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Date : 20120328


Dossier : T‑1047‑11

Référence : 2012 CF 367

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

BRENDA KUCMAN

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, le procureur général du Canada, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un membre désigné de la Commission d’appel des pensions (membre désigné) a accordé l’autorisation d’interjeter appel du refus par un tribunal de révision (TR) d’accorder des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) à la défenderesse, Brenda Kucman. La défenderesse n’a présenté aucun document visant à contester la présente demande ni n’a comparu à l’audience.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

 

I.          Le contexte

 

[3]               En août 2008, la défenderesse a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC en raison de [traduction] « douleurs au bas et au haut du dos ». Elle a indiqué qu’elle ne pouvait plus travailler à temps plein dans le domaine de l’entretien ménager. Le ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences (le ministre) a rejeté sa demande, dans sa décision initiale et lors du réexamen, parce que son invalidité n’était pas jugée « grave et prolongée ».

 

[4]               Dans une lettre datée du 18 novembre 2009, la défenderesse a sollicité un appel de la décision du ministre auprès du TR. Une audience a été tenue le 13 octobre 2010.

 

[5]               Dans sa décision du 13 décembre 2010, le TR a rejeté l’appel de la défenderesse en affirmant que, bien qu’elle ait un problème de santé, elle n’avait [traduction] « pas démontré que, selon toute vraisemblance, elle est invalide au sens du RPC à la lumière de l’ensemble de la preuve ».

 

[6]               Le 21 mars 2011, la défenderesse a déposé un avis d’appel auprès de la Commission d’appel des pensions (la Commission). Elle a exposé comme suit les motifs de son appel : [traduction] « J’estime que je suis invalide conformément à la définition contenue dans la loi du RPC ».

 

[7]               Dans une décision rendue ex parte le 31 mai 2011, un membre désigné de la Commission a accordé l’autorisation d’interjeter appel de la décision du TR. Les parties ont été informées de la décision dans une lettre subséquente. Le membre désigné n’a pas exposé ses motifs ni n’a fourni de registre officiel de la décision.

 

II.         Le cadre législatif et procédural

 

[8]               L’article 83 du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8 (le Régime) régit l’octroi et le refus de l’autorisation d’interjeter appel devant la Commission. L’autorisation d’interjeter appel n’est pas accordée de plein droit. Aux termes du paragraphe 83(1), la personne qui se croit lésée par la décision d’un TR doit présenter une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission.

 

[9]               Les demandes d’autorisation d’interjeter appel doivent être conformes aux exigences énoncées à l’article 4 des Règles de procédure de la Commission d’appel des pensions (prestations), RCR, c 390 (Règles de la CAP) :

4. L’appel de la décision d’un tribunal de révision est interjeté par la signification au président ou au vice-président d’une demande d’autorisation d’interjeter appel, conforme en substance à l’annexe I, qui indique :

 

a) la date de la décision du tribunal de révision, le nom de l’endroit où cette décision a été rendue et la date à laquelle la décision a été transmise à l’appelant;

 

 

b) les nom et prénoms ainsi que l’adresse postale complète de l’appelant;

 

 

c) le cas échéant, le nom et l’adresse postale complète d’un mandataire ou d’un représentant auquel des documents peuvent être signifiés;

 

d) les motifs invoqués pour obtenir l’autorisation d’interjeter appel; et

 

e) un exposé des faits allégués, y compris tout renvoi aux dispositions législatives et constitutionnelles, les motifs que l’appelant entend invoquer ainsi que les preuves documentaires qu’il entend présenter à l’appui de l’appel.

4. An appeal from a decision of a Review Tribunal shall be commenced by serving on the Chairman or Vice-Chairman an application for leave to appeal, which shall be substantially in the form set out in Schedule I and shall contain

 

(a) the date of the decision of the Review Tribunal, the name of the place at which the decision was rendered and the date on which the decision was communicated to the appellant;

 

(b) the full name and postal address of the appellant;

 

 

 

(c) the name of an agent or representative, if any, on whom service of documents may be made, and his full postal address;

 

 

(d) the grounds upon which the appellant relies to obtain leave to appeal; and

 

(e) a statement of the allegations of fact, including any reference to the statutory provisions and constitutional provisions, reasons the appellant intends to submit and documentary evidence the appellant intends to rely on in support of the appeal.

 

 

[10]           Il est statué ex parte sur ces demandes, à moins d’indication contraire (article 7 des Règles de la CAP). Le président ou le vice-président peut aussi désigner un membre afin qu’il accorde ou refuse l’autorisation.

 

[11]           Lorsque l’autorisation est refusée, des motifs écrits doivent être fournis (Régime, paragraphe 83(3)). À l’inverse, dans les cas où l’autorisation est accordée, la demande d’autorisation initiale est assimilée à un avis d’appel (Régime, paragraphe 83(4)). Par la suite, la Commission peut tenir une audience de novo afin d’examiner le bien-fondé de la demande de pension d’invalidité (Canada (Procureur général) c Landry, 2008 CF 810, [2008] ACF n1034, au paragraphe 21). Toutefois, les parties peuvent demander le contrôle judiciaire de la décision rendue par un membre désigné d’accorder l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour, comme l’a fait le demandeur en l’espèce (voir Canada (Procureur général) c Zakaria, 2011 CF 136, [2011] ACF n189, au paragraphe 33; Landry, précitée, au paragraphe 20; McDonald c Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CF 1074, [2009] ACF no 1330, au paragraphe 16).

 

III.       Les questions en litige

 

[12]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

a)         Le membre désigné était-il tenu de consigner la décision d’accorder l’autorisation?

 

b)         Les motifs écrits exigés pour accorder une autorisation d’interjeter appel sont-ils fondés sur les exigences obligatoires énoncées à l’article 4 des Règles de la CAP?

 

c)         Le membre désigné a-t-il commis une erreur de droit en n’appliquant aucun critère ou le mauvais critère pour accorder l’autorisation d’interjeter appel?

 

d)         La demande d’autorisation d’interjeter appel a-t-elle soulevé un argument défendable?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[13]           Les questions d’équité procédurale soulevées par la présente demande commandent la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

[14]           La question de savoir si le membre désigné a appliqué le critère approprié pour accorder l’autorisation d’interjeter appel est une question de droit qui est aussi susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que la question de savoir si la demande soulève un argument défendable doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Zakaria, précitée, au paragraphe 15; Mebrahtu c Canada (Procureur général), 2010 CF 920, [2010] ACF no 1137, au paragraphe 8).

 

V.        L’analyse

 

[15]           Le demandeur soutient que, selon raisonnement du juge Roger Hughes dans la décision Canada (Procureur général) c Montesano, 2011 CF 398, [2011] ACF no 510, les décisions d’accorder l’autorisation d’interjeter appel doivent être consignées d’une quelconque façon. Le juge Hughes a écrit ce qui suit aux paragraphes 8 et 10 :

[8]        […] Aux termes de l’article 7 des Règles de la Commission, il est statué ex parte sur les demandes d’autorisation d’interjeter appel, à moins que le président ou le vice‑président n’en décide autrement. La disposition ne signifie pas que la décision n’a pas à être consignée d’une quelconque façon. De plus, comme il en a été fait mention ci‑dessus, la Commission aurait dû exposer ses motifs.

 

[…]

 

[10]      En l’espèce, M. Montesano n’a pas même fourni les renseignements exigés à l’article 4 des Règles, précité, à l’appui de sa demande d’autorisation d’interjeter appel. Si la Commission l’avait dispensé de cette obligation, le dossier aurait dû en faire état, ce qui n’est pas le cas. Mis à part la lettre du registraire susmentionnée, le dossier ne contient rien pour montrer que la décision, si décision il y a eue, était d’accorder l’autorisation. Le dossier ne contient pas non plus d’information sur les éléments que le membre aurait pris en considération, le cas échéant, pour rendre sa décision. Il semble qu’une décision non consignée, fondée sur rien, ait été prise par une personne inconnue.

 

[16]           En l’espèce, les parties ont toutes été informées de la décision par voie de lettre sans qu’il ne soit fait mention d’une décision au dossier ou de l’identité du membre désigné. Il s’agirait donc d’une erreur dans l’octroi de l’autorisation d’interjeter appel, comme ce fut le cas dans Montesano, précitée, en particulier si l’on tient compte des préoccupations concernant l’absence de motifs et l’application du critère juridique.

 

[17]           Le demandeur fait aussi valoir que le membre désigné était tenu de fournir des motifs écrits lorsqu’il a accordé l’autorisation d’interjeter appel, étant donné que l’autorisation n’est pas accordée de plein droit. La demande présentée était déficiente en ce qu’elle n’était pas conforme à l’article 4 des Règles de la CAP qui exige un exposé des faits allégués, les motifs que l’appelant entend invoquer et les preuves documentaires qu’il entend présenter à l’appui de l’appel. Compte tenu de ces déficiences, le membre désigné aurait dû expliquer pourquoi il avait exercé son pouvoir discrétionnaire pour accorder l’autorisation d’interjeter appel.

 

[18]           Le demandeur reconnaît qu’il n’existe pas d’exigence législative de fournir des motifs à l’égard de l’autorisation d’interjeter appel. En effet, seul le refus prévu au paragraphe 83(3) du Régime donne naissance à l’obligation expresse de fournir des motifs.

 

[19]           La Cour a néanmoins conclu à plusieurs reprises que les membres désignés étaient tenus de fournir des motifs à l’appui de décisions discrétionnaires visant à accorder l’autorisation d’interjeter appel (Montesano, précitée, au paragraphe 8; Canada (Procureur général) c Sarahan, 2012 CF 52, [2012] ACF no 56, au paragraphe 30; Canada (Procureur général) c Carroll, 2011 CF 1092, [2011] ACF no 1348, au paragraphe 19; Canada (Procureur général) c Graca, 2011 CF 615, [2011] ACF no 762, au paragraphe 15; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Roy, 2005 CF 1456, [2005] ACF no 1789, au paragraphe 13; Canada (Procureur général) c Causey, 2007 CF 422, [2007] ACF no 572, au paragraphe 24).

 

[20]           Dans les cas où mes collègues se sont écartés de ce principe établi, il s’agissait de situations où les motifs fournis par la partie qui présentait la demande d’autorisation d’interjeter appel, qui sont devenus l’avis d’appel, étaient suffisamment détaillés pour déterminer si le critère juridique approprié avait été appliqué ainsi que le caractère raisonnable de la décision d’accorder l’autorisation (voir Mrak c Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CF 672, [2007] ACF no 909, au paragraphe 29).

 

[21]           Dans Canada (Procureur général) c St‑Louis, 2011 CF 492, [2011] ACF no 611, aux paragraphes 16 et 20, le juge Richard Mosley a signalé l’absence de motifs et le défaut de l’appelant de faire référence à une erreur de droit ou de fait précise dans sa demande, mais a conclu qu’il appartenait à la Cour d’apprécier si un argument défendable justifiait d’accorder l’autorisation. Bien que cette position puisse être logique dans certains cas, je ne suis pas prêt à adopter cette approche en l’espèce.

 

[22]           Lorsque la demande d’autorisation d’interjeter appel est irrégulière parce qu’elle n’est pas conforme à l’article 4 sans motif « l’on ne peut que spéculer quant à savoir si le membre désigné était au courant du critère juridique applicable aux demandes d’autorisation et si son appréciation du dossier lors de l’application de ce critère était raisonnable » (Canada (Procureur général) c Skrzypek, 2011 CF 823, [2011] ACF no 1026, aux paragraphes 8 et 20).

 

[23]           Comme la demande d’autorisation d’interjeter appel de la défenderesse contenait une seule phrase, à savoir [traduction] « J’estime que je suis invalide conformément à la définition contenue dans la loi du RPC », et celle-ci n’est ni conforme aux Règles de la CAP ni ne fournit de fondement pour déterminer le critère qui a été appliqué et le caractère raisonnable de la décision en ce qui concerne l’existence d’un argument défendable. Le défaut du membre désigné de fournir des motifs porte donc un coup fatal à sa décision d’accorder à la défenderesse l’autorisation d’interjeter appel.

 

VI.       Conclusion

 

[24]           Comme le membre désigné a omis de consigner la décision et de fournir des motifs qui permettraient de déterminer s’il a appliqué le critère juridique approprié et que l’autorisation d’interjeter appel était raisonnable, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision d’accorder à la défenderesse l’autorisation d’interjeter appel est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre membre afin qu’il rende une nouvelle décision.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision d’accorder à la défenderesse l’autorisation d’interjeter appel est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre membre afin qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1047‑11

 

INTITULÉ :                                       PGC c KUCMAN

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 FÉVRIER 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 MARS 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carmelle Salomon-Labbé

 

POUR LE DEMANDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Linda Lafond

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Brenda Kucman

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

 

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