteur du SHC sur les cartes papier du SHC?

 

R :       NDI n’avait pas de licence exclusive concernant les cartes du SHC sur support papier.

 

 

[36]           Je reconnais avec les défenderesses que ces réponses constituent une preuve non équivoque de l’intention du SHC. L’intention du SHC était que NDI ne disposait pas d’une licence exclusive. Quelle que soit la licence concédée à NDI, NDI n’a pas qualité pour engager une action à l’égard d’une contrefaçon prétendue de droit d’auteur se rapportant aux œuvres du SHC.

 

[37]           NDI soutient que l’on doit considérer le contexte dans lequel l’Accord fut conclu par les parties. Elle affirme que l’intention du SHC était de trouver une société privée qui se chargerait de la distribution exclusive des produits en données numériques. Les articles 3 et 6 de l’Accord montrent que le SHC entendait [TRADUCTION] « ajouter à ses cartes classiques sur support papier des cartes électroniques de navigation et autres produits en données numériques », et que NDI entendait [TRADUCTION] « acquérir les droits de commercialisation et de distribution pour les cartes électroniques du SHC et autres produits du SHC en données numériques ». Dans l’article 14 de l’Accord, le SHC et NDI affirmaient que leur intention était de pouvoir disposer d’un [TRADUCTION] « “contrat modèle” pour la production et la commercialisation de produits numériques ».

 

[38]           Je reconnais avec NDI qu’il semble que le SHC n’entendait pas distribuer lui-même ses produits en données numériques et qu’il aspirait à conclure une entente avec une tierce partie pour qu’elle assure cette distribution. Cependant, même si NDI affirme que son intention était de conclure un accord exclusif, la véritable question est de savoir si le SHC entendait conférer un tel droit exclusif. Comme je l’ai dit plus haut, l’intention du SHC est exprimée on ne peut plus clairement par son témoignage apparaissant dans l’interrogatoire préalable. NDI ne devait pas bénéficier d’une licence exclusive. Aux termes de l’Accord, le SHC pouvait fort bien diriger vers NDI toute personne en quête de produits numériques, mais cela ne veut pas dire pour autant que NDI avait une licence exclusive aux termes de la Loi sur le droit d’auteur.

 

Conclusion

[39]           Pour ces motifs, l’Accord ne remplit pas les conditions d’une licence exclusive. Par conséquent, NDI n’a pas la concession d’intérêt nécessaire pour lui permettre d’engager une action en contrefaçon de droit d’auteur se rapportant aux œuvres du SHC aux termes de la Loi sur le droit d’auteur. Puisque NDI n’a pas qualité pour faire valoir ses prétentions dans les présentes actions, il n’existe aucune véritable question litigieuse. Il est donc fait droit aux requêtes en jugement sommaire, et les actions sont rejetées dans leur intégralité, avec dépens en faveur des défenderesses. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, la Cour donnera d’autres directives sur requête de l’une quelconque d’entre elles.

 

[40]           Des motifs confidentiels ont été délivrés le 13 mars 2012, accompagnés d’une directive aux parties les priant d’informer la Cour avant la fin des heures d’ouverture le 23 mars 2012 au cas où telle ou telle portion des présents motifs publics devrait être retranchée ou modifiée. Puisque rien n’a été reçu des parties à l’intérieur du délai prévu, il n’est fait aucun retranchement ni aucune modification dans les motifs publics par rapport aux motifs confidentiels déjà communiqués aux parties.

 


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que les requêtes des défenderesses en jugement sommaire soient accueillies et que les actions soient rejetées, avec dépens, conformément aux présents motifs.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1219-04

INTITULÉ :                                      NAUTICAL DATA INTERNATIONAL, INC et

C-MAP USA INC ET DOE CO et SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

DOSSIER :                                        T-1220-04

INTITULÉ :                                      NAUTICAL DATA INTERNATIONAL, INC et

NAVIONICS INC ET DOE CO et SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 décembre 2011

 

MOTIFS PUBLICS

DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 3 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jamie Mills / Chantal Saunders

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Gary Daniel / Athar Malik

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais s.c.p.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Blake, Cassels et Graydon s.c.p.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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